Dossiers
pédagogiques/Collections du Musée
Un mouvement,
une période
A la frontière du design |
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Tobias Rehberger, Outsiderin et Arroyo grande 30.04.02-11.08.02,
2002 |
LES ARTISTE ET LEURS
ŒUVRES
Ilya Jossifovich Kabakov, C'est ici que nous vivons, 1995
Franz West, Auditorium, 1992
Bertrand Lavier, Brandt sur Haffner, 1984
Dominique Gonzalez-Foerster, A rebours, 1993
Tobias Rehberger, Outsiderin et Arroyo grande 30.04.02-11.08.02, 2002
Didier Fiuza Faustino, Corps en transit, 2000
Tatiana Trouvé, Polder, 2001
Mathieu Mercier, Caractères, 2001
Ce dossier s'inscrit dans une série : “Un mouvement, une période ”, qui sera régulièrement augmentée dans cette partie du site.
• Ces dossiers sont réalisés autour d'une sélection d'œuvres des principaux mouvements ou tendances représentés dans les collections du Musée national d'art moderne.
• S'adressant en particulier aux enseignants ou aux responsables de groupe, ils ont pour objectif de proposer des points de repères et une base de travail pour faciliter l'approche et la compréhension de la création au 20e siècle, ou pour préparer une visite au Musée.*
Ces dossiers comportent :
- une présentation générale permettant de définir et de situer le mouvement dans un contexte historique, géographique et esthétique,
- une sélection des œuvres des collections du Musée les plus représentatives, traitées par fiches comportant une notice d'œuvre, une reproduction et une biographie de l'artiste,
- un ou plusieurs textes de référence apportant en complément une approche théorique,
- une bibliographie sélective.
*A NOTER
Les collections du Musée comportent plus de 59 000 œuvres. Régulièrement, le Musée renouvelle les œuvres présentées dans ses espaces situés aux 4e et 5e niveaux du Centre Pompidou. Les dossiers pédagogiques sont réalisés en lien avec ces accrochages.
Pour en savoir plus sur les collections du Musée : www.centrepompidou.fr/musee
Dans le prolongement de l'histoire de l'objet dans l'art du 20e siècle, des artistes, depuis une vingtaine d'années, s'interrogent sur le statut paradoxal des créations issues du design industriel. Si l'art moderne a, en effet, rendu courante l'intrusion d'objets quotidiens dans l'espace du musée, depuis Duchamp et l'invention du ready-made, et s'il a vu naître à travers des mouvements comme le Bauhaus, De Stijl, ou l'Union des artistes modernes, des objets usuels beaux et pratiques, ce n'est que récemment que le rapprochement entre ces deux inventions, ready-made et design, a été thématisé. Comme le souligne Camille Morineau dans un récent article publié dans la revue Art Press, personne ne s'était demandé « qui a dessiné l'urinoir de Duchamp » (voir textes de référence).
A partir des années 1980, apparaissent des œuvres qui se situent à la frontière du design et des arts plastiques en ce qu'elles utilisent ou évoquent des objets « designés », mais de manière critique, dans un projet qui les déplace du champ de l'utilité vers celui de la contemplation et de la réflexion.
Franz West et Bertand Lavier sont sans doute les premiers à chercher la limite entre l'art et le magasin de meuble. West crée un mobilier inconfortable qui ne procure que l'illusion d'être utile, tandis que Lavier emploie des objets connus en les appelant du nom de leur marque ou de leur créateur : Panton sur Fagor par exemple, une chaise exposée sur un réfrigérateur. Chez lui, la limite entre l'art et le non-art rejoint celle de l'utilité et de l'esthétique. Ainsi, par des voies détournées, il pointe sur ce qui constitue l'ambiguïté du design.
Dans cette réflexion, West et Lavier ont été suivis par de plus jeunes artistes qui travaillent entre l'art, le design, mais aussi l'architecture ou encore le design d'espace. C'est le cas du jeune artiste allemand Tobias Rehberger qui interroge l'interaction des objets avec leur environnement, ou de l'architecte franco-portugais Didier Fiuza Faustino dont le travail se concentre sur la limite même entre design et arts plastiques. Le design peut être parodié par l'artiste pour interroger son statut, dans l'œuvre de Mathieu Mercier par exemple, ou pour évoquer les milieux que ces objets typiquement modernes déterminent, comme chez Tatiana Trouvé, qui donne à voir des lieux de travail, essentiellement des bureaux, en miniature.
En somme, les artistes contemporains s'emparent des objets « designés», non pas en tant que ready-mades qui interrogeraient la notion d'auteur, mais pour mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent, voire en susciter une critique radicale comme Ilya Kabakov.
Ilya Jossifovitch Kabakov
Dnepropetrovsk (Urss), 1933
Ilya Jossifovitch Kabakov, C'est ici que nous vivons, 1995
Dessin de l'installation réalisée au forum haut
Aquarelle, crayon noir, crayons de couleur, fusain et feutre sur papier
50 x 64,8 cm
Réalisée en 1995 pour prendre place dans le forum du Centre Pompidou, C'est ici que nous vivons est l'une des plus monumentales installations d'Ilya Kabakov. Comportant dix-neuf parties ou installations dans l'installation, telles des matriochkas, répartie sur les deux niveaux du rez-de-chaussée et du sous-sol du Centre, elle se présente comme une parodie de chantier. Le spectateur découvre tout d'abord des baraques d'ouvrier, aménagées pour être habitées, mais désertées, comme le chantier qui semble abandonné depuis longtemps. Un panneau indique que la construction d'un palais était prévue, mais ce projet se réduit à des gravats et des échafaudages en désordre. Au sous-sol, on visite une ville miniature avec son hôpital, son cinéma, ses lieux de divertissement, eux aussi délaissés. Le temps s'est figé autour de ce projet inabouti.
De même que la métaphore du chantier et des travaux, centrale chez Kabakov, exprime une volonté d'amélioration qui tourne court, tout dans cette installation renvoie à l'échec d'une utopie. Elle peut ainsi être interprétée comme une métaphore du communisme, de l'âme russe, ou tout simplement de la vie.
Biographie
Originaire d'Ukraine, Ilya Kabakov entreprend au milieu des années 50 des études d'illustration à Moscou. Il illustre une centaine de livres pour enfants, avant de se lancer dans la publication de livres où il travaille à la fois les images et les textes. Ces créations le conduisent à la peinture, puis, depuis le début des années 80, aux installations, forme d'art qui lui permet d'instaurer un dialogue avec le spectateur.
« Il était essentiel, confie-t-il dans un entretien, que la discussion s'engage entre moi et un autre, un autre qui ne se contente pas d'exprimer son enthousiasme ou son plaisir, mais qui se sente également libre de commenter mon œuvre, qui apporte un regard extérieur sur mon travail ».
Ces installations, souvent à connotation politique et sociale, le font rapidement connaître en Occident, notamment à Paris où son travail est exposé dès 1986. En 1988 il quitte Moscou pour voyager, et s'installe en 1992 à New York où il demeure encore aujourd'hui. Il poursuit ses recherches, avec plus de cent cinquante installations réalisées, de plus en plus monumentales : une installation de 1998 comportent par exemple soixante-cinq sous-parties.
Franz West
Vienne (Autriche), 1947
Franz West, Auditorium, 1992
72 divans pour la Documenta : divans en fer sur lesquels sont posés des tapis d'Orient usagés, utilisés comme siège par le public
Métal, mousse, carton, tapis et polochons
Dimensions variables
Depuis la fin des années 80, Franz West fabrique des objets à la frontière de la sculpture et du mobilier. Ces pièces, volontairement négligées, voire mal faites, en tubes d'acier grossièrement soudés, instaurent une distance avec le mobilier habituel, ou inversement procurent à la sculpture une valeur d'usage.
Pour la Documenta IX de Kassel, en 1992, en hommage à Freud lui aussi viennois, West conçoit une installation de divans qu'il propose comme assises aux visiteurs. Mais ces divans de métal sont à la limite de l'inconfort, à peine capitonnés par les tapis orientaux que l'artiste a choisis pour les recouvrir. West propose ainsi au visiteur d'éprouver l'œuvre par le contact avec son corps.
Comme le note Nicolas Bourriaud, les sièges de Franz West mettent le spectateur en déroute puisque « frustré d'un objet à admirer », il est « amené à s'asseoir sur ce qu'il désirait regarder ». En somme, l'œuvre qu'il était venu voir disparaît au profit de son usage, l'intérêt visuel est évincé par la découverte tactile de l'objet. West réintroduit les objets d'art dans le circuit du quotidien. Ses objets sont, selon sa propre expression, des « adaptateurs entre l'art et la vie ».
Biographie
Franz West s'initie à l'art en autodidacte dans les années 60, au moment où la scène artistique viennoise est dominée par le mouvement actionniste. L'intérêt de ce groupe pour le corps détermine le sens de son futur travail. En effet, au milieu des années 70, il commence à réaliser des objets en papier mâché, à porter contre soi, et dont les formes s'adaptent à celles du corps, les Paßstücke. West invente ainsi des pièces qui caractériseront sa démarche, des œuvres modestes et interactives dans l'esprit des théories de Beuys dont il se revendique. Comme il l'affirme « le Paßstück, c'est un processus primaire de l'art ».
En 1989, pour une exposition à New York, il conçoit un nouveau type d'œuvres. Dans les espaces de transition entre les salles du lieu, le PS1 Museum, West installe des divans de métal, qu'il a sommairement réalisés à l'aide de tubes d'acier soudés. Et pour procurer une ambiance au lieu, une sélection de musiques classiques de maîtres viennois est diffusée. A la suite des Paßstücke, ces objets lui permettent d'interroger le comportement du corps dans les espaces quotidiens. Les chaises et les divans deviennent ainsi des éléments centraux de ses installations, comme c'est le cas à la Documenta de 1992, ou encore lors de son exposition au Dia Center for the arts de New York en 1994 où il installe ses canapés et ses tables sur le toit du bâtiment. Plus récemment, il réalise d'autres types de pièces, plus proches du mobilier contemporain, par exemple des étagères en métal et verre, ou des chaises longues en kevlar.
Bertrand Lavier
Bertrand Lavier, Brandt sur Haffner, 1984
Assemblage
Superposition d'un réfrigérateur sur un coffre-fort peint en jaune
251 x 70 x 65 cm
Brandt sur Haffner est la première pièce de Bertrand Lavier où un objet est posé sur un autre. Auparavant, il pratiquait le recouvrement de photographies, de tableaux, de meubles, par une couche de peinture de la même couleur que la surface de l'objet, appliquée par touches épaisses, la « touche de Van Gogh », qui procurait à la pièce un statut étrange, dans la « frange dangereuse » entre l'art et le non-art.
En posant un objet sur un autre, Bertand Lavier poursuit cette entreprise par un nouveau procédé de recouvrement, qui transforme les objets non plus en peinture mais en sculpture. Avec Brandt sur Haffner, c'est la chambre froide qui prend appui sur la chambre forte, c'est une pièce sur un socle, à l'instar de la Roue de bicyclette de Duchamp. Comme lui, Lavier fait allusion à la sculpture de Brancusi, en lui retirant ses effets esthétiques (1).
Ces objets ont pour caractéristique de ne pas perdre leur valeur d'usage de manière irrémédiable : ainsi peut-on encore les ouvrir et les fermer, leur intérieur ne comporte aucun signe distinctif ou « geste » de l'artiste. Ils sont même désignés par leur marque, comme s'ils
sortaient, neufs, du magasin.
Impossible donc de faire parler ces objets en
dehors de leur rencontre, qui marque l'exacte limite entre l'objet courant et l'œuvre d'art.
Comme le dit Bertrand Lavier « Brandt sur Haffner est à mi-chemin entre le musée et le grand magasin, et ce lieu est introuvable ».
Dominique Gonzalez-FoersterBiographie
Bertrand Lavier commence à travailler au début des années 70. Dans la lignée du Nouveau réalisme (2), il s'interroge sur l'opération qui fait d'un objet une œuvre d'art. Dès 1975 a lieu sa première exposition personnelle au Centre national d'art contemporain. Mais c'est surtout à partir de 1978 qu'il met en place son vocabulaire plastique, avec des photographies et des objets repeints, dont les motifs et les détails sont exactement recopiés.
Dans ce travail systématique, il introduit des variantes. Par exemple, en 1979, il réalise Landscape painting and beyond, une œuvre en trois parties comprenant une photographie, son prolongement en peinture, et une partie peinte entièrement inventée.En 1981, dans une démarche résolument provocatrice, il expose, galerie Eric Fabre à Paris, des objets repeints sous le titre « Cinq pièces faciles ». Mademoiselle Gauducheau, 1981 - des placards métalliques peints à l'acrylique (collections du Musée national d'art moderne) - en constitue un bon exemple (3).
Poursuivant ce détournement d'objets, il le fait non plus en les recouvrant de peinture, mais en les superposant, comme c'est le cas avec Brandt sur Haffner. Puis systématise ce procédé en l'appliquant à toutes sortes d'objets, y compris à des objets aussi célèbres que la chaise Panton qu'il installe en 1989 sur un réfrigérateur (Panton sur Fagor).Plus récemment, il reprend une série commencée dans les années 80, des peintures imitant les vignettes abstraites du journal Mickey Mouse et qui, selon Lavier, ont valeur d'œuvre. Comme il le fait remarquer, cette bande dessinée fut réalisée au moment où l'abstraction était à la mode et, contre toute attente, Mickey en raffolait.
1. Pour une analyse de la Roue de bicyclette : voir le dossier Marcel Duchamp
2. Pour en savoir plus sur le Nouveau réalisme : voir le dossier pédagogique consacré à ce mouvement
3. Mademoiselle Gauducheau, 1981, collections du Musée national d'art moderne. Voir la collection en ligne, numéro d'inventaire AM 1987-634l
Dominique Gonzalez-Foerster, A rebours, 1984
Installation
Appartement de 3 pièces comprenant des murs de couleur, lampes, télévision, images, moquette
Dimension globale : 60 m2 au sol
Hauteur générale : 2,30 m
Œuvre unique
Cette pièce s'apparente à un appartement conçu pour le héros du roman A rebours de Huysmans (1). Portrait en espace de ce personnage qui cherche à vivre isolé, entouré seulement de ses livres et de ses tableaux, elle est un prototype d'habitat solitaire que l'artiste soumet au visiteur pour qu'il s'imagine à la place du héros.
L'espace d'habitation est actualisé afin que le visiteur puisse
s'y projeter. Il est ordonné en fonction de trois couleurs, jaune, rouge
framboise et vert amande qui soulignent le zoning. Des lampes éclairent
les pièces, quelques photographies décorent les murs, mais avec une parcimonie
qui évoque la solitude et la distance prise avec la société. Seule la télévision,
accessoire quasi obligé de notre quotidien, rattache cet intérieur à l'extérieur.
Ces quelques éléments suffisent pour suggérer des histoires, des anecdotes liées à la vie quotidienne. En déambulant dans l'œuvre, le visiteur se construit un récit en apportant son imaginaire personnel.
Biographie
Fin des années 80, Dominique Gonzalez-Foerster crée des espaces pénétrables, des chambres ou des appartements, dans lesquels le visiteur est invité à pénétrer. Parce qu'elle s'intéresse aux ambiances et à la manière dont les espaces sont structurés, convaincue que le mode de vie de chacun découle du lieu habité, elle aménage des environnements de sorte qu'ils impliquent des comportements particuliers et conduisent à retrouver la vie qu'ils déterminent.
Et la chambre orange (collections Frac Nord-Pas-de-Calais), réalisée en 1992, est la pièce-environnement qui la fait connaître.Aujourd'hui, elle conçoit des espaces multimédias pour lesquels elle commande la partition sonore à des compositeurs. Exotourisme, qui lui a valu d'être la lauréate du prix Marcel Duchamp en 2002, propose d'entrer dans un espace sans limite, creusé et rendu tangible par un écran où défile, comme à travers une fenêtre, un film abstrait (2). Ses images, sur fond de musique électronique, évoquent des nébuleuses dans l'espace, procurant l'illusion de se trouver à bord d'un vaisseau spatial.
1. Joris-Karl Huysmans, A rebours, 1884. Lire le texte
2. Dominique Gonzalez-Foerster, Prix Marcel Duchamp 2002
Tobias Rehberger
Tobias Rehberger, Outsiderin et Arroyo
grande 30.04.02 - 11.08.02,
2002
66 lampes en verre jaune et 22 lampes en velcro
1000 x 1000 cm
Outsiderin et Arroyo grande 30.04.02-11.08.02 est une œuvre monumentale composée de soixante-six lampes en verre jaune et vingt-deux lampes en velcro. Leur forme évoque le style décoratif des années 60 et, par là, interroge la manière dont un style précis procure une identité à un lieu. L'œuvre invite à penser la relation d'un objet à son environnement.
Les lampes sont reliées à un capteur de lumière fixé à l'extérieur du Musée ainsi qu'à un variateur d'intensité, de sorte que la lumière intérieure est modifiée en fonction de l'éclairage extérieur. En fonction des heures du jour, l'œuvre irradie l'espace du Musée, tantôt de son éclat jaune, tantôt d'une lueur chaude et dorée. Elle est en constante interaction avec son environnement. Elle lui communique sa poésie.
Biographie
Elève de l'école d'art de Francfort-sur-le-Main Tobias Rehberger suit les cours de Martin Kippenberger (voir textes de référence). Il doit à cet artiste, à la fois peintre, sculpteur, auteur d'installations et d'éditions multiples, le fondement de son attitude critique vis-à-vis de sa pratique artistique. Comme il le raconte, Martin Kippenberger « n'accordait aucune confiance au statu quo. Sitôt que quelque chose s'imposait comme vérité, il y cherchait une faille. Il passait son temps à remettre en question, à se méfier. C'était là sa principale influence sur nous. C'est la seule façon de faire de l'art : matérialiser des problèmes évidents ».
Son intérêt pour les situations propices aux interrogations se manifeste notamment dans sa participation à la Biennale de Venise de 1997. En créant des sous-vêtements pour les gardiens des lieux, son objectif est, alors, non pas de proposer une ligne de vêtements, mais de placer les gardiens dans une situation de libre-arbitre, étant entendu que personne n'irait vérifier s'ils les portent bel et bien.
La question du lien entre l'identité et l'environnement est aussi présente dans son travail. Sketch for Gio at home, également de 1997, réalisé pour son galeriste milanais Gio Marconi, est un dessin imprimé sur le pull de ce dernier qui transporte ainsi partout avec lui ses choix esthétiques.A la fin des années 90, Tobias Rehberger acquiert une renommée internationale qui lui apporte des commandes d'aménagement d'espaces, dont celle, en 2001, pour la cafétéria de la Dresdner Bank de Francfort.
Plus récemment, il élabore des installations qui interagissent avec leur environnement, comme c'est le cas des pièces appartenant au Musée national d'art moderne. Pour l'exposition organisée au Palais de Tokyo en 2002, Night Shift, il profite des horaires du lieu pour n'ouvrir qu'à la nuit tombée et proposer un parcours nocturne de ses œuvres et de l'espace du Musée.Pour en savoir plus sur l'exposition de Tobias Rehberger au Palais de Tokyo : visiter le site
Didier Fiuza Faustino
Didier Fiuza Faustino, Corps en transit, 2000
Container
Coque en polyester armé de fibre de verre
77 x 60 x 115 cm
1/2
La pièce ressemble à première vue à un prototype pour un nouvel objet à fabriquer en série. Elle s'apparente à un projet industriel ordinaire, pleinement réalisable. Et pourtant, à découvrir la fonction de l'objet, ce réalisme devient effroyable.
La pièce est définie par son auteur comme « container pour individus, permettant le transport sans dommage de clandestins dans la soute d'un avion ou les cales d'un bateau ». L'objet relève d'une architecture prospective, mais aussi critique par rapport à la société actuelle que Didier Fiuza Faustino décrit comme une « hygienapolis » : un lieu où « tout est lisse, tout est produit, tout est semblable. L'imprévu est banni. La norme est reine , la perfection le modèle. Tout doit fonctionner comme un moteur bien huilé ».
Dans la lignée de l'architecture utopiste, de Boullée à Archigram, cette pièce relève d'un univers de science-fiction, en exprimant toutefois une vision pessimiste du présent et de l'avenir.
Biographie
Diplômé de l'école d'architecture de Paris-Villemin en 1995, Didier Fiuza Faustino partage ses activités entre l'exercice de son métier d'architecte et la conception de projets expérimentaux, à la limite du design et des arts plastiques. Tout son travail s'articule autour de la thématique du corps dans l'espace et des expériences sensorielles qui peuvent être conduites à la limite du supportable. Ce peut être un escalier à vis en léger déséquilibre ou un habitat d'un mètre carré.
A partir de 2001, il exerce ses activités au sein d'une agence qu'il crée avec Pascal Mazoyer, le « Bureau des mésarchitectures ». Il participe à de nombreuses expositions et événements internationaux, comme la grande exposition d'architecture Expo 02, en Suisse, pour laquelle il réalise un théâtre flottant. En 2004, le Frac Centre d'Orléans lui a consacré une exposition monographique. Actuellement, il réalise une maison à La Roche-sur-Yon pour l'artiste Fabrice Hybert.
Tatiana Trouvé
Tatiana Trouvé, Polder, 2001
Installation mixte
1 caisson en médium, 2 tables vertes en formica, 1 table marron en formica, 3 banquettes en sky vert,
4 caméras de surveillance, 6 caddies à roulettes, 28 barres métalliques, 5 petits néons, 5 starters
3 transformateurs, 5 miroirs rétroviseurs, 2 mini amplis, 5 tuyaux en mousse, 5 rondelles en métal noir,
9 cadenas, 6 ensembles de clefs pour cadenas, 5 cordes noires, 10 écouteurs de walkman, 1mini radio
Espace approximatif : 5 x 4 m
Don de la Société Ricard, 2003
AM 2003-89
Au sein d'un vaste projet qui conserve la mémoire de son parcours d'artiste, Tatiana Trouvé fabrique des espaces miniatures qu'elle appelle des Polders. Ces espaces, minutieusement réalisés, représentent des lieux de travail déserts, bureaux ou studios d'enregistrement, avant l'arrivée potentielle des employés.
Les
banquettes sont soigneusement recouvertes de cuir. Sur les bureaux sont placés des moniteurs reliés entre eux par des câbles
informatiques…
Réduits à l'échelle d'une maison de poupée, ces univers sont d'autant plus mystérieux qu'ils sont ouverts sur l'extérieur. Posés à même le sol, les éléments qui les composent s'adaptent à l'architecture de l'espace réel. Ils peuvent se nicher dans les recoins d'une pièce, ou, en perpétuelle prolifération,
coloniser le lieu.
On croit pouvoir les observer avec distance, comme devrait
le permettre leur miniaturisation. Mais leur potentiel d'expansion renvoie
le spectateur à un sentiment d'impuissance, sentiment peut-être caractéristique de notre époque.
Biographie
Depuis 1997, Tatiana Trouvé se consacre à une seule œuvre, le Bureau d'activités implicites ou BAI. Au départ le BAI est une structure d'archivage pour conserver des projets non réalisés ou garder une trace de son activité. Ainsi, récemment, a-t-elle constitué une banque de sons qui proviennent de tous les endroits où elle a dû attendre. Ces archives s'organisent en Modules : le Module d'attente, mais aussi le Module administratif, le Module de grève…
Avec les années, le BAI s'est développé en incluant, à côté des structures d'archivage, une autre catégorie de pièces, des constructions ressemblant à des maquettes ou des maisons de poupée qui donnent à voir des univers « d'activités implicites ». Ce sont ces pièces qu'elle intitule du terme générique de Polders, en référence à la colonisation de la terre sur la mer, aux Pays-Bas.
Aujourd'hui le BAI comporte plus d'une dizaine de Modules et de Polders qui créent une sorte de vaste machinerie à la fois physique et mentale. Tatiana Trouvé dit à propos du BAI : « Je parle un peu de lui comme si c'était lui le cerveau et moi l'ouvrier. Ou l'employée. J'ai sans cesse des réglages à opérer sur lui, pour que son mécanisme fonctionne. Peut-être qu'un jour il y aura une panne centrale ou un accident et alors le BAI sera fini ». Le BAI s'affirme presque comme un univers autonome.
Mathieu Mercier
Mathieu Mercier, Caractères, 2001
Œuvre produite à l'occasion de l'exposition " Traversées" au Musée d'art moderne de la ville de Paris en 2001
Installation avec de la lumière
Enseigne lumineuse rouge composée de 10 caissons lumineux en forme de lettres
40 x 450 cm
Caractères est une pièce qui insiste sur l'ambiguïté entre l'art et le design : elle ressemble à du design mais elle est présentée comme un objet sans usage, un objet au contraire à contempler.
Plus
précisément, cet objet est une enseigne lumineuse. Pour en dessiner les lettres, l'artiste s'est inspiré de deux modèles de polices existantes : une typographie dessinée dans les années 20 par l'un
des artistes fondateurs du mouvement De Stijl, Théo Van Doesburg,
et une typographie des années 70 (de Ed Benguiat, typographe et designer américain), toutes deux étant aujourd'hui considérées
comme des objets patrimoniaux.
En les mêlant, Mathieu Mercier transgresse leur valeur historique. Mais en réinsérant la nouvelle typographie dans la logique de contemplation qui caractérise le musée, il lui procure une sacralité nouvelle. Ainsi, l'oscillation entre la valeur d'usage et la valeur symbolique s'inscrit au cœur de cette œuvre qui attire l'attention sur le statut des objets design dans les collections et les expositions d'art.
Biographie
Après des études à l'Institut des hautes études de Paris et une formation en post-diplôme aux beaux-arts de Nantes, Mathieu Mercier expose très vite ses travaux. Il questionne souvent la notion de bricolage, comme c'est le cas, par exemple, en 1995, dans la galerie du Spot, au Havre, où il installe des chevilles colorées dans un mur.
Il propose aussi des tableaux à réaliser soi-même, comme avec L'Hygiaphone, en 1997. En 2000, il conçoit un livre pour le catalogue d'une exposition à San Francisco où des pages de croquis de meubles sont mêlées à des pages tirées de publicités pour des grandes chaînes d'ameublement.
1. Mathieu Mercier, Prix Marcel Duchamp 2003, Centre Pompidou : voir la présentation de son œuvre
En 2003, avec une œuvre qui se présente comme un prototype de maison préfabriquée, il obtient la récompense du Prix Marcel Duchamp. (1)
Pour en savoir plus sur Mathieu Mercier : voir le site de la galerie Chez Valentin
« Tobias Rehberger, translation, perspective et perception », interview par Jérôme Sans
Art press n° 284, novembre 2002 (extrait),
pp. 44-48.
Quel est votre point de vue sur le design ?
C'est avant tout un outil que j'utilise. Je me sers plus du design en tant qu'instrument en vue d'un produit artistique que pour lui-même. C'est surtout la stratégie qu'il permet de développer qui m'importe. Le design peut produire, dans le domaine artistique, de la qualité. Mais peut-on poser cette question du point de vue de l'art ? J'utilise le design comme accès à l'art, non pour rendre les choses plus belles ou mieux. Son idéologie ne me concerne pas. Je ne pense pas que l'on puisse faire de meilleures tables ou de meilleures chaises.
Et que pensez-vous de la décoration ? Toutes vos expositions, tous vos décors, ne relèvent-ils pas du domaine décoratif ?
Oui et non. Il s'agit d'ouvrir des possibilités. C'est une sorte de piège. Quand quelque chose est décoratif, il en devient moins explicite. C'est à la fois plus fiable et plus dangereux. J'apprécie le fait de jouer sur plusieurs perspectives. C'est comme avoir plusieurs épaisseurs. Si l'on parle du strict point de vue du designer, la majeure partie de mon travail n'est pas du bon design. Mais qu'est-ce que l'art décoratif ? Pourquoi un truc affreux n'est-il pas décoratif ? Tous les arts ont leur côté décoratif, même les pièces plus conceptuelles, ou les prétendues affreuses. C'est le piège dont je parlais plus haut. Les catégories ne sont pas figées.
Quelles sont vos références historiques ?
Henri Matisse, Francis Picabia, Robert Smithson, Donald Judd, Bernard Buffet, Reinhard Mucha, Gordon Matta Clark, Martin Kippenberger. Ce n'est qu'une liste de noms. Si l'on secoue, rien n'en sort. Je ne peux pas dire que tel élément de mon travail soit dû à l'influence de tel ou tel. Ce qui m'intéresse chez Donald Judd, c'est sa capacité à ouvrir de nouveaux domaines à la pratique artistique et, en même temps, à les refermer avec son idéologie de plomb. Je me demande comment il peut avoir pour stratégie d'ouvrir un champ tout en ne disant pas « ceci est une possibilité ». Chez Martin Kippenberger, c'est l'attitude, cette façon de prouver les choses en les niant qui attire mon attention. Jusqu'où saurait-on remettre en questions les références sociales ? Et Bernard Buffet me fait demander dans quelle mesure on peut faire à la fois laid et décoratif. Comment cela peut-il mettre en péril une certaine idée de l'art ? Et ainsi de suite.
[ …]
Dans votre génération d'artistes, il y a eu un incroyable regain d'intérêt pour le design (Jorge Pardo, Dominique Gonzalez-Foerster, Atelier van Lieshaout…). A quoi pensez-vous que cela corresponde ?
Certains éléments servent à la réalisation de leurs projets. Je ne crois pas qu'ils s'y engagent pour les mêmes raisons. Cela tient peut-être au fait que tous ces domaines exigent une connexion directe au monde, même si celle-ci ne semble pas s'opérer. Après l'échec des idéologies, qui ont néanmoins favorisé notre compréhension du monde, notamment en architecture, il est intéressant de voir des artistes renouer avec une certaine esthétique exigeante d'absolu, même si l'on en connaît l'insuccès. Comment nous comporter face à cette situation ? Il y a tant de façons de voir.
[ …]
Vous travaillez à la marge de la mode, du design et de l'architecture. Cette interdisciplinarité est-elle une façon de souligner les limites de l'art ?
Je ne me soucie pas de souligner les limites de l'art. Il s'agit plutôt d'être en mesure de gérer les potentialités et de poser des questions. Bien sûr, je suis curieux d'aller au-delà des limites pour éprouver leur solidité, de mettre en relief les tabous. Jusqu'où peut-on maintenir le statu quo ? Je ne crois pas qu'il faille repousser les limites pour le simple plaisir de le faire [ …] ».
Camille Morineau, « Art et design. Qui a dessiné l'urinoir de Duchamp »,
« Duchamp fut malin qui, à quelques années d'intervalle, éleva l'objet au rang d'art en 1913 et en rendit dérisoires, avec sa Boîte en valise (1935-41), les possibilités typologiques, brouillant ainsi toute tentative d'identification. En effet, l'urinoir de Fontaine (1917) avant d'être trouvé par l'artiste, puis choisi, avait répondu à un besoin, lequel avait donné lieu à plusieurs formes, qui avant d'être produites en masse avaient été conçues, retravaillées : cet objet soi-disant « anonyme », avait bien pourtant été dessiné, et pourquoi pas « designé »… Ainsi disparut la question gênante qui en résultait : qui donc a dessiné l'urinoir de Duchamp ?
Tout se passe comme si l'autodérision des artistes qui, après lui, ont associé à chaque nouveau mode d'utilisation de l'objet le moyen d'en dissoudre l'identification et les possibles typologies avait découragé les historiens de l'art eux-mêmes. L'« objet » apparaissant, comme l'« image », infinie, protéiforme, surtout sans origine, donc sans auteur. Comme si l'objet dans l'art ne pouvait être que rencontré, à peine choisi, certainement pas produit avant d'être récupéré et encore moins, dans ce temps préhistorique (avant qu'il ne rentre dans l'histoire de l'art), utilisé. Son utilisation donc en tant que catégorie – le meuble – par les artistes pose une véritable question. Y ajouter, avec la notion de design, la suggestion d'un mode de production, d'un auteur, voire d'un style, oblige à reformuler cette question en ayant à l'esprit une autre histoire que celle de l'art : celle des arts appliqués.
S'intéresser au design pour les historiens d'art, c'est redonner un nom à l'anonyme, donner à l'objet-écran un visage qui empêche à certaines théories de s'y projeter avec aise. Aussi est-ce avec précaution devant ce qui apparaît comme le tabou d'une étude technique, fonctionnelle, de l'objet, que j'aborde ce fait visuel dominant : la récurrence dans la production artistique de ces vingt dernières années de la forme du meuble, et plus récemment, de l'évocation directe ou indirecte du design ».
Essais sur les artistes à la frontière des arts plastiques et du design
- Camille Morineau, « Art et design. Qui a dessiné l'urinoir de Duchamp », Art press n°287, février 2003.
- « Où est Mathieu Mercier », MAP n°19, avril 2003 - Jérome Sans, « Tobias Rehberger, translation, perspective et perception », Art press n°284, novembre 2002
- Stéphanie Moisdon-Trembley, Dominique Gonzalez-Foerster, Paris, Hazan, 2002
- Raymond Guidot, Histoire du design 1940-1990, Paris, Hazan, 1994
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