Arts de la scène : aux limites du théâtre et de la danse
Gisèle Vienne, This is how you will disappear  / 1 2 3 4 5 Repères

 

 

5. UNE RELATION SCÈNE-SALLE MOUVANTE

« Fermons les yeux pour voir. »
James Joyce, Ulysse

« Je crois que c’est la première fois que je travaille de manière aussi franche sur la perturbation des limites du plateau. Brume, son, lumière participent à déformer l’espace, à le rendre flou. »
Oscillant entre chorégraphie, installation, théâtre, sans que la question du passage de l’un à l’autre de ces registres ne se pose réellement, This is how you will disappear amène le spectateur à modifier son regard, à revoir constamment ses attentes. Si le jeu sur le cadre de scène et l’effet tableau le placent dans un rapport frontal au plateau, la présence de la brume envahissant jusqu’à la salle, ainsi que la spatialisation du son (les haut-parleurs encerclent le public, donnant parfois l’impression que les bruits parviennent de l’arrière de la salle) viennent troubler et tromper ses sens.
L’espace scène-salle devient lui aussi mouvant et évolue constamment malgré une apparente immobilité du dispositif. Ce va-et-vient entre absorption et distance, entre contemplation et kinesthésie produit chez le spectateur une attention tout à fait particulière.

Face à cet indicible crime qui trouble les personnages, comme chez un Robbe-Grillet ou un David Lynch, le spectateur se retrouve dans une position similaire à celle d’un inspecteur de police qui doit reconstituer les faits à partir des indices temporels ou narratifs qui lui sont donnés. S’agit-il d’un rêve ou de la réalité ? L’entraîneur est-il en train de commettre un crime ou celui-ci a-t-il déjà eu lieu ? Qui sont ces figures sur la scène : des fantômes, des êtres vivants ?  

Invitant le spectateur à devenir l’un des protagonistes du voyage cauchemardesque auquel il assiste, This is how you will disappear rend ainsi sensible ce que même les mots ne peuvent exprimer. C’est ce que le titre du spectacle (« C’est ainsi que tu/vous disparaîtras/disparaîtrez ») souligne, insistant sur l’inconnu qu’induit cette expérience ultime de la mort. Espace symbolique s’il en est, la scène permet d’engager le spectateur dans un geste artistique qui interroge ses inquiétudes les plus profondes. Celle-ci devient le lieu du déploiement d’un parcours mental, troublant et complexe, où se rencontrent Éros et Thanatos.[9]

 

[9] Dans la mythologie grecque, Éros est le dieu de l’amour et Thanatos, celui de la mort. C’est une problématique récurrente de l’art que de réunir ces divinités tant opposées que complémentaires.

 

 

 

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