Bernard Tschumi
Concept & Notation
Du 30 avril au 28 juillet 2014, Galerie Sud

Début du contenu du dossier

« L'architecture est moins une connaissance de la forme
qu'une forme de connaissance. »
1

Bernard Tschumi. Le Fresnoy, 1991-1997, Tourcoing, France


Bernard Tschumi. Le Fresnoy, 1991-1997, Tourcoing, France
Vue de l’entre-deux
© Peter Mauss


L’exposition, une scénographie signée TschumiRetour haut de page

Le Centre Pompidou invite, pour sa première grande rétrospective en Europe, l’architecte et théoricien de l’architecture, Bernard Tschumi. Installée Galerie Sud habituellement dévolue à l'architecture, l'exposition est une promenade à travers une quarantaine de projets et réalisations, du Parc de la Villette (1983) au Zoo de Vincennes (2014). Le parcours a été élaboré conjointement par Frédéric Migayrou et Aurélien Lemonier, ses commissaires, qui se sont attachés à montrer toutes les dimensions du travail de l’architecte, et par Bernard Tschumi et son équipe pour la scénographie, qui reprend les concepts fondateurs de sa pratique : espace, mouvement et événement.

Bernard Tschumi. Scénographie d'exposition

Bernard Tschumi. Scénographie d’exposition
Centre Pompidou, Galerie Sud, 2014
© BTA

Dans le volume de cette galerie de 1 100 m2, circonscrite par un mur-cimaise et trois façades entièrement vitrées, sont disposés cinq polyèdres, sorte de métaphores pour Bernard Tschumi « des volières du Zoo de Vincennes »2, projet qu'il vient de livrer. Leurs parois, intérieures comme extérieures, constituent les supports d'écrans et de planches présentant le panorama de son œuvre. Dans l'intervalle, dix-huit tables offrent des informations complémentaires sur ses outils – matériaux, techniques graphiques, etc. – et sur ses sources – cinéma, littérature, art et philosophie. Ce dispositif constitue l'événement à l'intérieur duquel s'organisent les mouvements, c’est-à-dire les déplacements des visiteurs qui font écho par ailleurs à ceux des passants, la façade sud fonctionnant comme un écran.
Chaque polyèdre met l'accent sur un concept basé le plus souvent sur un système duel : Espace et Événement, Programme - Juxtaposition - Superposition, Vecteurs et Enveloppes, Concept - Contexte - Contenu et, enfin, Formes - Concepts. Chaque thème est illustré par un projet emblématique.

Si un principe chronologique rigoureux régit la présentation − les concepts ne sont pas pour autant exclusifs mais additionnels −, le visiteur peut néanmoins emprunter des chemins de traverse, attiré ici par les dessins à la main, là par des maquettes, ailleurs par des livres aux titres évocateurs, ou encore se laisser happer par les images animées. Ainsi peut-il créer son propre parcours, tisser des liens d'un projet à un autre, l'objectif étant ici d'organiser une fluidité, des relations interactives entre les polyèdres, d’établir un dialogue entre ces éléments.

Espace et événementRetour haut de page

Mur rouge + Polyèdre 1

L’entrée franchie, sur le long mur peint en rouge sont présentés les travaux des débuts, initiés dès son arrivée à New York en 1976. Cette période expérimentale et théorique, consacrée à la recherche et à l'enseignement, pose les fondements de ce qui sera sa méthode. Se met en place, nourrie de rencontres et de collaborations, sa pensée conceptuelle. Son intérêt s'affirme pour des champs disciplinaires aussi divers que le cinéma (celui d'Eisenstein surtout), les arts plastiques (l'art conceptuel notamment), la littérature (James Joyce ou Georges Bataille), la philosophie (Jacques Derrida), le structuralisme (Roland Barthes).

Bernard Tschumi

Bernard Tschumi
© Martin Mai

Dès sa sortie de l'École polytechnique de Zurich en 1969, Bernard Tschumi choisit la voie de l'enseignement. En 1970, il enseigne à l’Architectural Association School of Architecture à Londres [l'AA] où il côtoie Zaha Hadid, Rem Koolhaas (futurs Pritzker Prize), Léon Krier, Daniel Libeskind, Nigel Coates, Peter Cook ou Colin Fournier. Dirigée par Alvin Boyarsky, l'école est à cette époque un laboratoire d'idées ouvert à toutes les expérimentations. Installé à New York en 1976, il poursuit l'enseignement à la Cooper Union School of Architecture entre 1980 et 1983. Il rejoint, en 1988, la Graduate School of Planning and Preservation de l’Université de Columbia, dont il est le doyen entre 1988 et 2000. Il y crée le Paperless Studio, le premier atelier de recherche consacré à l'architecture digitale.

Pour Tschumi, l'architecture ne peut se limiter au « jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière »3. Elle ne peut être autonome, et a tout à gagner de l'interaction avec d'autres disciplines. Partant de ce constat que « la réalité du corps et de la vie sociale (sont) souvent exclus de la définition de l’architecture »4, il considère, a contrario, que sa matérialisation ne peut exister que par les mouvements, les activités se déroulant à l'intérieur du bâtiment. Son questionnement sur l’architecture le conduit vite à s’interroger sur son mode de représentation. Ainsi, explore-t-il différents modes de notation étant entendu que, par notation, il faut considérer un moyen d'inscrire, sur un plan ou sur une coupe, aussi bien les espaces que ce qui se passe à l'intérieur, c'est-à-dire les mouvements des corps des différents protagonistes.

C'est dans la danse et l'art contemporain qu'il fonde en partie son approche. Avec les artistes Robert Longo, David Salle ou Sarah Charlesworth, il partage « la même idée d’un corps pris dans la tension du mouvement de la ville ». Observateur attentif du travail de chorégraphes comme Merce Cunningham, Trisha Brown ou Lucinda Childs, il retient chez eux la matérialisation de l'espace par leurs déplacements.

Screenplays. 1976-1978
The Manhattan Transcripts. 1976-1981

Bernard Tschumi. Screenplay no. 2

Bernard Tschumi. Screenplay no. 2
© BTA 1978


Bernard Tschumi. Manhattan Transcripts no. 3

Bernard Tschumi. Manhattan Transcripts no. 3
© BTA 1980

Exposés dans des galeries d'art à Londres et à New York puis réunis en ouvrage en 1981, les Screenplays et les Manhattan Transcripts constituent à la fois un vocabulaire, une grammaire et une syntaxe. Dans les Screenplays, Tschumi s'inspire de la technique du montage (à partir de Frankenstein, de Psycho d'Alfred Hitchcock et du Faucon Maltais de John Huston) pour élaborer ses projections architecturales.

Les Manhattan Transcripts s'organisent à la manière de story-boards. Il ne s'agit pas, ici, d'inventer une nouvelle architecture mais plutôt de décrire le rapport entre l'architecture et la ville et ce qu'il s'y passe. Ainsi, chaque séquence décrit une action (ce qui se passe) dans un lieu (un espace réel) et les mouvements des protagonistes. Quatre épisodes s'enchaînent − The Park, The Street, The Tower, The Block − qui mettent en place la théorie du mouvement-action-espace. Différents modes de notation y sont mis en œuvre.


Table de documentationTable de documentation

Tables de documentation
Bernard Tschumi
. Les Manhattan Transcripts et le Joyce’s Garden
Vues de l’exposition, mai 2014
© Centre Pompidou - Photos Hervé Véronèse

Cette phase d'expérimentation sans production architecturale le conduit à la mise en forme spatiale et urbaine avec un projet développé à la AA School, le Joyce’s Garden, à partir d’un ouvrage de James Joyce. En effet, dans son programme d'enseignement, Tschumi s'appuie sur Roland Barthes et son Introduction à l'analyse structurale des récits qu'il perçoit comme une architecture, pour donner à ses étudiants, plutôt que des programmes de logements ou d'équipements, des textes littéraires (Bataille, Borges, Poe, Calvino ou Joyce) comme supports de création5. Pour lui, l'architecture c'est d'abord des mots, sa matérialisation n'est qu'une résultante. « On peut penser l'architecture par d'autres moyens que le construit ou que le dessiné »6, appuie Bernard Tschumi. Finnegans Wake servira d'inspirateur à Joyce's Garden, projet pour le quartier de Covent Garden. Il y initie l'usage de la grille, ses étudiants devant imaginer un projet à chaque point d'intersection. Toutes ces recherches sont à l’origine d’une première série de constructions temporaires, les Folies du XXe siècle édifiées à New York, Londres et Middlebourg aux Pays-Bas. Leur nom renvoie au livre de Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique dont la lecture a nourri sa réflexion sur l’architecture.

Parc de la Villette, Paris, France
Concours 1982-1983 - achèvement 1998

Bernard Tschumi. Les Folies du Parc de la Villette, 1982-1998, Paris, France

Bernard Tschumi. Les Folies du Parc de la Villette, 1982-1998, Paris, France
Maquettes et dessins
Vue de l’exposition, Galerie Sud, mai 2014
© Centre Pompidou - Photo Hervé Véronèse

En 1983, l’architecte gagne le concours pour l'aménagement du Parc de la Villette à Paris, ce qui donne une nouvelle inflexion à l'exercice de son métier. Contre toute attente, ce projet « dessiné sur le coin d'une table de cuisine » l'emporte « devant 471 autres propositions », s'amuse Tschumi. Jusque-là orienté vers la théorie, la recherche et l'enseignement, sa réflexion trouve enfin une application concrète : « Et d’un coup il a été possible d’intégrer dans un seul projet la plupart des questions posées auparavant. Les Folies du XXe siècle sont devenues le “parc du XXIe siècle’’. »7 Ce qu'il traduit par un mode d’organisation fondé, non sur l'interaction forme-programme, mais sur la tension née de la superposition de systèmes autonomes. La réponse est un espace fragmenté qui installe une mixité entre nature et architecture. Plutôt que d'abriter les fonctions (ateliers, espaces d’exposition, de concerts, de sports, d’éducation scientifique, de jeux, bars, restaurants, maison des enfants, maison du jardinage, serre, …) dans un volume unitaire, le projet éclate la répartition du bâti et joue sur la réduction d'échelle en regard de l'échelle démesurée des constructions existantes.

Bernard Tschumi. Axonométrie éclatée. Points Lignes Surfaces. Parc de la Villette

Bernard Tschumi. Axonométrie éclatée. Points Lignes Surfaces. Parc de la Villette
© BTA 1982

Sur le terrain de 55 hectares situé à la limite nord-est de Paris, l'aménagement met en relation les trois équipements présents ou déjà programmés sur le site − la Grande Halle, la Cité des Sciences8 (prévue dans la carcasse de béton des anciens futurs abattoirs) et la Cité de la Musique9 − et propose un parc d'un nouveau type. L'architecte prend en compte la planéité du site, sa position au bord du boulevard périphérique, et se propose d'en faire un véritable événement urbain. Le parc prend le contre-pied de la notion de Frederick L. Olmsted10 répandue durant tout le 19e siècle : « dans le parc, la ville n’est pas censée exister ». La Villette est une nouvelle forme de parc urbain basée sur l’invention culturelle, l’éducation et la récréation.

L'espace est réglé par la superposition de trois systèmes : le système de la grille aux points d'intersection de laquelle se trouvent les folies, le système des lignes qui organisent les circulations à travers le Parc, et le système des surfaces destinées à recevoir toutes sortes d'activités de plein air. Le thème des folies, apparu dans Joyce's Garden, est ici réactivé. Leur vocabulaire évoque le constructivisme russe des années 1920. Habillée de métal rouge, chacune fonctionne à la fois comme un repère et une enclave, autant signe de ralliement que lieu d'expérimentation de toutes sortes d'activités. Les folies constituent les points de référence d'un lieu d'échanges et de mixité sociale.

À l'idée de synthèse qui préside habituellement à la conception d'un objet architectural répondent ici les notions de « disjonction » et de « déconstruction ». Les dessins du Parc de la Villette11 sont présentés en 1987 dans une exposition au MoMA à New York, qui consacre la déconstruction en architecture. Y sont rassemblés, sous le patronage de Philip Johnson, les travaux de Bernard Tschumi aux côtés de ceux de Peter Eisenman, Daniel Libeskind, Coop Himmelb(l)au, Rem Koolhaas, Zaha Hadid et Frank Gehry. Le terme déconstruction, emprunté au philosophe Jacques Derrida, recouvre en architecture un dispositif analytique qui s'intéresse, plutôt qu'à la forme de l'objet produit, aux concepts ayant présidé à la matérialisation d'une architecture.

 

Programme - juxtaposition - superpositionRetour haut de page

Polyèdre 2

Le Parc de la Villette, première réalisation d'envergure, engage Tschumi dans une nouvelle réflexion sur la traduction du programme. Le programme est l'événement à partir duquel s’élaborent les concepts qui lui donneront sa matérialité.
Les projets réunis dans cette séquence utilisent un système de notation, les bandes,  dans lesquelles se trouvent regroupées les fonctions. Le principe de superposition horizontale et/ou verticale s'applique à des bâtiments aussi divers qu'un opéra, un aéroport, un centre pour étudiants ou un musée. Un tel mode de conception évacue,  comme préalable, toute question de style, de composition ou d'harmonie. « À la place, l’architecture devient un exercice logique dans lequel programme et construction peuvent être développés indépendamment et de manière objective ».12

Nouveau Théâtre national, Tokyo, Japon
Concours 1986

Bernard Tschumi. Opéra de Tokyo. Notation, Japon, 1986

Bernard Tschumi. Opéra de Tokyo. Notation, Japon, 1986
© BTA 1986

Avec le concours pour l'Opéra de Tokyo, Tschumi propose un nouveau modèle spatial pour les arts du spectacle. Le programme prévoyait plusieurs salles d’opéra, de concerts et de théâtre expérimental et les foyers attenants, des espaces de répétition, des ateliers et des espaces d’accueil (salles de réception, boutiques, bars et restaurants, galeries d'exposition) ainsi qu’une partie dédiée à l'administration. Affirmant qu'un « opéra ne peut être pensé comme un bâtiment unitaire », il reprend un principe des Manhattan Transcripts en associant des bandes programmatives analogues aux lignes d'une partition musicale ; elles reçoivent les différentes fonctions par juxtaposition de strates. Le projet est ainsi un outil ouvert, un instrument de travail sans forme préconçue dont la flexibilité permet d'accueillir des spectacles de toute nature, baroques, classiques ou contemporains.

Ce même concept est appliqué pour le concours de l'Opéra de Dubaï, où il se traduit par une série de toitures en vague abritant les fonctions, ou pour le concours de l'aéroport du Kansai à Osaka au Japon.

Aéroport du Kansai, Osaka, Japon
Concours 1988

Bernard Tschumi. Aéroport du Kansai, Osaka, Japon, 1988

Bernard Tschumi. Aéroport du Kansai, Osaka, Japon, 1988
Maquette
Vue de l'exposition, Galerie Sud, mai 2014
© Centre Pompidou - Photo Hervé Véronèse

Pour pallier la saturation de l’aéroport international de Narita à Tokyo, les autorités japonaises décident la création d'un nouvel aéroport de 300 000 m2 dans la baie d'Osaka, sur une île artificielle de 511 hectares. Le schéma fonctionnel, conçu par ADP13, réunit deux aérogares dans un même bâtiment : les vols nationaux étant intercalés entre les arrivées et les départs internationaux. Le concept de superposition était donc une donnée du programme.

Avec cette intervention à l'échelle du territoire, la réponse de Tschumi se veut non pas une infrastructure, mais « un nouvel espace urbain regroupant à la fois culture et loisirs ainsi que des grands magasins et des grands hôtels »14. Une double bande découpe en strates linéaires la superstructure, sur toute la longueur du terminal. Y sont rassemblées toutes les fonctions aéroportuaires (arrivées et départs, enregistrement, dépose ou reprise des bagages, contrôle des passeports, éventuel passage en douane, etc.) ; entre elles se glissent une vague longue de 1 600 mètres, dédiée aux activités culturelles et ludiques, et une barre pouvant accueillir 1 000 chambres d'hôtel et des bureaux.

Galerie vidéo en verre, Groningen, Pays-Bas
Commande et livraison 1990

Bernard Tschumi. Pavillon Vidéo de Verre, 1990, Groningen, Pays-Bas

Bernard Tschumi. Pavillon Vidéo de Verre, 1990, Groningen, Pays-Bas
© tschumipaviljoen.org

Bien que de petite échelle, cette réalisation est une étape importante pour l'agence car elle concrétise la volonté de dématérialiser le construit. Invité avec quatre autres architectes à concevoir des espaces temporaires pour un festival de musique et de vidéo, Tschumi envisage la Galerie vidéo de Groningen, aux Pays-Bas, comme une confrontation entre l'immatérialité de l'image et la matérialité de l'architecture. Plus précisément, il s'attache à dématérialiser la galerie en concevant un parallélépipède (21,6 x 3,6 x 2,6 m) entièrement en verre, à la fois structure porteuse et enveloppe, évacuant ainsi la dualité traditionnelle structure-enveloppe.

Pour répondre à la question du mouvement, dit Tschumi, et « engager le corps du spectateur qui se déplace d’un clip vidéo à l’autre »15, la construction repose sur un caillebotis métallique comportant une pente de 10° dans deux directions. L'inclinaison de l'ensemble fait perdre au visiteur la sensation d'équilibre, surtout de nuit, l'espace n'ayant plus ni matérialité visible ni point de repère. La transparence de la construction ne se voit interrompue que par l'image des écrans vidéo reflétés à l'infini sur les parois de verre. Imaginée pour être provisoire, la galerie devenue pérenne en raison de son succès, est utilisée pour des installations d’artistes.

Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains, Tourcoing, France
Concours 1991 - achèvement 1997

Bernard Tschumi. Le Fresnoy, 1991-1997, Tourcoing, France

Bernard Tschumi. Le Fresnoy, 1991-1997, Tourcoing, France
Vue de l’entre-deux
© Peter Mauss

Le Studio national des arts contemporains engage Tschumi sur une voie encore inédite pour lui, celle de la conservation de l'existant. En 1987, le ministère de la Culture décide la création dans le nord de la France d'un établissement supérieur d’enseignement artistique consacré aux nouvelles technologies, une sorte de Bauhaus du XXIe du siècle. Situé au Fresnoy, en périphérie de Tourcoing, il est implanté sur le site d'un ancien complexe de distractions populaires (un cinéma, un dancing, un manège d'équitation, une piscine, une salle de spectacles...).

Comme pour la Villette, il s'agit de créer l'événement, ici dans un environnement sinistré. Dans sa proposition, Tschumi conserve et unifie les quatre halles vétustes par une immense couverture hissée à vingt mètres de hauteur qui relie l'ensemble. Sous cet abri protecteur, toit technologique de métal et de verre, se déploie un réseau de passerelles, d'escaliers et de rampes dans un « entre-deux ». Un escalier monumental s'élance vers les toitures de tuile des anciens bâtiments restaurés qui deviennent « spectacle, action ». Dans ce volume piranésien générateur d'espaces intermédiaires, les fonctions (tournages, expositions, conférences, etc.) s'échangent, circulent et communiquent dans une générosité induite par ce geste. Le toit produit des effets inédits entre intérieur et extérieur, haut et bas, fonction et événement. Ce projet est l'expression absolue que « l'architecture n'est pas matérialisation des formes mais matérialisation des idées ».

vecteurs et enveloppesRetour haut de page

Polyèdre 3

À la fin des années 1980, un glissement sémantique s’opère chez les architectes qui substitue au terme de façade le mot d'enveloppe. Ce changement abolit la distinction entre la façade et la toiture. Un bâtiment n'est plus défini par les termes habituels mais par celui d'enveloppe, de peau.
Amorcées avec le toit fédérateur du Fresnoy, les recherches sur la clôture de l'espace orientent dans une nouvelle direction la réflexion sur la matérialité de l'architecture. Pour Tschumi, celle-ci ne peut être pensée qu'en terme de dynamique : les édifices dans leur forme la plus simple sont faits de vecteurs et d'enveloppes.
La façon dont on pénètre dans un immeuble, la façon dont on s'y déplace, constituent les vecteurs. Ce qui protège des intempéries ou des effractions constitue l'enveloppe. Les vecteurs activent, animent l'espace, l'enveloppe le définit, le délimite. Les projets de cette époque explorent différents concepts d’enveloppe et leur expression par le biais de divers matériaux.

Zénith et Centre d’expositions, Rouen, France
Concours 1998 - achèvement 2001

Bernard Tschumi. Zénith de Rouen, 1998-2001, France

Bernard Tschumi. Zénith de Rouen, 1998-2001, France
© Peter Mauss / Esto

Basé sur le concept espace-événement-mouvement, le Zénith de Rouen témoigne d'une exploration des notions d'enveloppe et d'entre-deux. Le site du Madrillet, un ancien terrain d'aviation, prolonge le Parc des Expositions, proche de la ville. Le programme se compose de deux entités : un espace d'exposition et un auditorium.
Le hall d’expositions de 6 500 m2 se déploie dans un parallélépipède revêtu d'acier. À son extrémité, s'enroule la coquille de l'auditorium de 107 mètres de diamètre. Elle est constituée d'une double enveloppe : la première extérieure, en acier, la seconde en béton pour la salle de concert. La double coquille de la structure crée une impression d'ouverture ou de porosité. Elle facilite en outre les déplacements des visiteurs autour de l'arène en béton. Entre salle et parvis, les circulations tissent une urbanité momentanée. L'entre-deux devient un espace social activé par le mouvement de la foule entre les foyers et les bars, sur les rampes et les escaliers conduisant à la salle.

Zénith, Limoges, France
Concours 2003 - achèvement 2007

Bernard Tschumi. Zénith de Limoges, 2003-2007, France

Bernard Tschumi. Zénith de Limoges, 2003-2007, France
© Christian Richters

Pour un programme similaire16, user du même concept semble logique. Reprenant le principe de la salle déployée dans un volume en spirale expérimenté dans la cité normande, le Zénith de Limoges adopte un plan quasi circulaire de 90 mètres de diamètre et se développe en un volume torique17 pour abriter les 6 000 places demandées. « Le concept précédent de double enveloppe incarnant espace, mouvement et événement »18 restait valide, commente Tschumi, mais il fallait lui donner une identité spécifique. Se pose alors la question de la relation entre concept et matériau.

À Limoges, l'environnement est radicalement différent. Bien que Tschumi tienne à distance l'approche contextualiste (voir chapitre suivant), il ne peut ici s'y soustraire. L'auditorium, implanté au nord de la ville, se trouve dans un cadre naturel inhabituel : sur une prairie, en lisière d'un domaine forestier, le Bois de la Bastide, aux arbres bicentenaires. Le Zénith tire de ce paysage les matériaux qui le constituent pour partie : translucide et boisée, la coque en polycarbonate alvéolaire est striée d'arcs porteurs en lamellé collé. Le volume de la salle, visible depuis l'extérieur, s'enveloppe d'une résille de lames de Pin de Douglas du Limousin. Entre les deux, s'organise la mise en scène des vecteurs, les flux des spectateurs, dans le foyer glissé en sous-face de la salle et les circulations, rampes et escaliers pour desservir les gradins.

Vacheron Constantin, Siège social et manufacture, Genève, Suisse
Concours 2001 - achèvement 2004 - extension 2012

Bernard Tschumi. Vacheron Constantin, 2001-2004, Genève, Suisse

Bernard Tschumi. Vacheron Constantin, 2001-2004, Genève, Suisse
© Peter Mauss / Esto

Pour le siège social et la manufacture d'horlogerie Vacheron Constantin, la firme souhaitait rassembler en un même lieu l'ensemble de ses sites jusque-là dispersés dans Genève. Bernard Tschumi choisit d'associer les deux éléments du programme, prévus pour être distincts, par une enveloppe unique, carapace d'inox aux effets moirés à l'extérieur, coque de cerisier d'Amérique sur la face intérieure. Cette enveloppe architecturale épouse les formes du bâtiment et assure l'unité, réunissant cols bleus (fabrication) et cols blancs (administration).
Le profil de la construction est cependant généré par la nécessité d'avoir les espaces de fabrication sur un seul plan tandis que les bureaux, les salles de conférences et de réunion se répartissent sur trois niveaux. Outre le béton de la structure, très soigné car laissé apparent, une large place est faite au verre. Les volumes intérieurs privilégient l'accessibilité et la transparence afin d'assurer les flux internes entre l'ensemble des départements.

Bernard Tschumi. Vacheron Constantin, 2001-2004, Genève, Suisse

Bernard Tschumi. Vacheron Constantin, 2001-2004, Genève, Suisse
© Peter Mauss / Esto

L’atrium sur quatre niveaux, où se déploie la batterie des ascenseurs, des escaliers et des coursives, offre des vues obliques sur les circulations menant aux bureaux et au restaurant qui bénéficie d'une vue panoramique au dernier étage. Les déplacements des personnes sont mis en scène, « les vecteurs de mouvements (étant) entièrement traduits par (les) éléments en verre »19.


ÉCAL – École Cantonale d’Art de Lausanne, Lausanne, Suisse
Commande 2005 - achèvement 2007

Bernard Tschumi. École Cantonale d'Art de Lausanne, 2005-2007, Lausanne, Suisse

Bernard Tschumi. École Cantonale d’Art de Lausanne, 2005-2007, Lausanne, Suisse
Vue de l'exposition, Galerie Sud, mai 2014
© Centre Pompidou - Photo Hervé Véronèse

Implantée dans une ancienne usine désaffectée, édifiée dans les années 1950, l'ÉCAL (École Cantonale d'Art de Lausanne) occupe pratiquement 14 000 m2 sur les 25 000 m2 de ce lieu, voué dorénavant à l'enseignement et aux pratiques artistiques (École d'architecture de la Polytechnique de Lausanne, galerie, studios multimedia).
L'idée d'une architecture communicante a présidé au projet. La problématique était, rappelle Tschumi, de « créer un espace intérieur vivant sur des plateaux industriels superposés et dépourvus de lumière »20. Pour établir de nouvelles relations spatiales, il crée quatre cours intérieures toute hauteur, et une grande rue − sur toute la longueur du bâtiment − qui les relie en rez-de-chaussée.

Les puits de lumière, les passerelles et les coursives maintiennent un lien visuel constant entre les différents niveaux. Fidèle à son approche cinématographique de l'architecture, l'organisation spatiale multiplie les angles de vue inattendus, plongeants ou ascendants, le tout ponctué de grands aplats de couleur. Il fallait que la perception du bâtiment traduise sa nouvelle vocation. À l'extérieur, un bardage métallique, équipé de stores multicolores côté est et côté ouest, habille les façades de l'ancienne usine. Au sud, la façade d'entrée principale bénéficie d'une protection solaire grâce à la grande résille métallique à larges ondulations qui filtre la lumière tout en laissant passer le regard.

CONCEpt - contexte - contenu Retour haut de page

Polyèdre 4

Bernard Tschumi tient à distance la notion de contexte, méfiant envers une approche contextualiste qui pousse à dupliquer les formes existantes dans l'environnement immédiat du projet. Mais, bien que récusant tout « contextualisme », il considère qu'aucune architecture ne peut exister sans prendre en compte ce qu'il y a autour.
Plusieurs programmes l'amènent à se confronter à cette question, à commencer par le Musée de l’Acropole à Athènes. L'architecte ne peut s'abstraire du « déjà là ». Aussi s'est-il attaché à conceptualiser ce contexte tandis qu'à Marne-la-Vallée et à Miami, pour deux programmes et usages identiques, il contextualise un concept. Les relations que peuvent entretenir contexte et concept sont multiples, comme en témoignent d’autres projets présentés ici.

Musée de l’Acropole, Athènes, Grèce
Concours 2001 - achèvement 2009

Bernard Tschumi. Musée de l'Acropole, 2001-2009, Athènes, Grèce

Bernard Tschumi. Musée de l’Acropole, 2001-2009, Athènes, Grèce
© Peter Mauss / Esto

La construction du Musée de l'Acropole à Athènes s'inscrit dans un contexte plus que sensible, tant physique (le site) que politique. Il faut, d'une part, composer avec cette icône du patrimoine architectural qu'est le Parthénon construit par Phidias au Ve siècle avant J.C., d'autre part, faire de ce futur musée un écrin dont le but est de voir revenir, sur leur lieu d'origine, les frises du Temple conservées au British Museum à Londres, depuis le 19e siècle. Le musée se situe à 300 mètres en contrebas du Temple d'Athéna, dans un quartier résidentiel dense, sur un terrain couvert à plus de 70% de ruines archéologiques qu'il faut non seulement préserver mais aussi intégrer au parcours muséographique. Autant de contraintes avec lesquelles il faut composer.

La réponse est un bâtiment organisé sur trois strates superposées, en dialogue avec l'éminent voisin. À savoir : un socle sur pilotis − comme soulevé au-dessus des ruines –, une salle hypostyle, au niveau intermédiaire, dédiée à la statuaire d'époque archaïque − la profusion de colonnes, hautes de huit mètres, répond aussi aux contraintes antisismiques −, enfin, au dernier niveau, une boîte de verre qui par ses proportions et son orientation − elle est désaxée pour être parallèle au temple – fait écho au Parthénon.
Pour magnifier les œuvres exposées, la gamme des matériaux employés est restreinte : béton lissé gris pour les parois, marbre noir pour les circulations et beige pour les espaces d'exposition, verre pour l'enveloppe mais aussi pour les planchers qui laissent voir les couches archéologiques. Le projet est construit sur la narration des œuvres qu'il abrite, une rampe monumentale conduisant aux collections. Ainsi le contexte se trouve-t-il conceptualisé.

École d’architecture, Marne-la-Vallée, France
Concours 1994 - achèvement première phase 1999

Bernard Tschumi

Bernard Tschumi.
De gauche à droite :
École d’architecture Florida International University, Miami, Floride, 1999-2003
et École d’architecture, Marne-la-Vallée, France, 1994-1999
Vue de l'exposition, Galerie Sud, mai 2014
© Centre Pompidou - Photo Hervé Véronèse

Comment donner un caractère d'urbanité à une école implantée à 30 minutes de Paris, en pleins champs et dont la vocation est de former des étudiants à fabriquer la ville ? C'est cette question qui guide la conception de l'École d'architecture de Marne-la-Vallée. Le concours demandait en outre de proposer tant le programme que le concept architectural.

La réponse est de penser le projet comme une Cité de l'architecture, génératrice d'événements et point de départ d'un nouveau modèle d'école à l'ère d'une triple révolution : informatique, interdisciplinaire et idéologique. L'école est envisagée comme un « espace conçu pour l’âge du modem et de la mobilité », la technologie aidant à pallier son isolement géographique.
Tous les locaux d'enseignement sont répartis dans deux ailes en périphérie autour d'un grand vide central (25 x 100 m) couvert d'une verrière, une sorte de forum fédérateur de tous les événements pouvant s'y dérouler : conférences ou débats, expositions ou fêtes, projections ou installations d’artistes. Autour, les salles sont distribuées par des coursives. Studios et ateliers sont rassemblés sous une même enveloppe, les salles de cours étant intercalées entre les studios pour favoriser les débats entre les disciplines. Le projet était prévu en deux phases. La seconde n’a pas été réalisée.

École d’architecture Florida International University (FIU), Miami, Floride, États-Unis
Concours 1999 - achèvement 2003

Bernard Tschumi. École d'Architecture, Miami, Floride, 1999-2003

Bernard Tschumi. École d’Architecture, Miami, Floride, 1999-2003
© BTA 2005

À Miami, la demande est similaire, des locaux d'enseignement pour former des architectes, mais le contexte est radicalement différent. L'agence part donc des mêmes éléments programmatiques. Le concept mis en œuvre à Marne-la-Vallée est repris, mais là où les espaces sont clos, ils deviennent ouverts en raison de la localisation géographique.

Entre les deux ailes, ici de longueur inégale, se déploient de part et d'autre de « deux espaces générateurs d’événements », un auditorium et un lieu d’exposition avec sa salle de lecture. S'y ajoute, légèrement excentrée, une sorte de générateur « vert », une grille ponctuée de vingt-cinq palmiers. Les vecteurs de circulation entre les différentes parties du bâtiment ont servi de points d'appui au dessin et à la répartition des générateurs.
Si, à Marne-la-Vallée, du fait du climat, l’espace central est intérieur, à Miami il devient un espace en plein air, ensoleillé. Tschumi souhaite y exprimer l'identité de la ville, une de ses particularités étant « son caractère multiculturel au carrefour d'influences sud américaine et caribéenne ». Cette dimension se traduit, selon lui, dans le choix des parements : les générateurs sont recouverts de carreaux de céramique aux couleurs vives, les ailes en béton préfabriqué combinent dans leur matériau à la fois structure et enveloppe.

Factory 798, Pékin, Chine
2004, étude

Bernard Tschumi. Factory 798, 2004, Pékin, Chine

Bernard Tschumi. Factory 798, 2004, Pékin, Chine
Maquette
Vue de l'exposition, Galerie Sud, mai 2014
© Centre Pompidou - Photo Hervé Véronèse

Par rapport à la question du contexte, bien que resté au stade d'esquisse, le projet d'aménagement de la Factory 798 à Pékin est important car il traite de la stratégie des espaces d’entre-deux, entre l’ancien et le nouveau, le dessus et le dessous, l’espace privé et l’espace public. Un ensemble d’usines militaires désaffectées, occupé par des artistes et des galeries d'art, devait être démoli pour laisser place à des tours d’habitation. Tschumi imagine une ville suspendue à 25 mètres au-dessus de l'existant qui concilie logements et activités artistiques. Pour ce faire, il reprend le système du réseau développé pour les Ponts-Ville de Lausanne21. Le maillage irrégulier découle d'un travail de synthèse : les points d'appui verticaux ont été implantés entre les ouvrages existants.

Présenté à la première Biennale de Pékin en 2004, et à celle de Venise la même année, le projet ne sera pas réalisé mais aura un effet positif puisqu'il aura contribué à l'abandon des démolitions programmées par les autorités chinoises.

Centre d’athlétisme Lindner, Université de Cincinnati, Ohio, États-Unis
Commande 2001 - achèvement  2006

Bernard Tschumi. Centre d'athlétisme Lindner, Université de Cincinnati, Cincinnati, Ohio, États-Unis

Bernard Tschumi. Centre d’athlétisme Lindner, Université de Cincinnati, Cincinnati, Ohio, États-Unis
Vue de l'exposition, Galerie Sud, mai 2014
© Centre Pompidou - Photo Hervé Véronèse

Une « forme libre contextuelle », tel est le concept élaboré pour répondre à la commande de l'Université de Cincinnati dans l'Ohio pour le Lindner Athletics Center. Les campus américains constituent souvent une collection d'architecture et l'Université de Cincinnati n'échappe pas à la règle puisque la vingtaine de bâtiments sur son site sont signés d'autant d'architectes. Invité en 2001 à y édifier un centre sportif de 22 000 m2 sur un terrain en lisière du campus, Bernard Tschumi choisit d'inscrire son bâtiment au cœur de celui-ci dans un espace interstitiel laissé par trois constructions existantes, le Shoemaker Center, le stade de football Nippert et le Campus Recreation Centre de Tom Mayne.

Ce choix, fait dans un souci d'accessibilité et « pour mettre l’accent sur son rôle majeur dans la vie universitaire »22, l'oblige à composer avec de rudes contraintes : la présence en sous-sol d’une station électrique, celle d’un quai de chargement et le maintien d'un passage nécessaire pour les piétons.
La forme qui en découle, un boomerang, est quasiment dictée par le contexte mais le bâtiment est positionné de manière à faire le lien entre les entrées nord et sud du campus. En conséquence, son atrium deviendra l'accès obligé pour tous les événements sportifs. Un treillis de béton blanc constitue à la fois la structure et l’enveloppe du bâtiment. Il donne son identité au Centre et devient l'image du projet.

Formes - conceptsRetour haut de page

Polyèdre 5

La matérialisation de l'architecture part d'une idée, une idée exprimée d'abord par un diagramme ou par des mots. La forme est non un point de départ mais le résultat d'une conceptualisation. C'est la raison pour laquelle, comme celle du contexte, la question de la forme a longtemps parue inopérante à l'architecte. Cependant, certaines situations « nécessitent de choisir une abstraction géométrique comme origine d’un concept »23. Par exemple, le programme d'un parc animalier, d'un équipement culturel ou celui plus complexe d’une ville pourra procéder d'une géométrie abstraite, linéaire, concentrique ou orthogonale. Tschumi la nomme une « forme-concept ».

Alésia MuséoParc, Alésia, France
Concours  2002-2004  - achèvement  du Centre d’interprétation 2012 - livraison du Musée 2014

Bernard Tschumi. Alésia Muséoparc, 2002-2014, France

Bernard Tschumi. Alésia Muséoparc, 2002-2014, France
© Christian Richters

À Athènes, « il fallait partir du contexte pour arriver à un concept ». C'est le contraire qui s'est produit à Alésia. « Du concept nous sommes arrivés au contexte ».24 Pour le Muséo Parc d'Alésia, le programme s'articule autour de deux éléments : un centre d'interprétation où est racontée l'histoire du site et un musée destiné à la présentation des objets et des vestiges. Tout s'organise à partir de cette bipolarité.

Il fallait trouver une forme abstraite pour représenter l'idée de bataille, d'encerclement et de siège, faire écho au paysage de collines vallonnées et évoquer l'oppidum. Ainsi, deux formes circulaires identiques abritent les fonctions. Le Centre d’interprétation est implanté dans la vallée où César cantonnait ses troupes. Le Musée, distant d'un kilomètre, est construit près du village, sur les contreforts de l'oppidum, refuge des Gaulois. Mais chacun, obéissant à la matérialisation de la forme-concept, a sa propre identité.
De plus, l'objectif était de donner une cohérence tout en réagissant à la spécificité de ces deux lieux. Le Centre est ceint d’une résille en mélèze en référence aux ouvrages militaires des Romains ; elle joue le rôle d'enveloppe, de brise-soleil et de filtre. Le Musée est revêtu des pierres dégagées en creusant ses fondations. Dans les deux bâtiments, les parcours, s'appuyant sur la géométrie du lieu, sont organisés en boucle, à partir d'une rampe qui offre une vision à 360° sur le cirque de collines et le site de la bataille.

Parc zoologique de Paris, Vincennes, Paris, France
Commande 2008 - achèvement 2014

Bernard Tschumi BTuA-AJOA. Zoo de Vincennes, 2008-2014, France

Bernard Tschumi BTuA-AJOA. Zoo de Vincennes, 2008-2014, France
© Iwan Baan

Le Parc zoologique de Vincennes est un lieu scientifique et technique, un lieu pédagogique, un lieu de spectacles, de loisirs et de services. À l'occasion de la restructuration complète du site, le Museum d’histoire naturelle souhaitait instaurer une nouvelle relation à l'animal. Développé avec Jacqueline Osty, paysagiste, et Véronique Descharrières (BtuA), le zoo est pensé en termes de biozones réparties sur quatorze hectares. Pour son réaménagement, il fallait trouver un dénominateur commun entre une architecture destinée aux animaux et une architecture destinée aux humains, entre les bâtiments techniques voués aux soins et à la protection des bêtes et ceux destinés à les abriter, volières, serres, etc. Et pourquoi une forme ?, s'interroge Bernard Tschumi. Une construction peut-elle être informe et cependant matérielle et nécessaire ? Ce questionnement qui préside à la conception du parc inaugure l'entrée dans un nouveau champ conceptuel, celui de l'informe.

La démarche de l'agence BTuA a consisté à « créer des supports spécifiques de manière à cacher, compléter ou à fondre les bâtiments »25 dans un environnement qui tente de recréer les milieux naturels. Il y a bien de l'architecture mais elle devient paysage pour le bien-être de l'animal. Avec les palissades de madriers, les résilles et tressage de végétaux en parements, Tschumi explore les notions de bouclier, de filtre, voire de masque. Avec la distinction entre enveloppe fonctionnelle et enveloppe visuelle, ce projet ouvre un nouveau champ d'investigation pour l'agence. Il constitue l'envers du Parc de la Villette. D'un côté, un territoire réglé par un dispositif. De l'autre, un parc sillonné d'un entrelacs de chemins et de sentes, visant à reconstituer des espaces naturels.

Elliptic City IFCA, Saint-Domingue,République dominicaine
Commande 2005 – en cours

Bernard Tschumi, Elliptic City IFCA, 2005-, Saint-Domingue, République dominicaineBernard Tschumi, Elliptic City IFCA, 2005-, Saint-Domingue, République dominicaine

Bernard Tschumi, Elliptic City IFCA, 2005-, Saint-Domingue, République dominicaine
Vues de l'exposition, Galerie Sud, mai 2014
© Centre Pompidou - Photos Hervé Véronèse

Les autorités de la République dominicaine ont commandé à Bernard Tschumi la création, à 22 km de la capitale, d'une ville nouvelle destinée à recevoir 40 000 habitants, et devant comporter un centre d'affaires pour 8 000 personnes, logements, équipements et bureaux. Le site de 3 000 ha, couvert d'une végétation dense, est au bord de la mer des Caraïbes et délimité par deux voies principales. Le terrain, totalement plat, ne présentait aucune contrainte. Tschumi choisit de s'appuyer sur la caractéristique essentielle du site : sa végétation luxuriante.

Le propos est d'offrir un plan qui permette au client « de localiser comme il le souhaite les différents éléments de son programme »26. La réponse est une abstraction : la duplication d'une série de clairières circulaires ou elliptiques dans lesquelles seront réparties les constructions reproduisant elles-mêmes ce langage géométrique. Cette décision conceptuelle est la matérialisation absolue de la forme-concept, ces formes génériques pouvant recevoir toutes sortes de fonctions.

ConclusionRetour haut de page

Le parcours de l'exposition démontre l'aisance de Bernard Tschumi à passer de la théorie à la pratique. Guidé par la conviction que « l'architecture sera précisément le champ des plus importantes innovations de ce siècle »27, il poursuit actuellement les chantiers de la Salle Philharmonique Carnal Hall au Rosey près de Genève, d'un deuxième bâtiment pour la manufacture Vacheron Constantin, et un complexe commercial et hôtelier à La Haye. Son activité se déploie également sur une échelle territoriale, avec des projets d'aménagement urbain conçus pour les villes de Shenzhen, New York, Montréal, Chartres, Lausanne et Saint-Domingue où il prépare une ville nouvelle de 40 000 habitants.

L'agenceRetour haut de page

Bernard Tschumi crée son agence à Paris en 1983, puis une autre à New York en 1988 (Bernard Tschumi Architects - BTA). L’agence de Paris devient en 2003 Bernard Tschumi urbanistes Architectes (BtuA). Ensemble, les deux équipes regroupent une trentaine de collaborateurs. L'agence de Paris assure le suivi de tous les projets réalisés en France.

Site Internet commun des agences de Bernard Tschumi
www.tschumi.com

Repères bibliographiquesRetour haut de page

Publications de Bernard Tschumi

Publications sur Bernard Tschumi et son agence

Publications sur des projets de Bernard Tschumi

En savoir plus sur l’exposition

Consulter l’agenda du site www.centrepompidou.fr

Crédits

© Centre Pompidou, Direction des publics, mai 2014
Texte : Mylène Glikou
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cédric Achard / RDSC
Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques Retour haut de page

Références

_1 Entretien avec Bernard Tschumi, 18 mars 2014.

_2 Entretien avec Bernard Tschumi, 18 mars 2014. Voir la présentation du projet de réaménagement du Zoo de Vincennes dans le chapitre Formes-concepts.

_3 Citation de Le Corbusier.

_4 Cf. le site internet de BTuA.

_5 C'est bien cette approche qui le conduit en 1975 à demander à quinze architectes et à quinze artistes d'associer un texte et une image. Cette démarche initiée avec RoseLee Goldberg débouchera sur une exposition « A space : a thousand words », présentée au Royal College of Art.

_6 Bernard Tschumi. Architecture : concept & notation. Catalogue de l’exposition. Entretien de Bernard Tschumi avec Frédéric Migayrou, page 75.

_7 Idem. Entretien de Bernard Tschumi avec Frédéric Migayrou, page 78.

_8 La Cité des Sciences est inaugurée le 13 mars 1986.

_9 La Cité de la Musique est inaugurée le 7 décembre 1995.

_10 Frederick L. Olmsted, architecte et paysagiste américain (1822-1903).

_11 Le projet est encore en cours d'aménagement quand les dessins en sont présentés au MoMA. La réalisation du Parc et de tous ses équipements s'est achevée en 1998.

_12 Bernard Tschumi. Architecture : concept & notation. Catalogue de l’exposition. « Nouveau Théâtre National, Tokyo, Japon », page 121.

_13 Aéroports de Paris a gagné le premier concours organisé pour définir le schéma fonctionnel de l'aéroport. Les architectes concourant pour la deuxième phase devaient concevoir leur réponse en respectant le principe d'organisation des aérogares.

_14 Cf. le site internet de BTuA.

_15 Bernard Tschumi. Architecture : concept & notation. Catalogue de l’exposition. « Galerie Vidéo en verre, Groningen, Pays-Bas », page 135.

_16 Les Zénith sont des salles labellisées obéissant à un cahier des charges commun.

_17 Un tore est une surface de révolution engendrée par un cercle tournant autour d'une droite située dans son plan et ne passant pas par son centre.

_18 Bernard Tschumi. Architecture : concept & notation. Catalogue de l’exposition. « Zénith, Limoges, France », page 148.

_19 Idem. « Vacheron Constantin. Siège social et manufacture, Genève, Suisse », page 161.

_20 Idem. « ÉCAL – École cantonale d’art de Lausanne, Lausanne, Suisse », page 164.

_21 Ponts-Ville,Lausanne, Suisse, concours 1988 – achèvement partiel 1996-2009.

_22 Bernard Tschumi. Architecture : concept & notation. Catalogue de l’exposition. « Centre d’athlétisme Lindner, Université de Cincinnati, Cincinnati, Ohio, États-Unis », page 176.

_23 Idem. « Formes-Concepts. Concepts-Formes », page 193.

_24 Entretien avec Bernard Tschumi, 18 mars 2014.

_25 Cf. le site internet de l'agence BTuA.

_26 Bernard Tschumi. Architecture : concept & notation. Catalogue de l’exposition. « Elliptic City IFCA », page 195.

_27 Cf. le site internet de l'agence BTuA.

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