Henri Cartier-Bresson
Du 12 février au 9 juin 2014 − Galerie 2, niveau 6
George Hoyningen-Huene1, Henri Cartier-Bresson, New York, 1935
The Museum of Modern Art, Thomas Walther
Collection, Purchase, New York
« Je suis visuel […] J’observe, j’observe, j’observe. C’est par les yeux que je comprends. »
Henri Cartier-Bresson
Life. 15 mars 1963
la photographie : « le dessin en accéléré »
Depuis 1932, Henri Cartier-Bresson photographie avec un Leica. C’est un appareil 24x36, portatif, léger, à pellicule et optique Zeiss. La visée se fait à l’œilleton : l’appareil devient extension de l’œil. Tout au fil de sa carrière, ce type d’appareil (devenu mythique grâce à lui) ne le quittera jamais… même à la fin de sa vie quand il ne fera plus de photographies. Il le tiendra en poche, sous un mouchoir, avec ses poètes préférés : Nerval, Rimbaud et d’Aubigné. Le format de ses images (inhérent à ce type d’appareil) est rectangulaire, ce qui renforce, plus que le format carré, la dynamique de ses sujets. Quant à ses tirages (sur papier presque mat), il les aime dans toutes les nuances de gris. Ses photographies sont essentiellement en noir et blanc.
« J’adore photographier, mais j’ai mes moments de détente. Henri jamais », dit le photographe Marc Riboud à son sujet, « […] il vivait son Leica à la main, de l’aube à la nuit, en chasse perpétuelle. » « En somme, tu ne travailles pas, dit aussi Riboud à Cartier-Bresson, tu prends un dur plaisir. »
Il n’a de cesse en effet de saisir en une seule image l’essentiel d’une scène qui surgit. Il vit ainsi d’une manière intense l’histoire en marche, « vivre à propos » aurait dit Montaigne, et, de ce fait, ses images sont un extraordinaire témoignage sur le 20e siècle.
Cependant pour Henri Cartier-Bresson, « plaque sensible » aux événements du monde, le sujet le plus important c’est « l’homme, l’homme et sa vie si courte, si frêle, si menacée ». Exprimer la permanence de la condition humaine s’avère pour lui essentiel. « Tu comprends, la photographie ce n’est rien, il n’y a que la vie qui m’intéresse, la vie, tu comprends ? »2, dira-t-il à Vera Feyder. Témoigner de la vie, c’est ce qui déclenche son choix pour ce médium, après s’être essayé au dessin et à la peinture, la photographie devenant pour lui le « dessin en accéléré ».
Dix ans après sa disparition en 2004, maintenant que les milliers de tirages qu'il a laissés ont été réunis et classés par la fondation qui porte son nom, cette exposition propose, à travers plus de 500 photographies, dessins, peintures, films et documents, regroupant ses plus grandes icônes mais aussi des images moins connues, de voir son œuvre d’un regard neuf. Elle montre toute la richesse de son parcours de photographe, du surréalisme à la guerre froide en passant par la guerre d’Espagne, la Seconde Guerre mondiale ou la décolonisation. « Il n’y a pas eu un seul, mais bien plusieurs Cartier-Bresson », dit Clément Chéroux, commissaire de l’exposition, « le parti pris patrimonial d’exposer des tirages d’époque, pour la plupart des prises de vue, venant appuyer cette diversité ». Outre le Cartier-Bresson photographe, l’exposition propose de découvrir qu’il a aussi été peintre et fait du cinéma. Ce dossier en suit la présentation chronologique et thématique pour évoquer une vie qui a couvert tout un siècle.
Signes ascendants
Né en 1908 à Chanteloup-en-Brie, fils aîné d’une riche famille industrielle (Fil et Coton Cartier-Bresson), il est vite en révolte contre le pouvoir de l’argent et les valeurs bourgeoises. Il fuit ce monde et voyage dans l’art, se passionne pour Giotto, Uccello, Piero della Francesca, etc.
Selon le nombre d’or
Avec les films muets, il a appris à voir, à déjà cadrer le monde. En entrant, en 1926, comme élève dans l’atelier d’André Lhote, peintre cubiste et néanmoins classique, il apprend à communiquer pensées et émotions par une organisation plastique rigoureuse. Dans cet atelier, on entend composer selon le « nombre d’or » et la géométrie.3 Il dira, plus tard « la reconnaissance dans la vie réelle d’un rythme de surfaces, lignes et valeurs est pour moi l’essence de la photographie ». S’il a le compas dans l’œil, le sens de l’harmonie, c’est là qu’il l’a appris.
Pour contrebalancer cette rigueur, il se rapproche, à cette même époque grâce à René Crevel, des surréalistes, réalise des collages proches de ceux de Max Ernst. Il arpente les rues. Les objets des vitrines lui « font signe », il les photographie à la manière d’Eugène Atget4, que lui ont fait connaître ses amis américains Caresse et Harry Crosby.
Puis, soucieux d’aventure et, comme toute une génération d’artistes en quête de primitivité, il part en 1930-31 à la découverte de l’Afrique, à commencer par la Côte-d’Ivoire. Quête que Michel Leiris exprime ainsi dans L’Afrique fantôme (1934) : « J’entendais rompre avec les habitudes intellectuelles qui avaient été les miennes jusqu’alors et au contact d’hommes d’autre culture que moi et d’autre race, abattre les cloisons entre lesquelles j’étouffais et élargir jusqu’à une mesure vraiment humaine mon horizon ».
Tout en appliquant les innovations formelles de la Nouvelle Vision photographique (angles inédits, cadrages en gros plan, goût pour une dynamique de l’image)5, ses photographies montrent l’attention qu’il porte à la vie quotidienne des Africains et surtout aux corps en mouvement. C’est d’ailleurs en voyant la photographie de Martin Munkaksi6 prise en 1929, montrant les silhouettes de jeunes Africains se jetant dans les vagues, dans une naturelle chorégraphie de gestes, qu’il fait le choix du médium photographique.
Mais avant d’être chasseur d’images, de pratiquer ce qu’il appellera le « tir photographique », il chasse, pour gagner sa vie, dit-il, le gros gibier la nuit à la lampe à acétylène. De par son tempérament (scout, on l’appelait « anguille frétillante »), il se rend compte qu’il n’aura peut-être pas la patience de s’installer pour la vie derrière un chevalet.
Le flâneur baudelairien
En 1932, il achète un Leica. Et part en flâneur baudelairien avec André Pieyre de Mandiargues, à travers l’Espagne puis l’Italie, glaner des images admirablement construites qu’il dit faites « à la sauvette » ! Mandiargues : « J’ai vu naître « Henri Cartier-Bresson » par une sorte d’activité spontanée, une espèce de jeu d’abord qui s’était imposée à ce jeune peintre comme à d’autres gens s’impose la poésie. Ce qui est extra, c’est que nous avons découvert, ensemble ou pas, ce qui allait devenir essentiel : la peinture cubiste, l’art nègre, le surréalisme, Rimbaud, Lautréamont, James Joyce, la poésie de Blake, la philo de Hegel, Marx et le communisme… ».
Au fil des années 1930, de la crise économique et de l’appauvrissement de la société, Henri Cartier-Bresson va réaliser des images qui traduisent son engagement politique et son humanisme. C’est sous ces différents signes que commence l’œuvre du photographe.
« La vie n’est invisible qu’aux yeux fatigués. »
William Blake
L’apport surréaliste
L’instant décisif
Sensible à l’esthétique de la rencontre et à la poétique de la surprise chères à Louis Aragon et André Breton, Henri Cartier-Bresson se ballade, au hasard des rues et du « merveilleux quotidien ». Surplombant la gare Saint-Lazare, dans la fumée montante des locomotives, il se retrouve place de l’Europe en ces lieux qui inspirèrent les impressionnistes. Il y a là des travaux derrière une palissade. C’est tentant : il y glisse un œil.
Derrière la gare Saint-Lazare, Paris, France, 1932
Épreuve gélatino-argentique, tirage réalisé en 1953
49,8 x 35,1 cm
Bibliothèque nationale de France, Paris
La photographie fige les êtres et les choses, suspend le temps ; par la composition, on peut néanmoins tout redynamiser. Henri Cartier-Bresson va jouer de ce mariage des contraires pour créer, selon la formule d’André Breton, une explosante-fixe.
La photographie s’étant faite à l’instant décisif, se crée là comme un suspense. « L’instant décisif » est un mot-clé de la légende d’Henri Cartier-Bresson qu’il emprunte au Cardinal de Retz. « Il n’y a rien en ce monde, dit celui-ci, qui n’ait un moment décisif. » Chez Henri Cartier-Bresson, c’est rarement le moment où s’accomplit l’événement : c’est plutôt l’instant qui précède et qui contient en germe l’événement lui-même, qui donne aux « regardeurs » que nous sommes la possibilité parfois amusée d’anticiper. Il va se passer quelque chose : le photographe en a eu l’intuition.
L’instant décisif n’est cependant pas seulement lié à l’événement. C’est plus profond. Il correspond, selon Henri Cartier-Bresson, à la « reconnaissance simultanée, dans une fraction de seconde, d’une part de la signification d’un fait, et de l’autre d’une organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment ce fait », d’où le génie de cette photographie où tout s’harmonise.
Jour de soleil voilé par les fumées, depuis une échelle posée à plat, un homme en chapeau enjambe le miroir d’une flaque. Le talon pointu de sa chaussure est sur le point de rencontrer son propre reflet. Au vu du vacillement encore de l’échelle, on peut s’attendre à des ronds dans l’eau, répondant à ces arceaux de barriques abandonnés au devant. À l’aplomb de la pendule de la gare, il y a deux affiches d’une enjambée dansée et stylisée. À côté, sur la palissade, tout autant dédoublé, le nom de Railowsky, musicien (du rail ?), orchestre (qui sait ?) cet instant sacralisé où tout se répond en harmonie… La la la ! est-il écrit en bout de grille !
« Les coïncidences sont les seules choses
qui nous permettent d’imaginer
qu’il existe peut-être un ordre dans le chaos de l’univers. »
Alberto Savinio
Isoler un fait de son contexte
De ses amis surréalistes, Henri Cartier-Bresson retient, parmi les motifs emblématiques de leur imaginaire, un intérêt pour les objets et les visages empaquetés, les corps déformés ou coupés, les dormeurs ou rêveurs aux yeux clos, ainsi que le goût du jeu, de la déambulation, de la rencontre fortuite. Une autre stratégie surréaliste est de conduire au dépaysement en isolant un fait de son contexte. À Valence en Espagne, en 1933, il photographie devant un mur lépreux un enfant en blouse qui semble s’évanouir, les yeux presque révulsés (Valence, Espagne, 1933). Est-il aveugle ? Le sujet d’une hallucination ? D’une apparition ? Non, il vient de faire une tête avec un ballon (qu’on ne voit plus, bien sûr). Le cadrage, seul, crée le mystère, suffit à transcender un petit rien de la vie.
Henri Cartier-Bresson a-t-il anticipé l’effet à la prise de vue, ou plus tard, au regard de l’image ? Y aurait-il eu recadrage ? Toute sa vie il se défendra de cette possibilité, ce qui participe aussi de sa légende : l’image est la résultante d’un moment unique, presque d’osmose, voire d’illumination, où se retrouvent « sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur » (expression, forme et lumière). C’est cette entièreté qu’il entend nous offrir.
Recadrer l’image briserait ce qui fait de la prise de vue photographique une « performance ». Pour preuves du non-recadrage, Henri Cartier-Bresson entend conserver le bord noir des photogrammes.
En ligne de mire
Livourne, Toscane, Italie, 1933
Épreuve gélatino-argentique, tirage réalisé dans les années 1980
36 x 24,3 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne
Avec André Pieyre de Mandiargues7 et Léonor Fini8, Henri Cartier-Bresson sillonne l’Italie. « Je ne quittais jamais mon appareil, toujours à mon poignet. Mon regard balayait la vie, perpétuellement. C’était là où je me sentais très proche de Proust lorsqu’à la fin de la « Recherche » il dit : la vie, la vraie vie enfin retrouvée c’est la littérature, pour moi c’était la photographie ! »9
Celle faite sur la place de Livourne semble mettre en ligne de mire plusieurs éléments, comme un montage qui se serait fait à la prise de vue. En dehors de l’acuité nécessaire, il faut, de toute évidence, souplesse et rapidité pour mettre les éléments perçus dans le même axe (alors qu’isolément ils s’avèrent sans grand intérêt).
Truman Capote10, des années plus tard, évoque cette souplesse d’Henri Cartier-Bresson : « Je me souviens, dit-il, de ce jour où j’ai pu l’observer en plein travail dans une rue de la Nouvelle-Orléans dansant tout le long du trottoir comme une libellule inquiète ».11
Sur cette photographie, un homme lit son journal. Un grand rideau noué (sans doute pour éviter qu’il claque au vent) semble s’être entortillé autour de sa tête, faisant de lui − comme aurait pu dire Gainsbourg − « l’homme à la tête de nœud »12. Avant même que l’homme ne réagisse, Henri Cartier-Bresson a-t-il saisi cet incroyable événement, participant de la poétique de la surprise ou de la magique-circonstancielle, autre nom donné au hasard par Breton ? Ou a-t-il, à la prise de vue, aligné l’homme et le rideau noué, jusqu’à les superposer dans l’image, donnant ainsi l’illusion d’une tête tout à coup entortillée ? − pratique courante chez les surréalistes, comme Magritte ou Man Ray.
L’engagement militant
« Dans l’ombre de la Maison brune »
Cette expression de René Crevel évoque les conditions particulières de l’époque − crise, montée du fascisme, …− qui amènent Henri Cartier-Bresson à s’engager. La seconde moitié des années 1930 est, pour lui, une époque d’engagement politique auprès des communistes, dont il partage les positions : anticolonialisme, engagement antifasciste − en premier lieu contre les milices d’extrême-droite en France et, en Espagne, en faveur des Républicains −, puis, plus tard, engagement dans la résistance. Après-guerre, devenu grand reporter, ce voyageur aura tendance à gommer cette période du Front Populaire, pour éviter des interdictions de visa, notamment aux États-Unis où règne le maccarthysme.
Sa culture politique s’est faite auprès des surréalistes et d’André Breton pour qui la révolution peut, seule, « changer la vie ». Pendant les années 1934-1935, comme lui il part au Mexique où, semble-t-il, l’idéal révolutionnaire s’est accompli. Puis il va aux États-Unis. À New York, par le biais de cinéastes militants regroupés en coopérative, la Nykino, fascinés par l’esthétique de la Révolution soviétique, il s’enthousiasme pour la « Renaissance de Harlem ».13
Le pouvoir révolutionnaire de la photographie
De retour à Paris, en 1936, il commence à travailler pour la presse communiste. Moins en surréaliste qu’en militant, dans la rue, là où le « peuple » s’incarne. Il photographie les gens et, en cette période de crise, les miséreux, les indigents, les enfants qui, à cette époque, jouent encore sur les trottoirs.
Sous le titre « Le mystère de l’enfant perdu », le journal Ce Soir, dirigé par Louis Aragon, publie chaque jour, entre le 2 mars et le 1er avril 1937, une photographie réalisée par Cartier-Bresson, mettant en scène un enfant, comme si celui-ci était réellement perdu, promesse de récompense étant faite aux parents qui le reconnaîtraient. Derrière ce concours de l’enfant perdu, sans doute s’agit-il de stimuler la diffusion du journal mais aussi de donner à voir une métaphore salvatrice du communisme. Ce travail de Cartier-Bresson est montré, ici, pour la première fois grâce aux publications conservées du journal, le photographe ayant détruit les négatifs, à l’exception d’une seule image : 20e arrondissement, Paris, France, 1937.
Il n’empêche : Henri Cartier-Bresson comprend là le pouvoir révolutionnaire de la photographie. Ces images évoquent les reportages réalisés à travers les États-Unis par Walker Evans, Dorothea Lange ou d’autres, pour témoigner de la misère au moment de la grande dépression, à la demande de l’organisme américain, le FSA.14
Le cinéma : s’adresser à une plus large audience
En 1934, au cours de son voyage au Mexique, le cinéma commence à l’intéresser plus que la photographie. Il s’adresse à une plus large audience que l’image photographique et permet, par sa composante narrative et ses personnages, de mieux faire passer un message. En 1935, alors qu’il est aux États-Unis, il réalise son premier court métrage avec les documentaristes de la Nykino.
En 1936, au retour de New York, il rencontre Jean Renoir, fils du peintre Auguste Renoir et cinéaste, à qui il présente ses meilleures images (en gros, celles qui, vingt ans plus tard, seront regroupées dans son livre Images à la sauvette). Jean Renoir prépare La vie est à nous, film militant produit par le Parti communiste. Il l’engage comme second assistant. Henri Cartier-Bresson poursuit l’expérience avec Une partie de campagne, puis La Règle du jeu, le chef-d’œuvre de Renoir. Grâce à celui-ci il comprend, cependant, qu’il n’est pas apte à raconter des histoires, que son imaginaire fait défaut et que son talent s’exprime bien mieux dans l’observation de la réalité. « J’ai toujours regardé les choses comme un entomologiste » déclare-t-il.15
D’un point de vue cinématographique, ce sont donc quelques reportages, des documentaires, qu’il réalise sur la guerre d’Espagne, les ruines du village d’Oradour-sur-Glane, la Libération de Paris et le retour des prisonniers d’Allemagne – parallèlement à des reportages photographiques, sauf en Espagne, ce qu’il regrettera vivement. La photographie reste son medium privilégié.
Des images emblématiques : les congés payés
Premiers congés payés, bords de Seine, France, 1936
Épreuve gélatino-argentique, tirage réalisé en 1946
23,1 x 34,6 cm
Collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
En 1936, une coalition des partis de gauche arrive au pouvoir, c’est le Front Populaire. Sous la présidence du conseil de Léon Blum, de nombreuses réformes sociales voient le jour : augmentation des salaires, semaine de 40 heures, congés payés. Les bords de Seine et de Marne deviennent des « eldorados ». Avec cette photographie, Henri Cartier-Bresson crée une image emblématique, tout en évoquant Une partie de campagne, film-hommage de Jean Renoir à son père et à l’impressionnisme.
On est en pleine nature. « Mais moi, s’écrie-t-il, je m’occupe presque uniquement de l’homme. Je vais au plus pressé. Les paysages ont l’éternité. »16
L’image est en plongée (vue d’en-dessus / contre-plongée : vue d’en-dessous), réalisée à l’insu des uns et des autres. Nous voilà un peu voyeurs à la faveur d’un rideau d’arbres entrouvert. On est dans un temps mis entre parenthèses, le temps des congés payés. Au premier plan, un couple dans l’intimité est allongé à l’ombre d’un saule assez touffu pour cacher la Seine, ce qui donne d’autant plus de présence aux baigneuses en plein soleil, au second plan (volontairement décentré). À la manière de Jean Renoir, il joue de la profondeur de champ pour théâtraliser l’image en créant des oppositions.
C’est plus flagrant encore dans Dimanche sur les bords de Seine de 1938, où, dans le dos de ses proches, un homme se verse un petit coup de rouge… tandis qu’un léger esquif contrebalance, dans l’image, l’embonpoint des uns et des autres.
Contrebalancement qui se remarque aussi dans la photo réalisée à Trafalgar Square, lors du couronnement de George VI (Couronnement de George VI, Trafalgar Square, Londres, Angleterre, 12 mai 1937). Au bas de gradins sur lesquels s’érigent des spectateurs attentifs, s’affiche un homme allongé au sol dans un fatras de journaux,… plus qu’endormi. Envoyé spécial à Londres pour couvrir l’événement, Henri Cartier-Bresson donne ainsi plus de poids au peuple qu’à la cérémonie proprement dite. Il ne la photographie quasiment pas. Privilégiant le contre-champ, le point de vue s’avère éminemment politique.
Le choix du photoreportage
La création de l’agence Magnum
Après la fin de la Seconde Guerre, en 1947 précisément, il apprend qu’une exposition de ses photographies, de la période surréaliste notamment, va se tenir au MoMA presque à titre posthume : on ne sait pas, à New York, ce qu’il est devenu. Il y va et c’est une manière de tourner la page.17
Au sortir de l’exposition, son ami Capa (déjà photoreporter célèbre, notamment pour ses reportages sur la guerre civile espagnole) lui donne un conseil : « Attention aux étiquettes. C’est sécurisant. Mais on va t’en coller une dont tu ne te remettras pas : celle de petit photographe surréaliste. Tu vas être perdu. Tu vas devenir précieux et maniéré. Prends plutôt l’étiquette de photojournaliste et garde le reste dans ton petit cœur ».18
Ce sera le déclic pour la création de l’agence Magnum avec Robert Capa, ainsi que David Seymour (dit Chim), George Rodger, William Vandivert. C’est une agence coopérative au projet plus éthique que commercial. « On évitera de mitrailler, en photographiant vite et machinalement, de se surcharger ainsi d’esquisses inutiles qui encombrent la mémoire et nuiront ainsi à l’ensemble » (HCB).
Lors d’un événement, les effets collatéraux deviennent plus importants que l’événement lui-même. D’ailleurs, l’événement est partout. Même quand, semble-t-il, il ne se passe rien. Revenir à l’essentiel implique des immersions dans un pays, un territoire pour ressentir les choses de l’intérieur. « Un photographe ne devrait jamais courir » mais « Respecter l’ambiance qui décrit le milieu ». « Ne jamais utiliser le flash : c’est tirer au pistolet au milieu d’un concert » (HCB). Que l’image reproduite en presse respecte le cadrage de prise de vue : il craint le détournement des images. Avec précision, il en écrit les légendes selon le principe des cinq W : « Where ? When ? Why ? Who ? What ? »
Photographier la foule …
Foule attendant devant une banque pour acheter de l’or pendant les derniers jours du Kuomintang. Shanghai, Chine, décembre 1948
Épreuve gélatino-argentique, tirage réalisé dans les années 1960
19,9 x 29,8 cm
Collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
Henri Cartier-Bresson est sensible aux charmes, aux mentalités, aux philosophies orientales : il s’est marié avec Eli, danseuse indonésienne (avec elle et Robert Delpire, il réalisera un joli livre, Les danses à Bali, en 1954). À « Magnum », les uns et les autres se sont partagé le monde en secteurs d’activités respectives. L’Inde et sa décolonisation, la Chine et sa révolution échoient à Henri Cartier-Bresson.
En Inde, le 30 janvier 1948, il obtient une audience auprès de Gandhi quelques heures avant sa mort. Il photographie les différentes phases de ses funérailles, depuis la crémation jusqu’à la dispersion des cendres, ses photos sont publiées dans Life. Il gagne la réputation d’être là où il faut quand il le faut. La même année, le voilà en Chine pour assister aux derniers soubresauts du Kuomintang avant que Mao Zedong et les communistes prennent le pouvoir. Il lui est impossible de rencontrer les communistes « en marche » malgré l’intervention de Louis Aragon.
La Chine subit une importante dévaluation de sa monnaie. Le gouvernement nationaliste finance la guerre avec la planche à billets. La monnaie s’effondre, ce qui provoque une « ruée vers l’or ». À Pékin, Henri Cartier-Bresson photographie la population. « La foule était si nombreuse, dit-il, que la police elle-même était immobilisée. Je suis descendu pour me frayer un chemin. Les gens autour de moi fouillaient dans mes poches. »19 Il risque de se faire voler son Leica. Il sait cependant évoluer dans la foule (qu’il aime photographier), aussi arrive-t-il à saisir cette panique.
Attendant l’ouverture d’une banque, des Pékinois font la queue : tout le monde veut échanger son argent contre de l’or. La pression est si forte que, serrés les uns contre les autres, ils ondulent comme un dragon chinois pris dans une sorte de folie à la « Madness » !20 Il est intransigeant. Magnum stipule : « Le texte et les légendes du travail d’Henri Cartier-Bresson sur la Chine doivent être respectés à la lettre ».
Après avoir fait le premier numéro de Paris Match, cette photo fait le tour du monde. Henri Cartier-Bresson devient grand « grand reporter ». Il sait ce qu’il convient de faire et, de ce fait, à la mort de Staline en 1953, il obtient un visa pour l’U.R.S.S. Il est le premier photojournaliste occidental à l’obtenir. Sans aucune allégeance au système, il photographie les Moscovites dans le quotidien, en humaniste pourrait-on dire. Son reportage fait la Une de Life.
… et les effets de la société de consommation
Après cela, pourquoi pas Cuba ? Après le débarquement de la « Baie des Cochons » en 1961, suivi de l’embargo voulu par les Américains, et la « crise des missiles », l’année suivante – un avion de reconnaissance U.S. avait repéré la construction de rampes de lancement d’ogives nucléaires soviétiques, on est à deux doigts d’une guerre entre les deux blocs –, Henri Cartier-Bresson se rend à Cuba, en 1963.
Camagüey, Cuba, 1963
Epreuve gélatino-argentique, tirage d’époque
35,4 x 24,7 cm
Collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
Camagüey est une ville située au centre de l’île de Cuba. « J’ai vécu dans des pays dont je ne connais pas la langue, donc il faut regarder beaucoup. » Sans être vu, il photographie les uns et les autres souvent de dos, surtout les femmes aux robes moulantes mettant en valeur leurs silhouettes, leurs déhanchements répondant aux rythmes afro-cubains.
Au-delà de ses reportages, de ses missions, Henri Cartier-Bresson nourrit certains thèmes depuis longtemps. Dans sa période surréaliste, il photographiait des vitrines désuètes à la manière d’Atget. Dans les années 60, à Paris, à New York, à Tokyo, il photographie les effets de la société de consommation : les regards de convoitise devant l’achalandé des vitrines.
La jeune femme ici, peut-être une étudiante, se penche sur une vitrine. Une vitrine à la fois de magasin et de propagande célébrant la révolution. On y devine, au coin d’une carte de l’île, le portrait de Fidel Castro. Derrière un mannequin, le drapeau cubain est déployé. Un jeune homme regarde la vitrine adjacente. Y aurait-il entre les deux un jeu ? Comme en URSS, Henri Cartier-Bresson observe ici la vie : des garçons rencontrent des filles… et, à travers d’autres photos, les portraits de plus en plus géants des dirigeants… sans porter de jugement, sans critique politique ou plaidoyer. Il s’agit à la fois d’amener à comprendre et d’abolir les frontières en montrant les gens dans leur quotidien.
Pour un bon reportage, il a besoin d’une immersion dans le pays. En URSS comme à Cuba il considère n’être pas resté suffisamment longtemps ! Et de ce fait il n’est pas satisfait du portrait qu’il fait du Che21.
Vive la France, 1968-1970
Dernier de ses grands reportages, celui qu’il réalise en France, sillonnant tout l‘hexagone à la fin des années 1960. Cartier-Bresson réalise des milliers d’images sur ses compatriotes. Vive la France est publié par le Reader’s Digest en 1970 avec un texte de François Nourissier. Mais en 1968, c’est à Paris qu’il faut être. Les murs ont la parole : Henri Cartier-Bresson est à l’écoute et à pied d’œuvre.
Rue de Vaugirard, Paris, France, mai 1968
Épreuve gelatino-argentique, tirage réalisé en 1984
23,9 x 36 cm
Collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
Non sans humour, il croque son époque. On dirait un dessin à la Bellus22. Un homme d’apparence conventionnelle et bourgeoise s’est arrêté perplexe, devant une porte cochère où fleurit un slogan pas tout à fait politique mais troublant : « Jouissez sans entrave ». Dans d’autres rues, on pouvait lire : « Sous les pavés, la plage », etc. « Sous les tableaux, d’autres tableaux », disait Picasso…
Dans les gravures du XVIIIe siècle, souvent, au premier plan, un personnage conduit le regard. La grande affiche dépliée derrière l’homme au chapeau ouvre le « champ », dévoile le sous-jacent, comme si elle tournait une page de l’Histoire. Elle devient symbolique de l’avant et après 68.
Portraits de commande
« Faire un portrait est pour moi la chose la plus difficile
C’est un point d’interrogation posé sur quelqu’un. »
Henri Cartier-Bresson
La même année, ce « grand révélateur », selon André Pieyre de Mandiargues, photographie Marcel Duchamp, peu de temps avant sa mort, jouant aux échecs avec Man Ray. Une nouvelle fois, il est « The right man at the right moment ». Les magazines internationaux (The Queen notamment, magazine britannique) lui commandent des portraits. Il rencontre une partie de ceux qui font le monde, des arts et des lettres le plus souvent.
Aux États-Unis, il photographie William Faulkner, Arthur Miller, Marilyn Monroe, Robert Kennedy… Et ici, à peine leur porte ouverte, Irène et Frédéric Joliot-Curie. « Que je ne vous y reprenne plus… », lui dit André Breton par trop surpris. À Nice il accompagne le dessin d’une colombe par Henri Matisse. À Paris, il surprend, songeur, Jean-Paul Sartre dans le flou du Pont des Arts, ou Jean Genêt au café. Et rue d’Alesia, un homme qui marche, Alberto Giacometti. Il ne flatte en rien ses modèles.
Alberto Giacometti, rue d’Alésia, Paris, France, 1961
Épreuve gélatino- argentique, tirage réalisé en 1962
29,4 x 19,8 cm
Collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
« Je ne peins pas l’être, je peins le passage. »
Montaigne
Henri Cartier-Bresson partage une profonde amitié avec Giacometti et un même goût pour Paolo Uccello, Piero della Francesca, Van Eyck, Cézanne… C’est tout naturellement qu’il révèle, dans cette photographie, les aspirations du sculpteur plutôt que son expression, l’unité du corps et de l’âme qu’il recherche dans ses œuvres.
L’atelier de Giacometti donne rue d’Alesia. Il vient de le quitter. Il pleut. Pour se protéger il a remonté sa gabardine par-dessus la tête, comme il l’a sans doute fait d’un linge humide sur l’œuvre qu’il est en train de sculpter.
Il traverse la rue dans les pointillés du passage protégé, plus ou moins à l’abri de la circulation, comme le font les enfants en sortant de l’école. La vie ne tient qu’à un fil, aussi frêle que l’arbre flou au premier plan dans l’image. En cette photographie, tout est dit d’Alberto Giacometti.
Anthropologie visuelle
Parallèlement à ses reportages, Henri Cartier-Bresson photographie certains sujets de manière récurrente, quel que soit le pays où il se rend. Ainsi, s’intéresse-t-il, comme nous l’avons vu, à la représentation du pouvoir, aux phénomènes de foule, à la société de consommation… Ces séries d’images qui ont valeur d’enquêtes, s’apparentent à une anthropologie visuelle, en tant que forme de connaissance de l’humain. Parmi ces thèmes il en est un, fondamental pour le 20e siècle, et qu’IBM le charge d’approfondir, le rapport de l’homme à la machine.
Le rapport de l’homme et de la machine
Fin des années 60, Henri Cartier-Bresson qui a évolué avec son temps, tout comme son équipement, accepte de faire du reportage pour des entreprises, Mercédès ou IBM − ce qu’on appelle du « corporate ». Il hésite moins à utiliser le flash, il travaille avec une gamme d’objectifs et non plus un seul, il peut avoir recours à la couleur même s’il considère « qu’il est pratiquement impossible de faire de bonnes couleurs ». « La photographie en couleurs, ajoute-t-il, n’est pour moi qu’un moyen de documentation et ne peut être un moyen d’expression artistique. » Il fait quelques concessions, le métier primant sur l’œuvre.
Accélérateur linéaire, Université Stanford, États-Unis, 1967
Épreuve gélatino-argentique, tirage réalisé dans les années 1970
24,7 x 16,6 cm
Collection Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris
Devant cet homme absorbé par sa machine comme par son travail, on pourrait évoquer le Chaplin des Temps modernes. Il en a les bottines que dévoile un blue-jeans qui remonte. On voudrait venir à son secours car il semble pris dans les tentacules d’une pieuvre. Par cette rencontre incongrue, l’image s’avère surréaliste… Elle est pratiquement de science-fiction : un accélérateur linéaire ou accélérateur de particules, en 1967, ce n’est pas banal.
Toutefois, à travers cette série, Henri Cartier-Bresson veut moins montrer l’aliénation de l’individu que l’hybridation nécessaire entre l’homme et la machine : il doit faire corps avec elle. La modernité fascine encore ce photographe humaniste qui, dans cette série, focalise souvent sur des regards de techniciens ou d’ingénieurs qui entendent contrôler leur machine, révélant des tensions que tempère son humour, un peu à la Jacques Tati.
Après la Photographie
La renommée d’Henri-Cartier Bresson est internationale. Cependant, peu à peu, l’écart s’est creusé entre l’idée qu’il se fait de la photographie et ce que la presse lui impose. En 1970, il renonce au reportage. À sa création, Magnum fonctionnait comme « une utopie kolkhozienne ». Les choses ont évolué. La nouvelle génération de photographes de l’agence n’hésite pas à répondre aux commandes publicitaires. « Pour élever le débat », dit-il, il leur envoie en photocopie des écrits de Giacometti aspirant à la vérité et à la beauté absolue.
Du « tir photographique » à « la réceptivité » du motif
Pour Henri Cartier-Bresson, la réussite est inséparable d’une élévation spirituelle et morale. Ses nombreux séjours en Asie l’ont amené au « calme intérieur » et ce, dans l’acte même de photographier. Sans renoncer au « tir photographique », sa mentalité n’est plus tout à fait celle du chasseur. Il fait souvent référence au livre que lui a offert Georges Braque, Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc d’Eugène Herrigel, une initiation à la méditation qu’il applique à la photographie pour plus de réceptivité23. « L’élève, le disciple, est-il écrit, n’apprendra aucune technique, butera sans secours sur des contradictions qui lui sembleront insolubles – comment en même temps retenir la flèche et lâcher la corde ? – puis un jour saura, sans mots pour cela, toucher la cible qui est en lui, les yeux fermés, qui est la voie de la délivrance. » En tant que photographe, il est moins dans la prise, la capture que dans la réception.
Le retour au dessin
Dès lors, il photographie des paysages, des amis, les siens. À la fin de sa vie, il dira que l’appareil photo n’est plus nécessaire : un clignement d’yeux et l’image est prise. Fin 1972, il se remet au dessin. « La photographie est une action immédiate, le dessin une méditation ! » (HCB, Images à la sauvette, éditions Verve, 1952), dit-il. Il se remet à fréquenter assidûment les musées. Humblement, il recopie les grands maîtres.
Ce qui a favorisé cette évolution, c’est la rencontre, en 1966, de Martine Franck24. Elle-même photographe, elle devient sa seconde épouse. Il aspirait à plus de calme. Il le trouve auprès d’elle et leur fille Mélanie.
Martine Franck, Paris, France, 1967
Épreuve gélatino-argentique, tirage d’époque
30,2 x 44,8 cm
Collection Eric et Louise Franck, Londres
L’esprit de tout cela se résume en ce « portrait en jambes » de Martine Franck, se lovant tout en finesse et souplesse serpentine sur un coin de divan aux motifs persans. Le regard ébloui d’Henri Cartier-Bresson fait danser ce moment de pause. Assise, elle entame une lecture avec une élégance que l’image révèle jusqu’à la pointe de ses escarpins. Sans enfreindre l’intime de Martine, Henri nous donne à lire sa jolie ligne.
Martine Franck le photographie devant une fenêtre donnant sur les Tuileries, dessinant, face à un miroir, son propre portrait. Il se consacre au dessin, surtout des autoportraits, sans narcissisme, en quête de sa propre présence. Il ferme à jamais les yeux le 3 août 2004.
« Tout son être, a dit de lui Yves Bonnefoy25, le porte comme d’instinct aussi loin de soi et des rêveries que possible, au contact d’autrui, auprès des lieux et des choses les plus divers en quête de la surprise qui décentre, de l’émerveillement qui délivre. »26 S’il a épousé son siècle c’est dans cet esprit. Et c’est ainsi que lui-même s’est construit, choisissant la photographie avec cette obsession de la géométrie pour cadrer et non juguler sa sensibilité, son amour de la vie.
Chronologie – repères
1908 |
Henri Cartier-Bresson naît le 22 août à Chanteloup-en-Brie. |
1926-1928 | René Crevel l’introduit auprès des surréalistes. Il assiste aux réunions du groupe dont les membres adhèrent au Parti communiste. Il intègre l’académie du peintre André Lhote. |
1929 | Il fréquente les Américains Harry et Caresse Crosby. Chez eux, Cartier-Bresson retrouve André Breton et Salvador Dalí. Il croise éditeurs, galeristes et collectionneurs, dont Julien Levy. Il s’initie aux innovations formelles de la Straight Photography américaine et à celles de la Nouvelle Vision européenne. |
1930-1932 | Cartier-Bresson part pour l’Afrique. À son retour, il entreprend un voyage en Europe de l’Est, puis, avec son premier Leica, part en Italie. |
1933 | Il fréquente l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) à Paris. Il se rend dans plusieurs villes espagnoles. Il réalise ses premiers reportages de presse. |
1934 | Suite aux émeutes de février à Paris, il signe deux tracts antifascistes. En juin, il part au Mexique pour un an ; il y côtoie artistes et intellectuels proches du Parti national révolutionnaire au pouvoir. |
1935 | Il rejoint New York pour participer à l’exposition Documentary and Anti-Graphic Photographs by Cartier-Bresson, Walker Evans & Álvarez Bravo, chez Julien Levy. Il se rapproche de la coopérative de cinéastes militants prosoviétiques Nykino. En mai-juin, il participe à l’exposition Documents de la vie sociale, organisée par l’AEAR à Paris. Il privilégie progressivement le cinéma par rapport à la photographie. |
1936-1939 | Cartier-Bresson rencontre Jean Renoir. Il est son assistant sur La vie est à nous, une commande du Parti communiste. Il collabore à Partie de campagne et à La Règle du jeu. Il travaille régulièrement pour la presse communiste. En 1937, il épouse la danseuse indonésienne Carolina Jeanne de Souza-Ijke, dite Eli, dont il divorce en 1967. Membre de la coopérative Ciné-Liberté (la section film de l’AEAR), Cartier-Bresson réalise un premier documentaire sur la guerre d’Espagne, Victoire de la vie. |
1940-1945 | Mobilisé, il rejoint l’unité « Film et photographie » de la 3e Armée. Fait prisonnier, il s’évade en 1943 et rejoint avec l’aide d’Aragon un groupe de résistants communistes, futur Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (MNPGD). Il en devient le représentant officiel au sein du Comité de libération du cinéma et il est chargé d’organiser un Comité de libération de la photographie de presse. En 1945, l’Office of War Information et le MNPGD lui commandent un film sur le rapatriement des prisonniers (Le Retour). |
1947 | Première rétrospective au MoMA. Il fonde la coopérative Magnum Photos avec Robert Capa,
George Rodger, David Seymour et William Vandivert. Ses reportages paraissent dans Life, Holiday, Illustrated, Paris Match... En décembre, il arrive en Inde avec Eli, peu après la Déclaration d’indépendance. |
1948 | Il rencontre Gandhi, juste avant son assassinat. Ses photographies des funérailles sont publiées par Life. Puis Cartier-Bresson découvre Pékin alors que l’Armée populaire de libération de Mao Zedong est sur le point de renverser le gouvernement de Tchang Kaï-chek. |
1952 | Il publie son premier livre avec Tériade, critique d’art et éditeur : Images à la sauvette ou The Decisive Moment dans la version américaine. |
1954-1955 | Danses à Bali paraît avec un texte d’Antonin Artaud. Cartier-Bresson se rend à Moscou. Il est le premier reporter occidental en URSS depuis 1947. En 1955, il participe à l’exposition The Family of Man au MoMA. Le Musée des arts décoratifs de Paris lui consacre une rétrospective. Avec Tériade, il publie Les Européens. |
1963-1965 | Il se rend à Cuba, puis séjourne quelques mois au Japon. |
1966 | Il rencontre la photographe Martine Franck, qu’il épouse en 1970. |
1968-1974 | Après Mai 1968, il entame un reportage sur ses compatriotes : Vive la France. Dès 1974, il abandonne progressivement le reportage au profit du portrait et du paysage photographique, ainsi que de la valorisation de son œuvre. Il se remet au dessin. |
1979 | L’ouvrage Henri Cartier-Bresson : photographe accompagne l’exposition itinérante éponyme. |
1980 | Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris présente l’exposition Henri Cartier-Bresson : 300 photographies de 1927 à 1980. |
2003 | La Bibliothèque nationale de France présente la rétrospective De qui s’agit-il ?. La Fondation Henri Cartier-Bresson est créée à Paris. |
2004 |
Henri Cartier-Bresson s’éteint le 3 août à Montjustin (Alpes de Haute-Provence). |
Bibliographie succincte
Ouvrages en français
- Clément Chéroux, Henri Cartier-Bresson. Catalogue de l’exposition, éditions Centre Pompidou, 2014
- Le scrapbook d’Henri Cartier-Bresson, sous la direction d’Agnès Sire. Steidl, 2008
- Pierre Assouline, Cartier-Bresson, l’œil du siècle. Folio n°3455, 1999 et 2006
- Jean Clair, Henri Cartier-Bresson, entre l’ordre et l’aventure. L’Échoppe, 2003
- Jean-Pierre Montier, L’art sans art d’Henri Cartier-Bresson. Flammarion, 1995
- Yves Bonnefoy, Henri Cartier-Bresson, photographe. Delpire, 1979
Ouvrages en anglais
- The Photographs of Henri Cartier-Bresson, Museum of Modern Art, New York, 1947, textes de Lincoln Kirstein et Beaumont Newhall (catalogue de l’exposition de 1947 et premier livre d’Henri Cartier-Bresson)
- The Early Work, Museum of Modern Art, New York, 1987, texte de Peter Galassi
- Henri Cartier-Bresson : The Modern Century, Museum of Modern Art, New York, 2010, texte de Peter Galassi
Liens
Crédits
© Centre Pompidou, Direction des publics, mars 2014
Texte : Ronan Le Grand
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cédric Achard / RDSC
Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques
Références
_1 George Hoyningen-Huene. 1900 (Saint-Pétersbourg) - 1968 (Los Angeles). Photographe de mode des années 1920 et 1930 (Vogue, Harper’s Bazaar). Il avait à Paris suivi, comme Henri Cartier-Bresson, l’enseignement du peintre André Lhote.
_2 Catalogue de l’exposition Henri Cartier-Bresson. Paris à vue d’œil, musée Carnavalet, 1984, texte de Vera Feyder.
_3 À la Renaissance, on parle de « divine proportion ». « Le nombre d’or » est un terme du XIXe siècle.
Jean Leymarie dit que la réussite de son ami Cartier-Bresson tient au miracle d’un œil ingénu réglé sur le nombre d’or. L’ouvrage de Matila C. Ghyka, Rites et rythmes pythagoriciens dans le développement de la civilisation occidentale, 1931, est, pendant de nombreuses années, l’un des livres de chevet du photographe.
_4 Eugène Atget (1857-1927), photographe français. Connu pour ses photographies sur le Paris de la fin du 19e et du début du 20e. Découverte en grande partie par les surréalistes, son œuvre intéressa, en particulier, le philosophe Walter Benjamin.
_5 Issue du constructivisme russe, revisité par l’esprit du Bauhaus, par László Moholy-Nagy et Germaine Krull, la Nouvelle Vision prend notamment pour sujets les architectures de fer modernistes. Son apport fondamental consiste, grâce au basculement de l’appareil photographique, en la mise en place de nouveaux points de vue sur le monde. Les repères d’orthogonalité disparaissent, laissant place à des effets de plongée ou de contre-plongée.
_6 Martin Munkacsi (1893-1963) fut un pionnier du photojournalisme. Photographe de mode et de sport, il privilégiait la photographie en mouvement.
_7 André Pieyre de Mandiargues (1909-1991). Poète, romancier, auteur d’essais et d’articles sur l’art. Il reçoit le Prix Goncourt, en 1967, pour son roman La Marge.
_8 Leonor Fini (1907-1996). Peintre surréaliste en marge du mouvement, et grande « amoureuse » des chats. Auteur de décors pour le théâtre, le ballet, l’opéra.
_9 Entretien avec Gilles Mora, Les Cahiers de la photographie n°18, 1986, pp.117-125. Cartier-Bresson dit à une autre reprise : « Proust et Saint-Simon : ils savaient regarder, ceux-là ».
_10 Truman Capote (1924-1984), écrivain américain. Auteur, notamment, de Breakfast at Tiffany’s et de De Sang Froid.
_11 Truman Capote, Nouvelles. Romans. Impressions de voyages. Portraits. Propos, Gallimard, Biblos, 1990.
_12 Serge Gainsbourg (1928-1991) se donnait lui-même pour surnom « L’homme à la tête de chou », expression qu’il reprit comme titre pour l’un de ses disques.
_13 Entre 1900 et 1935, les classes moyennes de la bourgeoisie noire, suivies par les ouvriers venus du Sud s’installent à Harlem, qui devient le creuset d'une renaissance culturelle. Pour la première fois, au rythme d’orchestres renommés, les élites artistiques noires et blanches se côtoient. Avec la grande dépression, l’espoir d’une harmonie raciale ne sera plus qu’une illusion. Cf. l’ouvrage réalisé sous la direction d’Isabelle Richet, Harlem 1990-1935. De la métropole au ghetto, de la renaissance culturelle à l’exclusion, éditions Autrement, 1993.
_14 FSA : The Farm Security Administration. Organisme américain créé en 1937 pour venir en aide aux fermiers appauvris par la dépression économique. La section photographique voit le jour pour convaincre les Américains de la nécessité des réformes envisagées par Roosevelt.
_15 Entretien avec Philippe Bœgner, « Photographier n’est rien, regarder c’est tout ! », Figaro Magazine n°13 843, 25 février 1989. « C’est René Char, dit Henri Cartier-Bresson, qui a écrit quelque part à propos de la poésie, qu’il y a ceux qui inventent et ceux qui découvrent. Je me sens solidaire de ceux qui découvrent. »
_16 Jean-Pierre Montier, L’Art sans art d’Henri Cartier-Bresson, 1995, éditions Flammarion.
_17 [Ndlr] Il s’agit en fait de sa première rétrospective organisée par le MoMA.
_18 Entretien avec Gilles Mora, Les Cahiers de la photographie, n°18, 1986.
_19 Pierre Assouline, L’œil du siècle, Folio, n°3 455, 2006.
_20 « Madness » groupe de rock anglais. La pochette de l’un des disques du groupe ressemble à cette photographie.
_21 Che Guevara (1928-1967), dirigeant de la révolution cubaine. Henri-Cartier-Bresson, avec le photographe René Burri, le photographie au cours d’un de ses discours.
_22 Bellus (1911-1967), à cette époque, réalisait des dessins d'humour pour les journaux, épinglant gentiment la petite-bourgeoisie française.
_23 En 1936, Eugène Herrigel écrit un premier essai de 20 pages intitulé L'art chevaleresque du tir à l'arc, texte qu'il reprend et édite en 1948, sous la titre Le zen dans l'art chevaleresque du tir à l'arc. L’ouvrage est traduit en anglais en 1953, puis en japonais et en français en 1955. Selon Pierre Assouline, Braque offre ce premier essai à Henri Cartier-Bresson le 6 juin 1944, précisément. Lui-même l’avait reçu de Jean Paulhan.
_24 Martine Franck (1938-2012). Photographe du Théâtre du Soleil, elle entre à l’Agence Vu, crée l’Agence Viva, puis rejoint Magnum. Elle réalise de nombreux ouvrages de photographies tandis qu’elle s’investit avec Henri Cartier-Bresson dans différentes actions sociales. Avec sa fille Mélanie, elle crée en 2003 la Fondation Henri Cartier-Bresson que le photographe envisageait depuis plusieurs années.
_25 Yves Bonnefoy, né en 1923, est poète (L’arrière-pays, 1972, Nrf, Poésie/Gallimard), critique (il est notamment l’auteur d’un ouvrage sur Giacometti, Giacometti par Yves Bonnefoy, biographie d'une œuvre, Paris, Flammarion, 1991) et traducteur (notamment de Shakespeare et de Yeats).
_26 Henri-Cartier Bresson photographe, photographies d’Henri Cartier-Bresson, texte d’Yves Bonnefoy, éditions Delpire, 1979.