Frank Gehry
Du 8 octobre 2014 au 26 janvier 2015, Galerie Sud

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Vue de l'exposition « Frank Gehry »


Vue de l’exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
Guggenheim Museum Bilbao, 1991-1997

Bilbao, Espagne
Maquette

L’exposition, une MONOGRAPHIERetour haut de page

Après une première présentation de ses projets européens en 1992, le Centre Pompidou consacre une rétrospective complète à l'architecte américano-canadien Frank Owen Gehry, acteur majeur de la scène architecturale contemporaine. L'événement s'inscrit dans une riche actualité française pour l'architecte, avec l'ouverture de la Fondation Louis Vuitton et le début de la construction de la Fondation Luma en Arles.

De sa maison de Santa Monica en Californie (1978) à la Fondation Louis Vuitton (2014), en passant par le Walt Disney Concert Hall (2003) ou encore le Musée Guggenheim de Bilbao (1997), cette exposition monographique, conçue par Frédéric Migayrou et Aurélien Lemonier, ses commissaires, en collaboration avec la Gehry Partners pour son dispositif scénographique, permet, pour la première fois en Europe, d'appréhender l'œuvre de Gehry dans sa globalité.

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vue de l’exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014

60 projets, présentés par le biais de 225 dessins et de 67 maquettes d'étude sont ainsi regroupés selon un parcours thématique articulé en six pôles : « Elémentarisation-segmentation, 1965-1980 », « Composition-assemblage, 1980-1990 », « Fusion-interaction, 1990-2000 », « Tension-conflit, 1990-2000 », « Continuité-flux, 2000-2010 », « Singularité-unité, 2010-2015 ». Auxquels s’ajoutent deux pôles complémentaires : « urbanisme », qui met en évidence l’ancrage du langage de l’architecte dans une réflexion urbanistique visant à la requalification de quartiers désindustrialisés, et « computation », qui met l'accent sur l'outil informatique et son impact sur sa méthode de projet. Enfin, le parcours est enrichi de nombreux diaporamas et vidéos dont le film Esquisses de Frank Gehry, que le cinéaste Sidney Pollack lui a consacré en 2005.

Ce dossier propose d’aborder la pratique architecturale de Frank Gehry en mettant en exergue ses principes constitutifs : élémentarisation, autonomisation et dispersion, composition et assemblage (réunifier les volumes), tout en insistant sur ce qui les sous-tend : un goût sans cesse renouvelé pour l’expérimentation et la création d’une architecture en mouvement.

Les débuts - formationRetour haut de page

Né en 1929 à Toronto au Canada, Frank Gehry émigre avec sa famille pour s'installer à Los Angeles en 1947. Il s'inscrit à l'Université de Californie du Sud dans la section Beaux-arts, puis bifurque vers l'architecture après une rencontre avec l'architecte moderniste Raphael Soriano. Il côtoie alors Gregory Ain, Garrett Eckbo ainsi que d'autres membres du cercle d'architectes constitué  autour du magazine Arts & Architecture de John Entenza.1 Attiré par la tradition du modernisme californien, inspiré du style international, il est particulièrement intéressé par le langage de Frank Lloyd Wright dont il retient le plan asymétrique et le souci des matériaux ; il est également sensible aux formes libres d'Alvar Aalto. Dès cette époque, l'étudiant imagine des projets en collaboration avec le département d'art.

Diplômé en 1954, il travaille durant un an et demi dans le cabinet de Victor Gruen, un architecte viennois émigré, que l'on considère comme l'inventeur des malls – nom donné aux centres commerciaux aux États-Unis. En 1956, Gehry intègre Harvard afin d’y suivre des études d'urbanisme. Josep Lluís Sert, Sigfried Giedion et Jacob Bakema, tous enseignants à cette époque, l'initient au travail de Le Corbusier et plus généralement au modernisme européen. Il suit également les conférences dispensées à l'université par des personnalités comme le physicien J. Robert Oppenheimer, l'anthropologue Margaret Mead ou l'économiste John Kenneth Galbraith. Mais c’est surtout l'enseignement de Joseph Hudnut, basé sur des déambulations dans la ville de Boston plutôt que sur des cours magistraux, qui constitue pour lui une expérience déterminante. L'exploration de « l'architecture américaine » in situ, avec ses rangées de maisons alignées et contiguës, ses bâtiments industriels le convainc de faire à son tour une architecture détachée de toutes influences européennes.

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vue de l’exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
Frank Gehry. Photographies des zones industrielles, v.1970

Il se souviendra de ces promenades dans Boston lorsque, au début des années 1970, il arpentera la Carpet City – dénomination appliquée à Los Angeles en raison de son étalement géographique –, documentant ses déambulations par de nombreuses photographies de citernes, silos, cimenteries, centrales électriques et autres constructions industrielles. « Ces photographies, écrit Frédéric Migayrou, procèdent de la prise de possession d’un territoire dans lequel Frank Gehry inscrit l’architecture. »2 De telles explorations le conduiront à s'intéresser aux vides entre les constructions, au caractère discontinu de la ville. Il en retiendra la notion d'interstices, d'entre-deux, qui deviendra opérante dans son architecture.3

En 1961, après un passage dans l'agence de Pereira & Luckman et un retour de trois ans et demi chez Gruen, Gehry s'installe avec sa famille à Paris où il travaille durant une année avec l'architecte André Remondet (successeur d'Auguste Perret à l'École des Beaux-arts) et l'urbaniste Robert Auzelle. De retour aux États-Unis, son regard sur le travail d'artistes comme Jasper Johns, James Rosenquist, Robert Rauschenberg ou John Chamberlain (qui avait commencé à utiliser de vieilles carrosseries automobiles pour ses sculptures), nourrit sa réflexion, ouvrant la voie à la reconfiguration de sa pratique architecturale. De leurs œuvres, il retient le principe d'assemblages de matériaux disparates et la liberté dans l'attitude, le geste et la forme produite.
C'est ainsi qu’à partir de l'observation de la ville mais aussi de son goût et de sa curiosité pour l'art contemporain que Frank Gehry va forger ses outils conceptuels, même si, de son propre aveu, il est au départ plutôt tourné vers les arts du passé.4
Lauréat du Pritzker Prize en 1989, F. Gehry expliquera dans son discours de réception que c'est par ses amis artistes que lui est venue l’idée de libérer son architecture des contraintes formelles liées aux matériaux et aux formes conventionnelles.5

Les rÉsidences - un lieu d'expÉrimentaTIONRetour haut de page

Frank Gehry ouvre son agence en 1962 avec, à son actif, une solide expérience professionnelle acquise au sein d'agences aussi bien américaines qu’européennes, dans lesquelles il a pu se confronter à des programmes de toute nature, de l'échelle domestique à l'aménagement urbain. Les maisons individuelles constituent pour lui un champ d'expérimentation qu’il mène en parallèle à ses projets réalisés pour des promoteurs immobiliers, des industriels ou des agences d’urbanisme6. C'est par leur biais qu'il interroge l'héritage du modernisme et du fonctionnalisme7, comme en témoigne le Danziger Studio / Residence (1964) construit sur Melrose Avenue à Hollywood. Lors de son irruption sur la scène  internationale avec la Gehry Residence (1978), il a ainsi déjà seize ans de pratique architecturale sous son nom.

Danziger Studio / Residence, 1964

Commande de Louis Dantziger et de son épouse Dorothée, le programme prévoyait un lieu de vie pour le graphiste et sa famille en plus d'un espace de travail. Reprenant le vocabulaire des bâtiments commerciaux du quartier, l'architecte crée deux simples cubes : le premier abrite l'atelier, le second l'habitation. Les deux volumes, décalés l'un par rapport à l'autre, délimitent un jardin intérieur sur lequel s'ouvrent, par de larges baies, les espaces privés. Les façades aveugles sur la rue, présentant de grands aplats, illustrent le credo minimaliste. Leur revêtement, un simple enduit asphalté identique à celui des autoroutes de la ville, accentue le caractère introverti de la construction.

Le choix de volumes géométriques simples se justifie par le fait qu'ils sont appréhendés immédiatement pour ce qu'ils sont. La « non couleur » et les matériaux de construction concourent, eux, à produire un objet dont l'apparence renvoie aux fondements de l'art minimal8 mais aussi à l'environnement architectural dans lequel s'inscrit l'édifice. « L’objet architectural […] est un organisme indépendant mais lié au milieu où il prend place selon la logique wrightienne d’une architecture née des tensions matérielles du contexte. »9

Si c'est bien dans l'environnement urbain de Los Angeles qu’il faut chercher les sources de Gehry, celles-ci sont également issues de la scène artistique de la ville. Des artistes comme Ron Davis ou Billy Al Bengston lui apprennent à trouver l'inspiration autour de lui dans les éléments les plus ordinaires qui composent son quotidien, à développer une appréciation des choses les plus prosaïques.

Davis Studio / Residence, 1968-1972

Ainsi, c'est tout naturellement que Gehry se voit confier par le peintre Ron Davis, la conception de son lieu de vie et de travail. Produit d'une collaboration étroite entre l'architecte et son client, la Davis Studio / Residence (1968-1972) à Malibu a été imaginée comme une anamorphose.10
Simple grange posée dans le paysage, à flanc de colline, ce projet « est l’occasion d’un fructueux dialogue, à l’issue duquel le bâti est un volume littéralement "picturalisé". »11 L'objet s'affirme comme la matérialisation de la convergence des recherches sur la perspective et l'illusion perceptive tant du commanditaire que du maître d'œuvre. Gehry part là encore de la forme élémentaire du cube qui devient un outil perceptif : de quel que point de vue que l'on se place pour regarder la maison, il y a « falsification de la perspective » par un jeu sur les lignes de fuite avec les obliques.

À l'intérieur, l'espace de 450 m2 est flexible et adaptable aux besoins de l'artiste et de sa famille. La façade sud est constituée d'un trapèze délibérément incliné ; l'oblique du toit, parallèle à la crête des montagnes, permet la vue sur le paysage au-delà de la maison. Un unique matériau, la tôle ondulée, constitue l'enveloppe du bâtiment. Selon Gehry, cette unicité donne toute sa force à l'architecture, cette réalisation ouvrant la voie à une recherche de formes d'expression plus libres comme le sera la Gehry Residence (1977-1978 et 1991-1994) à Santa Monica.

Gehry Residence, 1977-1978 et 1991-1994

C’est avec sa propre demeure, la Gehry Residence, que l’architecte va poursuivre sa réflexion, entamée dès les années 60, sur les données fondamentales propres à tout habitat – s'abriter, se reposer, se laver, manger.

En 1968, Gehry avait conçu, pour le peintre Billy Al Bengston, la scénographie d'une exposition au LACMA (Los Angeles County Museum of Art), en utilisant du contreplaqué brut et de la tôle ondulée pour les parois et en laissant les structures de bois apparentes. Ce sont ces mêmes matériaux qu'il va employer pour la restructuration et l'extension de sa maison en 1978. Originellement édifiée dans un style colonial hollandais, la résidence, située dans un quartier tranquille de petites villas à quelques encablures de l'océan Pacifique, va être radicalement transformée.

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vue de l’exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
Gehry Residence, 1977-1978 et 1991-1994
Santa Monica, États-Unis
Maquette

Agissant pour son propre compte, Gehry libère son architecture des contraintes formelles liées aux matériaux traditionnels et aux formes conventionnelles. De l'asphalte recouvre le sol de la cuisine, les parois intérieures sont dépouillées pour révéler le système structurel, de vastes plans en grillage et des volumes basculés en saillie viennent recomposer la façade. Toutes les ouvertures se situent au-dessus du niveau du regard, orientant les vues seulement sur les arbres entourant le site. L'ancienne maison, devenue un espace unique par la suppression des cloisonnements intérieurs, démontre que les matériaux les plus ordinaires et les plus économiques peuvent générer des espaces remarquables. Ces matériaux, issus de la tradition constructive américaine et habituellement considérés comme sans valeur esthétique particulière, sont ici utilisés comme des éléments expressifs.

Véritable manifeste, cette recomposition d'un objet architectural condense la portée critique de son travail vis-à-vis du modernisme mais aussi du post-modernisme12. Cela lui vaudra de figurer, dix ans plus tard, dans l’exposition organisée au MoMA à New York par l'architecte Philip Johnson, « Deconstructivist Architecture », qui consacre la déconstruction dans la discipline13. Emprunté au philosophe Jacques Derrida, le terme recouvre ici un dispositif analytique qui s'intéresse, plutôt qu'à la forme de l'objet produit, aux concepts ayant présidé à la matérialisation d'une architecture.

Autonomisation et dispersionRetour haut de page

DISPERSION

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vue de l’exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
À partir du premier plan : Indiana Avenue Houses, 1979-1981, Los Angeles, E.U.
House for a Filmmaker, 1979-1981, Santa Monica, E.U.
Sirmai-Peterson Residence, 1983-1988, Thousand Oaks, E.U.
Maquettes

Au caractère unitaire des premières réalisations vont succéder les principes d'autonomisation et de dispersion des volumes. Dans la Tract House (1982, non réalisée), l’Indiana Avenue Houses (1979-1981) – un programme d'ateliers d'artistes à Los Angeles –, ou encore dans la House for a Filmmaker (1979-1981) à Santa Monica, chaque fonction donne lieu à une construction autonome sans lien avec les autres. Le mouvement des corps, les déplacements d'un espace à l'autre deviennent également des composantes fondamentales de l'architecture.

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

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Galerie sud, octobre 2014
Winton Guest House, 1982-1987
Wayzata, Minnesota
Maquette

Empruntant à Philip Johnson le concept de « One room building »14, Frank Gehry s'attache à dissocier et à déconstruire les données programmatiques pour les recomposer, se livrant ainsi à une réinvention de la notion d’objet architectural. Le principe consiste à disposer les unités autonomes en explorant leurs interactions avec l'environnement, le paysage ou le tissu dans lequel elles s'inscrivent. La Sirmai Peterson Residence (1983-1988) et la Schnabel Residence (1986-1989) illustrent ce travail de composition d'éléments autonomes et hétérogènes : les volumes distincts sont rassemblés autour d'un vide central. Gehry transpose ainsi la discontinuité du tissu urbain à l'échelle domestique. Ce thème de la maison pensée comme un village voit son aboutissement avec la Winton Guest House, (1982-1987) à Wayzata, Minnesota, une maison d'invités construite à côté d'une résidence imaginée par Philip Johnson. Le fractionnement des éléments du programme qui présentent des formes et des revêtements très différents instaure une perception séquentielle de la maison, l'espace « interstitiel », entre les volumes, ayant autant d'importance que les volumes construits.

RÉASSEMBLAGE

Après avoir dispersé les fonctions, Gehry réfléchit à la manière de les réassembler. Plusieurs projets de cette période témoignent de cette « redéfinition de l’assemblage des différentes parties » et de l'invention d'une « architecture de l’interrelation ».15 L'avion en position d’envol fixé sur la façade du California Aerospace Museum and Theater (1982-1984) ou les jumelles de l’agence de publicité Chiat\Day (1985- 1991) à Santa Monica, en constituent les emblèmes.

Chiat\Day Building, 1985-1991

Mené en collaboration avec le couple d’artistes Claes Oldenburg et Coosje Van Bruggen, le Chiat\Day Building, siège social d’une agence de publicité, est situé sur la Main Street à Venice, implanté sur un terrain en L, à quatre blocs de l'océan. En raison de la configuration du site, de la réglementation urbaine qui limite la hauteur des bâtiments et de la surface demandée par le client, le bâtiment s'inscrit en limite de terrain sur toutes ses faces. Les bureaux sont répartis dans deux ailes, deux éléments distincts. Chacun bénéficie d'un traitement particulier : le volume habillé de blanc renvoie à l'imagerie maritime avec sa façade courbe permettant de dispenser de l'ombre. L'autre volume, revêtu de cuivre, s’apparente à un couronnement de branches tendues vers le ciel, métaphore d'une forêt et support d'un toit trapézoïdal.

La sculpture Binoculars, des jumelles16 surdimensionnées, installe une rupture d'échelle. Ici, l'objet assume un double rôle : de liaison, puisque les jumelles articulent les deux corps de bâtiments, et fonctionnel, l'entrée se faisant à travers elles et leur volume contenant des salles de réunion et de conférence. Chaque cylindre reçoit la lumière du jour par un skylight. Selon un procédé métonymique, la sculpture devenue architecture est ici chargée d'exprimer la fonction du bâtiment. Refusant de puiser dans le registre de formes issues de l'Antiquité, chapiteaux, colonnes, pilastres, attiques, Gehry se préserve de toute tentation post-moderne en empruntant son motif à l'art contemporain.

ESPACE VIDE

Edgemar Development, 1984-1988

Tout autant que les pleins, l'espace vide est chez Gehry une composante essentielle du projet. Pour le Edgemar Development (1984-1988), implanté sur le site d’une ancienne laiterie située sur Main Street à cinq cents mètres du Chiat Day Building, « il cherche à construire avec (le) tissu des modes de relations spécifiques ».17 L'architecte compose avec divers bâtiments industriels, dont un entrepôt en fond de parcelle, qui deviendra un musée, le Santa Monica Museum of Art. Le programme comprend également des espaces commerciaux et des bureaux ainsi qu’un parking. Pour se rattacher à la petite échelle du bâti environnant, Gehry aligne sur la rue cinq constructions autonomes, créant un front urbain discontinu. Par un travail de juxtaposition et d'écartèlement des volumes, l’architecte multiplie la variété de points de vue vers et depuis le cœur d'ilot.

Réunifier les volumesRetour haut de page

Aux thèmes de la dispersion et du collage succède, dans les années 1990, une recherche sur les connexions et les interactions entre les différents éléments de l'architecture. Après la Gehry Residence (1977-1978), la Lewis Residence (1985-1995) est le second moment fondateur de l'évolution du langage de Gehry ainsi que de sa pratique.

Lewis Residence, 1985-1995 (non réalisée)

Cette commande du collectionneur d’art Peter Lewis, développée sur une décennie, ponctuée de périodes d'abandon et qui ne sera finalement pas construite, constitue un véritable laboratoire. Mené parallèlement à d'autres commandes ou concours gagnés, ce projet enrichit ces derniers des pistes explorées par l'architecte. La maison témoigne des différentes approches qui coexistent durant cette décennie : la dispersion des éléments puis leur fusion et leur interaction grâce aux intervalles qui deviennent des éléments architecturaux, la mise en tension des volumes les uns par rapport aux autres puis la continuité induite par les voiles concaves et convexes qui introduisent la notion de fluidité dans la construction et abolissent toute distinction entre mur et toiture.

Prévue pour être construite au sommet d'une colline à Lyndhurst dans la banlieue de Cleveland, l'habitation combine des espaces privés, dédiés à la vie familiale, et des espaces de loisirs. Le programme prévoyait une maison principale avec des pièces de réception, une suite parentale, trois chambres d'enfants, un hall, une bibliothèque, une salle de sport et une piscine intérieure ; deux maisons d'invités et un garage pour six véhicules complétaient la commande.

La maison se présente comme une composition complexe d'éléments courbes qui devaient être construits dans une variété de matériaux, parmi lesquels la pierre, le métal et le verre. D'abord envisagée comme une accumulation d'objets renvoyant aux projets résidentiels des années 80, puis comme une variation de volumes de verre décalés qui s’interpénètrent – traduction spatiale de l’œuvre du peintre italien Giorgio Morandi –, la résidence va associer des fonctions jusque-là dissociées ; celles-ci vont s'interpénétrer dans un mouvement fluide et les volumes se recouvrir de voiles dont la forme (la modénature) renvoie au baroque. Pour fixer leur mouvement sur les volumes de la maquette, Gehry va utiliser un procédé artisanal : des bandes de tissu trempées dans de la cire chaude. Il peut ainsi modeler la forme des courbes souhaitées. Le Vitra Design Museum (1987-1989) à Weil-am-Rhein, livré en 1989, bénéficie directement de ces expérimentations formelles et plastiques.

Vitra Design Museum, 1987-1989

Situé en dehors de la ville, dans le sud de l'Allemagne près de la frontière suisse, ce musée, conçu pour présenter la collection de meubles Vitra, est la première réalisation en Europe de l'architecte.
Les volumes compacts et leur enveloppe immaculée inscrivent en partie cette construction dans la tradition moderne : l'unité formelle qui découle de son aspect est en rupture avec le caractère composite des productions californiennes. Le bâtiment inaugure une nouvelle cohésion au sein de laquelle les blocs sont imbriqués les uns dans les autres. À l'intérieur, les galeries sont traitées comme des volumes interconnectés s'interpénétrant spatialement, de manière à ce que les œuvres exposées puissent être vues d'un espace à l'autre. Chacune a un caractère singulier, lié au volume, au traitement de la lumière, à sa surface et à son échelle et, bien que visuellement reliée aux autres, peut être utilisée séparément. À l'extérieur, l'édifice rompt avec la stricte orthogonalité du modernisme. « La distorsion des volumes de stuc blanc, l'escalier qui s'enroule comme un escargot, le skydôme, le toit de l'entrée comme les boîtes obliques créent un collage qui renverse le paradigme la forme suit la fonction « inside out » sans le nier. »18

Malgré la complexité apparente du bâtiment avec ses obliques et ses excroissances, une symbiose formelle apparaît : l'explosion de formes est unifiée par la réduction du nombre de matériaux utilisés à l'extérieur : du stuc pour la maçonnerie, des feuilles de zinc pour la toiture. Avec son enveloppe compacte et immaculée, cette réalisation marque une transition importante dans le travail de Gehry qui s’éloigne des formes angulaires et géométriques pour aller vers une architecture toute en courbes et en fluidité. Enfin, l'édifice entretient un dialogue avec la sculpture Balancing Tools, issue de la nouvelle collaboration des artistes Claes Oldenburg et Coosje Van Bruggen avec l'architecte.
Le Vitra Design Museum explore la mise en tension et la fusion des volumes, le langage de Gehry se complexifiant au fil des réalisations.

Computation - Construire la complexitéRetour haut de page

Au début des années 1990, la modélisation numérique provoque un saut considérable dans l'expressivité des formes construites par F. Gehry. « La technologie […] est […] l'amplificateur qui lui [permet] de développer sa vision à l'échelle et au niveau du bâti ».19
L'informatique va en effet prendre une place grandissante dans sa méthode de projet. Gehry Partners se dote d'un laboratoire spécialisé, dirigé par James Glymph20, qui œuvre à une approche pionnière de la technologie 3D appliquée à l'architecture. Pour ce faire, le duo Gehry-Glymph adapte CATIA, un logiciel de Dassault Systèmes initialement conçu pour modéliser des avions, au bâtiment. C'est sur cet outil que reposera la faisabilité des géométries hors normes conçues par Gehry, CATIA offrant une rationalisation et une systématisation de sa méthode de conception – ses fameuses maquettes constituées de papier froissé, d'assemblages de carton et de toutes sortes de matériaux. Le logiciel traduit numériquement l'approche tout à fait traditionnelle et empirique de l'architecte, basée sur l'étude de volumes sans cesse remodelés et redéfinis.21

La première application de CATIA se concrétise avec le Poisson22 (1992), réalisé à Barcelone à l'occasion des Jeux Olympiques. Installée devant une tour abritant un hôtel, sur la promenade en bord de mer, la forme organique tend ici à l'abstraction, Gehry ayant coupé la tête et la queue de l'animal. La sculpture est constituée d'un tissage métallique porté par une structure en acier. L'enveloppe, succession de plans concaves et convexes, est entièrement calculée par informatique.
Le motif du poisson comme objet sculptural est loin d'être anecdotique puisqu'il aura un impact direct dans la morphogénèse des constructions ultérieures de l’architecte : de ses écailles découleront les enveloppes ondoyantes constituées de plaques d'acier du Walt Disney Concert Hall (2003), du Frederick R. Weisman Art and Teaching Museum (2011) ou de titane du Musée Guggenheim de Bilbao (1997).

Penser l'urbanitéRetour haut de page

Chez Frank Gehry, l'architecture n'existe qu'en lien avec une pensée à l'échelle de la ville. Œuvrant dès l'origine autant en architecte qu'en urbaniste, il met au premier rang de ses préoccupations la réalisation de bâtiments qui donnent vie aux quartiers dans lesquels ils s'inscrivent. C'est le cas, et ce dans des configurations à chaque fois spécifiques, du Musée Guggenheim à Bilbao du Walt Disney Concert Hall à Los Angeles, du Frederick R. Weisman Art and Teaching Museum à Minneapolis ou encore du Nationale-Nederlanden Building à Prague.

Guggenheim Museum Bilbao, 1991-1997

Le Musée Guggenheim (1991-1997) de Bilbao en Espagne est emblématique de la capacité de l’architecture à réactiver le tissu économique non seulement d'une ville mais de tout un territoire. Dans le cadre du concours23 organisé par les autorités basques, le premier geste de Gehry consiste à choisir lui-même le site du projet. Au terrain en centre-ville initialement proposé, il substitue une friche au bord du fleuve Nervión, traversée par un pont autoroutier, dans le secteur le plus déshérité de la cité : le port. Cette remise en cause du site initial « est peut-être la meilleure démonstration d’un processus global que Frank Gehry cherche à initier et à concrétiser par son architecture. »24

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vue de l’exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
Guggenheim Museum Bilbao, 1991-1997
Bilbao, Espagne
Maquette

Édifié dans la courbe du fleuve, le bâtiment joue avec toutes les contraintes du site. Le pont de la Save, lien entre la ville ancienne et ses quartiers périphériques, est intégré dans la composition architecturale tandis que le concepteur tire parti de la déclivité de la parcelle pour installer l'accès côté boulevard, en contrebas, sur une place publique, encourageant ainsi les déplacements piétons entre le Musée Guggenheim et le Musée des beaux-arts, situé à quelques centaines de mètres dans le parc Casilda Iturrizar, et entre la vieille ville et les rives du fleuve.

Au-delà de sa dimension urbaine, le musée condense la volonté de Gehry de libérer son architecture des contraintes liées aux matériaux et aux formes conventionnelles. Les formes complexes, qu'il étudie depuis des années pour des projets comme le Disney Concert Hall à Los Angeles (dont la conception commence quatre ans auparavant), se matérialisent ici dans une symphonie de volumes entrelacés. Conçu comme un assemblage de blocs connectés à un vaste atrium, le Guggenheim offre pour la présentation des œuvres d'art un large éventail de volumes parallélépipédiques ou curvilignes dont l'impressionnante galerie principale, longue de 130 mètres sur 30 de large sans le moindre poteau.

À l'extérieur, la caractéristique la plus spectaculaire est le revêtement de titane (écho au passé sidérurgique de la ville basque) dont chaque plaque a été modélisée. Ces grandes voiles reposent sur un socle en pierre calcaire – matériau des bâtiments historiques du front de fleuve –, écho à la texture de la ville. À l'idée de synthèse qui préside habituellement à la conception d'un objet architectural, Bilbao répond par une unité des contraires.

Walt Disney Concert Hall, 1989-2003

Autre contexte géographique mais motivation identique, le Walt Disney Concert Hall (1989-2003), à Los Angeles, représente pour les autorités un « outil » permettant la revitalisation d'un secteur de la ville. Le WDCH est un édifice majeur de Gehry dans « sa » ville. La salle de concert est née de la donation au comté de Los Angeles par Lillian Disney, veuve de Walt, de 80 millions de dollars en faveur des arts. Le comté choisit alors d'offrir à l'orchestre philharmonique de L. A. une salle de concert. Outre cette fonction, le Disney Concert Hall, situé en plein downtown, a aussi pour mission de s'inscrire dans une stratégie de reconquête urbaine d'un quartier laissé en déshérence malgré ses nombreux immeubles de style Art-Déco.

La réponse de Gehry part d'une connaissance fine du contexte. Édifié sur un îlot urbain entier de 15 000 m2, l'équipement a hérité d'un terrain bénéficiant d'une légère déclivité dont l'architecte tire parti pour installer une composition en gradins. L'implantation du bâtiment en diagonale introduit une rupture avec le strict quadrillage de la trame urbaine favorisant ainsi la création d'une vaste place. Une relation forte au panorama urbain s’établit grâce à de nombreuses échappées visuelles. La place permet l'accès à la salle, placée en cœur d'îlot. Les autres fonctions – foyer, salles de répétition, loges, bureaux, cafétéria etc. – sont réparties en périphérie.

Une carapace d'acier brossé vient envelopper les volumes, semblables à des lames tout en courbes et contre-courbes qui s'élancent vers le ciel. Détachés du sol, ils semblent flotter au-dessus des parois de verre du rez-de-chaussée. Un socle revêtu de pierres au calepinage rectangulaire – dont la hauteur croît avec la pente –, abri de l'administration et d'un théâtre semi enterré, assoit l'ensemble sur une ligne horizontale. Loin de constituer un obstacle de par sa masse, le Disney Concert Hall instaure un dialogue avec le bâti environnant : sa hauteur a été définie en regard du gabarit du Dorothy Chandler Pavilion qui lui fait face, et qui accueillait jusque-là l’orchestre philarmonique. Centre du projet, la salle de concert a pour référence la Philharmonie réalisée par Hans Scharoun à Berlin : le même dispositif de balcons étagés s’y retrouve, qui permet de loger 2 265 sièges autour de l'orchestre. Une grande attention a été portée à l'acoustique signée Yasuhisa Toyota et Minoru Nagata.

Pour cette réalisation complexe, les évolutions technologiques ont permis à l'agence de contrôler toute la chaîne du projet, de la conception jusqu'au processus de fabrication : chaque pièce de charpente, chaque plaque de la couverture est modélisée par ordinateur. Le chantier devient ainsi un lieu d'assemblage des composants du bâtiment.

Frederick R. Weisman Art and Teaching Museum, 1990-1993, 2000-2011

Pour le Frederick R. Weisman Art and Teaching Museum, dédié à la collection d'art de l'Université du Minnesota à Minneapolis, c'est, à l'instar de Bilbao, l'accroche du musée à son environnement qui a guidé son implantation et son dessin. L'intégration d'une passerelle piétonne comme élément central de la composition architecturale renforce le rôle de l'institution culturelle comme part indissociable du campus.
Le site du musée donne d'un côté sur le Mississipi et, de l’autre, sur le panorama urbain [skyline] de la ville. Le programme – salles d'exposition, réserves, bureaux pour l'administration, parkings – est réparti sur quatre niveaux en relation avec les deux accès au site. Deux matériaux se combinent, la brique, écho aux autres bâtiments du campus, et l'acier, référence voulue par l’architecte aux sculptures d'Ellsworth Kelly. Côté ouest, surplombant le fleuve et la ligne des toits de la ville, la façade a été composée de telle manière que les plis et les replis de l'enveloppe orientent les vues depuis tous les espaces sur le Mississipi.

Nationale-Nederlanden Building, 1992–1996

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vue de l'exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
À droite : Nationale-Nederlanden Building, 1992-1996, Prague, République Tchèque
À gauche : Turtle Creek Development, 1986 (non réalisé), Dallas, E.U.
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À Prague, en République tchèque, avec le Nationale-Nederlanden Building (1992-1996), immeuble pour les bureaux de la compagnie néerlandaise ING, ce sont aux strates de l’histoire que Frank Gehry se confronte. L'immeuble vient réparer les stigmates liés aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Construit sur une parcelle d'angle vacante, à l'intersection de la place Jirásek et du quai Rašín bordant la Vltava, le projet assure une articulation entre la ville et la rivière. Divisé en deux corps de bâtiments, l'édifice se décompose en une tour de verre, soutenue par des piliers incurvés, qui se rétrécit à mi-hauteur et un second corps de bâtiment qui s’étend le long du quai restaurant le front bâti côté rivière. Les façades sont caractérisées par des fenêtres désalignées et des moulures dont le mouvement ondulant se règle sur les lignes horizontales de l'immeuble voisin. Loin d'être gratuite, l'inflexion de la tour permet aux immeubles à l'arrière-plan, sur la place, d'avoir une vue sur le fleuve.

Comme l'affirme Frédéric Migayrou, « Frank Gehry aura poussé le travail de l’esquisse jusqu’à l’extrême, pour fondre le geste de l’inscription en inventant une nouvelle singularité pour l’objet architectural. ». En témoignent également les projets spectaculaires comme le Ray and Maria Stata Center (1998-2004) sur le campus du MIT (Massachusetts Institute of Technology), concaténation d'éléments qui se bousculent, le Marta Herford Museum (1998-2005) en Allemagne et son enchevêtrement de boîtes disloquées, l'Experience Music Project (1995-2000) à Seattle qui, constitué à partir des fragments d'une guitare éclatée, intègre les flux de la ville, l'Hôtel at Marqués de Riscal (1999-2006) en Espagne dont les rubans d'acier semblent s'écouler de la toiture, ou encore la DZ Bank à Berlin (1995-2001) « meilleure chose qu'il ait faite » selon l'architecte au moment où il livre le bâtiment.25

DZ Bank Building, 1995-2001

Vue de l'exposition « Frank Gehry »Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vues de l'exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
Tête de cheval - DZ Bank Building, 1995-2001
Berlin, Allemagne
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Edifié sur la Pariser Platz, près de la porte de Brandebourg à Berlin, ce programme qui associe des bureaux pour le siège de la banque d’affaires et des logements haut de gamme, se présente comme un sobre parallélépipède à l'extérieur. À l'intérieur, il condense en un paysage inattendu le vocabulaire de la fluidité exprimé dans les projets précédents.
Une verrière ondoyante irrigue l'atrium d'une lumière généreuse révélant, au cœur de cet espace, une tête de cheval, abri d'une salle de conférences. Dérivant des modélisations numériques du poisson, ce motif naturaliste avec ses plis et ses replis évoque les draperies du sculpteur Claus Sluter.26

Cleveland Clinic Lou Ruvo Center for Brain Health, 2005-2010

Cette esthétique est poussée à l'extrême avec la Cleveland Clinic Lou Ruvo Center for Brain Health (2005-2010) à Las Vegas, un complexe médical de 6 000 m2, aboutissement d'une recherche où il s'agissait d'organiser ordre et chaos, tension et fusion, assemblage et fluidité. Construite dans un quartier en rénovation du centre ville, le quartier du Symphony Park, la clinique destinée à soigner les maladies neuro-dégénératives se divise en deux ailes articulées par une cour à ciel ouvert. L'enveloppe autoporteuse en acier inoxydable se déploie dans un flux ininterrompu en de multiples circonvolutions à l'image de celles du cerveau. « La compénétration des volumes et leur fluidité produit une architecture hors de toute convention : organique, vivante, portée par les flux complexes de la cité. »27

Une architecture en mouvementRetour haut de page

« Disposant d'un langage architectural patiemment forgé », Frank Gehry invente encore et toujours de nouveaux principes d'écriture. Et s’il cherche à créer une impression de mouvement avec ses édifices, c’est pour les inscrire encore davantage dans le milieu urbain. « Créer un édifice qui donne une impression de mouvement [lui] plait parce qu'il s'inscrit dans le mouvement plus vaste de la ville... ».28

Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vue de l’exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
8 Spruce Street, 2003-2011
Manhattan, New York
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L’ÜSTRA Office Building (1995-2001), à Hanovre en Allemagne, ouvre la voie à une série de constructions pour lesquelles le mouvement est impulsé à l’aide d’un simple geste, ici une torsion exercée au sommet de cet immeuble de bureaux, dont l'alignement régulier des baies en façade traduit la répétitivité de l'« organisation standardisée »29.
L’IAC Building (2003-2007) à New York, siège social de l’entreprise InterActivCorp conçu quelques années plus tard, reprend ce principe de torsion auquel s'ajoute le plissement des façades. Pour cet immeuble édifié sur les berges de l'Hudson River à Manhattan, Gehry convoque la métaphore des voiles de bateaux. Le retrait de la partie haute lui permet d’aménager une terrasse intermédiaire et de créer des puits de lumière pour éclairer les bureaux. Les façades légèrement courbes et habillées de panneaux de verre intégrant des particules de céramique blanche jouent sur le contraste entre parties opaques et parties transparentes.

Pour la Beekman Tower, au 8 Spruce Street (Beekman Tower) à New York (2003-2011), c'est l'enveloppe qui est chargée de transcender le caractère somme toute banal d'un programme de 900 logements, fussent-ils de luxe. La tour de 76 niveaux et haute de 300 mètres superpose des blocs, décomposés en paliers successifs. Son profil s'affine afin de respecter les règles de prospect et de vues. Ses façades ondoient, semblant simuler les plis d'une jupe de taffetas. Au-delà de sa hauteur, ce sont bien ses façades qui constituent sa véritable spécificité et l’imposent dans le paysage urbain : les courbures des bandes d’aluminium anodisé qui composent le mur-rideau accrochent la lumière et l’animent de reflets argentés. Ce travail de modulation de l’enveloppe singularise, par des ondulations variées, chacun des appartements qui composent la tour.

Fondation Louis Vuitton, 2005-2014

Vue de l'exposition « Frank Gehry » Vue de l'exposition « Frank Gehry »

Vues de l'exposition « Frank Gehry »
Galerie sud, octobre 2014
Fondation Louis Vuitton, 2005-2014
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Destinée à abriter la collection d'art contemporain du groupe LVMH, la Fondation Louis Vuitton, construite en lisière du Jardin d'Acclimatation dans le Bois de Boulogne à Paris, est une synthèse du langage développé par Frank Gehry tout au long de son parcours. Vaisseau ouvert sur la nature, elle se veut en dialogue avec la mémoire du lieu, un Palais d'hiver de métal et de verre édifié au 19e siècle dans l'enceinte du Jardin d'acclimatation et aujourd'hui disparu, mais aussi plus largement avec Paris et ses monuments emblématiques, tels la Tour Eiffel ou le Grand Palais.
Un assemblage de blocs, qui abritent dix galeries et un auditorium, s'interpénètrent, articulés autour du hall. Baptisés icebergs, les volumes sont enveloppés de douze voiles de verre permettant de capter le mouvement du ciel, le passage des nuages et les miroitements de l'eau du bassin. Ces voiles, chargées de donner vie au bâtiment, sont constituées de 3 500 panneaux courbes dont chaque pièce a été réalisée à façon. La perception variera selon les saisons, au gré des heures et de la lumière. Au niveau des jardins-terrasses, se déploie une promenade offrant des vues séquentielles sur la capitale.

L'agenceRetour haut de page

Frank Owen Gehry crée son agence à Los Angeles en 1962 avec Greg Walsh. En 2001, Gehry Partners LLP rassemble Frank Gehry, Brian Aamoth, John Bowers, Anand Devarajan, Jennifer Ehrman, Berta Gehry, Meaghan Lloyd, David Nam, Tensho Takemori, Laurence Tighe et Craig Webb.

Site Internet de l'agence
www.foga.com

Frank Gehry en quelques datesRetour haut de page

1929
Naissance le 28 février à Toronto, Canada.
1949-1954 Études d'architecture à l'University of Southern California.
1956 Études d'urbanisme à la Faculté de Design de l'Université d'Harvard, Massachusetts.
1962 Frank Gehry ouvre son agence à Santa Monica, près de Los Angeles, Californie.
1969 Il commence à travailler sur la série de meubles en carton Easy Edges qu'il développera jusqu'en 1973.
1978 Il réalise l'extension-restructuration de sa maison, la Gehry Residence.
1989 Le Prix Pritzker d'Architecture lui est décerné par la Hyatt Foundation.
Livre le Vitra Design Museum à Weil-am-Rhein.
1992 Il est lauréat du Praemium Imperiale décerné par la Japan Art Association.
Inauguration de la sculpture d'acier inoxydable en forme de poisson, située au Port olympique de Barcelone.
1996 L’immeuble de la Nationale-Nederlanden Building à Prague est inauguré (1992–96).
1997 Puis celui du Musée Guggenheim à Bilbao (1991–97).
2000 Frank Gehry reçoit la Médaille d'Or du Royal Institute of British Architect.
Livraison du bâtiment Experience Music Project à Seattle (1995-2000).
2003 Le Walt Disney Concert Hall est inauguré à Los Angeles (1989-2003).
2005 Sortie de Sketches of Frank Gehry, réalisé par Sidney Pollack.
2010 Le Lion d'or de la Biennale d'architecture de Venise lui est attribué.
2011 Livraison de la Beekman Tower au 8 Spruce Street à Manhattan, New York (2003-2011).
Octobre 2014 Inauguration de la Fondation Louis Vuitton à Paris (2005-2014).

Repères bibliographiquesRetour haut de page

Catalogue de l'exposition

Catalogue de l’exposition
© Centre Pompidou

Catalogues


Ouvrages

Revues

Crédits

© Centre Pompidou, Direction des publics, novembre 2014
Texte : Mylène Glikou
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cédric Achard / RDSC
Coordination : Stéphanie Chaillou
Responsable éditoriale des dossiers pédagogiques : Marie-José Rodriguez Retour haut de page

Références

_1 Frédéric Migayrou, « L’organon de Frank Gehry », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014,  page 17.

_2 Aurélien Lemonier, « La promesse des villes », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014, page 42.

_3 «Lorsque j'ai finalement débuté en architecture, j'aimais aller me promener et prendre des photos de bâtiments industriels, c'était une recherche et je regardais toujours attentivement l'environnement. Je n'aimais pas tellement ce que je voyais, hormis les œuvres de Frank Lloyd Wright ou de Schindler, bien sûr, mais l'environnement général n'était pas très sophistiqué. C'était chaotique, sans règle et je ne sais pas pourquoi j'ai commencé à observer les espaces entre les constructions», dit l’architecte dans l’entretien réalisé avec Frédéric Migayrou et Aurélien Lemonier, pour la vidéo présentée dans l’exposition.

_4 Très tôt, Frank Gehry noue des liens d'amitié avec des artistes de la scène californienne tels qu’Ed Ruscha, Richard Serra, Claes Oldenburg, Larry Bell, Ron Davis... qui l'invitent dans leurs ateliers. « J'étais plus à l'aise avec leur manière de penser. Ils avaient une vision moins radicale, davantage en accord avec ma conception de l'architecture, libre, ouverte sur le monde », appuie l'architecte dans l’entretien réalisé avec Frédéric Migayrou et Aurélien Lemonnier pour la vidéo présentée dans l’exposition.

_5 Discours de réception du Pritzker Prize : « Mes amis artistes comme Jasper Johns. Bob Rauschenberg, Ed Kienholz et Claes Oldenburg travaillaient avec des matériaux très bon marché – des morceaux de bois et de papier – et n'en créaient pas moins de la beauté. Il ne s'agissait pas de détails superficiels, mais d'utilisations directes, ce qui me fit me poser la question de la nature et de la beauté. Je décidai de me servir des techniques existantes, de travailler avec les artisans et de faire vertu de leurs limites. La peinture possède un caractère immédiat dont je rêvais pour l'architecture. J'explorais la mise en œuvre de nouveaux matériaux de construction pour tenter de donner un esprit et un sentiment aux formes. En cherchant l'essence de ma propre expression, j'imaginais être un artiste devant sa toile blanche libre de décider quel serait mon prochain mouvement». (F.G.)

_6 On peut mentionner les opérations de logements telles que Bixby Green Company ou Hollydot Park, des études de rénovation urbaine comme celle de Kalamazoo, des centres commerciaux comme Santa Monica Place, ou de vastes sites industriels comme celui pour la Compagnie Herman Miller dans le désert du Nouveau Mexique.

_7 Né au début du XXe siècle, le fonctionnalisme part du postulat suivant : « La forme suit la fonction », énoncé par Louis Sullivan, architecte américain à l'origine de l'École de Chicago. La forme de l'architecture, des volumes bâtis, doit découler exclusivement de leur usage, de l'adaptation à leur fonction.

_8 Le principe de l'art minimal est de réduire au minimum les moyens picturaux. Les matériaux, utilisés pour leur qualité intrinsèque - brillance ou matité, transparence ou opacité, rigidité … - sont souvent empruntés à l'univers technique : plexiglas, acier, aluminium, néon. Les artistes veulent écarter toute notion de subjectivité ou d'affect dans l'œuvre en limitant au maximum l'intervention de la main.

_9 Frédéric Migayrou, « L’organon de Frank Gehry », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014, page 20.

_10 Une anamorphose est une déformation d’un objet ou d’une image par un procédé optique ou géométrique.

_11 Frédéric Migayrou, octobre 2014, présentation de l’exposition.

_12 Courant dominant dans les années 1970 et 1980, le post-modernisme en architecture considère, en réaction au mouvement moderne, qu'il faut en revenir aux configurations des villes anciennes et puiser dans l'histoire, l'antiquité grecque et romaine les formes de l'architecture.

_13 La Gehry Residence et la Familian House y seront présentées aux côtés de travaux de Peter Eisenman, Daniel Libeskind, Rem Koolhaas, Coop Himmelb[l]au, Zaha Hadid et Bernard Tschumi.

_14 Frédéric Migayrou, Lemonier Aurélien, « Entretien avec Frank Gehry », in Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014, page 58.

_15 Frédéric Migayrou,  « L’organon de Frank Gehry », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014.

_16 Cette sculpture d’Oldenburg, Binoculars, est issue d'une performance, « Il Corso del Coltello », réalisée à Venise en 1985, à laquelle Frank Gehry avait participé.

_17 Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014, page 108.

_18 Alain Guiheux, « Projets européens », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 1992, page 20.

_19 Andrew Witt, “Form Building”, Frank Gehry, page 169.

_20 Cette entité, d'abord intégrée à l'agence, deviendra en 2002 Gehry Technologies.

_21 En traduisant n'importe quel point d'une surface en équation, le logiciel devient un outil d'aide à la conception puisque capable de modéliser le moindre panneau ou la moindre poutre nécessaires à la définition d'une construction.

_22 Le thème du poisson est récurrent chez l'architecte qui l'a décliné en sculpture à Kobé (1986-1987) au Japon, en lampe (1983-1986), etc.

_23 Trois équipes ont été consultées : Frank Gehry, Arata Isozaki et Coop Himmelb[l]au.

_24 Aurélien Lemonier, « La promesse des villes », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014.

_25 Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014,page 182.

_26 Frédéric Migayrou, Aurélien Lemonier, « Entretien avec Frank Gehry », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014, page 60.

_27 Frédéric Migayrou, « L’organon de Frank Gehry », Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014.

_28 Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014.

_29 Frank Gehry, éditions Centre Pompidou, 2014, page 202.

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