Dossiers pédagogiques/Collections
du Musée
Un mouvement, une période
ARTE POVERA |
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L'Arte Povera ou la guérilla comme stratégie de l'art
Les artistes
et leurs uvres
Giovanni Anselmo, Senzo titolo (Struttura che mangia),
1968
Jannis Kounellis, Senza titolo, 1969
Mario Merz, Igloo de Giap, 1968
Pino Pascali, Le penne di Esopo, 1968
Giuseppe Penone, Soffio 6, 1978
Michelangelo Pistoletto, Metrocubo dinfinito,
1965-66
Gilberto Zorio, Per purificare le parole, 1969
Textes de référence
Germano Celant, "Notes pour une guérilla",
novembre-décembre 1967
Giuseppe Penone, textes extraits de Respirer lombre,
2000
Michelangelo Pistoletto, extrait de Le Ultime
Parole Famose, 1967
Ce dossier sinscrit dans une série Un mouvement,
une période, qui sera régulièrement augmentée dans cette partie du
site.
- Ces dossiers sont réalisés autour dune sélection duvres
des principaux mouvements ou tendances représentés dans les collections du Musée
national dart moderne.
- Sadressant en particulier aux enseignants ou aux responsables de groupe,
ils ont pour objectif de proposer des points de repères et une base de
travail pour faciliter l'approche et la compréhension de la création
au 20e siècle, ou pour préparer une visite au Musée*.
Chacun de ces dossiers comporte :
- une présentation générale permettant de définir et de situer le mouvement
dans un contexte historique, géographique et esthétique,
- une sélection des uvres des collections du Musée les plus représentatives,
traitées par fiches comportant une notice duvre, une reproduction et une biographie de lartiste,
- un ou plusieurs textes de référence apportant en complément une approche théorique,
- une chronologie,
- une bibliographie sélective.
*À NOTER
Les collections du Musée comportent 65 000 œuvres. Régulièrement, le
Musée renouvelle les œuvres présentées dans ses espaces situés aux 4e et 5e
niveaux du Centre Pompidou. Les dossiers pédagogiques sont réalisés en lien
avec ces accrochages.
Pour en savoir plus sur les collections du Musée : www.centrepompidou.fr/musee
L'Arte Povera ou la guérilla comme stratégie de l'art
Les acteurs de Arte Povera, refusant de se prêter au jeu de lassignation dune identité, cest-à-dire de se laisser enfermer dans une définition, rejettent la qualification de mouvement, pour lui préférer celle dattitude. Etre un artiste Arte Povera, cest adopter un comportement qui consiste à défier lindustrie culturelle et plus largement la société de consommation, selon une stratégie pensée sur le modèle de la guérilla. Dans ce sens, Arte Povera est une attitude socialement engagée sur le mode révolutionnaire. Ce refus de lidentification et cette position politique se manifestent par une activité artistique qui privilégie elle aussi le processus, autrement dit le geste créateur au détriment de lobjet fini. En somme, en condamnant aussi bien lidentité que lobjet, Arte Povera prétend résister à toute tentative dappropriation. Cest un art qui se veut foncièrement nomade, proprement insaisissable.
Néanmoins on peut tenter de dénombrer les artistes italiens qui ont participé à cette expérience, essentiellement entre 1966 et 1969 :
Giovanni Anselmo, Alighiero e Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario Merz, Marisa Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio ; sans oublier le critique dart qui a formulé et diffusé la ligne théorique dArte Povera, Germano Celant.
L'expression "Arte Povera" est utilisée pour la première fois en septembre 1967 par Germano Celant pour intituler une exposition présentée à Gênes. Elle emprunte le prédicat "pauvre" à une pratique théâtrale expérimentale, mais selon quelle signification ? On a tantôt suggéré quil sagissait dutiliser des matériaux pauvres, comme des objets de rebus ou des éléments naturels. Mais de nombreuses uvres réfutent cette interprétation en intégrant des matières plus sophistiquées comme le néon. La référence fréquente à la nature est plutôt à considérer comme un exemple de point dappui anhistorique à partir duquel il devient possible de critiquer le présent. Dans ce sens, les artistes de lArte Povera participent pleinement à la réflexion sur la dialectique entre la nature et la culture.
Mais quest-ce alors que cette pauvreté que doit viser lart ? En reprenant lanalogie établie par Germano Celant entre lart et la guérilla, on peut émettre lhypothèse que la pauvreté est à lart ce que lartillerie légère est au guérillero : lartiste doit idéalement renoncer au besoin dun équipement lourd qui le rend dépendant de léconomie et des institutions culturelles. La pauvreté de lart est une notion négative qui pose une interdiction de moyens quant à la réalisation des uvres, mais qui requiert une richesse théorique afin de se guider.
Ainsi, Arte Povera participe pleinement de lutopie contestataire de la fin des années 60 et revendique à sa manière une tendance de lart contemporain italien face à la suprématie du marché de lart américain.
La plupart de ces textes sont extraits ou rédigés à partir des ouvrages La Collection, Musée national dart moderne, Ed. du Centre Pompidou, Paris, 1987, et La Collection, Acquisitions, 1986-1996, Ed. du Centre Pompidou, Paris, 1996.
Giovanni Anselmo
Borgofranco d'Ivera, Italie, 1934
Giovanni Anselmo, Senzo titolo (Struttura
che mangia), 1968
(Structure qui mange)
Granit, fils de cuivre et laitue fraîche
70 x 23 x 37 cm
Composée de deux blocs de granit polis et dune laitue fraîche,
cette uvre repose sur l'opposition des matériaux qui sont ici assemblés
et maintenus en équilibre. Le contraste entre lélément minéral, en loccurrence
du granit souvent utilisé dans lart funéraire, et la laitue fraîche, signe
de vitalité, souligne leffet de laltération du temps et la fragilité
du monde vivant. En effet, il faudra changer fréquemment l'élément végétal pour
maintenir léquilibre précaire de cette sculpture. Pourtant, en dépit
de son caractère éphémère, cest lui qui préserve lunité de la structure
grâce à son potentiel énergétique. La cohérence du tout dépend du volume qu'il
occupe. Luvre prend également une dimension humoristique en apparaissant
comme une grande bouche vorace qui engloutit sa ration quotidienne.
Biographie
Giovanni Anselmo est très discret quant à son parcours précédant son entrée sur la scène artistique. Depuis 1966, il réalise des sculptures à partir de matériaux naturels comme la pierre, le bois, le fer, ou de matières végétales. Anselmo repositionne les matières pour tenter de leur redonner leurs qualités originelles : tension, énergie, éternité, basées sur les lois de la physique comme la pesanteur, la gravité et sur leurs transformations possibles (granit et laitue, rails de chemin de fer et éponge végétale par exemple). Le granit, symbole de dureté, lui permet de signifier des notions comme léternité ou la masse, quil met en scène pour figurer la loi physique de la pesanteur et par extension toutes les lois primordiales de la nature. Ainsi dans Direzione (Direction), 1967-1968, Mnam, bloc triangulaire orienté vers le nord, axe de référence, il insère une boussole dont la direction de l'aiguille souligne la symétrie du triangle. Cette uvre fait surgir dans lespace culturel du Musée une dimension originelle, celle de la présence de laxe tellurique qui renvoie à léternité.
Dans les années 70, Anselmo remplace la matière par le mot, ce qui le rapproche, du point de vue des moyens, de l'Art conceptuel (1). Toutefois, son propos est différent puisquil ne sinterroge pas sur le rapport du signe linguistique à son référent. Anselmo entend plutôt manifester une tension entre le virtuel et le réel, comme par exemple dans Infinito, 1971, où lartiste "projette le mot infinito sur une paroi sur laquelle il ne peut être lu ; pour lire lécrit infinito, il faut "aller" jusquau point situé à linfini".
(1) L'Art conceptuel. Voir le dossier pédagogique sur les collections du Mnam
Jannis Kounellis
Le Pirée, Grèce, 1936
Jannis Kounellis,
Senza titolo, 1969
(Sans titre)
Plaque d'acier et cheveux
100,5 x 70,5 x 5 cm
Kounellis refuse généralement tout titre à ses uvres, parce quil entend
revenir, en deçà des mots et des symboles culturels, à limmédiateté des
sensations. Limage de cette plaque de métal doù surgit une tresse
de cheveux offre à la fois une dimension théâtrale et une invitation au toucher.
En assemblant ces matériaux opposés par leur texture (le froid, le chaud), lartiste
reconstitue une unité par la teinte, comme si ces éléments avaient été liés au-delà
de leur stade iconographique. Si la rencontre fortuite entre ces deux objets évoque
lunivers de De Chirico, elle ne peut être considérée comme une nostalgie
du passé. Kounellis propose un champ de perception, autre que celui du regard
cultivé.
Biographie
Lié à lArte Povera, Kounellis a bâti une uvre où se mêlent peinture et sculpture, architecture et musique, théâtre et danse. De 1958 à 1965, il peint des lettres, des flèches et des numéros, sur des supports de bois ou de papier journal. Après une interruption de deux ans, il reprend en 1967 son travail artistique, et expose à la galerie de lAttico à Rome, avec les artistes de lArte Povera.
Depuis, l'ensemble de ses travaux s'attache à linvention dun langage qui fait dialoguer la nature et la culture : un cactus, du charbon, un perroquet, de la laine, du bois ou du café où se mêle le feu, "matériau" volatile et incontrôlable... autant déléments quil met en scène pour composer ce quil affirme être des "figures vitales". Il cherche en réalité à élargir "le royaume des sens" (Germano Celant), à donner à voir lexistence précaire des choses, des éléments et leur signification. L'artiste a recours à des matériaux originels et chaque élément est rendu à sa singularité propre.
Dans les années 70, Kounellis intègre la dimension théâtrale et musicale à son uvre. Il réalise plusieurs décors d'opéras. Il fait également référence aux cultures méditerranéennes anciennes en proposant une relecture du sacré et du mystère. Indifférent à la chronologie de son uvre, lartiste reprend aujourd'hui certains motifs et certaines figures de son travail passé, dans des installations qui conjuguent lhermétisme au sensible pour élaborer une véritable poétique.
Mario Merz
Milan, 1925 - Turin, 2003
Mario Merz, Igloo de Giap,
1968
Armature de fer, sacs de plastique remplis de terre, tubes de néon, batteries, accumulateurs
120 x 200 cm (diamètre)
Cet igloo, qui fait partie dune série réalisée par lartiste entre 1968 et 1969, est constitué dune structure métallique en forme de demi-sphère, sur laquelle sont fixés des treillages de métal ligaturés par des fils dacier. Larmature est recouverte de petits sacs de plastique remplis de terre glaise.
Pour Mario Merz, ligloo incarne la forme organique par excellence. Il est à la fois "le monde" et "la petite maison". Il est limage de la survivance, à la fois une édification nomade et un abri. Ici, il est utilisé par lartiste comme support dune revendication tant politique quartistique.
Sur lensemble de cet igloo, en lettres capitales de néon, court la sentence du général Giap en italien : "Se il nemico si concentra perde terreno, se si disperde perde forza" (Si lennemi se concentre il perd du terrain, et si l'ennemi se disperse, il perd sa force). Linscription de cette formule sappuie sur la forme symbolique de la spirale, figure dynamique qui résout le dilemme entre la force et lexpansion exprimé par le général vietnamien. Mais la spirale se construit aussi grâce à la suite logarithmique de Fibonacci, où chaque nombre est la somme des deux précédents et où le rapport de deux termes consécutifs tend vers le nombre d'or. Elle rappelle ainsi lharmonie recherchée par les artistes de la Renaissance italienne, en même temps quun rapport de proportion inscrit dans la nature. Par cette figure géométrique quest la spirale, lart, la vie et la stratégie de résistance du général Giap sont posés en adéquation. Cette uvre, contemporaine de la guerre du Vietnam, est marquée par lidéologie contestataire des années 60.
Biographie
A la fin de la guerre, Mario Merz commence des études de médecine à Turin avant de devenir peintre dans les années 50 : il est alors proche de linformel. Il élabore un vocabulaire peuplé dimages abstraites et de signes inspirés directement de la nature. De cette période, lartiste a détruit un grand nombre duvres.
Au début des années 60, il incorpore à ses travaux des substances organiques et découvre les premiers éléments dune thématique dont il ne se départira plus, notamment la figure de la spirale, symbole du temps et de lexpansion de lespace.
En 1967, il participe, galerie La Bretesca de Gênes, à la première exposition de lArte Povera, Arte Povera Im Spazio, organisée par le critique Germano Celant, rencontré un an plus tôt. Le travail de lartiste à cette époque consiste à confronter des objets naturels et symboliques à des structures correspondant à des modèles mathématiques, uvres dont ligloo devient la forme emblématique (Igloo de Giap, 1968).
En 1969, il expose, à la galerie lAttico de Rome, une installation intitulée Che Fare ? (Que faire ?), composée dune Simca 1 000 traversée dun tube de néon, de branchages où sont posés des paquets de vitres empilées, et dun igloo translucide.
Dans les années 80, il renoue avec la peinture et concentre sa réflexion sur le thème de lanimal, que ce soit le lion, la chouette ou le crocodile. Notamment dans son Hommage à Arcimboldo, 1987, Mnam, il présente un crocodile naturalisé confronté à la suite mathématique de Fibonacci. Cest loccasion pour lartiste de donner à voir les deux grandes conceptions occidentales de la nature : le spectacle, que lon peut contempler dans les musées dhistoire naturelle et, selon la formule de Galilée, le "vaste livre écrit en langage mathématique".
Pino Pascali
Bari, 1935 - Rome, 1968
Pino Pascali, Le penne di Esopo, 1968
(Les plumes dEsope)
Armature en bois, laine d'acier tressée, plumes
Profondeur : 35 cm, diamètre : 150 cm
Achat 1991
AM 1991-98
Cette uvre appartient à une vaste série intitulée Ricostruzione della natura (Reconstruction de la nature), 1967-1968, restée inachevée par la mort de l'artiste. Faisant écho à la démarche des Futuristes italiens, en particulier au manifeste de la Reconstruction futuriste de lunivers de 1915, cet ensemble est à la fois un programme dimitation parodique de la nature et une tentative de reconstruction des gestes élémentaires de lhomme dans sa lutte pour la survie. A côté des Penne di Esopo (les plumes dEsope), Pascali a réalisé les fameux Bachi da setola, vers à soie à léchelle démesurée faits de brosses ménagères, ou encore Larco di Ulisse (larc dUlysse) et La tela di Penelope (la toile de Pénélope), lesquels comme Le penne di Esopo, font appel à la mythologie gréco-romaine et plaident pour un retour à des valeurs originelles.
Le penne di Esopo fut exposé pour la première à la Biennale de Venise de 1968. Sous une esquisse de luvre, Pascali avait écrit : "Hommage à un poète antique". A travers les symboles de la cible et des flèches, il sagit par conséquent de souligner le pouvoir du poète pour qui les mots sont des armes. En ce sens, Le penne di Esopo n'est pas sans rappeler les premières productions de Pascali, les Armi (Armes). Cependant, à la différence de cette série qui présente des canons, grenades et mitrailleuses comme des jouets de mort, à la fois sophistiqués et puérils, les flèches évoquées ici suggèrent dauthentiques armes ayant la force de la simplicité.
Biographie
Après des études de scénographie et la réalisation de décors, Pino Pascali débute véritablement une carrière artistique en 1964 qui sachève seulement quatre ans plus tard avec sa mort des suites dun accident de moto.
Son travail sest élaboré par cycles, développant chaque fois de nouvelles propositions où, entre fiction et réalité, se jouent faux-semblants et justesse du simulacre.
Les Quadri-Ogetti (Tableaux-Objets) de 1964, structures de bois recouvertes de toile tendue peinte à lémail, déclinent des détails de lanatomie féminine. Les Armi (Armes) de 1965, assemblages dobjets disparates recouverts dune couche de peinture verte, sont des leurres pour jouer à la guerre qui deviennent, selon le critique Maurizio Calvesi, un "meeting pacifiste, un spectacle de récitation, une séance de jeu, une mauvaise aventure de la fantaisie".
Les Finte Sculture (Fausses Sculptures) de 1966 sattachent à inventorier "les animaux naturels" et la "nature vierge", leurs formes tronquées, qui, sous prétexte d'évoquer la "décapitation du rhinocéros" ou "de la girafe", parleraient plutôt de celle de la sculpture. Enfin, les Elementi et la Ricostruzione della natura (1967-1968) sinterrogent sur le dialogue entre la nature et la culture, par exemple en revisitant avec humour les mythes de Tarzan et dUlysse.
Pour lire quelques fables dEsope
Giuseppe Penone
Garessio Ponte, Cuneo, Italie, 1947
Giuseppe
Penone, Soffio 6, 1978
(Souffle)
Terre cuite
158 x 75 x 79 cm
Le Souffle témoigne de la volonté du sculpteur dinscrire son geste au plus proche de la permanence des mythes. Réalisée en terre cuite et constituée de trois sections superposées, cette jarre est à la mesure du corps dont lempreinte y est pétrifiée. Lartiste fige dans le matériau la fluidité fondamentale du temps. "Dans ce moment de prise de possession de la réalité, comment vivre le processus si ce nest de lintérieur ?", écrit Germano Celant.
Penone, attaché à vouloir renouveler son expérience, a réalisé six grands vases semblables, faisant clairement apparaître une figure pétrifiée dotée dun cou et dune bouche souvrant sur une véritable trachée. Preuve, sil en faut, quil sagit dabord de signifier la relation physique du sculpteur à luvre. Mais plus largement c'est aussi de la relation empathique de l'homme à la nature en général dont parlent ces uvres. Le Souffle indique ainsi l'idée d'énergie impalpable, de signe de vie, de survivance matérialisée par cette terre cuite, sorte de matrice de l'origine de la création.
Biographie
Giuseppe Penone vit et travaille entre la France et l'Italie. Aussi est-il, à linstar dautres protagonistes de lArte Povera, lune des figures de lart italien des années 60 dont luvre se confond intimement avec la situation spécifique du nord de la Péninsule.
Mais, à la pratique essentiellement ancrée dans le milieu urbain de différents artistes qui lui sont proches, Penone veut opposer une uvre soumise à et complice de la nature. Si ses premières pièces et expériences, directement liées et conçues dans et avec la Nature, témoignent dune attention extrême aux "énergies à luvre" (croissance, équilibre, érosion, souffle), les réalisations qui suivent, où son corps devient partie intégrante et outil dintrospection de lobjet visuel, prennent une autre signification (Se retourner les yeux, 1970, Pression, 1974-1977, Patates, 1977). Il sessaie ainsi à retrouver dans une pratique purement sculpturale les processus imperceptibles et néanmoins vivants de chaque modification (Souffle de feuille, 1982), attentif à létat transitoire des choses et à la préhension que son corps peut en avoir.
Alors que les éléments constitutifs de ses premières uvres rejoignaient le matériau caractéristique des pratiques "pauvres" ou "conceptuelles" (matériel de projection, photographies, etc.), Penone a, au milieu des années 70, retrouvé par le bronze et les techniques les plus classiques ce qui, en somme, est le sujet de son uvre entière : révéler la nature dans la culture et la culture dans la nature.
Michelangelo Pistoletto
Biella, Italie, 1933
Michelangelo
Pistoletto, Metrocubo dinfinito,
1966
(Mètre cube d'infini)
6 miroirs, cordes
120 x 120 x 120 cm
Achat, 1990
AM 1990-158
Le Metrocubo dinfinito (Mètre-cube dinfini) fait partie de la série des Oggetti in meno (Objets en moins) qui, comme lexplique Pistoletto lui-même, sont des objets "soustraits à sa propre unité", autrement dit, des objets qui nexpriment pas sa propre personnalité puisque ce sont des parodies des tendances artistiques contemporaines. Ainsi, le Metrocubo dinfinito emprunte la rigueur de lArt minimal.
Cependant, au delà de la citation, Pistoletto poursuit avec cette uvre sa quête sur les effets du miroir. Ce matériau, utilisé depuis les Quadri-Specchianti (Tableaux-miroirs), pour introduire le mouvement dans la peinture, bénéficie dans ce dispositif dune démarche de "libération". En effet, les miroirs placés ici à l'intérieur de la sculpture sont "si étroitement proches" quon ne peut rien voir. Les six miroirs ne reflètent queux-mêmes, mutuellement et à linfini. Comme le souligne lartiste, "en mettant le nez dedans, la dimension de ce qui se produirait à lintérieur se serait altérée et le travail aurait changé".
Biographie
Après les Tableaux-miroirs (exposés à partir de 1962), Pistoletto développe, dès le milieu des années 60, la série des Oggetti in meno (Objets en moins).
En 1967, lorsque Germano Celant sattache à définir le concept dArte Povera, Pistoletto en incarne déjà certains principes, comme lusage de matériaux non nobles. Pourtant, son uvre reste singulière au sein du groupe. Marqué par les expériences du Living Theatre, il créé sa propre compagnie, le Zoo, active jusquen 1969, dans laquelle limplication du public trouve, par rapport aux miroirs, une "orchestration" concrète, hors du champ des arts réputés "plastiques".
Pour Pistoletto, l'utilisation des miroirs prend paradoxalement naissance dans un amour de la sculpture, détourné au profit dune réflexion sur la peinture pour, en définitive, renouer avec la tridimensionnalité, en autant détapes, depuis les Tableaux-miroirs jusquaux sculptures en polyuréthane et en marbre des années 80.
Gilberto Zorio
Andorno Micca, Italie, 1944
Gilberto
Zorio, Per purificare le parole, 1969
(Pour purifier les paroles)
Tuyau de pompier (caoutchouc dur gainé de grosse toile), embouchure en zinc ;
tubes en fer
Hauteur : 170 cm, diamètre : 300 cm
Cette uvre, une des premières pièces de la série Per purificare le parole commencée en 1969, se présente comme un alambic élémentaire propre à un rite initiatique. Il symbolise l'acte mental de purification des paroles que l'on sépare de leurs scories, grâce à un processus de transformation matérialisé par le circuit du tuyau.
Les installations ultérieures de cette série, plus élaborées, comportent des objets fragiles (creusets, urnes en céramique, vasques de peau) en équilibre précaire à lintersection de perches courbes, ou disposés selon une forme récurrente en étoile.
Ces pièces proposent à celui qui se prête à l'expérience de voir ses paroles devenir esprit.
Biographie
Depuis sa première exposition à la galerie Sperone de Turin en 1967, luvre de Gilberto Zorio est liée à lhistoire de lArte Povera.
Les premières productions sont des objets étranges, résultats dactions achevées ou en cours, mettant en jeu des forces physiques et des réactions chimiques simples : Colonne, 1967, tube déternit en équilibre sur des chambres à air ; Rose/Bleu/Rose, 1967, cylindre déternit coupé dans sa longueur et rempli dun mélange de plâtre et de cobalt qui change de couleur au gré des variations de lhumidité de lair ; Piombi, 1968, constitué de deux plaques-récipients de plomb contenant respectivement de lacide sulfurique et de lacide chlorhydrique qui attaquent, plus ou moins lentement, et en prenant des couleurs différentes, une barre de cuivre recourbée dont les extrémités baignent dans les acides.Viennent ensuite des pièces impliquant laction et la réaction du corps de lartiste comme Odio (colère en italien), mot inscrit à la hache dans un mur. Le rôle des mots et de la parole est ici capital dans une uvre traversée, "informée" par la langue.
En 1969, Zorio participe à la célèbre exposition Quand les attitudes deviennent forme, organisée par Harald Szeemann à Berne. A cette occasion, il réalise Torcia, pièce radicale où des torches enflammées, suspendues au-dessus du sol, tombent en provoquant leffondrement et la destruction de luvre.
En 1969, il expose également à Paris pour la première fois, et à New York pour la manifestation Nine at Castelli où, avec Anselmo, ils sont les seuls artistes européens confrontés aux artistes du Process Art, de lAntiform et du Post-minimal.
Germano Celant, "Notes pour une guérilla", Flash
Art, Milan, novembre-décembre 1967 (extrait).
Reproduit dans Identité italienne, lart en Italie depuis 1959,
sous la direction de Germano Celant, Ed. du Centre Pompidou, Paris, 1981, pp.
218-221.
Le choix dune expression libre engendre un art pauvre, lié à la contingence, à lévénement, au présent, à la conception anthropologique, à lhomme "réel" (Marx). Cest là un espoir, un désir réalisé de rejeter tout discours univoque et cohérent ( ) car lunivocité appartient à lindividu et non pas à "son" image et à ses produits. Il sagit dune nouvelle attitude qui pousse lartiste à se déplacer, à se dérober sans cesse au rôle conventionnel, aux clichés que la société lui attribue pour reprendre possession dune "réalité" qui est le véritable royaume de son être. Après avoir été exploité, lartiste devient un guérillero : il veut choisir le lieu du combat et pouvoir se déplacer pour surprendre et frapper.
Giuseppe Penone, textes extraits de Respirer lombre, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris 2000.
La nature, le paysage européen qui nous entoure est artifice, il est fait par lhomme, cest un paysage culturel. Laction de lhomme a modifié la nature préexistante, en en créant une nouvelle, produit de son action, de son art. La valeur culturelle la plus immédiate dune uvre humaine tient souvent à ce quon la reconnaît. On a tendance à séparer laction de lhomme de la nature comme si lhomme nen faisait pas partie. Jai voulu fossiliser lun des gestes qui a produit la culture. 1977 (p.91).
Une uvre dart se fonde sur les sens et sur la logique qui en dérive. Cest un langage fondé sur ce que nous percevons et qui, daprès la science actuelle, est très différente de la réalité. La réalité atomique des choses, dun objet, dun tableau, dune sculpture, dune feuille de papier, est un espace où évoluent des systèmes datomes qui ont peu de choses en commun avec lapparence de ce que nous touchons. La réalité est invisible et intangible. Cest une grande libération ; la certitude que ce que nous croyons voir, nest pas la réalité des sens mais la réalité définie par la science grâce à un langage mathématique et scientifique qui est certes engendré par les sens mais tend à en nier lexactitude et la capacité de compréhension et danalyse. Cest un contresens fantastique. Cest le principe qui détermine la stupeur entre un paysage réel et le même paysage peint. 1983 (p.131).
Michelangelo Pistoletto, extrait de "Le Ultime Parole Famose", Turin, 1967, Traduction française dans Arte Povera, Art Editions Villeurbanne, 1989, pp. 231-234.
[
] Ma marche actuelle est ainsi latérale.
Chaque production est pour moi libération, ce nest pas une construction
qui veut me représenter. Je ne me contemple pas non plus sur mes travaux et
nul ne peut se réfléchir sur moi, à partir de mes productions. Chaque uvre
réalisée est destinée à poursuivre seule sa route, elle ne mentraîne pas
à sa suite dès lors que je mactive déjà sur un autre terrain. Le problème
posé par lactualité immédiate na plus de sens dans les formes choisies.
Pas question de changer les formes tout en laissant le système intact, il faut
plutôt emmener intactes les formes, hors du système. Pour être à même de le
faire, il faut être absolument libre. Considérer lactualité des formes
revient à ne pas être libre de considérer les formes du passé. Comme nul ne
possède les formes de lavenir, à lintérieur du système, la liberté
consiste à pouvoir faire quune seule chose.
Pour moi, il est des formes plus ou poins actuelles ; toutes les formes sont à notre disposition, tous les matériaux, toutes les idées et tous les moyens de les exprimer. Le chemin où lon marche en biais sur le côté mène hors du système, qui lui, va tout droit. Devant nous, plus aucune ligne darrivée, où arriver premier serait méritant, où arriver dernier ferait courir un blâme. Toute course effrénée vers un point abstrait engendre un système de conflit entre individus et masses. Avec lavancée sur le côté, la course entre individus se fait sur des lignes parallèles. Cest que chaque individu avance à sa façon, sans se projeter hors de lui, ni sur des points abstraits, ni sur les autres. Sur cette voie, il ny a pas de meilleurs ni de pires : chacun est ce quil est, chacun fait ce quil fait. Ici nul na besoin de feindre pour paraître le meilleur, et il devient très facile de communiquer dans un langage non structuré, parce que chacun fait facilement comprendre qui il est et comme il est. Finalement, pour comprendre et communiquer, les mécanismes de la perception peuvent fonctionner à plein.
1966
En juin, Piero Gilardi, Gianni Piacentino, Michelangelo Pistoletto, Alighiero
Boetti, Giovanni Anselmo organisent à la galerie Sperone, à Turin, sous le titre Arte Abitabile ("Art habitable"), une exposition qui se veut
une réponse au courant américain, lArt minimal et
plus particulièrement à Don Judd et Sol LeWitt révélé deux mois
plus tôt au Jewish Museum, à New York, par la manifestation Primatury Structures.
Les Italiens conservent de ces derniers la grande simplicité visuelle de
leurs constructions mais en rejettent la froideur et la neutralité au profit
du facteur subjectif de la sensibilité. Cette manifestation annonce lArte
Povera.
1967
Autre préfiguration du groupe avec lexposition organisée en juin par
le critique dart Maurizio Calvesi à la Galerie Attico à Rome, Fuoco,
Immagine, Acqua, Terra ("Feu, Image, Eau, Terre"). Elle réunit
Jannis Kounellis, Pino Pascali, Michelangelo Pistoletto, et Mario Schifano,
dont les uvres proposent dêtre une "médiation" entre la
nature et le public.
En septembre, le terme Arte Povera saffirme avec lexposition Arte Povera Im Spazio, réalisée par le critique dart Germano
Celant à la galerie Bertesca à Gênes. Alighiero Boetti, Luciano Fabro, Jannis
Kounellis, Giulio Paolino, Pino Pascali, Emilio Prini sont présents autour dun
projet commun : produire des uvres immédiatement intelligibles grâce
au "caractère empirique et non spéculatif du matériau" (G. Celant, Precronistoria, 1976, p.33).
En décembre, publication dans Flash Art, revue dart américaine,
de larticle de Germano Celant, "Arte Povera. Notes pour une
guérilla" lequel, explicitant les visées du mouvement, peut être considéré comme un manifeste.
Au cours de ce même mois, Daniela Palazzoli organise à Turin une exposition
dont le titre, Con temp lazione, qui joue sur le mot "contemplation",
résume le programme des artistes exposés. Con temp lazione cest-à-dire fragmenter la contemplation (Contemplazione)
les artistes visés sont les minimalistes et leur "quasi-mystique"
quils traduisent par leurs recherches de formes épurées ,
et Con temp lazione, soit : Avec le temps
laction. Rejoignant ici la pensée de Marx et Engels développée dans
la onzième des Thèses sur Feuerbach "les philosophes nont
fait quinterpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, cest
de le transformer" , Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti, Luciano
Fabro, Michelangelo Pistoletto, Gilberto Zorio ont pour objectif, dans leur
pratique artistique, non plus de représenter le monde mais de le transformer.
1968
Nouvelle manifestation proposée par Germano Celant à la galerie De Foscherari
à Bologne, dont la dimension théorique sexprime dans un débat auquel participent
à la fois les artistes emblématiques de lArte Povera, Giovanni
Anselmo, Alighiero e Boetti*, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario Merz, Giulio
Paolini, Pino Pascali, Gilberto Zorio, dautres encore comme Mario Ceroli,
Gianni Piacentino ou Emilio Prini qui se sépareront plus tard du mouvement et,
outre Germano Celant, les critiques dart Giorgio De Marchis, Achille Bonito
Oliva. Débat publié ultérieurement dans les actes d'un colloque sous le
titre La Povertà dell'arte ("La pauvreté de lart").
En septembre, lArte Povera perd lun de ses représentants
les plus prometteurs, Pino Pascali.
En octobre, à Amalfi, et toujours sous légide de Germano Celant, lexposition
intitulée Arte Povera + Azioni Povere ("Art pauvre + Actions pauvres")
associe cette fois des artistes dArte Povera (Boetti, Fabro, Anselmo,
Merz, Paolini, Pistoletto, Zorio, Piacentino) à des représentants du Land
Art, Richard Long, et de lArt conceptuel, Jan Dibbets, montrant
que les frontières entre ces courants ne sont pas encore nettement tracées.
1969
En mars, inauguration de lexposition réalisée par le critique dart
Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne : Quand les attitudes deviennent
forme. Cette manifestation, devenue légendaire, témoigne dun changement
radical dans lart en démontrant, par les artistes invités, ceux
dArte Povera mais aussi dautres tendances, quun comportement
émanant dune prise de position théorique pouvait désormais être sédimenté
en uvre dart. Autrement dit, cest laction qui devient
uvre.
En novembre, publication de louvrage Arte Povera par Germano Celant,
lequel inclut dans sa réflexion des artistes de lAntiform comme Eva Hesse,
un des pionniers de lArt conceptuel Joseph Kosuth ou encore un créateur
singulier, Joseph Beuys. Néanmoins, lunité des travaux des artistes de lArte Povera apparaît à travers leur volonté dattirer lattention
sur "lénergie de la matière" et son "potentiel révolutionnaire".
1989
Avec Verso lArte Povera ("Vers lart
pauvre "), présentée au Pavillon dArt Contemporain de Milan,
de janvier à mars, Arte Povera signe sa dernière manifestation. En revenant
sur la période initiale du mouvement et son contexte artistique, l'exposition justifie
a posteriori son processus de formation : la préoccupation de ses représentants
étant dévincer lobjet achevé au profit de laction, la formulation
exacte de ce quil fut ne pouvait donc se révéler quà son terme.
*En 1968, Alighiero Boetti décide de séparer son prénom et son nom par la conjonction de coordination "e" (et), afin de manifester la question du double de la personnalité, c'est-à-dire le rapport problématique entre "je" et "moi".
A consulter sur Internet
- Une banque d'images
consacrée, entre autres, à l'Arte Povera
- Le Parcours de l'exposition Giuseppe Penone. Rétrospective, organisée au Centre Pompidou du 21 avril au 23 août 2004.
- Dossier pédagogique du Centre Pompidou : Giuseppe Penone, rétrospective.
Catalogues dexposition
- ZEro to infinity : Arte povera 1962-1972, Tate Modern, Londres, 2001
- Arte povera, Antiform : sculptures, 1966-1969, CAPC-Musée d’art contemporain, Bordeaux, 1982
- Arte Povera, Antiform, Sculpture 1966-1969, Bordeaux CAPC, 1982.
- Identité italienne, lart en Italie depuis 1959, sous la direction
de Germano Celant, Paris, Centre Georges Pompidou, 1981.
- Arte Povera. Les multiples 1966-1969, Musée dart moderne et dart
contemporain de Nice, 1980.
Pour consulter les autres dossiers sur les expositions, les collections du Musée national d'art moderne, les spectacles, l'architecture du Centre Pompidou
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Contacts
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Crédits
© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, 2001
Conception : Florence Morat
Documentation, rédaction : Vanessa Morisset
Design graphique : Michel Fernandez, Malliga Ambroise
Pour les œuvres de Merz, Penone, Zorio : Adagp, Paris 2010
Mise à jour : Florence Thireau, 2010
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques