Le fauvisme
et ses influences sur l’art moderne

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André Derain, Les deux péniches, 1906, huile sur toile, 80 x 97,5 cm


André Derain, Les deux péniches, 1906

« L’orgie des tons purs » Retour haut de page

La « cage aux fauves » du Salon d’Automne, 1905 Retour haut de page

« Le fauvisme est venu du fait que nous nous placions tout à fait loin des couleurs d’imitation et qu’avec des couleurs pures nous obtenions des réactions plus fortes. »

« La couleur surtout et peut être plus encore que le dessin est une libération. »

Henri Matisse, Écrits et propos sur l’Art

Régulièrement accrochés dans les premières salles du Musée national, les artistes fauves annoncent par la couleur la modernité et les bouleversements artistiques du début du XXe siècle.
En donnant aux « chocs » émotifs, selon le mot d’Henri Matisse, une palette franche et pure, le fauvisme prête à la couleur la tonalité d’une émotion et d’une sensation. Il ne s’agit plus de traduire les instabilités de la lumière comme l’avaient fait les impressionnistes, mais d’affirmer avec force le regard du peintre sur un monde auquel il donne ses couleurs.

C’est en 1905 que nait le mouvement dont Henri Matisse est le précurseur et le plus important représentant. Les artistes les plus remarqués sont réunis dans la salle VII du Salon d’Automne : Henri Matisse, Henri Manguin, André Derain, Maurice de Vlaminck, Charles Camoin et Albert Marquet. Dans d‘autres salles, Raoul Dufy, Othon Friesz, Jean Puy, Georges Rouault, Albert Marquet ou Kees van Dongen s’illustrent par une même franchise colorée. Ils entrent alors dans la postérité sous la plume du critique d’art Louis Vauxcelles qui, remarquant un buste d’angelot d’inspiration florentine du sculpteur Marque, perdu au milieu de  « l’orgie des tons purs », évoque « Donatello au milieu des fauves » − il faut néanmoins reconnaître que l’origine du jeu de mots souffre de plusieurs origines ! Si l’agressivité et la violence caractérisent les fauves, le public rugissant avec les mots « scandale, fumisterie, démence, ignorance » sera particulièrement sévère. Loin d’être folie, les œuvres feront théorie et le fauvisme alors né deviendra référence.

Les sources du fauvisme Retour haut de page

Paul Gauguin, Femmes de Tahiti, 1891 Paul Gauguin, Femmes de Tahiti, 1891
Huile sur toile, 69 x 91,5 cm

Les Nabis, réunis autour de Paul Sérusier, ont semblé dans un premier temps porter la couleur à son paroxysme − comme dans le Talisman, 1888 (27 x 21 cm, collection musée d’Orsay)1, toile qui amorce le mouvement. Mais la timidité des nuances lumineuses et les sujets convenus qui les caractérisent par la suite éclipsent l’importance qu’ils auraient pu avoir. Paul Gauguin, qui avait conseillé Sérusier sur la manière d’utiliser la couleur dans son tableau de référence, est, à l’inverse, un artiste essentiel dans l’origine du fauvisme. « Chaque couleur est comme vibration dans la musique », dira Paul Gauguin qui, en Polynésie, compose selon ses visions ses toiles par aplats de couleurs pures. Le paradis accessible de Paul Gauguin, où la couleur libérée se dévoile sans tabous, fascine tout autant que l’art primitif qui l’inspire.

L’impressionnisme (1874-1886, dont Monet est le peintre le plus représentatif) s’impose alors comme la principale origine du fauvisme. Les théories d’Eugène Chevreul (et en particulier de la loi du contraste simultané des couleurs) publiées en 1839 inspirent au mouvement impressionniste une touche divisionniste qui tente de restituer les instabilités de la lumière. La couleur pure, sortie à même le tube (inventé vers 1840), incarne la base solaire d’une peinture réalisée le plus souvent sur le motif, en plein air. La couleur seule appliquée par petites touches abandonne la ligne et le dessin et se joue de ses contrastes pour exalter les impressions fugaces face aux paysages. L’œil restitue alors les sensations de la lumière que le peintre décompose en touches colorées.

Dans le contexte post-impressionniste, Vincent van Gogh occupe une toute première place. Lorsque sont exposées, en 1901 chez Bernheim-Jeune, 71 de ses œuvres, Vlaminck s’enflamme pour celui qui, par touches grasses et sinueuses, s’est brûlé sous les lumières de la Provence. S’inspirant parfois des estampes japonaises, il donne à la couleur des masses et contrastes importants qui anticipent les gammes fauves.

C’est cette juxtaposition de touches colorées que Matisse, alors élève du peintre divisionniste Paul Signac, met directement en pratique dans Luxe, calme et volupté, 1904-1905 (98,5 x 118,5 cm, musée d’Orsay)2, œuvre pour laquelle le peintre pousse la division de la touche jusqu’au pointillisme. Derain et Braque dans un esprit similaire fractionneront la composition de polychromies rythmées.

Enfin, dans ces influences, il faut signaler le rôle de Louis Valtat (1869-1952) qui, en 1896, enseigne à l’École des Beaux-arts de Paris. Il a pour élèves Matisse, Rouault, Puy, Marquet, Camoin, Manguin. Pour cet adepte de Gustave Moreau, la couleur ne tend pas seulement à évoquer le réel mais peut s’enrichir d’une valeur symbolique. Expérimentant dans ses propres peintures réalisées à Arcachon pendant l’hiver 1895-96 les formes simplifiées contenant les couleurs pures, sans ombres portées ni perspectives abouties, il annonce dix ans avant ses élèves un triomphe auquel il participera : il exposera 5 toiles aux cotés de Kandinsky et Jawlensky dans la salle XV du Salon d’Automne de 1905.

1. Paul Sérusier, Le Talisman, 1888, collection Musée d’Orsay
2. Henri Matisse, Luxe, calme et volupté, 1904-1905, collection Musée d’Orsay

Repères – la couleur comme absolu Retour haut de page

En 1899, Paul Signac publie De Delacroix au néo-impressionnisme, ouvrage dans lequel il définit les principes du pointillisme − un divisionnisme poussé, presque scientifique, dont Seurat est l’une des principales figures − et met en avant l’œuvre d’Eugène Delacroix − premier artiste qui accorde à la couleur une valeur égale à celle donnée au dessin. En 1901, ce sont 71 tableaux de Vincent van Gogh qui sont exposées à la galerie Bernheim-Jeune. À cette occasion, André Derain présente Maurice de Vlaminck à Henri Matisse. En 1903, l’année de sa mort, Paul Gauguin expose chez Ambroise Vollard et au Salon d’Automne.

Durant l’été 1904, Paul Signac enseigne à Henri Matisse les techniques pointillistes à Saint-Tropez, où se trouve également le peintre Charles Edmond Cross. À son retour, Matisse peint Luxe, calme et volupté, 1904-1905. Mais il abandonne vite cette technique, par trop contraignante : « On ne peut pas vivre dans un ménage trop bien fait, un ménage de tantes de province. Alors on part dans la brousse pour se faire des moyens simples qui n’étouffent pas l’esprit », dit-il. (Entretien avec Tériade, publié dans l’Intransigeant (janvier 1929), in Écrits et propos sur l’art.)

L’année 1905 est l’année décisive.
En juin est en effet créé, à Dresde, le premier groupe expressionniste allemand, Die Brücke (le Pont), qui réunit Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel, Fritz Bleyl et Karl Schmidt Rottluff. Le fauve Kees van Dongen se rapprochera du groupe et en sera l’intermédiaire avec les artistes français.
En juillet et août, Derain et Matisse « turbinent » ensemble à Collioure sur la couleur et la traduction de la lumière, tandis qu’en octobre-novembre le IIIe Salon d’Automne à Paris au Grand Palais présente sur les 1 625 œuvres recensées, dans la salle VII, 39 œuvres de Matisse, Derain, Vlaminck, Manguin, Camoin et Marquet. Située à côté de l’espace consacré au Douanier Rousseau qui y présente, entre autres, Le lion, ayant faim,…3, elle devient « la cage aux fauves » dans l’article publié dans le supplément du Gil Blas du 17 octobre 1905, sous la plume de Louis Vauxcelles. La Femme au chapeau de Matisse4 (80,6 x 59,7 cm, San Francisco Museum of Modern Art) est particulièrement chahutée.

D’octobre 1906 à février 1907, Georges Braque, accompagné d’Othon Friez, se rend à l’Estaque pour reprendre les motifs de Cézanne − il y avait peint à partir de 1870 − et se soumettre à la lumière du Midi.
Septembre 1907, se tient au Salon d’Automne, avec une soixantaine d’œuvres, ce qui constitue la fameuse rétrospective Cézanne. Plus que « la petite sensation » prônée par le maître − une couleur qui viendrait moduler les plans −, c’est « modeler avec la couleur » qui va marquer les évolutions plastiques de certains fauves.

À partir de 1907, beaucoup d’artistes à l’origine du mouvement choisissent des voies différentes. Georges Braque, aux côtés de Pablo Picasso, privilégie l’espace et sa construction dans le mouvement cubiste naissant. Derain, fauve flamboyant, ne laissera de son œuvre tardive qu’une palette éteinte, respectueuse d’une tradition « classique » de la peinture. Et si Dufy ou Rouault semblent perpétuer le rôle majeur de la couleur, ils exprimeront tous deux des oppositions de plus en plus marquées en réintroduisant l’importance de la ligne dans leurs compositions − lyrique, presque baroque et dissociée de la couleur pour Dufy, ou marquée, cloisonnant la couleur comme le plomb sur le vitrail pour Rouault. Seul Matisse semble faire de la couleur pure son absolu qu‘il sublimera jusque dans ses dernières œuvres. Mais quelles que soient les évolutions de chacun d’entre eux, l’art a dès lors changé et ce sont d’autres cultures, d’autres tempéraments qui vont relayer le mouvement fauve essoufflé.

Ainsi en 1908, l’exposition de la Toison d’Or à Paris, en consacrant l’art russe, permet à Larionov et Gontcharova d’affirmer les filiations plastiques et héritages fauves en Europe et au-delà. Le fauvisme réinterprété intègre des sujets plus sociaux et des références aux traditions populaires russes (enseignes publicitaires, gravures sur bois…).

Puis en 1909, le groupe NKV (Neue Kunstlervereinigung München - Nouvelle association des artistes munichois) réunissant des artistes comme Vassily Kandinsky ou Alexej Von Jawlensky et qui constituera en 1911, avec Franz Marc et August Macke, le noyau de der Blaue Reiter (le Cavalier bleu), va faire de la couleur un outil de la « nécessité intérieure » (voir chapitre suivant : Le fauvisme et l’art moderne, expressionnisme et abstraction).

3. Henri Rousseau, Le Lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, 1898-1905, collection Fondation Beyeler
4. Henri Matisse, La Femme au chapeau, 1905, collection San Francisco Museum of Modern Art

Les artistes et leurs œuvres Retour haut de page

HENRI MATISSE
1869, Cateau-Cambrésis (France) - 1954, Nice (France)Retour haut de page

Henri Matisse, Nature morte à la chocolatière, 1900-1902 Henri Matisse, Nature morte à la chocolatière, 1900-1902
Huile sur toile, 73 x 60cm

Cette petite toile peinte avant qu’Henri Matisse n’affirme ses choix fauves révèle les enjeux décisifs qui préoccupent le peintre à cette période. Âgé d’une trentaine d’année, c’est un homme chargé de famille qui hésite entre le choix rangé que lui procurerait la société des beaux-arts et l’abandon vers la couleur, les leçons de Cézanne et la liberté… Une « petite sensation » qu’il a ressentie dans les paysages peints à Toulouse et Ajaccio ou dans ce qu’il a vu de William Turner à Londres.
Matisse, en 1900, en est toujours à définir ses choix. Il s’inscrit dans différents ateliers et copie régulièrement au Louvre : « Oui, je vais régulièrement au Louvre, c’est l’œuvre de Chardin que j’y étudie le plus. Je vais au Louvre pour étudier sa technique. » Nature morte à la chocolatière rappelle par son format et sa composition les peintures intimistes et lumineuses de Chardin.

Une chocolatière frappée par la lumière est modelée à coups de brosses francs - rouge, rose, blanc, jaune citron, vert, outremer… Ventrue, elle diffuse les couleurs comme un astre central qu’éclipse une orange solaire. Un cercle orangé parfait où la couleur s‘affirme, pure et sans relief, comme un soleil du Midi. Cet « emblème matissien », comme l’évoquera Apollinaire en 1916, illuminera également les compositions plus tardives.
La cafetière et le fruit trônent sur un livre imposant comme le socle d’une sculpture. Des faisceaux colorés viennent buter contre, lumineux sur l’impact puis diffus en se rapprochant du bord de la toile. L’ensemble de la composition est structuré au centre par de puissantes touches puis, plus informel, en s’excentrant.
Ni le tapis vert vif qui supporte le livre ou le rideau rouge orangé en arrière-plan ne parviennent à rompre cette sensation de pièce vaporeuse et énigmatique. Et si le manche de la chocolatière soutenu de rouge s’étend pour appuyer les lignes qui marquent l’espace, l’effort semble être vain. Comme dans une peinture du mouvement Nabi, l’atmosphère du tableau reste intimiste, presque « convenue » au regard de ce que Matisse produira bientôt.
Cependant, certaines audaces chromatiques captées sur la cafetière évoquent les couleurs piégées dans le bocal de Interieur, bocal de poissons rouges, 1914 (huile sur toile 147 x 97 cm, Centre Pompidou, Mnam) qui présente une composition proche.

Nature morte à la cafetière a appartenu à Michael et Sarah Stein, le frère de Gertrude Stein. Celle-ci acheta à Matisse la Femme au chapeau qui fit scandale au Salon d’Automne de 1905 et lui présenta Picasso, lequel possédait une toile de 1902 avec le même objet, Fleurs dans une chocolatière (64 x 46 cm, Paris, musée Picasso).

Henri Matisse, La Gitane, 1905 Henri Matisse, La Gitane, 1905
Huile sur toile, 55 x 46 cm

« C’est du premier choc de la contemplation d’un visage que dépend la sensation principale qui me conduit constamment pendant toute l’exécution d’un portrait. »
Henri Matisse, Portraits, 1954

C’est effectivement un choc que de contempler ce visage qui, sous le masque du sourire, révèle une brutalité presque grossière. La main portée sensuellement vers son visage, la gitane offre, au regard, un corps maçonné d’une pâte épaisse, structuré comme une baigneuse de Cézanne. Tout comme Olympia de Manet − autour de son cou un collier ou un lacet et, dans les cheveux, une fleur − qui semble toiser le spectateur de sa blancheur frontale, la gitane se rit des couleurs vives et de sa « laideur » primitive. Lunaire, elle sourit bleu, un bleu clair froid surgissant de l’arrière-plan que la brosse incruste dans la chair et qu‘un sein, droit, défie. Solaire, elle s’alanguit dans les oranges et rouges chauds que son bras diffuse.

Ce tableau réalisé après la Femme au chapeau (Salon de 1905) et le Portrait de madame Matisse à la raie verte, 1905 (42,5 x 32,5 cm, Statens Museum for Kunst, Copenhague) pousse à l’excès les tensions de touches et de couleurs pourtant fortes des premiers. « Avant tout je ne crée pas une femme, je fais un tableau », écrit Matisse, un tableau qui annonce, nourri de fauvisme et de primitivisme, l’expressionnisme…

Biographie

C’est à 20 ans, alors qu’il est alité, suite à une crise d’appendicite, qu’il découvre le plaisir de peindre. Abandonnant des études de droit et le poste de clerc de maître du Conseil à Saint-Quentin, il part, en 1891, pour Paris et s’inscrit à l’École des Beaux-arts, puis en 1895 dans l’atelier de Gustave Moreau où il rencontre Georges Rouault, Manguin, Camoin et Albert Marquet. En 1897, il découvre la peinture impressionniste au Palais du Luxembourg et, l’année suivante, sur les conseils de Pissarro, l’œuvre de William Turner lors d’un court séjour à Londres. Il expérimente « la méthode Turner » à Ajaccio puis Toulouse.

À partir de 1900, il suit les cours de la Grande Chaumière et ceux de l’Atelier Carrière, sa peinture gagne en intention colorée. Il rencontre Jean Puy et André Derain. Il participe à de nombreux salons (Salon d’Automne, Salon des Indépendants…) et expose en 1904 dans la galerie d’Ambroise Vollard. L’année suivante, il bénéficie d’une exposition personnelle à la galerie Bernheim-Jeune, mais c’est le Salon d’Automne qui lui vaut d’être reconnu pour son travail.

Sa nouvelle et relative aisance financière lui permet d’entreprendre de nombreux voyages riches d’influences (Algérie, Maroc, Italie, Russie, États-Unis, Tahiti…). Il ouvre, entre 1908 et 1911, une académie libre à Paris où se pressent de nombreux étudiants étrangers. Et sa reconnaissance internationale est consacrée par des expositions à Londres, Moscou et Berlin. Il est bien entendu présent aux côtés de Duchamp et Picabia lors de l’Armory Show de New York en 1913 qui présente, outre-Atlantique, les avant-gardes européennes.
Non mobilisé malgré sa demande, il rejoint Nice et la Côte d’Azur à l’hiver 1916-17, qu’il considère comme un paradis dans l’enfer de la Première Guerre mondiale.

Henri Matisse, La Tristesse du roi, 1952 Henri Matisse, La Tristesse du roi, 1952
Papiers gouachés et découpés, marouflés sur toile, 292 x 386 cm

Sa notoriété devenue manifeste, une rétrospective de son œuvre est présentée à New York en 1927. La recherche sur la couleur, qui est sa quête absolue, trouve une nouvelle voie avec les papiers gouachés et découpés. La série Jazz, publiée en 1947, est représentative de ce procédé.
Mais l’arrestation de sa fille Marguerite et de sa femme par la gestapo en 1944, pour faits de résistance, blesse un homme déjà malade. Les couleurs lumineuses qui caractérisent ses œuvres ultimes (Polynésie, le ciel et Polynésie, la mer, 1946...) ainsi que les créations qu’il destine à la Chapelle du Rosaire à Vence marquent l’apogée du coloriste. La Tristesse du roi, 1952 (3,86 x 2,92 m, papiers gouachés et découpés, marouflés sur toile, Centre Pompidou, Mnam) symbolise, dans ce qu’il considérait comme un autoportrait, un hommage à la peinture classique où la couleur triomphe. Il meurt deux ans plus tard et est enterré au cimetière de Nice-Cimiez.

Voir le dossier pédagogique Henri Matisse dans les collections du Musée

RAOUL DUFY
1877, Le Havre (France) – 1953, Forcalquier (France)Retour haut de page

Raoul Dufy, Les affiches à Trouville, 1906 Raoul Dufy, Les affiches à Trouville, 1906
Huile sur toile, 65 cm x 81 cm

Natif du Havre, Raoul Dufy est familier des paysages normands qu’il brosse souvent en compagnie d’Albert Marquet. Si ce thème a inspiré Monet ou Boudin, la touche et la couleur qu’il utilise après 1905 incarnent l’épanouissement du style fauve. Observateur des bords de mer (Sainte-Adresse, Fécamp, Trouville, Honfleur…), Raoul Dufy propose dans Les affiches à Trouville sa vision d’une rue « pavoisée » d’affiches publicitaires sous lesquelles déambulent les passants (les drapeaux, affiches ou fanions sont fréquents dans l‘œuvre du peintre).

Bordée de gris associant le ciel et la rue, une ligne fuyante en diagonale suggère une dynamique et une perspective que renforce la répétition de formes géométriques (les affiches) aux tons purs, presque primaires (bleu, rouge et jaune dominent dans la palette). En opposant la couleur en aplats aux gris brossés, la ligne droite des éléments architecturaux aux courbes des passants, le peintre atteint un équilibre de composition qu’il semble « assoir » par la présence singulière d’une chaise isolée au premier plan.

Biographie

Après des cours du soir à l’École municipale des Beaux-arts du Havre, Dufy suit, à partir de 1893, les cours de Charles Lhuiller où il rencontre Othon Friez et avec qui il lie une solide amitié − ils partageront un atelier à Montmartre. Puis, il s’inscrit, en 1900, à l’École des Beaux-arts de Paris. Il peint alors des paysages normands, sujets chers aux impressionnistes (Eugène Boudin, Monet…).
Entre 1904 et 1906, influencé par Matisse, il travaille avec Albert Marquet à accentuer les aplats colorés à partir de thèmes récurrents : rues pavoisées, rues en fête, bords  de plages… Marqué par la rétrospective Cézanne, il rejoint en 1908 Georges Braque à l’Estaque pour reprendre les motifs du maître d’Aix. Ses compositions sont influencées par les débuts du cubisme.

Paul Poiret, séduit par les bois gravés que Dufy a réalisés pour le Bestiaire de Guillaume Apollinaire en 1910, décide, un an plus tard, de fonder avec lui une entreprise de créations textiles (qui utilise cette technique). Le succès est tel qu’il est sollicité par les soieries lyonnaises Bianchini-Férier pour lesquelles il réalise d’innombrables motifs.

A partir de 1919, installé à Vence, sa palette devient plus éclatante et le trait fluide et lyrique. En 1926, observant une fillette courir, il dit réaliser combien la couleur retient plus l’attention que la forme et commence alors à délibérément séparer les deux éléments. La Fée électricité, réalisée en 1936-37, demeure son œuvre la plus célèbre et certainement, avec ses 624 m2, la plus grande au monde par sa superficie (Musée d’art moderne de la Ville de Paris). Il meurt à Forcalquier en 1953 en ayant reçu, un an plus tôt, le Prix de Peinture à la Biennale de Venise.

ANDRÉ DERAIN
1880, Chatou (France) - 1954, Garches (France)Retour haut de page

André Derain, Les deux péniches, 1906 André Derain, Les deux péniches, 1906
Huile sur toile, 80 x 97,5 cm

La péniche est définitivement l’un des sujets favoris d’André Derain. Les masses glissant sur l’eau offrent au peintre la possibilité de travailler des contrastes forts, technique partagée par Vlaminck, et avec lequel il plante souvent le chevalet à Chatou ou au Pecq.
Observés de haut, comme si le spectateur était situé sur un pont, les deux bateaux glissent, comme écrasés, de la droite vers la gauche et du bas vers le haut, coupés sur leurs bords inférieurs par la limite de la toile. La diagonale ainsi crée est particulièrement dynamique. Le cadrage « photographique » rompt avec les espaces impressionnistes et renvoie à certaines estampes japonaises. De plus, la composition qui supprime la ligne d’horizon accentue la frontalité du tableau.

Les touches larges laissent exploser la couleur pure qu’il compare à « des bâtons de dynamite ». Une touche grasse, ondulante, posée à même la toile grise non apprêtée que l‘on distingue, accroche des jaunes d’or aux verts bleutés de la masse d’eau. Se démarquant nettement, les vermillons et outremers ceinturent la forme des péniches auxquelles le peintre donne une profondeur par l’ombre bleu clair qu’elles projettent sur le côté droit.
Les contrastes sont poussés à leur maximum. Tons froids et tons chauds se tutoient et toutes les déclinaisons des couleurs primaires se répondent. Particulièrement efficace est la succession du rouge, du bleu puis du jaune qu’il applique sur la coque, ou la voile rouge qu’il strie de bleu. S’il s’est, plus tard « tourné vers la sobriété et la mesure », cette toile est bien celle qui représente le mieux ses « turbulences juvéniles », comme l’évoquera Apollinaire en 1916.

Biographie

André Derain commence par des études à l’Académie Carrière entre 1898-99. Il rencontre Jean Puy ainsi que Henri Matisse, alors que celui-ci réalise des copies au Louvre. L’année suivante, il se lie avec Maurice de Vlaminck avec qui il partage un studio.
1905, il rejoint Matisse à Collioure où ils définissent ensemble le style qui incarne le fauvisme. Au Bateau-Lavoir qu’il fréquente à partir de 1907, il rencontre Picasso, Braque, Apollinaire, Van Dongen et Max Jacob. Il se passionne pour « l’art nègre » et le collectionne.

À la déclaration de la guerre, Derain rejoint son régiment. Il racontera longtemps les cauchemars et hallucinations de cette période passée dans les tranchées.
En 1919, époque de la paix retrouvée − et comme Matisse pour les décors et costumes du Chant du rossignol −, il travaille avec Diaghilev et les Ballets russes pour les décors et costumes de la Boutique fantasque.
Dès 1911, Derain s’était tourné vers une peinture plus classique où les références aux maitres du passé sont nombreuses (Chardin, Le Nain…). C’est le « retour à l’ordre ». Le voyage officiel qu’il effectuera en Allemagne en 1941 « sera sa croix ». Ostracisé, il meurt seul à Garches, âgé de 74 ans.

MAURICE DE VLAMINCK
1876, Paris (France) - 1958, Rueil-la-Gadelière (Indre et Loire, France)Retour haut de page

Maurice de Vlaminck, Les coteaux de Rueil, 1906 Maurice de Vlaminck, Les coteaux de Rueil, 1906
Huile sur toile, 48 x 56 cm

La force presque brutale des touches de couleurs pures avec laquelle Vlaminck brosse ce paysage de Rueil, où il s’est installé un an plus tôt, est révélatrice du tempérament déterminé de l’artiste. Une masse dense, magmatique, de vermillons et d’ocres jaunes pousse dans un lyrisme hérité de van Gogh la composition au plus haut de la toile. Le ciel alors dévoilé, comme un couvercle reposé, restitue l’espace. Un sentier rouge et un coteau ocré presque traités en aplats enlacent enfin la masse animée comme pour l’apaiser. 

« Je voulais brûler avec mes cobalts et mes vermillons l’école des beaux-arts et je voulais traduire mes sentiments avec mes pinceaux sans songer à ce qui avait été peint ». « Le fauvisme n’est pas une invention, une attitude mais une façon d’être, d’agir, de penser, de respirer ». Le peintre démontre par ces propos qu’au-delà d’un paysage interprété, c’est d’une peinture incarnée à la respiration brûlante dont il s’agit.

Biographie

Si Vlaminck fait ses premières peintures vers 1893, il gagne plus souvent sa vie comme violoniste (son père était pianiste et violoniste) ou en remportant parfois des courses cyclistes. Autodidacte affirmé, il se refuse à tout enseignement artistique et fuit les musées pour ne pas affadir son inspiration. Il reste cependant « estomaqué » face à l’œuvre de van Gogh qu’il aime à citer.

De sa rencontre avec Derain en 1900 naît une solide amitié. Ils louent ensemble un studio à Chatou. Mais il refuse de rejoindre celui-ci à Collioure en 1905. Prétextant que la lumière est aussi belle à Chatou, il est possible qu’il ait été financièrement arrêté. Les années 1900-1905 sont d’ailleurs particulièrement difficiles pour le peintre qui gratte d’anciennes peintures pour en créer de nouvelles. À la même période, il publie deux romans particulièrement « décadents », voire pornographiques, et affiche une passion marquée pour l’art primitif. Apollinaire reconnaitra en 1912 l’importance de sa collection commencée dès 1900.

Son installation à Rueil-Malmaison en 1905 coïncide avec le Salon d’Automne où il présente des peintures dans la salle VII. Ambroise Vollard devenu son marchand lui achète sa production et lui organise une grande exposition en 1908. Son rapprochement avec les cubistes et le marchand Kahnweiler a pour origine la rétrospective de Cézanne de 1907 qui influence son évolution picturale.
Il décède à Rueil-la-Gadelière où il s’était installé en 1925.

GEORGES BRAQUE
1882, Argenteuil (France) - 1963, Paris (France)Retour haut de page

Georges Braque, L'Estaque, octobre 1906 Georges Braque, L'Estaque, octobre 1906
Huile sur toile, 60x73,5 cm

C’est enthousiaste que Braque décide, en octobre 1906, de rejoindre l’Estaque en compagnie de Friesz avec qui il a séjourné auparavant à Anvers. Si sa palette expérimente les gammes fauves depuis le choc reçu lors de l’exposition du Salon d’Automne de 1905, c’est clairement Cézanne qui l’inspire dans le choix de ce lieu, Cézanne qui avait choisi ce petit village près de Marseille comme sujet à partir de 1870.

« Je peux dire que mes premiers tableaux de l’Estaque étaient déjà conçus avant mon départ » (propos de Braque au critique Jacques Lassaigne). Comment ne pas, effectivement, faire le lien entre ce paysage et les émotions ressenties par Paul Cézanne : « […] Le soleil y est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent en silhouette, non pas en blanc et noir, mais en bleu, en rouge, en brun, en violet […] ». Cette  description pourrait être celle de Braque peignant l’Estaque au début de son séjour.

Assommé de jaunes lumineux, un sentier nous mène sous la pinède bleutée. Les ombres lascives étirent les violets et les bleus qu’un ciel renvoie. Les pins étendent leurs troncs multicolores vers ce ciel que leurs branches, sculptées par le mistral, épousent. Le paysage se modèle par la couleur que la touche martèle.
C’est une composition très structurée. La terre ondule comme une vague jusqu’au chemin et bute, en contrebas, sur un mur violet et orange qui contient les lignes verticales des grands arbres. Ceux-ci, comme un ressac, rejoignent à nouveau le sol en éclaboussant le ciel traversé de rose et de vert. La touche d’abord large et discontinue en bas à gauche est, dans l’angle opposé, dense et nerveuse. La diagonale inverse associe le chemin à la ligne des falaises. Les deux diagonales se rencontrent à l’endroit où se trouvent deux petits personnages qui donnent l’échelle de l’espace. Deux êtres, petits, perdus sous un vaste décor qui, loin d’être oppressant, vibre et bouillonne d’énergie.

Biographie

Si le jeune Braque étudie la peinture à l’École des Beaux-arts du Havre de 1897 à 1899, c’est surtout son père, Charles Braque, entrepreneur-peintre en bâtiment, qui le forme au métier de peintre-décorateur. Il obtient son certificat d’artisanat en 1901 à Paris et s’inscrit l’année suivante à l’Académie Hubert qu’il fréquente jusqu’en 1904. Il y rencontre Marie Laurencin et Francis Picabia. Ce qu’il découvre de Derain et Matisse au Salon d’Automne de 1905 fait basculer son œuvre du néo-impressionnisme au fauvisme. Expérimentant les tons purs avec son ami Othon Friesz, Havrais tout comme lui, il se rend à Anvers durant l’été 1906 puis, en octobre, part pour l’Estaque. Six des toiles peintes dans le village seront exposées puis vendues lors du Salon des Indépendants de 1906.

La rétrospective consacrée à Cézanne en 1907 incite Braque à simplifier les formes, abolir les perspectives « classiques » et reprendre, dans ses couleurs, des tonalités plus proches de la nature. Sa rencontre avec Pablo Picasso, qui peint les Demoiselles d’Avignon au même moment, conforte la nouvelle orientation donnée à son œuvre et marque le début d’« un travail en cordée » devenu mémorable dans l’histoire de l’art moderne.
Le Grand Nu (140 x 100 cm, collection Centre Pompidou, Mnam), peint entre décembre 1907 et juin 1908, traduit, au-delà du choc qu’il reçoit face aux Demoiselles d’Avignon, le goût commun aux deux peintres pour l’art « primitif  » et l’œuvre de Cézanne. Mais c’est la période du cubisme dite analytique qui mêle de manière intense leurs aspirations communes. Ils théorisent alors le cubisme en fractionnant puis recomposant l’espace soutenu par des palettes de « tons sourds ». L’œuvre devenue presque abstraite marque une frontière que Braque ne souhaite pas dépasser. À partir de 1911, pour se rapprocher à nouveau du sujet, il colle des papiers, de petits objets et ravive les couleurs qui s’étaient assombries : c’est le cubisme synthétique qui marque le dernier temps du mouvement. La peinture est plus souvent frontale dans sa composition et n’offre plus l’éclatement des formes et des plans comme dans les peintures antérieures.

Cette collaboration féconde entre les deux peintres aurait pu perdurer si Braque n’avait pas été envoyé au Front où il est gravement blessé à la tête en 1915. Trépané, il ne peint plus jusqu’en 1917 et, lorsqu’il reprend son travail, son œuvre ne cesse de puiser dans le quotidien des thèmes humbles, habillés principalement de verts, de noirs et de bruns (série des guéridons ou cheminées, 1922-27).
Il semble peu à peu faire revivre les couleurs vives dans les séries consacrées aux baigneuses ou aux plages qu’il peint vers 1930 (certainement sous l’influence de Picasso) et quelques natures mortes décoratives marquent la constance de l’intérêt qu’il porte aux thèmes cézanniens.

La Seconde Guerre accable un homme qui traduit par des toiles austères ce qu’il ressent face à la restriction et l‘Occupation (ainsi les Poissons noirs, 1942, collection Centre Pompidou, Mnam). À la Libération, les tons « légèrement funèbres » des Ateliers peints entre 1949 et 1956 font perdurer les gammes éteintes que le thème de l’oiseau brisera. En 1953, il réalise les Oiseaux (270 x 212 cm pour l‘œuvre principale), 3 peintures pour le plafond de la salle Henri II au Louvre. Il est alors le premier peintre moderne exposé de son vivant dans le célèbre musée.
Il meurt à Paris en 1963 et est enterré dans le cimetière marin de Varengeville-sur-Mer.

Fauvisme et art moderne, expressionnisme et abstraction Retour haut de page

Un rôle nouveau pour la couleur Retour haut de page

Bien que le mouvement n’ait bénéficié d’aucun écrit théorique, de nombreux artistes puiseront dans le fauvisme matière à leurs recherches personnelles. La situation artistique exceptionnelle de Paris au début du 20e siècle et l’attraction qu’elle exerce auprès d’artistes internationaux permettent la diffusion rapide des recherches plastiques. Les artistes russes Michel Larionov et Nathalie Gontcharova sont représentatifs de ces échanges. Tout en diffusant le fauvisme dans la communauté russe très mobile à l’époque, ils évoluent vers le rayonnisme, collaborant plus tard au suprématisme de Malevitch.

Le choc du Salon d’Automne de 1905 est au cœur d’une prise de conscience collective qui ébranle l’art et le fait basculer dans la modernité. La couleur est la première actrice à entrer en scène. Débarrassée de sa fonction d’imitation de la nature, elle s’impose, pure, pour ce qu’elle révèle d’émotions. C’est une qualité que soutient le mouvement expressionniste avec le groupe Die Brücke, apparu à Dresde simultanément en 1905. Les couleurs violentes et les touches torturées crient la force d’une peinture libérée dont Ernst Ludwig Kirchner est le peintre emblématique. Ce mouvement prend d’autant plus d’importance que le fauvisme s’essouffle rapidement en France.
La couleur affranchie dépeint les grandes villes et ses habitants, leurs luttes et fait écho au primitivisme ou aux traditions populaires. La critique sociale, le trait incisif et les couleurs criardes sont les armes que brandissent ceux que l’on accuse d’être un danger pour la jeunesse allemande. Le champ coloré devient champ de bataille.

La peinture doit gagner en autonomie et s’affranchir des derniers liens avec la réalité. Représenter l’individu ne peut plus se satisfaire d’une imitation de l’extérieur. Vassily Kandinsky, à la recherche de cette « nécessité intérieure », ouvre le chemin à l’abstraction. Exposé au Salon d’Automne de 1905, il réalise très vite que la ligne et la couleur peuvent exister pour ce qu’elles sont (vibrations, rythmes, sons, symboles …). Les paysages qu’il peint en Allemagne deviennent des « prétextes » à la peinture pure qui gagne en spiritualité. En fondant, avec plusieurs artistes, le groupe NKV en 1909, puis Der Blaue Reiter en 1911 (tous deux créés à Munich), il mène l’art sur un terrain vierge, un vaste continent que les artistes contemporains explorent encore.

Les artistes et leurs œuvres Retour haut de page

ERNST LUDWIG KIRCHNER
1880, Aschaffenburg (Allemagne) - 1938, Davos Frauenkirch (Suisse)Retour haut de page

Ernst Ludwig Kirchner, Toilette - Frau vor dem Spiegel (La Toilette - Femme au miroir), 1913/1920 Ernst Ludwig Kirchner, Toilette - Frau vor dem Spiegel (La Toilette - Femme au miroir), 1913/1920
Huile sur toile, 100,5 x 75,5 cm

Le visage pointu, les yeux marqués, une coupe « à la garçonne », une jeune femme est assise face à sa coiffeuse. Il s’agit vraisemblablement d’un portrait d’Erna schilling, qui deviendra sa femme et qu’il rencontre alors qu’elle est danseuse. Elle travaille avec sa sœur Gerda dans un cabaret. « Une fille attirante mais triste, qui ne se sentait pas digne de leur relation », comme Kirchner l’évoque dans ses carnets intimes de Davos.

C’est un curieux reflet que celui d’Erna dans son miroir. Si la jeune femme semble par coquetterie porter les mains à ses cheveux, c’est un visage mélancolique, les bras tombants, qui se reflète. Il s’agit de comprendre que la réalité peinte par Kirchner n’est pas celle que renverrait un miroir. « Un peintre montre l’apparence des choses par leur exactitude objective − en réalité il donne une nouvelle apparence aux choses », écrit-il. C’est une mise en abîme qui semble dédoubler la personnalité.

Erna est dressée, taillée à coups secs dans l’ocre jaune comme une idole primitive. Sa robe blanche est un parcours de brosses énergiques qui semblent fuser dans toutes les directions. L’espace bleuté du mobilier et de la pièce est instable, saturé de diagonales et de lignes hachées. La composition est marquée par les compositions cubistes et le gothique, lesquels inspirent cette génération d’artistes (L‘Art gothique de Wilhem Worringer, livre influent, parait en 1911).
La couleur joue de contrastes forts que le trait et la composition accusent. Bien que la toile soit signée 1912, Donald Gordon, l’auteur du catalogue raisonné du peintre, la  date de 1913 et celui-ci la retouche en 1920. L’avancement de la datation est typique de Kirchner.

Biographie

Lorsque quatre étudiants en architecture − Ernst Ludwig Kirchner, Fritz Bleyl, Erich Heckel, Karl Schmidt Rottluff −, inspirés par le Jugendtstil, décident en 1905 de fonder le mouvement Die Brücke (le Pont) − ils seront rejoints plus tard par Max Pechstein, Otto Mueller et, pour quelques temps, par Emil Nolde −, la personnalité de Kirchner se démarque très vite.
Leur programme est rédigé en 1906. On peut y lire, gravé dans le bois par Kirchner − technique utilisée par le groupe − la revendication pour l’artiste de « la liberté dans ses œuvres et sa vie ». Il s’agit de créer un lien (un pont) entre les traditions allemandes et ce que la modernité laisse augurer. Les gravures de Dürer, la peinture de Matthias Grünwald ou l’architecture gothique sont des références qu’ils associent aux réalités et intérêts modernes : le primitivisme (le musée ethnographique de Dresde ouvre en 1912), l’art japonais, le dessin rapide et la touche libre, la réalité sociale des grandes villes dynamiques…

Kirchner peint tout d’abord des nus et les paysages de Moritzburg ou de l’île de Fehmarn qu’il découvre en 1908. Installé à Berlin en 1911, il se confronte à une réalité sociale dure, frontale, que restitue sa touche. Il rencontre cette année-là Erna Schilling, une danseuse de cabaret qui devient d’abord son modèle puis sa femme. À partir de 1913, Berlin − sa vie nocturne, son agitation, son architecture − est le sujet de la série de toiles de la grande ville (Groβstadt bilder). Mobilisé en 1914, l’homme en dépression nerveuse est vite réformé. Gavé de véronal, dépendant à la morphine et alcoolique, Kirchner est en enfer. Son rétablissement au Sanatorium de Königstein im Taunus, dans la Hesse, est profitable puisqu’il en décore les murs.

A partir de 1917-1918, il s’installe à Davos en Suisse où il réside dans un petit chalet alpin. Dans les années 20, il semble bénéficier d’une reconnaissance importante de la part du public et des institutions. Il réalise une commande murale pour le musée de Folkwang en 1927 et expose à la Biennale de Venise en 1928. Mais les nazis qui prennent le pouvoir en 1933 considèrent l’artiste « dégénéré » et, en 1937, retirent des musées, vendent ou brûlent plus de 600 de ses œuvres. Abattu, profondément dépressif, l’homme se suicide l’année suivante.

VASSILY KANDINSKY
1866, Moscou (Russie) - 1944, Neuilly-sur-Seine (France)Retour haut de page

Vassily Kandinsky, Landschaft mit turm (Paysage à la tour), 1908 Vassily Kandinsky, Landschaft mit turm (Paysage à la tour), 1908 
Huile sur carton, 74 x 98,5 cm

Cette petite huile sur carton fait partie des nombreux paysages que Kandinsky peint après son retour de Paris et son installation à Munich en 1908. La « Russenhaus », la propriété acquise par sa compagne Gabriele Münter aux environs de Murnau, lui permet de peindre sur le motif la campagne alentour. C’est une période fondamentale pour l’artiste qui évolue alors rapidement du post-impressionnisme à l’abstraction de 1910.

Paysage à la tour représente l’environnement d’un bâtiment industriel, la brasserie Pantl sur Lindenburg. Dans une esquisse à l’huile, à peine plus grande, conservée au Solomon R. Guggenheim Museum, il accuse plus nettement la saillie de la tour qui s’élance dans le ciel. La version visible dans les collections du Musée est un jeu de forts contrastes colorés brossés par touches larges et multidirectionnelles qui efface l’importance première de cette tour.
Celle-ci semble néanmoins prolonger vers le haut la composition dynamique en appuyant la diagonale qui parcourt le tableau. Un rouge rectiligne, qui fuse depuis le toit de la brasserie, induit une nouvelle ligne de force appuyée par le mouvement des touches. Pris en tenailles, la brasserie et ses bosquets de verdure s’écrasent entre l’outremer pesant du ciel et les jaunes d’or, les rouges des champs au premier plan (peut-être le rappel des champs de blé que Vincent van Gogh peint à Auvers-sur-Oise).

Une lumière improbable irradie sur les champs alors que le ciel semble nocturne. Un nuage massif pèse de son blanc pur sur la construction centrale tandis qu’en arc de cercle, trois autres, de plus en plus petits, soutiennent les touches en éventail. Le dernier, contre toute logique, semble même s’être égaré dans le vert ocré de la campagne lointaine. La couleur doit au fauvisme ses contrastes forts. Jaune, rouge et bleu sont les tonalités principales qui  se renforcent au contact du noir, du vert, de l’ocre ou du violet à proximité. La touche gagne en force et lyrisme comme les expressionnistes dans le même temps. Cette peinture sera exposée lors de la première exposition de la NKV dans la galerie Tannhäuser à Munich en 1909-1910.

Biographie

Vassily Kandinsky est un peintre né dans une famille aisée de la bourgeoisie moscovite. S’il étudie d’abord le droit et l’économie, il ne commencera ses études artistiques qu’à l’âge de 30 ans (en 1896). Il évoque pourtant dans son autobiographie combien les couleurs étaient importantes dans ce qu’il percevait du monde : « Les premières couleurs qui me firent grande impression sont le vert clair et vif, le blanc, le rouge carmin, le noir et le jaune ocre. Ces souvenirs remontent à ma troisième année, ces couleurs appartenaient à divers objets que je ne vois pas aussi clairement que les couleurs elles-mêmes ».
En 1889, il participe à un voyage ethnographique dans la région de la Vologda, au nord-est de Moscou. Les couleurs chatoyantes appliquées sur fond sombre lui font grande impression et lui donnent l‘impression de se « mouvoir comme dans un tableau ». Mais c’est lors d’une exposition Monet présentée à Moscou en 1895 qu’il réalise face à une des peintures, les Meules, l’extraordinaire potentiel de la couleur dans la peinture. Il décide l’année suivante de partir pour Munich où il se consacre à l’étude de l’art.

Il multiplie dès lors les voyages à travers l’Europe et les paysages qu’il peint évoluent au gré de ses découvertes. Il séjourne avec une jeune étudiante Gabriele Münter à Paris en 1906-1907. Il connait bien cette ville qu’il a déjà visitée auparavant. Il a pu y découvrir l’œuvre de Matisse, Gauguin, Cézanne ou Picasso mais l’accueil parisien n’est pas à la mesure de son enthousiasme et Kandinsky traverse une longue période de dépression.
Ce n’est qu’au retour à Munich en 1908, puis dans une propriété que Gabriele achète à Murnau que Kandinsky révèle l’autonomie de la peinture dans des paysages de plus en plus abstraits.

Considéré comme premier peintre abstrait pour une aquarelle peinte en 1910, fondateur des groupes NKV en 1909 puis Der Blaue Reiter en 1911, il est alors devenu une figure majeure de la modernité. En 1914, il se réfugie en Suisse avant de rejoindre Moscou où il restera jusqu’en 1921. Même s’il enseigne ou collabore à différentes structures artistiques il profite d’une invitation en 1922 de Walter Gropius pour s’installer, avec sa femme Nina, comme enseignant au Bauhaus à Weimar. Il y restera jusqu’à ce que les nazis ferment l’école en 1933. Déchu de la nationalité allemande acquise en 1927, il se réfugie en France à Neuilly-sur-Seine où il s’éteint en 1944. Devenu Français en 1939, il avait pu y poursuivre ses ultimes recherches en compagnie de Nina.

Texte de référence Retour haut de page

Henri Matisse, Écrits et propos sur l’Art, présenté par Dominique Fourcade, Hermann, Paris 1972

« La tendance dominante de la couleur doit être de servir le mieux possible l’expression. Je pose mes tons sans parti pris. Si au premier abord, et peut-être sans que j’en ai eu conscience, un ton m’a séduit ou arrêté, je m’apercevrai le plus souvent, une fois mon tableau fini, que j’ai respecté ce ton, alors que j’ai progressivement modifié et transformé tous les autres. Le coté expressif des couleurs s’impose à moi de façon purement instinctive. Pour rendre un paysage d’Automne, je n’essaierai pas de me rappeler quelles teintes conviennent à cette saison, je m’inspirerai seulement de la sensation qu’elle me procure : la pureté glacée du ciel, qui est un bleu aigre, exprimera la saison tout aussi bien que le nuancement des feuillages. Ma sensation elle-même peut varier : l’automne peut être doux et chaud comme un prolongement de l’été, ou au contraire frais avec un ciel froid et des arbres jaune citron qui donnent une impression de froid et déjà annoncent l’hiver.
Le choix de mes couleurs ne repose sur aucune théorie scientifique : il est basé sur l’observation, sur le sentiment, sur l’expérience de ma sensibilité. S’inspirant de certaines pages de Delacroix, un artiste comme Signac se préoccupe des complémentaires, et leur connaissance théorique le portera à employer, ici et là, tel ou tel ton. Pour moi, je cherche simplement à poser des couleurs qui rendent ma sensation. Il y a une proportion nécessaire des tons qui peut m’amener à modifier la forme d’une figure ou à transformer ma composition. Tant que je ne l’ai pas obtenue pour toutes les parties, je la cherche et je poursuis mon travail. Puis, il arrive un moment où toutes les parties ont trouvé leurs rapports définitifs, et dès lors, il me serait impossible de rien retoucher à mon tableau sans le refaire entièrement […]
Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l’homme d’affaires aussi bien que pour l’artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui le délasse de ses fatigues physiques. »

« Quand les moyens se sont tellement affinés, tellement amenuisés que leur pouvoir d’expression s’épuise, il faut revenir aux principes essentiels qui ont formé le langage humain. Ce sont, alors, les principes qui « remontent », qui reprennent vie, qui nous donnent la vie. Les tableaux qui sont des raffinements, des dégradations subtiles, des fondus sans énergie, appellent des beaux bleus, des beaux rouges, des beaux jaunes, des matières qui remuent le fond sensuel des hommes. C’est le point de départ du Fauvisme: le courage de retrouver la pureté des moyens. »
[Propos rapportés par Tériade, extraits de « Constance du Fauvisme », Minautore, volume II, n°9, 1936. In Écrits et propos sur l'Art.]

« J’ai un grand amour pour la couleur pure, claire, éclatante, et je suis toujours surpris de voir de belles couleurs salies et ternies sans nécessité.
Une grande conquête moderne est d’avoir trouvé le secret de l’expression par la couleur, à quoi s’est ajoutée, avec ce que l’on appelle le fauvisme et les mouvements qui sont venus à la suite, l’expression par le dessin; le contour, les lignes et leur direction. En somme, la tradition a été prolongée par de nouveaux moyens d’expression et enrichie dans cette direction aussi loin qu’il était possible. […]
Aujourd’hui, il me semble que nous vivons dans une période de fermentation qui promet de produire des œuvres importantes et durables. Mais, si je me trompe, seule la forme plastique a une véritable valeur, et j’ai toujours considéré qu’une grande part de la beauté d’un tableau provient du combat dans lequel l’artiste est engagé avec son moyen d’expression limité. »
[« Henri Matisse on modernism and tradition », The Studio, IX, n°50, mai 1935, retraduit de l’anglais. In Écrits et propos sur l’Art.]

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© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, février 2011
Texte : Olivier Font
Pour les œuvres de Derain, Dufy, Vlaminck, Braque, Kandinsky : Adagp, Paris 2011
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cyril Clément
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques Retour haut de page

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