Arts de la scène : aux limites du théâtre
Didier Galas, La Flèche et le Moineau / 1 2 3 4 5 6 7 Repères

 

Didier Galas. Un désir d'ailleurs
2. Au commencement Était le verbe. Au commencement Était le corps

Jeux de rôles / (d)rôle de jeu

Au commencement était le verbe. Dans un extravagant conte liminaire, Didier Galas narre les aventures de son double fictif (celui que l'on s'invente lorsqu'on est enfant), embarqué malgré lui dans des aventures marines autour du globe. Tombé sous le joug d'un capitaine de bateau déterminé à l'expédier 20 000 lieues sous les mers, il dérive au gré des courants comme notre imaginaire tangue selon les flux et reflux de notre désir d'ailleurs. Tel le lapin blanc d'Alice au pays des merveilles, il nous entraîne alors dans une odyssée en mouvement perpétuel, nous convie à une chasse au trésor dans la malle aux souvenirs, nous invite à un voyage sans retour dans l'enfance où la vie serait un vaste jeu de pistes indéchiffrable.

La Flèche et le Moineau
Représentation au Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque, 22 janvier 2009
© Eric Legrand

Soit l'enfance de l'art d'un spectacle semé de petits cailloux pour le voyageur déboussolé où indices (ces flèches directionnelles sur et en dehors du plateau) et chausse-trappes (ce moineau mort pendu à un fil au-dessus des spectateurs) demeurent des signes énigmatiques dans cet océan de possibles que sont nos vies ballottées par des courants contraires.

Un monde imaginé comme un espace ludique où le plateau serait un échiquier (Gombrowicz fut un joueur d'échecs patenté) sur lequel corps, tables et chaises seraient les pièces maîtresses de la partie. Cependant, dans ce jeu de dupes tiraillé entre vérités et mensonges, le metteur en scène possède toujours un coup d'avance sur le spectateur et, si ce dernier tente d'anticiper, il ne peut empêcher Didier Galas de faire échec et mat in fine (les corps gisent au sol lorsque le noir recouvre le plateau).

Le corps en jeu / enjeux du corps

La Flèche et le Moineau
Travail sur les états de corps. Exploration du « devenir vache »
Représentation au Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque, 22 janvier 2009
© Eric Legrand

La Flèche et le Moineau
Plusieurs corps pour une voix… avant que le particulier ne reprenne l’ascendant
Représentation au Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque, 22 janvier 2009
© Eric Legrand

Au commencement était le corps. Soit un ballet des corps où la fluidité et l'unité oscillent en harmonie avant que le particulier ne prenne l'ascendant. Car le corps est singulier avant d'être pluriel, intime avant d'être happé par la société, sujet d'exploration du moi avant de se métamorphoser en objet d'exploration du monde. Il s'agit ici de s'approprier une partie du tout, de réunir les fragments disloqués de l'ensemble pour tenter de retrouver le plaisir disparu, respirer à nouveau le parfum de l'insouciance alors que les effluves de la douleur menacent de déferler (celles d'un ami qui a perdu son enfant et dont l'affliction laisse sans voix).

Un ongle grattant une table se mue alors en source de volupté. Telle une petite madeleine, cet émoi plonge le protagoniste dans un souvenir d'enfance lorsque, attablé dans une classe somnolente, le frémissement de l'ongle dans la rainure le plongeait dans un ravissement sans nom. Un plaisir irrationnel qui marche sur les traces d'une récréation débarrassée de toute finalité. Le corps, en proie aux obsessions et pulsions les plus hétéroclites, devenant une aire de jeu privilégiée où l'individu fixe ses propres règles. La sensualité naît d'une ondulation, le plaisir d'une chanson vocalisée a cappella (« Tutti Frutti » de Little Richard), la frénésie d'une danse collective, la violence d'un mouvement d'humeur (le corps à corps furieux entre deux hommes sous un prétexte futile)... Qu'il soit souriant, grimaçant ou éructant, le visage n'est pas en reste et passe du plaisir à la douleur, bouleversements inséparables dans notre parcours dans le cosmos.

 

 

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