Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Monographies / Artistes contemporains
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Vitrine de référence, 1971
L'uvre de Christian Boltanski
Notices
d'uvres
La chambre ovale, 1967
L'Homme qui tousse, 1969
Essai de reconstitution (Trois tiroirs), 1970-1971
Vitrine de référence, 1971
Saynètes comiques, 1974
Composition théâtrale, 1981
Les archives de C.B. 1965-1988, 1989
Réserve, 1990
Textes
de rÉfÉrence
Christian Boltanski, texte paru dans l'édition originale de Recherche
et présentation de tout ce qui reste de mon enfance, 1944-1950, 1969 (extrait).
Christian
Boltanski, « La petite mémoire », Le
Voyage au Pérou, catalogue
du Musée d'art moderne de la ville de Paris, 1998.
Ce dossier s'inscrit dans une série « Monographies. Artistes
contemporains », qui sera régulièrement augmentée dans cette partie du
site.
• Réalisés autour d'une sélection d'œuvres des artistes les mieux représentés
dans les collections du Musée national d'art moderne, ces dossiers s'adressent
à tous ceux (enseignants ou responsables de groupe en particulier) qui souhaitent
préparer leur visite au Musée.
• Leur objectif pédagogique est de faciliter l'approche et la compréhension
de l'œuvre d'une figure majeure de l'art d'aujourd'hui.
• Ils ne constituent pas un cours mais proposent des points de repères et une
base de travail.
• A chaque enseignant d'évaluer ses besoins et d'utiliser ce qui lui est nécessaire
selon le niveau de sa classe.
Chacun de ces dossiers comporte :
• une introduction générale permettant de présenter et de situer le rôle de
l'artiste et son œuvre dans un contexte historique, géographique et esthétique,
• une biographie de l'artiste,
• une sélection des œuvres des collections du Musée les plus représentatives,
traitées par fiches comportant une notice d'œuvre et une reproduction,
• un ou plusieurs textes de référence apportant en complément une approche théorique,
• une chronologie de son œuvre,
• une bibliographie sélective.
A NOTER
Les collections du Musée comportent plus de 65 000 œuvres. Régulièrement, le
Musée renouvelle les œuvres présentées dans ses espaces situés aux 4e et 5e
niveaux du Centre Pompidou. Les dossiers pédagogiques sont réalisés en lien
avec ces accrochages.
En savoir plus sur les collections du Musée et les oeuvres actuellement
présentées, www.centrepompidou.fr/musee
L'uvre de Christian Boltanski
Si l'œuvre de Christian
Boltanski appartient au registre le plus contemporain de l'expression plastique
par la multitude des matériaux employés, la pâte à modeler, le carton
ondulé, la photographie ou des objets trouvés, l'artiste revendique néanmoins
une filiation avec la peinture traditionnelle qu'il a pratiquée à ses débuts.
Selon lui, la peinture se caractérise
non pas par l'habileté de la main, mais par sa vocation religieuse et son
pouvoir sacré. C'est dans ce sens que toute l'œuvre de Boltanski peut être
perçue comme la continuité de la tradition picturale : en tant qu'elle
interroge lareligiosité de
.
Tous les objets qu'il convoque dans ses dossiers, ses livres, ses collections,
au-delà d'apparences modestes, confinant parfois à la dérision, sont les
dépositaires d'un souvenir qui leur procure un fort pouvoir émotionnel. Qu'il présente ces objets sous forme de vitrines,
d'archives, de réserves ou simplement d'expositions, il les met en scène
dans l'espace, mais aussi dans le temps. Chaque objet nous replonge à sa
manière dans le passé : le passé personnel, réel ou fictif, dramatique
ou comique, de l'artiste, le passé d'un objet, ou le passé de l'humanité entière.
Ce sont des reliques.
Toutes les œuvres nous isolent du moment présent pour nous transporter dans un espace
de méditation, voire de recueillement pour les pièces des dernières
années qui s'articulent autour du thème de la mort. Même les séries comiques
comportent un caractère grinçant qui évoque l'idée d'un règlement de compte
avec des événements passés encore pesants dans la mémoire. Ces œuvres comiques
interrogent la mémoire individuelle, tandis que les œuvres qui traitent de
la conservation des documents, dans le musée ou les centres d'archives, interpellent la mémoire collective.
Ainsi, toutes les œuvres de Boltanski travaillent sur le souvenir, du souvenir
d'enfance au souvenir des défunts, de l'histoire personnelle à la grande
histoire.
Christian Boltanski, 1944, Paris
Après une adolescence
sans scolarité régulière et sans avoir véritablement reçu de formation
artistique traditionnelle, Christian Boltanski commence à peindre en 1958.
Les tableaux qu'il réalise alors sont de grands formats, représentant des
scènes historiques ou, parfois, des études de personnages isolés, dans
des situations macabres, par exemple dans des cercueils.
A partir de 1967, il s'éloigne de la peinture pour expérimenter d'autres
modes d'expression, comme la rédaction de lettres ou de dossiers qu'il envoie à des
personnalités du monde de l'art. Pour les constituer, il utilise des photocopies
qu'il mêle à des documents originaux ou à des photographies qu'il tire des
albums de sa famille. A travers ces nouveaux matériaux, il intègre à son œuvre
des éléments issus de son univers personnel, au point que sa biographie devient
l'une de ses principales thématiques.
En effet, sa vie et son œuvre se confondent, mais non pas dans le sens du
sacrifice romantique où l'œuvre se fait aux dépens de la vie, mais dans le
sens où l'œuvre est l'invention d'une biographie faussée et présentée comme
telle. Boltanski reconstruit des épisodes d'une vie qu'il n'a jamais vécue,
en utilisant des objets qui ne lui ont pas appartenus ou des photographies
retravaillées. Il rédige même une sorte de
biographie officielle, en 1984, pour le catalogue de la rétrospective que
lui consacre le Musée national d'art moderne. Il la fait démarrer au moment
où sa vocation artistique s'impose à lui : « 1958. Il peint, il
veut faire de l'art. 1968. Il n'achète plus de revues d'art moderne, il a
un choc, il fait de la photographie, blanche et noire, tragique, humaine… ».
Par cette initiative, le genre hagiographique et convenu des notices habituelles
est tourné en dérision, tandis que le lecteur est convié à repenser le sens
que prend toute vie dès lors qu'on la considère d'un point de vue rétrospectif.
C'est pourquoi l'expression de « mythologie individuelle » qui intitulait une section d'exposition à laquelle
il participait en 1972 caractérise si bien son œuvre : il y raconte
sa vie sous la forme d'une fiction dans laquelle chacun se reconnaît. Comme
il le dit lui-même : « Les bons artistes n'ont plus de vie, leur
seule vie consiste à raconter ce qui semble à chacun sa propre histoire ».
Christian Boltanski est aujourd'hui reconnu comme l'un des principaux artistes
contemporains français.
Il vit et travaille à Malakoff.
La
chambre ovale, 1967
Acrylique sur isorel. 115 x 146,5 cm
Les peintures que
Christian Boltanski réalise entre 1958 et 1967 représentent des images
semblant resurgir d'une mémoire
enfantine, d'un passé jusqu'alors enfoui. Sans doute parce qu'elles évoquent des événements
douloureux.
Parmi ces peintures, La chambre ovale met en scène, dans une architecture à la limite de l'abstraction, un
personnage esseulé, assis par terre, et comme pétrifié, dans l'impossibilité d'agir
comme le suggère l'absence de ses bras.
Prisonnier auquel on identifie son malheur, interné ou simple enfant puni
dans un espace imaginaire, ce personnage réduit à une silhouette sombre,
comme une ombre, procure à cette scène son mystère.
Mais bien que cette peinture évoque probablement un événement personnel que
l'on ne peut comprendre parce que l'on en ignore tout, elle apparaît étrangement
familière, en rappelant à tous le sentiment de la solitude.
Cette œuvre picturale des débuts de Christian Boltanski traite déjà des thèmes
qui lui seront chers. Toutes les expérimentations qui suivent ne seront que
l'approfondissement de ces premières tentatives, comme le remarque le critique
d'art Serge Lemoine : « Son travail se présente comme la continuation
de la peinture par d'autres moyens. Une peinture au reste figurative, et
qui raconte : l'enfance, la famille, les souvenirs, la vie des gens » (Boltanski,
catalogue de l'exposition, Centre Pompidou, 1984,
p. 18).
L'Homme qui tousse, 1969
Film cinématographique 16 mm couleur, sonore. Durée : 3'
La première exposition
personnelle de Christian Boltanski témoigne en premier lieu de son intérêt
pour le cinéma : organisée dans une salle de projection du 16e arrondissement
de Paris, elle présentait, à côté de marionnettes grandeur nature, un film
intitulé La Vie impossible de Christian Boltanski (1).
Après cette première expérience, Christian Boltanski réalise en 1969 quelques
courts films à tonalité fantastique, tel que L'Homme qui tousse.
Dans ce film, on
observe pendant 3 minutes un homme assis dans une petite pièce délabrée.
Il tousse jusqu'à cracher un flot de sang qui se déverse sur ses jambes
et souille ses vêtements. Tourné avec des moyens amateurs, le film revêt
une qualité d'image documentaire qui ne le rend que plus inquiétant.
Même s'il abandonne peu à peu la forme cinématographique au profit de la
photographie, Christian Boltanski explorera dans toute son œuvre cette ambivalence entre la vérité que semble certifier un document et le mensonge qu'implique le spectaculaire.
(1) Ce thème a été repris par Christian Boltanski pour la réalisation
d'une nouvelle œuvre La Vie impossible, 2001, acquise par le
Musée en 2004. Il s'agit de vingt vitrines présentant
chacune des photographies, des journaux, des lettres qui évoquent sa vie
d'artiste.
Essai de reconstitution (Trois tiroirs), 1970-1971
Ancien titre : Trois tiroirs
Boîte en fer blanc contenant
3 tiroirs fermés par un grillage, portant chacun une étiquette et contenant
des objets
44 x 60,5 x 40,5 cm. Chaque tiroir : 12 x 60
x 40 cm
Cet ensemble de
trois tiroirs, fabriqués avec des boîtes en fer blanc, est emblématique
des premiers travaux de Boltanski sur le thème de l'enfance perdue.
Son premier livre, composé en 1969, Recherche et présentation de tout
ce qui reste de mon enfance, 1944-1950 (1),
publié à l'origine à cinquante exemplaires, propose en effet une œuvre comme
tentative de reconstitution d'une période de sa jeunesse. Il s'agit de neuf
pages qui rassemblent une photographie de classe, une rédaction scolaire
et d'autres documents du type de ceux que l'on conserve précieusement dans
des cartons.
Avec les Trois tiroirs, la
reconstitution se fait en volume. Les tiroirs contiennent de petits objets
en pâte à modeler reproduisant des choses qui auraient appartenu à Christian
Boltanski enfant : des avions, une bouillotte… comme le signalent les étiquettes
dactylographiées et insérées sur chaque tiroir. L'artiste évoque ainsi les
collections ou les trésors que chacun de nous, enfant, a pu constituer :
des objets dérisoires mais cachés avec le plus grand soin.
Dans cette reconstitution Boltanski retrouve le sérieux des jeux d'enfant,
ce qui la rend à la fois comique et touchante.
Cette œuvre annonce la série
de pièces d'archives qu'il réalisera dans les
années 80 (2). On retrouvera les mêmes boîtes de fer blanc, remplies de menus
objets, sans valeur marchande, mais renfermant les secrets d'une mémoire
affective sans doute immense.
(1) Voir infra : textes de référence
(2) Voir infra :
notice sur Les archives de C.B. 1965-1988
Vitrine
de référence, 1971
Boîte en bois peinte sous
plexiglas
Bois, plexiglas, photos,
cheveux, tissus, papier, terre, fil de fer. 59,6 x 120 x 12,4 cm
Dans le prolongement des thèmes de la reconstitution de la vie et de l'autobiographie de l'artiste, Christian Boltanski réalise plusieurs vitrines où il expose des objets personnels comme des reliques ou des éléments issus de fouilles archéologiques témoignant de civilisations perdues. Avec ces œuvres, Boltanski parodie notamment le Musée de l'Homme, lequel, dit-il, l'a beaucoup marqué : on y voit, dans des vitrines un peu poussiéreuses, des objets à l'origine sans vocation esthétique, des objets qui sont des documents plutôt que des œuvres, des objets auxquels le musée a retiré leur valeur d'usage. Christian Boltanski définit d'ailleurs les musées comme « des lieux sans réalité, des lieux hors du monde, protégés, où tout est fait pour être joli ». Ce sont des lieux hors du monde de l'action, ni réels, ni irréels, et qui communiquent cet étrange statut aux objets qu'ils renferment.
En présentant quelques-uns de ses effets personnels dans une vitrine, l'artiste applique à sa propre vie ce processus à la fois conservateur et mortifère.
Saynètes comiques, 1974
Le mariage des parents
Photographie. Montage de 3 épreuves aux sels d'argent et texte à l'encre
blanche sur carton noir
37,9 x 71 cm. Chaque photo : 28,5 x 18,3 cm
A partir de 1974,
Christian Boltanski réajuste le thème de l'autobiographie à une perspective
plus légère et plus humoristique. Comme il l'écrit dans sa biographie,
en cette année 74, « il se dépasse, il se surpasse, il prend de la
distance et se moque de lui-même, il ne parle plus de son enfance, il la
joue… ».
Il semble en effet redouter la solennité de ses précédentes démarches. A
propos du personnage de Christian Boltanski dont il cherchait jusqu'alors à raconter
l'histoire, il déclare : « A un moment, ce personnage inventé m'est
devenu trop lourd, j'ai eu besoin de le tuer… J'ai eu le désir de détruire
le mythe et de le détruire par la dérision » (Boltanski, entretien avec Delphine Renard, catalogue du Centre
Pompidou, 1984).
C'est ainsi que sont nées les Saynètes comiques, un ensemble de 25 œuvres, composées de photographies
retouchées au crayon ou au pastel, dans lesquelles il raconte encore une
fois son histoire, mais sur un mode clownesque.
Chaque photographie ou montage de clichés représente un événement familial marquant, un enterrement, un mariage ou un anniversaire, qu'il rejoue pour la prise de vue. Tous les personnages qui apparaissent sont donc incarnés par l'artiste lui-même, à peine déguisé par quelques accessoires, ce qui procure à ses images un caractère modeste, voire négligé, qui rappelle le théâtre de rue et provoque un sentiment de dérision. Les fonds sont souvent dessinés, ce qui accentue l'impression d'économie de moyen, tandis que, pour certaines pièces, des cartels commentent les scènes et redoublent leur dimension grotesque.
Avec les Saynètes comiques, Christian Boltanski révèle pleinement l'aspect parodique de son œuvre.
Composition
théâtrale, 1981
Cibachrome fixée dans un cadre-vitrine noir. 241 x 124,5 x 8,8 cm
Détail d'un triptyque : 241 x 373,5 cm
Christian Boltanski a beaucoup utilisé la photographie dès la fin des
années
soixante. Les premières œuvres comportaient en effet des photographies de
petites tailles, en noir et blanc, des photographies tirées d'albums de famille
ou à vocation documentaire, accompagnées de textes ou d'autres éléments.
A partir du milieu des années soixante-dix, il redécouvre ce médium pour
en faire un tout autre traitement. Désormais, de grandes photos en couleurs
assument à elles seules la force de l'œuvre. Boltanski crée ainsi une série
qu'il intitule les Compositions. Compositions
héroïques, grotesques, architecturales, japonaises, enchantées, les noms sont
choisis en fonction des objets qu'elles représentent. Ce sont de grandes
photographies au fond très noir qui monumentalisent de menus objets. Leurdimension ainsi que leur éclairage clair-obscur leur
procurent un air d'apparition. Le fond noir sur lequel ces objets se découpent, comme dans un théâtre d'ombres chinoises, crée le
Les Compositions théâtrales de
1981 mettent en scène de minuscules pantins en carton ondulé que Boltanski fabrique pour l'occasion, avec du
fil de fer et des attaches parisiennes. Ce sont de petits bricolages judicieux
qui rappellent les objets en carton ondulé que Picasso réalisait dans les
années dix.
Mais, ici, ces jouets sont fabriqués par l'artiste pour lui-même. Ils appartiennent au registre du trésor personnel et relèvent de la sphère intime. Boltanski les compare à des fétiches vaudous, faits de bric et de broc, mais capables d'un fort pouvoir évocateur. Pour le public, ils n'apparaissent qu'à travers la photographie qui les monumentalise et les met à distance. La prise de vue est, selon Boltanski, l'étape du « refroidissement », de la séparation.
« L'objet est du côté de l'intime, du toucher, la photographie du domaine de la représentation », dit-il dans un entretien de 1984 (Boltanski, catalogue de l'exposition, Centre Pompidou). La photographie transfigure le travail manuel de la fabrication.
Les archives de C.B. 1965-1988, 1989
En produisant Les archives de C.B. 1965-1988, Boltanski renoue avec sa grande ambition telle qu'il l'avait formulée en 1969 : « Garder une trace de tous les instants de notre vie, de tous les objets qui nous ont côtoyés, de tout ce que nous avons dit et de ce qui a été dit autour de nous, voilà mon but ».
Pour réaliser ce projet, il construit un mur de 646 boîtes à biscuit en
fer blanc, certaines plus rouillées que d'autres,
témoignant d'une usure du temps. De telles boîtes
avaient été utilisées dès 1970, par exemple pour Essai de reconstitution
(Trois tiroirs), dans lesquelles étaient conservées des répliques
en pâte à modeler de ses jouets d'enfance (1).
Toutefois, avec Les archives de C.B. 1965-1988, l'entreprise
prend une autre dimension. Les 646 boîtes sont rangées en piles
de presque trois mètres de hauteur, simplement éclairées par des lampes
de bureau noires dont les fils électriques pendent négligemment, comme si
elles avaient été installées à la hâte.
Cet agencement évoque des archives de fortune, établies dans l'urgence de conserver ce qui, sans elles, serait voué à la disparition.
Car ce que ces boîtes contiennent, ce sont plus de 1 200 photos et 800
documents divers que Boltanski a rassemblés en
vidant son atelier. C'est toute sa vie d'artiste qui est consignée là, mais
cachée au spectateur, présente seulement dans sa mémoire, dans son intimité.
En 2001, Christian Boltanski reprend de nouveau ce thème des archives personnelles
avec une œuvre intitulée La Vie impossible :
un ensemble de 20 vitrines dans lesquelles se trouvent amassés des papiers
de toutes sortes, cette fois-ci présentés à la vue du spectateur, mais dans
un tel désordre qu'il ne peut toujours pas percer leur mystère.
(1) Voir supra.
Réserve, 1990
Installation
Tissu, lampes. Dimensions variables
En 1988, Boltanski s'empare d'un nouvel élément, le vêtement, qu'il utilise tout d'abord pour créer une œuvre profondément émouvante : Réserve, Canada. Il s'agit d'une pièce qui fait allusion aux entrepôts dans lesquels les nazis remisaient les effets des personnes déportées. L'usage du vêtement chez Boltanski est donc d'emblée lié au thème de la mort, comme c'était déjà le cas pour la photographie. Pour lui, « La photographie de quelqu'un, un vêtement ou un corps mort sont presque équivalents : il y avait quelqu'un, il y a eu quelqu'un, mais maintenant c'est parti ». Le vêtement est lui aussi une trace ou une empreinte qui témoigne d'une vie passée.
C'est à ce titre que les vêtements sont présents dans la série des Réserves réalisées à la suite de Réserve, Canada. Chacune est une variation d'installation sur le thème de la disparition et du souvenir. Dans Réserve : la Fête de Pourim, 1989, ou dans Réserve Lac des morts, 1990, les vêtements sont laissés au sol ; dans Réserve du Musée des enfants, 1989, ils sont empilés en rang (1).
Avec la Réserve de 1990, Boltanski tapisse les murs dune
salle entière de vêtements usagers, voire poussiéreux, qui
répandent une odeur de grenier. Car la forte présence de luvre
ne se manifeste pas seulement visuellement, mais par une dimension olfactive
trop rarement exploitée en art plastique (2).
Comme les autres uvres de la série, la Réserve
de 1990 crée un environnement incitant à une méditation
mélancolique sur le corps comme enveloppe vulnérable, sur la vanité
et sur la mort, qui sont les sujets de prédilection de Boltanski durant
les années quatre-vingt-dix.
(1) Pour connaître cette uvre : voir lexposition « Dernières
années » au Musée dArt moderne de la Ville de Paris
(2) Une des uvres des collections du Musée national dart
moderne qui explore le mieux cette dimension avant la Réserve
de Boltanski est linstallation Plight de Beuys, 1985 (visible dans la Collection en ligne, numéro d'inventaire AM 1989-545).
Christian Boltanski, texte paru dans l'édition originale de Recherche et présentation de tout ce qui reste de mon enfance, 1944-1950, livre d'artiste, 1969.
On ne remarquera jamais assez que
la mort est une chose honteuse. Finalement nous n'essayons jamais de
lutter de front, les médecins, les scientifiques ne font que pactiser
avec elle, ils luttent sur des points de détail, la retardent de quelques
mois, de quelques années, mais tout cela n'est rien. Ce qu'il faut, c'est
s'attaquer au fond du problème par un grand effort collectif où chacun
travaillera à sa survie propre et à celle des autres.
Voilà pourquoi, car il est nécessaire qu'un d'entre nous donne l'exemple, j'ai
décidé de m'atteler au projet qui me tient à cœur depuis
longtemps : se conserver tout entier, garder une trace
de tous les
instants de notre vie, de tous les objets qui nous ont
côtoyés, de tout ce que nous avons dit et de ce qui a été dit autour de nous, voilà mon but. La tâche
est immense et mes moyens sont faibles. Que n'ai-je commencé plus
tôt ? Presque tout ce qui avait trait à la période
que je me suis d'abord prescrit de sauver (6 septembre
1944-24 juillet 1950) a été perdu, jeté, par une négligence
coupable. Ce n'est qu'avec une peine infinie que j'ai pu
retrouver les quelques éléments que je présente ici. Prouver
leur authenticité, les situer exactement, tout cela n'a été possible
que par des questions incessantes et une enquête minutieuse.
Mais l'effort qui reste à accomplir
est grand et combien se passera-t-il
d'années, occupé à chercher, à étudier, à classer, avant
que ma vie soit en sécurité,
soigneusement rangée et étiquetée
dans un lieu sûr, à l'abri
du vol, de l'incendie et de
la guerre atomique, d'où il
soit possible de la sortir
et la reconstituer à tout moment,
et que, étant alors assuré de
ne pas mourir, je puisse, enfin,
me reposer.
Christian Boltanski, Paris, mai 1969
Christian Boltanski, « L'art n'est que de l'art », entretien avec Delphine Renard, Boltanski, catalogue du Centre Pompidou, 1984, pp. 70-85.
D. R. : La « forme »,
l'apparence de votre travail, a beaucoup évolué depuis quinze ans ;
est-ce lié à la transformation de votre attitude à l'égard de la place
sociale de l'art ?
C. B. : Une forme doit, à mon avis, constamment évoluer, car elle n'est
plus lue de la même manière quand elle a été reconnue comme « artistique » à l'intérieur
du champ de l'art. Il est également certain que l'on évolue, que le monde évolue,
que le poids de l'Histoire se manifeste dans l'activité de chacun. La situation
en 1969 se distinguait tout à fait de celle d'aujourd'hui. En 1969, le monde
occidental vivait une grande transformation ; il venait d'y avoir mai
1968 en France, le mouvement hippy se développait aux Etats-Unis ainsi qu'un
front uni pour la paix au Vietnam ; les intellectuels avaient le sentiment
d'être à la veille d'une mutation culturelle qui serait liée à une révolution
sociale…
Aujourd'hui, les idéologies ont perdu de leur force, nous ne nous croyons
plus à la veille d'une révolution mais nous vivons dans un climat d'inquiétude.
Il est normal que beaucoup d'artistes se détournent de ce qui me paraît aujourd'hui
avoir été une position optimiste : expliquer et théoriser l'art, ou
réaliser des structures anonymes pour améliorer le cadre de vie. Ils se tournent
vers des préoccupations plus « schizophréniques » : refuser
la réalité et se renfermer dans le rêve. Aujourd'hui, mais personnellement
je l'ai toujours pensé, je crois que l‘art ne cherche plus à influencer la
vie ; l'art n'est que de l'art, la peinture subit le monde mais agit
très peu sur lui. Et pourtant, l'art demeure ce qu'il y a de mieux dans ce
monde horrible… La seule porte de sortie consiste pour moi à rester à la
maison, à y tourner en rond en grattant le sol et en regardant de jolies
images.
Christian Boltanski, « La petite mémoire », Le Voyage au Pérou, Christian Boltanski. Dernières années, catalogue du Musée d'art moderne de la ville de Paris, 1998.
La présence de l'humanité dans sa multitude est toujours là dans mon travail. Ce grand nombre est parfois évoqué par des tonnes de vêtements usés, par des centaines de photographies, ou par des milliers d'objets perdus (que je recueille au Bureau des Objets Trouvés), ou encore par de longues listes de noms, ceux d'ouvriers dans une usine du nord de l'Angleterre au 19e siècle, ou ceux des artistes ayant participé à la Biennale de Venise depuis sa création. Le nombre, le côté presque interchangeable de l'être humain et son unicité, son caractère propre, sont une des oppositions sur lesquelles je travaille. Je m'intéresse à ce que j'ai appelé La petite mémoire, une mémoire affective, un savoir quotidien, le contraire de la grande mémoire préservée dans les livres. Cette petite mémoire, qui forme pour moi notre singularité, est extrêmement fragile, et elle disparaît avec la mort. Cette perte d'identité, cette égalisation dans l'oubli sont très difficiles à accepter ; par exemple, quand on regarde des centaines de crânes, ils ont tous l'air identiques.
1958
Christian Boltanski réalise ses
premières peintures dans un style figuratif. Médium qu'il abandonnera en
1967 pour lui préférer des matériaux plus expérimentaux.
1966
Rencontre avec Jean Le Gac. Il
collaborera avec lui quelques années à partir de 1969.
1968
Première exposition personnelle
au théâtre du Ranelagh, à Paris : il présente des marionnettes grandeur
nature, confectionnées dans une facture volontairement grossière, et un film
dont le titre indique la teneur de ses premiers travaux, La Vie impossible
de Christian Boltanski.
1969
Parution de son
premier livre Recherche et présentation de tout
ce qui reste de mon enfance, 1944-1950. C'est l'apparition
du thème autobiographique.
1970
Il commence la série
des Vitrines de référence,
travail qu'il poursuit jusqu'en 1973.
1972
Il
expose pour la première fois à la Documenta 5
de Kassel (Allemagne) dans la section intitulée « Mythologies
individuelles ».
1975
Après
avoir travaillé l'autobiographie sur le mode
ludique avec la série des Saynètes comiques de
1974, il se débarrasse de son propre personnage
pour s'intéresser aux codes culturels et lieux
communs, comme les portraits dans la publicité,
ou le voyage de noces à Venise. Pour traiter
ces nouveaux thèmes, il utilise la photographie
couleur, dans des formats de plus en plus imposants.
1977
Il
commence
la
série
des Compositions, avec des photographies de très grands formats comparables à ceux
des tableaux en peinture.
1984
Exposition
rétrospective
au Musée national d'art moderne. C'est l'occasion pour Boltanski
d'expérimenter une nouvelle manière de montrer son œuvre. L'exposition
se compose de deux parties, l'une autour du thème de l'autobiographie
avec des pièces faites de documents et d'archives ; l'autre
présente de grandes photographies plus proches d'un travail pictural
classique.
1985
Début de la série des Monuments : des photographies de visages anonymes sont
installées au sein de murs en forme d'autels, ou en constellation
d'images éclairées par de petites lampes.
1986
Invité à la Biennale
de Venise, Boltanski investit l'espace d'une ancienne prison (Palazzo
delle Prigione), mettant en scène
son exposition dans la pénombre, procédé déterminant pour les expositions
suivantes.
1987
Pour
la Documenta
8 de Kassel,
il traite
du thème de l'Holocauste, qu'il avait déjà abordé,
mais de manière moins directe.
1988
Un
matériau nouveau
apparaît dans son œuvre : le vêtement.
1990
Début de la série intitulée Les
Suisses morts. Il s'agit
d'œuvres qui utilisent des photographies tirées de la rubrique
nécrologique d'un journal suisse. Pourquoi des Suisses ? A
cette question Boltanski répond : « parce que les Suisses
n'ont pas de raison de mourir, en tous cas pas de raisons historiques ».
Avec Les Suisses morts, c'est sur la violence de toute mort que l'artiste
réfléchit désormais.
1998
Exposition Dernières
années au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, conçue
comme une seule œuvre à travers laquelle on chemine. On y retrouve
les thématiques qui intéressent Boltanski actuellement, et particulièrement
la relation présence / absence par le biais de la mémoire et du
souvenir.
2003
Exposition Entre-temps à la galerie Yvon Lambert, Paris : Boltanski
renoue avec le thème de l'autobiographie.
2004
Pendant toute l'année 2004,
le Musée d'art et d'histoire
du Judaïsme, à Paris, expose son Théâtre d'ombres.
2005
Il débute les Archives du cœur, enregistrements de battements de milliers de cœurs à travers le monde qui seront conservés à l’abri du temps dans l’île japonaise de Teshima.
2008
Dans le cadre des Archives, installations sur le thème de la mémoire individuelle et collective au Magasin 3 Stockholm Konsthall, Suède.
2010
Exposition Monumenta 2010, Personnes au Grand Palais, Paris. Boltanski est choisi pour représenter la France à la Biennale de Venise 2011.
Essais sur Christian Boltanski
- Catherine Grenier et Daniel Mendelsohn, Christian Boltanski, Flammarion, coll. « Flammarion Contemporary », 2010
- Catherine Grenier (avec Christian Boltanski), La vie impossible de Christian Boltanski, Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2007
- Eliane Burnet, Dépouilles et reliques, Les Réserves de Christian Boltanski, Les Cahiers du Musée National d'Art Moderne, n°62, 1997-1998
- Gilbert Lascault, Boltanski : souvenance,
Paris, L'Echoppe, 1998
- Lynn Gumpert, Christian Boltanski,
Paris, Flammarion, 1992
- Didier Semin, Christian Boltanski, Paris, Editions Art Press, 1989
- Alain Fleischer et Didier Semin, « Christian Boltanski : la revanche
de la maladresse », Art Press n°128, septembre 1988.
Catalogues d'exposition
- Christian Boltanski, Monumenta, Centre national des arts plastiques et Art Press, 2010.
- Christian Boltanski. Dernières années, Musée
d'art moderne de la Ville de Paris, 1998
- Christian Boltanski, Les Suisses morts, Musée cantonal des beaux-arts
de Lausanne, 1993
- Boltanski, Centre Pompidou, 1984
- Christian Boltanski : Compositions, ARC-Musée d'art moderne
de la Ville de Paris, 1981
Ecrits et témoignages
- Christian Boltanski, La Vie impossible,
Cologne, Walther König éditeur, 2001
- Christian Boltanski, Kaddish, Musée
d'art moderne de la Ville de Paris, 1998
Dvd
- Heinz Peter Schwerfel, La Vie Possible de Christian Boltanski, Portrait fantôme de l'artiste, Arte, 2010.
Liens internet
-
Sur l’exposition Monumenta au Grand Palais, 2010
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Contacts
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Crédits
© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, février
2005
Conception : Florence Morat
Documentation, rédaction : Vanessa Morisset
Design graphique : Michel Fernandez
Pour les œuvres : © Adagp, Paris 2010
Mises à jour : Ariane Cock-Vassiliou, 2006 ; Iris
Dussollier, 2007 ; Florence Thireau, 2010
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques