Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Histoires de collections

 


Collections du Mnam-Cci
le balancier du millÉnaire

 
 

Doug Aitken, The New Skin, 2001

 

Introduction

L’histoire des collections
Le Musée national d’art moderne au Palais de Tokyo (1947-1977)
Les collections au Centre Pompidou (1977-2007)

Les facettes multiples d’une collection pluridisciplinaire
Largeur de vues
Encyclopédisme et souci de l’œuvre unique

Les visiteurs et les usages nouveaux des collections
Le renouvellement régulier des accrochages
Expérimenter l’art de notre temps

 

Introduction retour sommaire

La France doit l’idée d’une collection publique et nationale à la Révolution qui décide par le décret du 27 juillet 1793 l’ouverture du « musée de la République » : le 10 août 1793 ouvre le « Muséum des arts » [1]; ses collections sont constituées des biens confisqués aux maisons royales et aux émigrés, d’acquisitions d’œuvres que la Commission des monuments choisit « de ne pas laisser passer aux pays étrangers » ainsi que d’œuvres conquises lors des victoires des armées républicaines, ce qui suscite des protestations, notamment celles de Quatremère de Quincy [2]. L’Etat ne reste pas indifférent à la création contemporaine : en 1818, est créé le Musée du Luxembourg dont les collections se nourrissent des achats de l’Etat aux artistes français vivants. A son ouverture en 1947, le Musée national d’art moderne puisera dans ce fonds.

Aujourd’hui, comme de grandes affiches le rappelaient il y a quelques mois, le Mnam-Cci (Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle) [3] possède la plus grande collection d’art moderne en Europe. C’est d’abord une question de chiffres : quelque 60 000 œuvres actuellement – le nombre a cru régulièrement : 16 610 œuvres en 1977, puis 44 000 en 2000. C’est aussi un défi lancé au MoMA de New York : les deux collections se tiennent, mais Paris a sans aucun doute pour les arts plastiques, et notamment pour les avant-gardes de la première moitié du XXe siècle, les ensembles les plus complets et le panorama le plus cohérent. New York est, en revanche, mieux fourni pour le design, les collections d’architecture du fait de sa tradition pluridisciplinaire plus ancienne, et pour certains aspects de l’art contemporain. C’est enfin une vérité qui fut un peu occultée, ou au moins minorée, par l’intense activité d’exposition qui a été, il y a trente ans, le moyen privilégié pour imposer sur la scène internationale le Centre Pompidou : ce n’est pas que Pontus Hulten ou Dominique Bozo et leurs successeurs à la tête du musée n’aient pas déployé beaucoup d’énergie et d’intelligence dans la constitution de la collection, mais l’événementiel l’emportait sans doute en visibilité sur le travail plus souterrain de « construction » des collections.

La réouverture après travaux en 2000 amorça un infléchissement significatif en faveur des collections. La publication de l’histoire du Centre et celle des catalogues [4] à l’occasion des 30 ans en 2007 ont bien montré qu’autour du millénaire, la collection s’était métamorphosée et avait bougé autour de son centre de gravité : les pièces historiques de l’art moderne sont désormais « équilibrées » par l’art contemporain et la création d’aujourd’hui.

 

L’histoire des collections retour sommaire

Le MusÉe national d’art moderne au Palais de Tokyo (1947-1977)

Constantin Brancusi, Le Coq, 1935
Bronze poli, 103,4 x 12,1 x 29,9 cm
Dimensions du socle composé de 4 éléments chêne et pierre calcaire : 151 x 47 x 39 cm
Achat 1947

Le Mnam a été ouvert au Palais de Tokyo le 9 juin 1947. La collection présentée était assez disparate, puisant essentiellement à deux fonds, celui du Musée du Luxembourg consacré aux artistes vivants (1818) et celui du Musée du Jeu de Paume dédié aux Ecoles étrangères contemporaines (1932). Nommé directeur à la Libération pour en préparer l’ouverture, Jean Cassou, écrivain, résistant, communiste, comprit dès 1945 la nécessité de faire jouer son crédit auprès des artistes ses amis, pour compléter un ensemble encore très lacunaire. Par exemple, à cette époque, si le musée de Grenoble, bien dirigé par Andry-Farcy, possédait des Matisse, le Mnam, lui, n’en avait pas. Ce rattrapage fut réalisé grâce à des subventions d’une part de la Direction des Musées de France (DMF) pour l’art moderne historique, d’autre part de la Direction des Arts et Lettres pour les artistes vivants. 3 000 œuvres furent donc présentées au public en 1947.

Pour augmenter la collection, Cassou et ses successeurs, Bernard Dorival et Jean Leymarie, n’eurent que peu de moyens de l’Etat. Pourtant quelques pièces majeures firent leur entrée : Le Coq de Brancusi en 1947, Udnie de Picabia en 1949, La Tristesse du roi de Matisse en 1953 et le Rideau de Parade de Picasso en 1955.

Un «  musée des donations »

Si l’Etat n’était pas moteur, en revanche, ce qui donna à la collection du Mnam une nature particulière, unique au monde, ce sont les dons ou les legs, venant des artistes, de leurs familles, des collectionneurs, et souvent par ensembles conséquents, par ateliers entiers. D’où le fait que, s’il y a parfois des lacunes dans le tissu chronologique, elles sont compensées par la richesse des ensembles constitués d’un même artiste, permettant de se faire une idée précise de toute son évolution.

Picasso, Tête d'homme au chapeau, hiver 1912-1913
Papier collé
Fusain, gouache, sable et papiers collés sur papier, 65 x 49,5 cm
Donation Henri Laugier 1963

Ces fonds monographiques présentent non seulement les chefs-d’œuvre, mais aussi les études, les maquettes, les projets, les archives, et montrent ainsi l’artiste au travail et donnent une idée assez complète de l’atelier. On peut citer les donations Picasso (11 toiles, en 1947), Chagall (7 toiles, en 1947), Brancusi (qui lègue à l’Etat français l’ensemble de son atelier en 1957, à la condition qu’il soit conservé et montré comme un tout), Pevsner (en 1962), Kupka, Dufy, et Rouault en 1963, Gonzalez et la donation Charles et Sonia Delaunay (œuvres de Robert et Sonia Delaunay) en 1964, Braque en 1965, Calder, Kemeny et Pougny en 1966, Laurens en 1967, Magnelli (1972), Ernst (1975), Lipchitz (1976), Fontana (1977), ou Albers (1979, complétée en 1999). Par ailleurs de grands collectionneurs privés ont fait d’importants dons : André Lefèvre (œuvres cubistes), Raoul La Roche, la baronne Gourgaud, Marie Cuttoli et Henri Laugier (en 1963, une série de papiers collés de Picasso), Heinz Berggren (en 1972, œuvres de Klee).

Les collections du Palais de Tokyo avant transfert au Centre Pompidou

Vassily Kandinsky, Mit dem schwarzen Bogen (Avec l'arc noir), 1912
Huile sur toile, 189 x 198 cm 
Donation Nina Kandinsky 1976

La perspective du transfert des collections du Palais de Tokyo au Centre Pompidou suscita une vive opposition chez un certain nombre d’ayant-droits d’artistes ; la « querelle des donateurs » montre l’hostilité suscitée par le projet du Centre dont le musée n’est qu’un département. Malgré ce climat d’opposition, le musée bénéficie dès 1974 de legs de Jacqueline Victor-Brauner (notamment Loup-Table) puis, en 1976, Nina Kandinsky a un geste décisif en donnant quinze toiles et quinze aquarelles parmi lesquelles Improvisation III, Avec l’Arc noir, Bleu de ciel.

En 1973, date à laquelle Pontus Hulten est nommé directeur du Département des arts plastiques pour la préfiguration du Centre national d’art et de culture voulu par Georges Pompidou, les lacunes de la collection ne manquent pas. En particulier, une conception trop étroite de l’idée d’art national avait fait écarter les Surréalistes qui avaient été actifs à l’étranger, Miró, Ernst et même Duchamp. Dada, le Futurisme, l’Expressionnisme allemand et la peinture américaine contemporaine ne sont presque pas représentés. Dubuffet, qui préférera significativement faire une donation au Musée des Arts décoratifs, et Fautrier sont quasi absents.

 

Les collections au Centre Pompidou (1977-2007)

Ce qui va, à partir de 1974, donner une dimension décisive aux acquisitions de ce qu’on appelle alors Département des arts plastiques (1973-1976), c’est la conjonction de plusieurs facteurs : la présence en la personne de Pontus Hulten d’un directeur résolument ouvert à l’art international (1973-1981), ami des artistes contemporains, la mise en place à la faveur de la nouvelle structure qu’est le Centre d’un budget autonome et conséquent, la création d’un Comité restreint d’acquisitions en février 1974 indépendant de la DMF.

L’essor du Département des arts plastiques

Joseph Beuys, Infiltration homogen für Konzertflügel (Infiltration homogène pour piano à queue), 1966
Piano à queue recouvert de feutre gris, 100 x 152 x 240 cm
Achat 1976

C’est alors que le Centre Pompidou s’enrichit d’œuvres de Beuys (Infiltration homogène pour piano à queue), Raoul Hausmann, Jasper Johns (The big five), Klein, Magritte, Malevitch, Mondrian (Composition 2), Oldenburg (« Ghost » Drum Set), Pollock (The Deep), et Warhol (Electric chair). S’affirme la volonté de dépasser la restrictive identité culturelle « Ecole de Paris » du Palais de Tokyo pour proposer de l’art français une définition plus large, réintégrant les Surréalistes et tous ceux qui avaient, y compris à l’étranger - comme Duchamp -, confronté leurs racines à d’autres contextes culturels. Elle traduisait aussi le désir d’internationalisation des collections.

Pontus Hulten avait parfaitement conscience des importantes acquisitions à mener pour compléter les collections : en direction du Dadaïsme et du Surréalisme, de l’Art constructiviste russe et de l’Art abstrait, de Mondrian à l’art concret en passant par Kandinsky. Surtout, il voulut prendre la mesure du renouvellement intervenu aux Etats-Unis avec le Pop art et en France avec le Nouveau Réalisme.

Le temps long de la construction

Alberto Giacometti, Homme et Femme, Le couple, 1928-1929
Bronze, 40 x 40 x 16,5 cm
Exemplaire unique
Dation 1984

S’il est moins tourné vers l’art international, Dominique Bozo (directeur du Mnam entre 1981 et 1986, puis en 1990 et 1991) a bénéficié du doublement de la subvention au Centre Pompidou pour les acquisitions, et s’est montré très efficace pour enrichir les fonds patrimoniaux (Dubuffet, Giacometti, Léger, Matisse, Miró).

Une note, conservée dans les archives du Centre Pompidou, est révélatrice de ses conceptions. Elle souligne à quel point, dans sa vision, un conservateur a besoin de temps.

[…]
- « Temps pour connaître sa collection et l’étudier et par conséquent pour la faire connaître, pour établir un programme d’expositions, de publications, d’activités pédagogiques…
- Temps pour augmenter et enrichir sa collection, pour construire le réseau de contacts et de relations (artistes, collectionneurs, marchands) qui lui permettent de mener une politique d’acquisition efficace.
Il a besoin de temps pour imprimer une marque à son musée. Tous les grands musées se sont construits et développés autour de plusieurs personnalités dans le temps d’une génération, 25 ou 30 ans (Alfred Barr au MoMA, Sandberg au Stedelijk Museum d’Amsterdam, Jean Cassou à Paris…) ou autour des équipes assurant la relève (W. Rubin et Liebermann au MoMA par exemple). Ceci illustre assez bien la notion de formation permanente des conservateurs, plus sensible dans le domaine de l’art contemporain dont l’histoire n’est pas encore écrite.
Il va de soi qu’un tel organisme s’identifie à une ou plusieurs personnes ce qui permet à longue échéance d’établir des rapports de confiance échelonnés souvent sur plusieurs années avec artistes, donateurs, héritiers etc. Donc de rendre crédibles des initiatives et des négociations. Il faut donc insister sur le fait qu’un personnel mouvant en constante rotation et continuellement régénéré par des apports nouveaux, s’il convient à certains aspects de l’activité de Beaubourg - activités de galerie expérimentale, activité d’animation de type Kunsthalle -, ne concerne absolument pas le service des collections pour lequel doit se constituer une équipe relativement stable et homogène pour pouvoir être efficace. »

Horizons nouveaux

Jean-Hubert Martin, directeur de 1987 à 1990, a misé sur des artistes contemporains comme Boltanski, Polke ou Penone et, notamment dans le cadre de la préparation de l’exposition Magiciens de la terre (1989), a ouvert les acquisitions à des artistes extra- occidentaux, Africains ou Asiatiques.

Germain Viatte, qui dirigea le musée de 1992 à 1997, a privilégié le regard du connaisseur sur des classiques de la modernité, comme Balthus, Fautrier ou encore Hantaï.

Le professeur allemand Werner Spies, directeur de 1997 à 2000, grand connaisseur de Max Ernst, a complété les collections vers l’outre-Rhin, achetant des œuvres remarquables d’Otto Dix et de Christian Schad.

Enfin, directeur depuis 2000, Alfred Pacquement s’est efforcé de suivre avec discernement les courants de l’art contemporain.

Jean Dubuffet, Site avec deux personnages (E 477)
Psycho-sites
, 1982
Acrylique sur papier marouflé sur toile, 68 x 50,5 cm
Dation 1986

L’impulsion des équipes du Musée en matière d’acquisitions n’aurait pas été à elle seule suffisante si de grandes donations n’avaient pas marqué l’histoire du Mnam : donations Dominique de Menil, Sylvie Boissonnas, Daniel Cordier, Louise et Michel Leiris. Il faut citer la Scaler Foundation, la Clarence Westbury Foundation, la Georges Pompidou Art and Culture Foundation, et la Société des Amis du Musée national d’art moderne. Ajoutons que le principe de la dation a permis à des héritiers d’artistes de se libérer d’une partie des droits de succession au profit de la collectivité, en faisant dation d’œuvres au Mnam : successions Dubuffet en 1986, Giacometti en 1987, Chagall en 1988, Hélion en 1991, Vieira da Silva (et Szenes) en 1993, Magnelli en 1995, Pignon en 1995, entre bien d’autres, et de marchands ou d’amateurs (Tériade en 1985, Pierre Matisse en 1991, Robert Lebel en 1993, André Breton en 2002, Alex Maguy en 2002).

 

 

Les facettes multiples d’une collection pluridisciplinaire retour sommaire

Largeur de vues

C’est sous le directorat de Pontus Hulten que le Mnam connaît un premier élargissement de son territoire qui le hisse au niveau des grands musées d’art moderne qui l’avaient devancé sur ce terrain, le MoMA de New York, le Stedelijk Museum d’Amsterdam, le Moderna Museet de Stockholm. Le passage des « beaux-arts » (musée) aux « arts plastiques » - il eût été plus juste d’adopter la terminologie américaine « arts visuels » - est déterminant pour l’avenir du musée : sont alors fondés le cabinet d’arts graphiques (1977), puis le cabinet de la photographie (1980) en même temps que le film expérimental et la vidéo font leur entrée. C’est, par ailleurs, une des époques les plus fécondes en matière de coproductions entre les différents départements (grandes expositions pluridisciplinaires Paris-New York, Paris-Berlin, Paris-Moscou).

Le rapport remis le 19 mars 1991 par Dominique Bozo au ministre et le décret du 23 décembre 1992 ont élargi la collection du musée, au-delà des arts plastiques, de la photographie et des nouveaux médias (le musée a l’une des meilleures collections d’installations vidéo, souvent de grandes dimensions), à l’architecture et au design industriel (meubles édités ou prototypes, vaisselles, appareils, machines…). Le décret du 22 septembre 2000 précisait que la mission du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle était « d’inventorier, de conserver, de restaurer, d’enrichir, de présenter au public et de mettre en valeur les collections d’œuvres d’art dont le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou a la garde, dans les domaines des arts plastiques, des arts graphiques, de la photographie, du cinéma expérimental, de la vidéo, des nouveaux médias, de la création industrielle, du design et de l’architecture depuis le début du XXe siècle ; ces collections comprennent également les fonds documentaires et les archives qui les concernent ».

Le Corbusier, Le Modulor, 1950
Collage original
Encre de Chine et collage de papiers gouachés et découpés, 70 x 54 cm
Don du Crédit immobilier de France 2003

La présentation des dessins, des plans et maquettes d’architecture - notamment du groupe Archigram dont l’esthétique annonce l’architecture du Centre Pompidou -, et de meubles prototypes ou édités, d’appareils et de machines, aux côtés des œuvres plastiques, a eu un effet considérable sur le public, qui était habitué aux expositions d’actualités du Cci mais pas à la présentation « à égalité » avec les « beaux-arts » d’une collection historique dans ce domaine (Modulor de Le Corbusier, Chareau, Prouvé, Perriand, le bureau de Carlo Mollino) ainsi que des innovations récentes (Nouvel, Koolhaas, Sottsass, Starck).

Depuis le tournant du millénaire, c’est donc une collection enrichie et redéployée - on doit considérer qu’elle recouvre désormais huit secteurs de spécialités, car il faut aussi inclure la Bibliothèque Kandinsky qui possède notamment un fonds de 2 500 livres d’artistes ainsi que des archives privées d’artistes -, d’autant que, désormais, deux étages entiers sont consacrés à la présentation des collections permanentes, l’entrée se faisant par la partie contemporaine, alors que le deuxième niveau accessible par un escalier accueille la collection d’art moderne.

 

EncyclopÉdisme et souci de l’œuvre unique

Grâce aux acquisitions d’ensembles - que nous avons déjà évoquées -, les collections tendent à une forme d’exhaustivité. Récemment, ce sont, par exemple, des milliers de clichés de Man Ray et de Brassai qui sont venus enrichir le fonds photographique. Dès 1975, le Mnam a acheté régulièrement à la veuve et à la fille d’André Breton des œuvres provenant de l’atelier de la rue Fontaine. On en vit le résultat avec, en 2002, après la mort d’Elisa Breton, la dation par Aube Breton Elléouët d’un mur entier de l’atelier - 250 objets, peintures, dessins - qui avait été déposé au musée en 2000.

Une vision de l’histoire de l’art

Accrochage 1977. Une alternance d’espaces ouverts et d’espaces intimes
La « place », un espace ouvert où le visiteur était confronté aux œuvres majeures

Dès le premier accrochage des collections, en 1977, Pontus Hulten avait proposé d’exposer une vision de l’histoire de l’art et non pas seulement un patrimoine, un parcours et non pas seulement une collection. Dans une tension entre grandes œuvres incontournables et ensemble restituant un mouvement, un contexte, le visiteur pouvait opter pour trois cheminements différentiels.

Le premier parcours lui permettait d’aller de « place » en « place », les « places » étant des espaces ouverts où il était confronté aux pièces majeures qui lui font appréhender les ruptures, les grandes étapes.

Accrochage 1977. Une alternance d’espaces ouverts et d’espaces intimes
La « cabane »,
une pièce plus petite, pour se faire une idée plus précise des mouvements artistiques

Le deuxième amenait le visiteur soucieux d’approfondir ses connaissances à entrer dans les « cabanes », pièces plus petites, au plafond tendu d’un velum, ce qui lui donnait la possibilité de retrouver les conditions de la première exposition des œuvres, soit dans les galeries, soit dans les logements des collectionneurs : là, il pouvait se faire une idée plus précise des mouvements artistiques ; il pouvait également sur sa demande consulter les kinakothèques, système de « réserves accessibles » pour voir des œuvres non exposées dans le parcours initial.

 

Accrochage 1977. Une ouverture vers l’art extra-occidental
Confrontations. Œuvres de Max Ernst et objets d’art océaniens (prêtés par le Musée de l’Homme).

Le troisième parcours l’amenait à se confronter à des vitrines d’art africain ou océanien au centre des cabanes qui ouvraient l’horizon vers l’art extra-occidental, dont les avant-gardes s’étaient nourries.

La promenade avait ses accents forts, ses perspectives diagonales emblématisées par la disposition des Dos de Matisse, ses moments de calme dans les « cabanes » et de perception plus intime, ses rassemblements collectifs dans les places. Le thème du « village africain » articulé à la structure labyrinthique, permettait à chacun d’être actif, de disposer de son parcours. Plus ouvert que la disposition des collections du MoMA qui allait de l’avant-garde européenne au triomphe de l’art américain d’après-guerre, le parcours laissait percevoir les allers-retours des artistes, les échanges artistiques et les différentes scènes liées aux métropoles de l’art.

La primauté du patrimonial

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Accrochage 1985. La primauté du patrimoine
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Le grand axe intérieur, nord-sud
Le Musée est réaménagé par GaeAulenti.

Dominique Bozo à la tête du musée de 1981 à 1986, affirma, lui, la primauté du patrimonial : la collection est le cœur du musée, « lieu de qualité » et « référence historique ». Il confie dès 1983 à Gae Aulenti le réaménagement spatial qui re-« muséalise » le Mnam en rétablissant des cimaises, une structure orthogonale et l’éclairage artificiel. Une refonte du parcours, fait d’un choix dans les collections, aboutit à créer un « musée dans le musée » avec des ensembles pédagogiques par artistes et par mouvements.
Un point qui ne change pas avec le renouvellement des équipes, c’est le souci de proposer une lecture d’ensemble de l’art du XXe siècle, en même temps que d’assurer la meilleure mise en contact du visiteur à l’œuvre, dans l’intimité du face-à-face.

 

Les visiteurs et les usages nouveaux des collections retour sommaire

Le renouvellement rÉgulier des accrochages

Ce fut d’abord le fait du changement des directeurs qui expliqua le souci de renouveler la présentation de la collection au public. Chaque nouveau directeur a tenu en effet à laisser sa marque : ainsi de la volonté de l’historien Werner Spies de dramatiser le parcours dès l’entrée en l’ouvrant sur Tinguely et Oldenburg et, à l’étage moderne, sur La Guerre du Douanier Rousseau (1894) et Petite fille sautant à la corde (1950) de Picasso, petite Eve qu’un serpent menace. En 2001, Alfred Pacquement multiplie les salles monographiques, d’Yves Klein à Boltanski et à Penone, et rassemble les tendances comme Supports-Surfaces et la Performance

Accrochage 2005. Big Bang
Rompre avec la chronologie, rapprocher thématiquement les œuvres

L’évolution du goût du public, qui attend d’être surpris et de voir son intérêt sans cesse relancé, la réécriture et la réévaluation constantes de l’histoire de l’art du XXe siècle qui bouleversent les hiérarchies les mieux établies et conduisent à de nouvelles présentations et à des sorties de réserves sont à l’origine du rythme quasi-annuel des réaccrochages entre 2001 et 2004. C’est devenu un exercice obligé des équipes de repenser les accrochages, et ce fut l’objet de l’exposition Big Bang qui rompait avec la chronologie pour rapprocher thématiquement des œuvres de la collection.

C’est fort de cette pratique périodique de la remise en cause de la présentation au public que le Centre aborde ses extensions à Metz, à Abu Dhabi et peut-être demain à Shanghaï. Mais plus qu’une démarche institutionnelle, c’est un réglage réciproque du Centre et de ses divers publics, à Paris ou ailleurs, qui est en train de s’opérer.

 

ExpÉrimenter l’art de notre temps

Une collection est évidemment un patrimoine ; c’est aussi une politique d’acquisitions permettant de se projeter dans le futur. Faut-il privilégier la découverte de jeunes artistes ? Mais alors il convient de les suivre et de réitérer des achats. Faut-il au contraire se tourner vers les talents confirmés, avec le risque de suivisme et du confort éphémère que donne la mode du moment ? Doit-on avoir en tête de soutenir la création française, comme le réclamait dans les colonnes du Monde Régis Debray, ce que ne fait pas le marché de l’art ? Comment tenir compte de la diversité de la création, du « retour de la peinture » aux arts numériques ?

Le mouvement des images. Vue de salle
Projection / salle 21. Œuvres de Jackson Pollock et Dennis Oppenheim.

Justement, s’il sait entretenir l’amour des arts figurés traditionnels, le Mnam assume depuis une vingtaine d’années un rôle d’initiateur pour ses visiteurs - qui ne sont pas tous, loin de là, des habitués des centres d’art contemporain ou des manifestations périodiques comme la Biennale de Venise ou la Documenta de Kassel - aux arts procédant des nouvelles technologies. Une exposition conçue à partir des collections, comme Le mouvement des images - qui débutait par les premiers films expérimentaux des avant-gardes (Man Ray, Léger, Eggeling, Germaine Dulac, les Surréalistes, etc.), enchaînait avec le cinéma des néo-avant-gardes des années 1960-1970 lié à la performance (post-minimalisme, Fluxus) pour finir sur les installations vidéo et le numérique -, en fut la parfaite manifestation.

Bill Viola, Five Angels for the Millennium, 2001
1. Departing Angel
2. Angel of Birth
3. Angel of Fire
4. Ascending Angel
5. Angel of Creation
Installation vidéo

Il est aujourd’hui possible de suivre au Centre Pompidou les développements de l’art vidéo, depuis le « moment-télévision » avec Nam June Paik (Moon is the oldest TV, 1965, Vidéo Fish, 1979 - acquisitions du temps de Pontus Hulten - et Arc Double Face de 1985) jusqu’aux impressionnants Five Angels for the Millennium (2001) de Bill Viola, cinq projections grand format d’un homme plongeant dans l’eau et en jaillissant dans une salle obscure. Going around the Corner Piece (1970) de Bruce Nauman ou Present Continuous Past(s) de Dan Graham (1974) jouent avec l’image enregistrée du spectateur en en retardant la restitution sur l’échelle dilatée du temps. Chris Marker, Stan Douglas, Johan Grimonprez questionnent l’imaginaire du cinéma. Construction de l’espace, l’installation vidéo est souvent à elle seule un espace d’exposition singulier, mise en abîme du musée lui-même, avec ses écrans multiples comme autant de cimaises où se projettent les images et où se reflètent les spectateurs comme dans la présentation récente de Bordeaux Piece (2004) de David Claerbout.

Du fait de l’attention qu’il a prêtée à l’image animée, le Centre Pompidou dispose d’une collection Nouveaux médias - à la fois des installations multimédia le plus souvent en exemplaire unique et des multiples (bandes vidéo, bandes sonores, CD-Rom, DVD-Rom, sites Internet) - exceptionnelle d’un point de vue historique, à rendre jaloux d’autres grands musées !


1. Voir à ce sujet Y.Cantarel-Besson, La Naissance du Musée du Louvre, éd.de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1981. Retour texte

2. Quatremère de Quincy, Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l'art de l'Italie (1796). Introduction et notes par Edouard Pommier. Paris, Macula, 1989. 146 p. Retour texte

3. Sur l’histoire du Mnam et l’explication des différents sigles, cf. Bernadette Dufrêne, Centre Pompidou, trente ans d’histoire, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2007, pp.187-192 et chronologie du Mnam, pp.638-641. Retour texte

4. Voir l’importante production éditoriale à l’occasion des 30 ans du Centre Pompidou :
- Christine Van Assche (dir.), Les nouveaux médias, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2006.
- Brigitte Léal (dir.), Art moderne, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2007.
- Sophie Duplaix, Art contemporain, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2007.
-  Quentin Bajac et Clément Chéroux, (dir.), Une histoire de la photographie à travers les collections, coédition Centre Pompidou/Steidl, 2007.
Bernadette Dufrêne (dir.), Centre Pompidou, trente ans d’histoire, Paris, éditions du Centre Pompidou, 2007. Retour texte

 

 

Pour consulter les autres dossiers sur les collections du Musée national d'art moderne
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Contacts
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Crédits
© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, janvier 2008
Texte : Bernadette Dufrêne
Design graphique : Michel Fernandez
Coordination : Marie-José Rodriguez retour sommaire