Arts de la scène et art contemporain

 

1. Jean-Luc Verna, I Apologize
Le 24 janvier, 20h30, Grande salle

 

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Jean-Luc Verna, I Apologize © Jean-Luc Verna

Initié par Jean-Luc Verna, artiste plasticien qui jongle avec son corps, ses dessins, ses sculptures, le groupe I Apologize réinterprète les images célèbres de l’histoire de l’art et les « airs du répertoire » : Siouxsie and the Banshees, T-Rex, Sex Pistols, Donna Summer, Georges Brun, Barbara... Pascal Marius, guitariste, participe à l'arrangement des remix et des compositions musicales. Gauthier Tassart, plasticien, déroule sur mesure les boucles, effets, synthétiseurs et claviers. Pour ce concert, I Apologize invite aussi François Sagat, acteur et performeur, Julien Tiberi, plasticien et batteur, et Patrick Riou, metteur en scène.

 

Jean-Luc Verna, ou « le moi » en permanente mÉtamorphose

Jean-Luc Verna, Bruges, 2006
Transfert au carbone sur papier rehaussé de fard
Dessin, 50 x 90 cm,
Don de la Société des Amis du Musée national d'art moderne, 2007
Projet pour l'art contemporain 2006 - AM 2007-61
© Jean-Luc Verna, courtesy Air de Paris

Le dessin : la colonne vertébrale de son œuvre

Artiste plasticien, Jean-Luc Verna (né en 1966) est aussi acteur, danseur et chanteur. Figure transdisciplinaire par excellence, il construit son travail en mêlant histoire de l’art, art contemporain et musique rock. La pratique du dessin est la colonne vertébrale de son œuvre ; un dessin qui court du papier au mur et au sol, en passant par son corps.

Nourri de l’univers du symbolisme, l’artiste puise du côté du monde des squelettes, chimères et anges déchus, et offre une relecture de ces motifs à l’aune de la contemporanéité. Cette réappropriation et ce détournement lui permettent de mettre en place, depuis le début des années 1990, une œuvre dessinée où les décalages formels engagent un certain nombre de ruptures et de rencontres esthétiques et historiques. À ce titre, Jean-Luc Verna part d’un dessin originel qu’il démultiplie en procédant par photocopies, décalques, transferts au trichloréthylène et dans des tailles variables, sur la feuille de papier, le mur ou le tissu, avant d’être, en dernier lieu, repris au crayon, à la pierre noire et rehaussé de fards. Cette évolution et déperdition de l’image lui permettent de se départir de toute virtuosité, de tuer la source de l’œuvre en dénaturant la ligne et en bouleversant la forme.

La mise en scène du corps

Jean-Luc Verna sculpte son corps qu’il met en scène sur des photographies et sur la scène. Il se réapproprie certaines attitudes issues de l’histoire de la peinture, de la sculpture et de la photographie, qu’il réinterprète en les mêlant à l’univers musical (son panthéon d’icônes de la culture rock : Siouxsie, Nico, Diamanda Galas). Manipulant la question de l’identité et mélangeant les genres sexuels et culturels, il conçoit, depuis 2000, une série d’images photographiques dans laquelle, loin de disparaître, il incarne une figure hybride qui tient tout autant de l’histoire de l’art que de la musique rock, manière pour lui de faire coïncider, sans distinction culturelle, ces poses qui deviennent atemporelles. Entre autres choses, et dans le même temps, Jean-Luc Verna devient : Ballerine de 14 ans, EDGAR DEGAS / Interlude, 1984, NINA HAGEN, live, Théâtre de verdure, Nice. Ou encore L’âge d’airain, 1877, RODIN, Bronze / SIOUXSIE / PATTY SMITH / JIM MORRISSON : respiration classique. Repris des catalogues de l’artiste, ces titres sont faits de tous les gestes qu’il se réapproprie.

Le chanteur et l’acteur

Pour Jean-Luc Verna interprète, la réappropriation, loin d’être un geste modeste, implique un nouvel événement esthétique. Ainsi, son travail de chanteur est-il une recherche d’interprétation à travers la reprise de standards de Siouxsie and the Banshees, des Sex Pistols ou encore de Donna Summer, de même les rôles qu’il joue ou rejoue dans certains films (tel Body Double de Brice Dellsperger) ou dans les spectacles de Gisèle Vienne (I Apologize, 2004). À une apparence unique, il préfère une prolifération d’images d’un « moi » constamment métamorphosé, brouillé et démultiplié à travers les supports et modes d’expression.

Dans cette approche synesthésique de l’art, qui caractérise sa démarche et dans laquelle aucune forme d’expression n’est indissociable des autres, son regard artistique n’en demeure cependant pas moins singulièrement homogène. Ainsi, depuis 1995, il a choisi de nommer chacune de ses expositions personnelles d’un titre unique, une bribe de dialogue qui, non sans humour, vaut comme seul signe d’identification de son œuvre : « - Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? » - « Non. »

Valérie Da Costa

 

 

ENTRETIEN AVEC PASCAL MARIUS ET JEAN-LUC VERNA

« Chacun d’entre nous est une image forte, singulière, nous n’avons pas besoin d’en montrer d’autres. » Jean-Luc Verna

Un groupe de Remix

Pascal Marius. I Apologize, c’est un groupe de plasticiens et de musiciens qui s’intéressent avant tout aux remix de chansons. On n’est pas un groupe de rock, d’électro et de Pop, mais de remix.

Jean-Luc Verna. On pourrait dire aussi : hommages, citations, reprises ou révérences…

P.M. Oui, à l’origine, il y a trois ans, l’idée était de poursuivre en musique et sur scène le travail de Jean-Luc sur les poses de l’art, cette série de photos où il rejoue des poses de musiciens rock ou de tableaux classiques.

Jean-Luc Verna, 37 ans (the age of 37), 2005
Transfert au carbone sur papier rehaussé de fard
Dessin, 44,5 x 29 cm 
Don de la Société des Amis du Musée national d'art moderne, 2007. Projet pour l'art contemporain 2006 - AM 2007-57

J.-L.V. Dans mes dessins aussi, d’une certaine manière, je fais des remix, c’est-à-dire de nouvelles versions de très vieux motifs picturaux : pietà, corps, maternité, etc. Tout est lié. Et depuis peu, on fait aussi nos propres compositions. Le concert au Centre Pompidou sera un moment de césure, d’articulation. On entre dans un nouveau cycle, qui coïncide aussi avec la sortie de notre premier album, un picture disc sorti sous le label Optical Sound.

Pierre Ryngaert. Ce mot de remix tient encore, dès lors que vous vous mettez à composer ?

P.M. Pourquoi pas. Pour composer, j’emprunte, toujours. Par exemple je m’inspire de trois morceaux. Deux sont dans un même style, électro peut-être, et puis un autre dans un style plus rock, et je tente une synthèse. Ça démarre toujours comme ça. Forcément, de fait, il y a toujours quelque chose qui est de l’ordre du remix.

J.-L.V. Ça reste dans la même tonalité. Je suis un enfant de la new wave, donc les textes que j’écris doivent pour moi avoir une certaine couleur, parler de ce que j’aime. Dans mon écriture, on retrouve mes influences.

P.M. Jean-Luc écrit, on compose avec Gauthier Tassart et on s’occupe de l’arrangement et de la direction artistique tous les trois. Gauthier ajoute des bruitages, des atmosphères à l’aide de toute une série de machines. Un autre artiste, Julien Tiberi vient de nous rejoindre en tant que batteur, il fait depuis peu partie du groupe.

Un concert « très particulier »

J.-L.V. Pour le Centre Pompidou, on va travailler l’espace plus fortement que d’habitude. C’est un lieu très particulier pour moi. D’abord, parce qu’il y a dans les collections certains de mes dessins, dont une partie est d’ailleurs actuellement exposée. Ensuite, je le dis sans prétention, parce que depuis toujours je m’y sens comme chez moi. Sur scène, il y aura un décor avec, j’espère, beaucoup de drapés noirs, d’étoffes noires, de guirlandes lumineuses, de coussins, de vieux boas, de têtes de mort de plusieurs tailles, de plumes, pas mal de choses qui viennent de chez moi, tout un bordel noir et domestique. En fond de scène se trouvera un cyclo blanc. De temps à autre, pour des moments très courts, j’irai, devant, prendre une pose comme dans un studio photo, esquisser un pas de danse, faire une citation de mon travail ou de celui d’un autre.

P.R. Il y aura aussi des invités…

J.-L.V. Oui. Les lumières vont être réalisées par Patrick Riou, le metteur en lumière d’Angelin Prejlocaj et de Gisèle Vienne pour laquelle je danse. Il y aura aussi François Sagat, qui va chanter deux duos avec moi. Il est très inattendu dans le rôle du chanteur puisqu’on le connaît de sa première carrière d’acteur érotique, puis pour avoir joué dans L’homme au bain de Christophe Honoré. On a fait ensemble une photo inspirée de Daphné et Apollon du Bernin qui a été exposée à la galerie Air de Paris. Je prépare un film avec lui : une visite nue et chorégraphiée d’un grand musée parisien, en écho à mon travail photographique.

Les images et les sons

P.R. Allez-vous montrer des images pendant le concert ?

J.-L.V. À un moment, une surprise visuelle qui fasse décor, c’est possible. Mais je n’aime pas les images dans les concerts. Les gens les regardent au lieu de regarder le groupe.

P.R. Une des grandes forces de la musique, c’est aussi d’inciter l’auditeur à produire ses propres images mentales. Montrer des images pendant un concert, c’est peut-être trop diriger l’imaginaire de l’auditeur, le contraindre.

J.-L.V. Oui. Et puis chacun d’entre nous est une image forte, singulière, nous n’avons pas besoin d’en montrer d’autres. Depuis quelques temps par exemple, Gauthier, qui est devenu barbu, joue parfois en djellaba. Et puis je suis maquillé, talonné, costumé, une tante glam de Cabaret, un performeur. On n’est pas seulement un groupe de remix, on est aussi un groupe de cabaret, de pop noire, étrange qui confine au cabaret. Je fais le pitre, aussi.

P.R. Un jour, je t’ai entendu parler de « sculpture vivante ». Cette expression peut-elle te qualifier ?

J.-L.V. Non, malheureusement, mon corps est un chantier trop instable pour ça. Par contre je suis une image qui bouge. De mon plein gré, j’ai sacrifié tellement de choses pour arriver à mener ma barque et à être ce que je veux. J’ai vraiment taillé des énormes pans de ma vie pour devenir une image, une image en mouvement.

Croisement des disciplines

« On a trop tendance à cloisonner, de toutes façons…
Alors qu’on a le droit de toucher à tout ce qu’on veut, d’être partout. »

Pascal Marius

P.R. Tu travailles dans plusieurs disciplines, la danse, le jeu d’acteur, le dessin, la photographie, le chant. Les cloisonnements généralement établis entre ces disciplines ont-ils un sens pour toi ?

Jean-Luc Verna
© Jean-Luc Verna, courtesy Air de Paris

J.-L.V. En ce qui me concerne, beaucoup de collectionneurs se posent des questions. Pendant quinze ans, j’ai été connu pour faire du dessin. Après j’ai fait de la photo, ça passait encore. Mais quand j’ai commencé à tourner dans le monde entier avec Gisèle Vienne, à faire des disques, des concerts, il y a des gens qui se sont posé des questions. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Il  fait encore du dessin ? Ils ne comprennent plus. Un certain nombre d’entre eux se demandent s’ils vont continuer à collectionner mes œuvres. Quand on est artiste, c’est qu’on a un rapport au monde, et ce rapport fait qu’on donne des choses, et ces choses peuvent être différentes les unes des autres tout en participant de la même vision. De ce point de vue, j’admire beaucoup ce que Mike Kelley avait fait avec le groupe Destroy all monsters dans les années 1970-80. Parce qu’il y avait une continuité avec son travail d’artiste, une cohérence incroyable. Ce qui me demande le plus de concentration, c’est la danse, parce que je ne suis pas danseur. D’ailleurs sur scène je ne danse pas, je performe, mais fais peu de danse dansée. Je suis toujours le même qui fais différentes choses. Ces choses finissent par couler de moi de façon naturelle parce que c’est logique. J’ai quand même commencé la musique avant d’être dessinateur. Mon premier groupe, je l’ai monté en 1982. Ça s’appelait Le grand tunnel mou.

P.M. On a trop tendance à cloisonner, de toutes façons… Alors qu’on a le droit de toucher à tout ce qu’on veut, d’être partout. Il y a aujourd’hui beaucoup d’artistes plasticiens qui font de la musique. Ça a toujours plus ou moins existé, mais je crois qu’aujourd’hui c’est très présent. Par exemple Lina Hentgen, Arnaud Maguet, Jacques Julien, Hugues Reip.

P.R. Pourquoi, selon vous ?

J.-L.V. L’art contemporain n’apporte pas la même reconnaissance qu’un concert. Le rapport à la musique est plus léger, plus immédiat. Quand les gens aiment ou n’aiment pas, ça se voit tout de suite. Il n’y a pas le différé du « j’ai vu ton expo » ou « j’ai vu une pièce ». C’est beaucoup d’oxygène. Dans un vernissage, on ne peut croire que ses copains. Et puis les plasticiens écoutent souvent de la musique en travaillant, et la musique les traverse. Et donc, quand ils peuvent en faire, ils en font.

Propos recueillis par Pierre Ryngaert
Chargé de médiation pour les publics adultes

 

 

 

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