Simon HANTAÏ
Du 22 mai au 2 septembre 2013
Galerie 1, niveau 6

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Simon Hantaï - Tabula, 1980


Tabula, 1980
Huile et acrylique sur toile, 285,6 x 454,5 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, achat, 1982

Une premiÈre rÉtrospective complÈteRetour haut de page

ouvrir cette œuvre À elle-mÊmeRetour haut de page

Aussi surprenant qu'il puisse paraître, le travail de Simon Hantaï n'a jamais donné lieu à une rétrospective complète. La dernière à lui avoir été consacrée − il faut d'emblée ajouter : l’une des dernières expositions qu'il ait acceptée − est celle de 1976 au Musée national d'art moderne, encore installé au Palais de Tokyo. Ne suivront par la suite que des présentations partielles de son œuvre. En 1981, s'ouvre au Capc de Bordeaux l'exposition Simon Hantaï 1960-1976, organisée autour des années « pliages » et, quelques mois plus tard, l’artiste représente la France à la Biennale de Venise mais sans recevoir le succès attendu. Une partie de son œuvre est également montrée en 1998 à l'occasion de sa donation au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Après quoi, malgré des sollicitations diverses, il tourne le dos au monde de l'art. Dès 1982, il a cessé de peindre, se consacrant à ses échanges intellectuels avec ses amis philosophes et théoriciens (Jacques Derrida, Hélène Cixous, Jean-Luc Nancy). Très ponctuellement, au cours de la décennie suivante, il reprend d'anciennes toiles qu’il recadre et découpe, Les Laissées. Mis à part ce geste, il est entré dans un silence pictural qu’il va conserver jusqu'à la fin de sa vie.

Cette première grande rétrospective au Centre Pompidou permet de (re)découvrir pleinement cette œuvre mystérieuse, sensuelle et spirituelle à la fois, depuis les débuts parisiens, fin des années 1940, jusqu'aux dernières toiles redécoupées. Le parcours chronologique, ponctué de temps forts − notamment la réunion des deux toiles : Peinture (Ėcriture rose) et À Galla Placidia, réalisées conjointement par Hantaï, aujourd'hui conservées dans deux musées, le Musée national d'art moderne et le Musée d'art moderne de la Ville de Paris − permet de percevoir à quel point sa recherche d’artiste constitue une aventure. Car avant de découvrir le pliage, Hantaï expérimente le geste, les raclures, l’écriture… Quand, en 1960, il commence à plier la toile et, par conséquent, à peindre en aveugle, il continue d'explorer les moyens de provoquer le hasard dans le tracé des formes et la répartition des couleurs. À partir de cette date, ce sont d'ailleurs les différents modes de pliage qui déterminent les périodes de son travail.

Sans cesse Hantaï a cherché à être lui-même, étonné par sa propre peinture. À notre tour d'être étonné par les 130 toiles rassemblées ici par Dominique Fourcade, Isabelle Monod-Fontaine et Alfred Pacquement. Comme le résume Dominique Fourcade dans le catalogue, avec cette rétrospective, « il s’agit d’ouvrir avec humilité cette œuvre à elle-même, comme un sujet qui s’est longtemps ignoré et qui ne sait toujours pas […] combien il est cohérent, violent et magnifique ».

Simon Hantaï - Plan de l'exposition

Plan de l'exposition
Architecte-scénographe : Laurence Le Bris
assistée de Valentina Dodi
Télécharger le plan de l'exposition (PDF, 170ko)

Simon Hantaï (1922-2008)Retour haut de page
« faire une peinture sans qualitÉ »

Simon Hantaï en 1968

Simon Hantaï en 1968

Né à Bia (Hongrie), dans une petite communauté catholique, Simon Hantaï entreprend des études artistiques à l'École des Beaux-arts de Budapest. Au printemps 1948, à la faveur d'une bourse du ministère hongrois de la Culture pour lui permettre de séjourner un an à Paris (bourse qui ne lui sera jamais versée, suite au changement de régime du pays), il part avec son épouse Zsuzsa en faisant un grand détour par l'Italie. Ils visitent d'abord Rome, puis Venise, Ravenne... Après ce parcours, déterminant pour le travail à venir du peintre, ils se rendent à Paris, et ne rentreront jamais à Budapest.
À leur arrivée, Hantaï fréquente le cercle des Hongrois, comme lui exilés, puis entre en contact avec les Surréalistes. En 1953, André Breton organise sa première exposition personnelle à Paris, à la Galerie L'Étoile Scellée. Son travail commence à être reconnu.

Mais, rapidement, il s'émancipe de l'esthétique surréaliste, rompt avec Breton en 1955 et se choisit d'autres mentors, Georges Mathieu et surtout Jackson Pollock dont il admire l'œuvre découverte en 1951, lors de la première exposition de l'Américain à Paris. Parallèlement, il se lie d'amitié avec Judit Reigl, compatriote ayant fui Budapest, mais aussi Joan Mitchell et Sam Francis installés en France.
Peu à peu sa pratique se radicalise, d'abord en 1958 lorsqu'il entame la réalisation des deux grandes toiles Peinture (Écriture rose) et À Galla Placidia, puis en 1960 avec l'invention du « pliage comme méthode ». Toute la suite en découlera, jusqu’en 1982 où, avec son refus de poursuivre son œuvre, une autre vie commence pour lui.

Les premiÈres œuvres parisiennesRetour haut de page

Simon Hantaï - Les Baigneuses, 1949

Les Baigneuses, 1949
Huile sur toile, 110 x 167 cm
Collection particulière

Parmi les premières peintures réalisées peu après l'arrivée du peintre à Paris, Les Baigneuses est une œuvre singulière, avec ses couleurs tendres, ses figures flottant sur de grands aplats bleus et verts, et surtout par l'alliance de ses influences picturales a priori éloignées les unes des autres. Depuis Cézanne, le thème des baigneuses est devenu un motif propice au libre agencement des couleurs et des formes. De même, chez Matisse − on pense ici à la Danse de 1910 et, plus encore, par la disposition frontale des personnages, à la Musique −, les nus sont des prétextes pour expérimenter les rapports entre lignes et couleurs. Dans la toile de Hantaï, on retrouve aussi le rêve matissien d'un paysage idyllique.

Mais plutôt que par Cézanne ou Matisse, qu'il connaît encore peu à l'époque, la fraîcheur de ce tableau lui a sans doute été inspirée par le périple en Italie. Il est influencé par la peinture médiévale siennoise, les fresques de Giotto à Padoue et, surtout, par les mosaïques de Ravenne. On songe, en particulier, à celle du Bon Berger, placée au sein du Mausolée Galla Placidia, auquel il reviendra  explicitement quelques années après (À Galla Placidia, 1958-59, voir plus bas). Les baigneuses, disposées frontalement sur la surface picturale, en reprennent les formes simplifiées. Hantaï interprète ce qu'il a vu en Italie avec les termes de la modernité.

Voir les mosaïques paléochrétiennes de Ravenne sur le site de l'UNESCO.

 

Simon Hantaï - Sexe-Prime. Hommage à Jean-Pierre Brisset, 18 septembre 1955

Sexe-Prime. Hommage à Jean-Pierre Brisset, 18 septembre 1955
Huile sur toile, 240 x 530 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, achat de l’État, 1968

Durant ses premières années parisiennes, Hantaï se rapproche des Surréalistes dont il a pu connaître les expérimentations en Hongrie, tant elles ont eu de répercussions internationales. En fréquentant Breton et son entourage, il commence à peindre des formes organiques et teste différentes techniques, collage, grattage... Rapidement il se détache du groupe pour s'intéresser à l'abstraction énergique de Georges Mathieu et, plus encore, à celle de Jackson Pollock dont il a pu voir des œuvres exposées à Paris en 1951. Hantaï se lance alors dans la création de grandes toiles dominées par un expressionnisme gestuel dont, principalement, Sexe-Prime. Hommage à Jean-Pierre Brisset.

Peinte à l'aide de son « outil-réveil » − un cercle de métal récupéré d'un vieux réveil avec lequel il gratte la dernière couche de peinture appliquée −, la toile laisse apparaître des rubans clairs sur un fond sombre qui circulent et s'entremêlent sans fin. Hantaï développe cette pratique gestuelle pendant quelques années, jusqu'à se libérer aussi de l'expressionnisme de Pollock.

Deux œuvres crucialesRetour haut de page

Simon Hantaï - Peinture (Écriture rose), 1958-1959

Peinture (Écriture rose), 1958-1959
Encres de couleur, feuilles d’or sur toile de lin, 329,5 x 424,5 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, don de l’artiste, 1985

Dans les toiles réalisées autour de 1958, Hantaï associe au geste des petites touches qui peu à peu vont l'évincer, au profit d'un autre moyen de couvrir la toile : l'écriture. Initialement superposées, petites touches et écriture vont être dissociées et pratiquées parallèlement dans les deux immenses toiles jumelles qui marquent un tournant dans son œuvre : Peinture (Ėcriture rose) et À Galla Placidia.

Simon Hantaï - À Galla Placidia, 1958-1959

À Galla Placidia, 1958-1959
Huile sur toile, 326 x 400 cm
Paris, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, don de l’artiste, 1998

Pendant un an, à partir de la fin de l’année 1958, Hantaï les peint en effet simultanément, l'une le matin et l'autre l'après-midi. Il recouvre la première d'une fine écriture à peine lisible, transcription de textes religieux, esthétiques, philosophiques qui constituent son univers spirituel de l'époque, appliquant sur la seconde une couche de peinture noire qu'il racle avec son « outil-réveil ».

L'une donne ainsi à voir une grande surface claire, à la tonalité rose bien qu'aucune peinture rose n'ait été utilisée – mais des « couleurs liturgiques rouge, vert, violette et blanc… » (lettre de S.H. à Jean-Luc Nancy, 2004)…− , parsemée de quelques signes, une tache de feuille d'or qui évoque les fonds des primitifs italiens, une éclaboussure que l'artiste apparente à l'encrier de Luther, une croix grecque et une étoile de David. L’autre, plus sombre, laisse entrevoir une croix claire en son centre qui exprime la religiosité de l'artiste mais aussi partage la toile en quatre. C'est cette croix qui vaudra, bien plus tard, son titre à l'œuvre, À Galla Placidia, en souvenir du plafond du Mausolée de Ravenne visité dix ans auparavant. Offertes par Hantaï, l'une au Musée national d'art moderne en 1985, l'autre au Musée d'art moderne de la Ville de Paris lors de la donation de 1998, elles sont réunies dans l'exposition comme elles l'étaient dans l'atelier du peintre lors de leur création.

Les premiers pliagesRetour haut de page

Simon Hantaï - Mariale m.a.2, 1960

Mariale m.a.2, 1960
Huile sur toile, 278 x 214,5 cm
Bordeaux, Capc, Musée d’art contemporain, don, 1982

À partir de 1960, Hantaï a recours à une nouvelle « méthode » qu'il conservera jusqu'à la fin en explorant ses diverses modalités, le pliage. Désormais, le résultat de son travail comporte une part d'aléatoire et de surprise pour son regard momentanément suspendu.
Les premières toiles ainsi réalisées sont plus précisément froissées, les parties accessibles étant recouvertes d'une unique couleur. Puis, une fois dépliées, les parties restées en réserve sont peintes à leur tour d'un ton généralement plus neutre qui contraste avec la vivacité de la première couche de couleur et procure à l'ensemble un aspect de vitrail. L'allusion à la religion est confirmée par le nom que Hantaï attribuera à cette série, les Mariales, en référence au manteau protecteur de la vierge de certaines œuvres médiévales et renaissantes, en particulier La Vierge de la miséricorde (1445-1462) de Piero della Francesca qu'il a pu voir à Borgo Sansepolcro.
Pendant deux ans, l'artiste peint en tout vingt-sept Mariales, apportant des variations à son protocole, par la complexification du pliage ou de l'application de la couleur.

Simon Hantaï - Mariale m.c.3, 1962

Mariale m.c.3, 1962
Huile sur toile, 223 x 213 cm
Collection particulière

Après les séries de Mariales m.a. et m.b. peintes après froissage, la série m.c. comporte neuf toiles dont le fond a été éclaboussé de peinture noire avant un travail de pliage plus élaboré, laissant apparaitre de plus grands aplats de couleur en forme d'éclats et des parties en réserve qui créent un effet d'ouverture, voire d'expansion de la surface. Comme le suggère Dominique Fourcade, ici « la surface de la peinture apparaît comme déchirée, déchiquetée même – travaillée par un vandale, par le plus raffiné des vandales » (catalogue, p.97). Le procédé de pliage en grands segments de toiles qui se recoupent les uns les autres atteint sa perfection.
Après cette série, Hantaï peint encore quatre toiles dont le fond a été finement éclaboussé de peinture, à l'origine d'un subtil jeu de bichromie. Toutes les Mariales seront exposées à la Galerie Kléber en 1962.

Explorations du procÉdÉRetour haut de page

Simon Hantaï - Meun, 1967

Meun, 1967
Huile sur toile, 244 x 206 cm
Nîmes, Carré d’art - Musée d’art contemporain

Après ces deux années de recherches intenses, Hantaï poursuit son travail de pliage pour l'orienter vers une autre voie avec les Catamurons puis les Panses. À l'ouverture des dernières Mariales, ces œuvres opposent leur fermeture sur elles-mêmes.

Avec les Catamurons, l’espace peint est concentré au centre de la toile, bordé de vide, le pliage y a été contraint dans une forme rectangulaire. Pour les Panses, la toile a été pliée comme un sac, nouée aux quatre angles, pliée et dépliée plusieurs fois pour être recouverte à chaque étape d’une couche de peinture. La forme, ovoïde le plus souvent, semble flotter dans un espace non peint, indéterminé. Hantaï associe ici pliage et délectation de la peinture, les yeux ouverts sur la surface.

Avec la série des Meuns (du nom de la petite commune où il vient de s'installer), commencée en 1967, s'opère la synthèse entre ces deux forces centrifuge et centripète. Là, la toile est nouée en plusieurs endroits, creusant de larges espaces en réserve qui permettent aux grandes formes colorées de pleinement respirer. Le Meun de Nîmes, avec son éclatante et sensuelle couleur lilas, constitue l'un des plus beaux exemples de cette respiration de la couleur. Cette série se situe dans la continuité des dernières gouaches découpées de Matisse, en particulier les Nus bleus que Hantaï a pu voir exposés au Musée des arts décoratifs en 1961. Mais à la différence de Matisse, comme le souligne Dominique Fourcade, chez Hantaï, c’est le pliage qui fait ciseaux.

Simon Hantaï - Étude, 1969

Étude, 1969
Huile sur toile, 275 x 238 cm
Washington, National Gallery of Art, Gift of the Collectors Committee, 2012

Durant l'année 1969, l'artiste revient à un procédé de pliage proche de celui des Mariales. La toile est froissée, pliée, recouverte d'une seule couleur qui dialogue avec les blancs laissés en réserve, de plus en plus importants (jusqu’à devenir prépondérants dans la série suivante, les Blancs). À la différence des Mariales, donc, Hantaï n'applique aucune peinture dans les parties en réserve, ni avant, ni après le pliage : il est en retrait comme jamais auparavant. Pour Dominique Fourcade, ces peintures (au même titre que les Blancs) sont réalisées « par un peintre qui voudrait ne pas être artiste, et faire une peinture sans qualité » (catalogue, p.160).

Les Études lui servent d'ailleurs à expérimenter un nouveau procédé, la sérigraphie, dans une volonté, explique Éric de Chassey, « d'appauvrir toujours plus la peinture » (catalogue, p.253). À partir de 1969, en utilisant comme source ses peintures récentes, il se livre en effet à une recherche parallèle qui donne lieu à des réalisations singulières, dominées par la question de la prolifération : prolifération du motif par la prolifération des œuvres. La fresque sérigraphiée de 3 x 14 m réalisée pour le CES de Trappes, en 1973, montre de multiples éclats de couleur qui semblent pouvoir se reproduire à l'infini.

Les derniÈres œuvres

Simon Hantaï - Tabula, 1980

Tabula, 1980
Huile et acrylique sur toile, 285,6 x 454,5 cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, achat, 1982

Les Tabulas sont les dernières peintures réalisées par Hantaï, de 1973-74 à 1982. De très grand format, elles sont composées grâce à un pliage orthogonal fixé par un système de nouage. Une fois dépliées, elles présentent un réseau de carrés ou de rectangles d'une seule couleur, imprégnée de manière irrégulière, faisant vibrer la lumière sur la toile.
Dans la continuité des recherches sur la prolifération des formes conduites par l'artiste depuis la série des Ėtudes et les sérigraphies qui en découlent, les éléments s’y multiplient en un réseau all over. Mais, dans les plus grandes d'entre elles, chaque élément devient aussi une petite peinture autonome dans la peinture. Aux angles, la couleur a légèrement coulé dans les interstices des nœuds, laissant des traces éminemment poétiques en forme d'étoiles. Ces défaillances organisées au sein de la méthode ont inspiré à Georges Didi-Huberman, ami de Hantaï, son livre-conversation, L'Étoilement (1998), dans lequel il analyse le rôle des nœuds chez l'artiste.

Les toutes dernières Tabulas, les Tabulas lilas, sont, à l'inverse des autres toiles de la série, des formats restreints. Elles sont aussi plus fragiles et presque diaphanes, comme si Hantaï avait cherché à toucher un certain idéal de la peinture, proche du rien. Comme pour son Écriture rose réalisée des années auparavant sans peinture rose, leur couleur ne vient pas de la peinture. Le lilas de ces Tabulas est la synthèse optique d'un blanc avec l'ocre d'une toile à peine préparée. Montrées à la Galerie Fournier pendant l'été 1982, sous une verrière inondée de soleil, elles ont été quasi détruites par leur exposition. Le peintre l'avait-il prévu, ou même souhaité ? C'est après cette expérience qu'il cesse de peindre.

Simon Hantaï - Laissée, 1981-1995

Laissée, 1981-1995
Peinture acrylique sur toile, 309 x 230  cm
Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, don de l'artiste, 2003

Quelques années plus tard, avec son ami le peintre Antonio Semeraro, Hantaï reprend d'anciennes Tabulas réalisées en 81 pour l’exposition de Bordeaux et conservées dans son atelier. Il les regarde de nouveau, pour les recadrer et les découper. Ainsi, de même que pour les sérigraphies initiées à partir des Études, ces œuvres lui servent de matériau pour expérimenter un autre procédé, le découpage, lequel le ramène à Matisse qui, avec ses ciseaux, taillait dans la couleur. À cette différence près que, dans le cas des Laissées, la création passe par la destruction de son propre travail. De ce point de vue, ces dernières pièces pourraient être interprétées dans la lignée des œuvres sacrifiées, voire vandalisées, par leurs propres créateurs1. En contrepartie de cette négativité, Hantaï accepte de présenter les Laissées à l’Espace Renn à Paris, en 1998, lors de l'une des ultimes expositions monographiques organisées de son vivant.

Les films diffusés dans l’exposition

Des formes et des couleurs : Simon Hantaï
Jean-Michel Meurice, réalisateur, 1974, Ina (Ortf), 14’

Grand portrait : Simon Hantaï ou les silences rétiniens
Jean-Michel Meurice, réalisateur, 1976, Ina (TF1), 58’

Portrait Simon Hantaï : Expression
Pierre Desfons, réalisateur, 1981, Ina (TF1), extrait de 3’

RepÈres chronologiquesRetour haut de page

1922
Silmon Hantaï naît le 7 décembre à Bia, près de Budapest, en Hongrie.
1941 Il fréquente l'École des Beaux-arts de Budapest.
1948 En mai, il quitte Budapest pour se rendre à Paris. Grand détour par l'Italie : Arezzo, Padoue, Florence, Venise, Ravenne, Rome où il voit les chefs-d’œuvre de l'art italien.
Arrivée à Paris en septembre.
S'inscrit à l'École du Louvre.
1951-52 Des œuvres de Jackson Pollock sont exposées pour la première fois à Paris.
Rencontre avec André Breton.
1953 Première exposition personnelle de Hantaï à la Galerie À l'Étoile Scellée, présentée par André Breton.
1955 Rupture avec Breton.
Il commence à peindre avec un cercle de métal tiré d'un réveil qui lui sert de racloir.
1956 Deuxième exposition personnelle à Paris, à la Galerie Kléber. Hantaï y présente sa grande peinture abstraite Sexe-Prime. Hommage à Jean-Pierre Brisset.
1958 À la fin de l'année, mise en place d'un protocole de travail qui consiste à recouvrir quotidiennement des toiles d'écritures pendant de longs mois.
1959 Il termine Peinture (Écriture rose) et À Galla Placidia qui ne seront montrées au public que bien plus tard.
1960 Invention du « pliage comme méthode » et début de la série qu'il intitulera plus tard les Mariales (1960-1962).
1962 Exposition des Mariales à la Galerie Kléber (Jean Fournier).
Début de son amitié avec Daniel Buren.
1963 Série des Catamurons.
1964 Début de la série des Panses (1964-1965).
1965 Deux expositions, à l'été et à l'automne, à la Galerie Jean Fournier & Cie, montrent des petits puis des grands formats.
1966 Hantaï s'installe avec sa famille à Meun, près de la forêt de Fontainebleau, où il expérimentera à partir de l'année suivante la série du même nom (les Meuns, 1967-1968).
1967 Il est le premier lauréat du prix de la Fondation Maeght.
1969 Série des Études.
1972-73 Premiers Blancs (1972-1974)et premières Tabulas (1973-1976).
1976 Rétrospective au Musée national d’art moderne, Paris. Hantaï cesse de peindre pendant trois ans et demi. Réalisation, par Jean-Michel Meurice, du film Simon Hantaï ou Les Silences rétiniens.
1980 Deuxième série de Tabulas (1980-1982).
1981 Exposition Simon Hantaï 1960-1976 au Capc de Bordeaux, présentant des Tabulas de très grandes dimensions.
1982 Hantaï représente la France à la 40e Biennale de Venise avec un ensemble de Tabulas, l’exposition est un échec.
Il décide d'arrêter de peindre et d'exposer.
1995 Série des Laissées réalisées à partir des grandes Tabulas présentées à Bordeaux.
1998 Donation au Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Expose les Laissées à l’Espace Renn, à Paris.
2001 Les Suaires, impressions numériques sur toile, réalisées à partir des Tabulas lilas, pour l’exposition Les Fables du Lieu, au Fresnoy.
2003 Donation au Centre Pompidou.
2008 Simon Hantaï décède le 12 septembre à son domicile parisien.

Textes de rÉfÉrenceRetour haut de page

Jean-Michel Meurice, « C’était de belles années »

Extrait du catalogue Simon Hantaï, éditions du Centre Pompidou, 2013, p.258

[…] On n’a pas bien vu ce qu’était cette affaire de pliage. Moi, je voyais les pliages déployés comme un écho des papiers découpés de Matisse, lesquels quand on y pense ne les précédaient jamais que de dix ans. D’autres n’y ont vu que l’usage affirmée du support. La toile manipulée. C’était le début de la génération dite « supports-surfaces ». On l’a cru de la famille. Nous avions tort. Nous ne voyions pas que Hantaï venait d’ailleurs. Du surréalisme. Cette histoire de pliage c’est une histoire d’aveuglement et de voyance. Pas de hasard provoqué. De voyance. Et c’était ça son véritable secret. Ne pas voir. Ne pas savoir. Ne pas calculer. Travailler. Suivre une pratique attentive. Une règle de comportement calme et apaisé, réduit au plus simple. Des gestes non pas rituels mais simplifiés. Une liturgie. S’installer au fond de la caverne de Platon, et attendre les ombres. Fermer les yeux, tout oublier, ne rien voir. S’aveugler. Plier. Se laisser prendre et envahir par le plaisir. L’envie de couleur. Energie libérée, et sans but précis. Peindre sans contrôle. Couvrir de bleu ou de rouge ou de multi-couleurs. Projet simple, qui s’accomplit dans une errance ouverte et dont le terme reste invisible et sans remords possibles. S’accomplir. Peindre est un destin et chaque toile un destin sans retour. […]

Georges Didi Huberman, « Bouquet de fleurs bleues et de fleurs du mal »

Extrait du catalogue Simon Hantaï, éditions du Centre Pompidou, 2013, p.221

[…] On peut être « fleur bleue » sans pour autant être naïf. Simon Hantaï savait bien qu'un tableau a, dans le commerce que la société entière consacre à l'art, bien plus souvent de prix que de dignité (qu'il ne faut évidemment pas, en termes philosophiques, confondre avec le prestige). Comme Bataille, Hantaï avait une perception très nette − et pas seulement conceptuelle − de ce que Hegel avait si bien nommé la « puissance du négatif ». D'où cette attitude littéralement sacrificielle qu'il adopta souvent à l'égard des régimes habituels de valorisation dont sa peinture était investie (si la grande rétrospective du Centre Pompidou se tient post mortem, ce n'est pas faute d'avoir été souhaitée depuis longtemps par l'institution, mais parce que Hantaï en refusa la consécration, et même par deux fois si je ne me trompe). Le peintre qui prend le « risque de la valeur » ne fait rien d'autre que prendre un « risque de la vie » pour sa peinture elle-même. D'où cette nouvelle ligne de conduite ou cet autre précepte éthico-esthétique : il n'y a souveraineté de l'art que là où il y a souveraineté de la consumation.

Cette clause radicale fut constamment mise en pratique par Hantaï. Elle doit nous prévenir, soit dit en passant, d'une confusion à laquelle succombe une grande partie de la critique consacrée à son œuvre, sans doute en raison de quelques impensés humanistes ou modernistes : la « souveraineté de l'art » selon Hantaï n'a rien à voir avec une quelconque « autonomie de l'art ». […] L'autonomie de l'art a ses vertus, bien sûr : elle nous aide à ce que soit accrochés de très grands et beaux tableaux sur les cimaises blanches de ces lieux spécialisés que l'on nomme des galeries d'art ou des musées. Mais elle aboutit bien souvent à quelque chose que Hantaï ressentait comme une suffisance du monde de l'art. Tandis que l'exigence de souveraineté le portait à une colère perpétuelle due à l'insuffisance, à l'échec objectif de sa tendresse fondamentale − son « don de fleur bleue » − dans le monde historique et social de la gestion des choses culturelles.

Aussi cette colère déterminait-elle en lui l'attitude « sacrificielle » dont j'ai parlé. À l'époque où je l'ai beaucoup vu, soit en 1996 et 1998, je l'ai souvent observé dans des gestes contradictoires où, d'une main, il construisait (par exemple dans l'activité systématique de revenir sur son œuvre entière en rentoilant de nombreux tableaux) et, d'une autre, détruisait, jetait aux ordures, avec quelque chose comme une certitude colérique dans le désespoir. […]

J'ai ainsi vu, très souvent, Hantaï brutaliser ses propres tableaux. Je me souviens par exemple, lors de ma première rencontre avec lui, des grands coups de pieds qu'il donnait sur les Laissées pour mieux les dérouler et me les donner à voir. Une autre fois que nous parlions dans son atelier, un orage a complètement inondé (gouttières bouchées par les feuilles mortes, verrières défectueuses) le sol où s'entassaient de nombreuses toiles. Nous avons donc tous deux ôté nos chaussures et remonté nos pantalons sur les chevilles afin de sauver ce qui pouvait l'être. Mais, là où je m'efforçais de manipuler les toiles avec précaution − ces mêmes toiles qu'un conservateur de musée ne touchera plus sans avoir préalablement enfilé les gants blancs d'usage −, Hantaï tempêtait dans l'orage et, à ses propres tableaux, faisait ostensiblement plus de mal que de bien. […]

BibliographieRetour haut de page

Essais et monographies

Catalogues d'exposition

Pour élargir la réflexion

Autour de l’expositionRetour haut de page

PAROLE AUX EXPOSITIONS

Table ronde autour de l’œuvre de Simon Hantaï. Avec Anne Baldassari, Dominique Fourcade, Rémi Labrusse, Jean-Michel Meurice, Alfred Pacquement.
Vendredi 24 mai, 19h, Petite salle, niveau -1.

Jeunes publics

VISITES ADAPTÉES

VISITES COMMENTÉES

AUDIOGUIDE

Langues : français, anglais, espagnol, allemand et italien.

En savoir plus : voir l’Agenda

Crédits

© Centre Pompidou, Direction des publics, mai 2013
Texte : Vanessa Morisset
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cédric Achard
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques Retour haut de page

Références

_1 Œuvres « sacrifiées » ou œuvres « nouvelles » ? Dans le texte du catalogue, Alfred Pacquement précise, à propos des Laissées : « Hantaï retrouve ainsi le geste du ciseau de Matisse qui constitue pour lui avec le bâton de Pollock et l’espace blanc de Cézanne l’un des fondements de sa démarche de peintre. Mais au contraire de Matisse qui taille dans la couleur, Hantaï taille dans ses propres œuvres pour en faire naître d’autres, tout en détruisant à jamais les peintures originelles. Il s‘oblige parfois à reconstituer l’espace blanc environnant la forme qui a pu être perdu lors de la coupe. Ce n’est pas la première fois qu’il intervient ainsi sur des toiles existantes. […] Mais en l’occurrence il extrait des précédentes Tabulas des œuvres résolument nouvelles du fait de leur cadrage, de leur échelle, et qui de plus voient le jour après une longue période de retrait […] « Les toiles se coupent elles-mêmes », déclare ailleurs Hantaï, révélant par là que sa méthode tient finalement autant du pliage que de la coupe, et donc du cadrage ». (Catalogue, p.206)

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