Dossiers pédagogiques – Collections du Musée
Parcours
BIG BANG |
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Richard Artschwager, Triptych II, 1964
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Pastiche et parodie
• Marcel Duchamp, L.H.O.O.Q, 1930
• Francis Picabia, Femmes
au bull dog, 1941-1942
• Martial Raysse, Made
in Japan - La Grande Odalisque, 1964
• Claes Oldenburg, Soft
Version of Maquette for a Monument Donated to the City of Chicago by
Pablo Picasso, 1968
• Paul McCarthy, Painter,
1995
• Philippe Starck, Gnomes,
1999
Anti-musée
• Richard Artschwager, Triptych
II, 1964
• Marcel Broodthaers, Rubens,
1973
• Claude Rutault, Toiles à l’unité,
1973/Légendes, 1985 - 1973-1985
• Louise Lawler, Carpeaux,
1988
Anti-architecture
• Archigram, Cushicle,
Michael Webb, 1966
Grotesque
• René Magritte, Le Stropiat,
1948
• Thomas Schütte, United
Enemies, 1994
• John Currin, The Moroccan,
2001
Ubu
• Victor Brauner, Force
de concentration de Monsieur K., 1934
Pour la première fois au Centre Pompidou, le Musée national d’art moderne présente ses collections permanentes sous une forme thématique, pluridisciplinaire et non chronologique1. Cette expérience inédite s’articule autour d’un point de vue original : le « Big Bang » moderne - ou le lien entre destruction et création dans l’art du XXe siècle - qui constitue la ligne directrice de ce parcours. A travers une confrontation des œuvres et des tendances du début du siècle jusqu’à aujourd’hui et associant librement les arts plastiques, l’architecture, le cinéma, la vidéo, le design et la littérature, « Big Bang » se déploie autour de huit chapitres (Destruction, Construction/Déconstruction, Archaïsme, Sexe, Guerre, Subversion, Mélancolie, Réenchantement) qui sont autant de champs d’investigation où s’exercent cette violence destructive et créative.
L’esprit de subversion qui anime
les artistes constitue une des thématiques essentielles pour comprendre
comment l’art du début d’un siècle à l’autre détruit pour construire et
inventer de nouveaux langages. L’art moderne, en effet, destructeur de
toutes les valeurs, et en premier lieu des valeurs de l’esthétique (la
beauté, l’harmonie, la pérennité…) est jalonné de remises en cause successives,
toujours plus radicales, investissant tout au long du siècle de nouveaux
terrains d’action. Contre les normes, les règles, les traditions, contre
la société bourgeoise et sa culture, les artistes expriment leur révolte
face à l’ordre établi.
La destruction du lien de soumission
de l’œuvre à toute autorité, à celle des aînés comme à celle des pairs,
est une des caractéristiques les plus marquantes du XXe siècle : détruire
une norme, détourner ou transgresser une règle, affronter la tradition
pour faire table rase du passé et inscrire l’œuvre dans un statut d’originalité.
L’artiste moderne revendique une liberté absolue et son affranchissement
des valeurs et des dogmes de la tradition. Il réclame, en outre, une relation
directe avec le public qu’il interpelle par le biais de la provocation
et du scandale : par la violence, le jeu, le pathos, le grotesque
ou le comique. La dimension fortement transgressive de ces adresses faites
au spectateur a souvent pour effet d’exaspérer un public attaché au système
de valeurs traditionnelles de l’art et peu enclin à être pris à parti par
un art entremêlé à la vie. Ces attitudes iconoclastes touchent aux fondements
mêmes de l’art et à ses enjeux. L’esprit
de subversion est porteur d’une capacité de réinvention quasi permanente
et vecteur d’un renouvellement fécond des formes artistiques.
Ce dossier propose d’apporter un éclairage sur une quinzaine d’œuvres de la collection présentée dans Big Bang, emblématiques de ces attitudes subversives en suivant les thématiques qui organisent cette section : Pastiche et parodie, Anti-musée, Anti-architecture, Grotesque et Ubu.
1. Big Bang. Destruction et création dans l’art du 20e siècle, Musée national d’art moderne. Du 15 juin 2005 au 27 mars 2006.
Les genres académiques (nature morte, nu…) sont revisités avec humour et ironie (Francis Picabia). L’esprit de subversion s'exerce sur les icônes de l'art, telles la Joconde de Léonard (Marcel Duchamp), ou la Grande Odalisque d’Ingres (Martial Raysse). L’artiste, sa condition et son rapport au monde sont aussi sujets à parodie (Paul McCarthy).
Marcel Duchamp
L.H.O.O.Q, 1930
Ready-made rectifié
Crayon graphite sur héliogravure
61,5 x 49,5 cm
Sur une reproduction bon marché de la Joconde de Léonard de Vinci, Marcel Duchamp ajoute une moustache et une barbiche, faisant de celle-ci le plus célèbre travesti du monde. Au bas de l’image, il trace au crayon un sigle de cinq lettres – L.H.O.O.Q. -, plaisanterie phonétique dont la connotation graveleuse est compréhensible immédiatement.
Cette mention triviale de la « chaleur » particulière de la Joconde a sans doute été inspirée par la légende de l’homosexualité supposée de Léonard. Cette théorie farfelue était alors en vogue, à la suite de la publication de l’ouvrage consacré à cet artiste par Sigmund Freud en 1910 (Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci).
Cette œuvre en dépôt au Musée est
la deuxième version de L.H.O.O.Q., réalisée pour une
exposition organisée à Paris en 1930 par Louis Aragon. Pour la première
version, Marcel Duchamp utilise une carte postale, pour la seconde il fait
l’acquisition d’une grande reproduction en couleurs de la Joconde.
Si la première version questionne la valeur d’une réplique par rapport à son
original, ici l’original (la version de 1919) et sa réplique (celle de
1930) sont toutes deux initialement des reproductions.
Marcel Duchamp choisit la Joconde parce
qu’elle est devenue le symbole de l’art sacralisé et muséifié. La désacralisation
d’un chef-d’œuvre universellement respecté est à considérer comme l’une
des expressions les plus marquantes de la sensibilité et de l’iconoclasme
du mouvement Dada qui organise depuis 1916 un travail de sape de toutes
les catégories traditionnelles de l’art (refus de la logique, de l’ordre,
du modèle de la culture bourgeoise…).
Francis Picabia, Femmes au bull-dog, 1941-1942
Huile sur carton
106 x 76 cm
A partir de 1938, Picabia inaugure un nouveau cycle de peintures qui met en scène des couples en pleine nature, des nus féminins aux poses lascives dans des intérieurs ou dans des paysages de bord de mer. Cette série de nus opère un bouleversement radical dans l’œuvre de Picabia. Jusqu’ici l’érotisme était déjà une des clefs de voûte de son œuvre mais il s’agissait alors d’un érotisme allusif et intellectualisé. Les nus féminins, définitivement débarrassés de tout alibi mythologique ou autre, apparaissent pour ceux qu’ils sont : des images « émoustillantes » dont la seule finalité est de stimuler le désir érotique du regardeur.
Les historiens de l’art ont souligné la
parenté de ces nus avec ceux de l’art officiel allemand de la fin des années
30. Mais ce qui distingue Femmes au bull-dog des œuvres
de propagande allemande est l’exploitation lucide des ressorts idéologiques
et moraux des stéréotypes de la pornographie.
L’iconographie de ces œuvres est,
en effet, directement puisée dans des revues érotiques (Paris Plaisirs,
Paris Sex Appeal…), ancêtres de nos Playboy et
autres Penthouse, qui constituent pour Picabia un réservoir
inépuisable d’anti-art. L’ironie de l’artiste s’exprime ici par le regard
du chien tourné vers le spectateur renvoyé à la honte qu’il se doit d’éprouver,
lui qui feint de contempler une œuvre d’art alors qu’il reluque une nudité outrageusement
aguicheuse ; le regard de ce bull-dog exprime tout le cynisme du projet
anti-artistique de Picabia qui joue ici avec les notions de kitsch et de
vulgarité.
Martial Raysse, Made
in Japan - La Grande Odalisque, 1964
Peinture acrylique,
verre, mouche,
sur photographie marouflée sur toile, 130 x 97 cm
Martial Raysse a été associé très
jeune au mouvement des Nouveaux réalistes. Dans le courant des années soixante,
il s’intéresse à l’imagerie de la société de consommation et à la représentation
de féminités stéréotypées extraites de magazines de mode aussi bien que
de tableaux célèbres.
Made in Japan - La Grande Odalisque appartient
précisément à une série de pastiches et de détournements de tableaux anciens
réalisés par Martial Raysse entre 1963 et 1965. Les œuvres détournées par
l’artiste proviennent très souvent du Louvre, ici on reconnaît un fragment
de La Grande Odalisque d’Ingres.
Ce pastiche est emblématique de
l’intérêt porté par Raysse à l’esthétique du kitsch et du mauvais goût
et dont le Pop art sera, dans les années soixante, l’un des principaux
vecteurs. Le caractère irrévérencieux de tels détournements s’inscrit
dans l’esprit frondeur propre aux avant-gardes du début des années soixante
en Europe et aux Etats-Unis. Le geste iconoclaste se double toutefois d’un
hommage nourri d’une solide culture picturale.
Le titre - qui fait référence à l’idée
de copie bon marché – ainsi que les matériaux employés - couleurs industrielles
criardes appliquées à la bombe, objets de pacotille apposés sur le tableau – vont
dans le sens des déclarations subversives de l’artiste : « La
beauté c’est le mauvais goût », « Les Prisunic
sont les musées de l’art moderne ».
Claes Oldenburg, Soft Version of Maquette
for a Monument
Donated to the City of Chicago by Pablo Picasso, 1968
Sculpture
Toile et cordelette peintes au liquitex,
métal sur socle de bois peint,
70 x
72,5 x 50 cm
Principal représentant du Pop art américain dans le domaine de la sculpture, et pour le moins singulier, Oldenburg se donne pour tâche d’explorer la réalité américaine de son époque et cherche, dit-il, à faire un art « aussi balourd, grossier, brutal, doux et sot que la vie elle-même ». Assidu manipulateur de l’objet quotidien et familier, qu’il soumet toujours à un processus de refabrication, il joue avec humour des échelles et des matières, réalisant à partir de 1962 ses premières sculptures molles. Très attentif à la culture populaire et aux réalisations de la publicité, il choisit d’imiter des objets banals, quotidiens, immédiatement reconnaissables (ventilateur, prise électrique, téléphone…) qu’il montre avec une certaine distance critique. Détourné de sa fonction, l’objet se présente sous un nouveau jour, parfois d’une inquiétante étrangeté.
L’élaboration de Soft Version of a Maquette… s’est produite dans un contexte particulier. A l’occasion d’un procès concernant les droits de la ville de Chicago sur la Tête de femme donnée par Picasso, un avocat demande à Oldenburg de réaliser un modèle réduit de cette sculpture, lequel choisit de l’exécuter en toile. « J’ajoutai une épine dorsale à mon Picasso, ce qui permet à la pièce d’être pliée dans n’importe quel sens », précisa-t-il. La substitution de l’acier par de la toile, d’un matériau dur par une matière molle, donne de l’objet une image totalement différente et remet en question, à travers la figure de Picasso c’est-à-dire par la citation d’un « maître », les propriétés traditionnelles de la sculpture (rigidité, verticalité…). Avec ironie, Oldenburg s’attache à ruiner ces qualités, non sans une dimension chargée d’un certain symbolisme sexuel.
Paul
McCarthy, Painter, 1995
Vidéo couleur, 50 min
Durée : 49'58"
Dans cette œuvre vidéo décapante, l’artiste californien Paul McCarthy se met en scène en peintre-clown au comportement pour le moins étrange. Déguisé d’une perruque et d’un masque aux oreilles et au nez surdimensionnés, il manie ses ustensiles de travail avec un ridicule déconcertant : pinceaux et tubes de peinture géants, divers produits alimentaires tels que mayonnaise et ketchup qu’il mélange parfois à la peinture… L’atelier ressemble davantage à un champ de bataille où l’artiste barbouille sur des toiles de grand format et s’agite en tous sens, marmonnant sans cesse des paroles plus ou moins intelligibles qui décrivent ses propres actions, comme pour se rassurer sur son statut de peintre (« I’m a fucking painter ! »).
Non sans irrévérence, l’œuvre fait explicitement référence aux peintres de l’Expressionnisme abstrait américain (en particulier Willem de Kooning). Elle esquisse le stéréotype du peintre de génie, personnage excentrique, irrationnel et névrosé, totalement incapable d’entrer en interaction avec autrui, sinon à travers la poursuite obsessionnelle de son art. Cette satire présente une vision humoristique et corrosive de la condition de l’artiste et de ses relations conflictuelles avec le monde de l’art (galerie, collectionneurs…).
Philippe Starck, Gnomes, 1999
Fabricant Kartell (Italie)
Série de 3 tabourets Attila, Napoléon et Saint-Esprit
Technopolymère thermoplastique teinté
Hauteur : 44 cm, diamètre : 40 cm
Don de Kartell 2003
Le designer Philippe Starck dont l’extraordinaire inventivité n’a pas
de limites a largement contribué à renouveler notre univers quotidien depuis
la fin des années soixante-dix.
Il utilise dans son travail les ressources des nouvelles technologies
tout en proposant idées neuves et formes inédites où sont repensés le fonctionnement
de l’objet, son usage et l’idée même de « style ». Avec les trois
tabourets Gnomes qu’il nomme ironiquement Attila, Saint-Esprit
et Napoléon, il s’attaque précisément à l’idée de style en questionnant
les notions de bon et de mauvais goût car, selon lui, il est parfois « intéressant
de péter à table ».
L’esthétique kitsch de ces tabourets prend effectivement le contre-pied de la ligne sobre, épurée et minimale qui s’est
développée dans les objets de design à partir des années soixante-dix.
Starck lutte ici avec humour contre ce qu’il appelle la « pensée
unique » : « Je n’aime pas la pensée unique,
je la trouve toujours dangereuse, ça rappelle des choses. Et la pensée
unique, on peut la trouver dans tout et en particulier dans le style, dans
la mode… ».
Ces tabourets ainsi que les tables basses qui les accompagnent sont des
objets tout à la fois décoratifs et fonctionnels qui, conformément à la
vision du design propre à Starck, ne se prennent pas au sérieux.
La remise en question, la critique, voire le rejet de l'institution muséale conduisent à désacraliser l'art. Sont interrogés le statut de l'œuvre (Richard Artschwager), sa présentation (Marcel Broodthaers, Louise Lawler), le rôle de l'artiste et du conservateur (Claude Rutault)...
Richard Artschwager,
Triptych II, 1964
Formica sur bois
101,6 x 233,7 x 7,2 cm
Pour cet ancien dessinateur de mobilier, l’objet constitue un sujet majeur de création. Artschwager recrée des objets simples, tables, chaises, pianos… A partir d’une structure géométrique, il fabrique des volumes primaires qui ont toutefois perdu toute fonctionnalité. A la différence des artistes minimalistes (Donald Judd, Robert Morris…), il porte un intérêt particulier aux questions de la représentation du réel par l’image et à celle de l’illusion.
En 1960, Artschwager reçoit une commande de l’église catholique pour le mobilier de culte de la marine américaine ; de là naît un intérêt particulier pour le polyptyque. Lié aux représentations religieuses, le polyptyque conserve dans la tradition occidentale un caractère sacré en tant que support des images spirituelles. A cette tradition vient s’en superposer une autre : celle du modernisme qui, depuis Rodchenko, a multiplié les triptyques monochromes. Avec Triptych II, une forme simple fortement connotée et qui porte en elle toute la pensée des images est néanmoins vidée de toute représentation. Artschwager joue sur l’antagonisme – qui est au cœur de sa démarche - entre un matériau naturel (le bois) et un matériau synthétique (le formica). Il s’intéresse à l’ambivalence de la relation image/matériau : « c’est une image de quelque chose en même temps qu’un objet… ». Avec cette œuvre, l’image même du bois devient la seule image méritant d’être représentée.
Marcel Broodthaers, Rubens, 1973
Typographie sur toile en caractère Dorchester et Bodoni,
9 panneaux 80 x 100 (chacun)
Achat 1983
L’œuvre de Marcel Broodthaers,
véritablement inclassable tant s’y croisent des réminiscences de Dada,
du Surréalisme, du Pop art, du Nouveau Réalisme et de l’Art conceptuel,
tend à une critique de l’institution muséale et de ses modes de conservation.
Broodthaers conçoit l’exposition et le musée comme un moyen de subvertir
la notion d’art, son histoire, ses vraies et ses fausses
valeurs, ses symboles, son prestige et sa possession.
Les neuf tableaux qui constituent
l’ensemble Rubens appartiennent à la tendance qui,
dans l’œuvre de Broodthaers examine, à la suite de Magritte, les rapports
entre le mot et l’image. Sur sept tableaux figure « Petrus-Paulus
Rubens » en lettres savamment ornementées avec en dessous, et en plus
petit, un mot qui évoque la peinture de Rubens ainsi que les dates de naissance
et de mort du grand peintre baroque flamand. Sur un des tableaux, on peut
lire « Peter Jansz Saenredam », peintre hollandais d’architecture
dont les historiens d’art s’accordent à dire qu’il mit un terme par sa
manière austère à cette peinture d’accessoires fastueux et de nus plantureux
d’où Rubens avait tiré sa gloire : « les bijoux », « les
armures », « les femmes », « les fleurs »…
Broodthaers pose ici les principes d’une analyse d’un moment de l’histoire de l’art autour de Rubens et de son contemporain Saenredam. Les mots et les noms cités font fonction de « figures », ils sont là pour leur plein pouvoir d’évocation et composent en quelque sorte une accroche en forme de rébus. Marcel Broodthaers n’a cessé de dire combien il éprouvait un réel plaisir dans la production volontiers énigmatique et allusive d’informations trahissant son « goût du secret et sa pratique de l’hermétisme ». Si nul n’est censé ignorer Rubens ou même Saenredam, personne ne possède pour autant les clefs du déchiffrement d’un principe délibérément codé. Mais n’est-ce pas finalement toute la peinture qui en appelle à un nécessaire décryptage ? Et ne se cache-t-il pas derrière les mots et les personnes les plus évidentes tout un réseau de significations nous appelant avant tout à nous interroger sur la signification de l’art ?
Claude Rutault, Toiles à l’unité, 1973 / Légendes, 1985, 1973-1985
6 toiles standard tendues sur châssis
Peinture acrylique sur toile
L’œuvre de Claude Rutault se développe autour de la volonté de prendre en compte les éléments fondamentaux du travail pictural : la toile, le châssis et la couleur monochrome. En 1973, il réalise la première définition/méthode : « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les formats standards possibles dans le commerce, qu’ils soient rectangulaires, ronds ou ovales. L’accrochage est traditionnel. » Toiles à l’unité, 1973/Légendes, 1985, dont les différents éléments et leur agencement sont variables d’une réalisation à l’autre, trouve, avec Big Bang, l’occasion de sa troisième actualisation au Musée.
Les définitions/méthodes explorent les
différentes relations entre le mur et la toile sans tenir compte d’un
espace particulier. Chaque définition/méthode met
en jeu une relation singulière entre la toile et son environnement et
n’existe réellement qu’au moment de sa réalisation concrète. La réactualisation
d’une définition/méthode permet la recréation du
support, de la forme, du format, des dimensions, du nombre de toiles,
de la couleur et de l’accrochage.
Le rôle de l’artiste et la relation
artiste/conservateur sont fondamentalement remis en question.
L’œuvre n’est plus un artefact prêt à être exposé mais un possible qui
ne trouve son objectivation que dans la mise en œuvre par le preneur
en charge de la définition/méthode, à la manière d’un interprète
qui prend part à l’exécution d’une œuvre - comme le musicien interprète une partition
-, questionnant ainsi le statut de l’œuvre d’art, la cohérence et les
limites du champ artistique et du musée.
Louise Lawler, Carpeaux, 1988
Epreuve cibachrome, 68,6 x 100,3 cm
Depuis le début des années quatre-vingt,
Louise Lawler photographie des œuvres d’art dans les collections privées
ou dans les musées et les recadre à sa manière. Elle questionne l’image
de l’œuvre d’art, le statut que lui confèrent les différents contextes
qui l’accueillent.
Carpeaux est
une photographie prise au musée d’Orsay d’une sculpture du célèbre artiste
du XIXe siècle. L’œuvre de ce dernier y apparaît coupée en plein milieu,
si bien que l’on comprend que le sujet de la photographie est moins de
montrer la sculpture que de mettre en évidence son environnement et
la manière dont elle est présentée : socle, cartel,
revêtement mural… S’appliquant à choisir ce que les habitudes du métier
de photographe désigneraient comme le plus mauvais point de vue (contre-jours,
cadrages coupant les sujets, hauteurs de prise de vue paradoxales), Louise
Lawler montre les œuvres comme des objets ordinaires,
ni plus ni moins estimables que le mobilier avec lequel elles voisinent
dans les collections privées ou publiques, et comme entrées dans le champ
par hasard.
Ses photographies soulignent ce
qui est parfaitement visible mais rarement regardé, alors que l’accrochage,
loin d’être le fruit du hasard, est déterminant dans la perception et la
réception de l’œuvre. Ses images ruinent la conception qui a perduré pendant
des siècles selon laquelle l’œuvre d’art est dotée d’un sens stable et
indépendant de sa situation et de son environnement.
Comme Marcel Broodthaers ou Daniel
Buren, Louise Lawler s’engage dans la critique de l’institution pour en
souligner les conventions, dénoncer les stéréotypes de présentation ou
de conservation inhérents aux genres institutionnels et amener le spectateur à s’interroger
sur ce que représente la notion d’art.
Si l’expression « anti-art » fait aujourd’hui partie du vocabulaire de l’histoire de l’art, on connaît moins le pendant de cette réflexion dans le domaine architectural. Comme l’art propose de réduire l’écart entre l’art et la vie, Archigram propose de réduire l’écart entre l’individu et « l’architecture ».
Archigram,
Cushicle, Michael
Webb, 1966
Coupe
Collage sur carton,
29,5 x 39,5 cm
Dans l’atmosphère contestataire des années soixante, le groupe anglais Archigram (Warren Chalk, Peter Cook, Dennis Crompton, David Greene, Ron Herron, Michael Webb) développe une architecture hybride, instable, une architecture périssable, à consommer et à « jeter » après usage. Dans la perspective utopique d’affranchir l’architecture de toute prédétermination fonctionnelle et l’homme de toute coercition, Archigram reprend les thèses combinées de « l’urbanisme indéterminé » de Yona Friedman et de « l’urbanisme unitaire » des situationnistes et leur notion « d’événement », qui placent l’individu au centre du processus de conception et d’évolution de la ville.
Cushicle (néologisme formé en contractant « coussin » et « véhicule ») poursuit les recherches du groupe sur l’habitat autonome mobile, destiné à un citadin nomade et libre. Pour Michael Webb, l’habit est une enveloppe individuelle, la maison celle d’une collectivité, seule une différence de taille les distingue. Il s’agit de doter la seconde du caractère non permanent, léger et confortable de la première. Cushicle représente la version ultime d’un « environnement libre de toute contrainte » qui comprend appareils de raccordement, coussins et enveloppe transparente gonflables, casque avec microphone, radio et télévision, équipement de toilette, caméra, lunettes… Archigram tente, avec humour, de réduire l’écart entre l’individu et « l’architecture », celle-ci n’étant pas autre chose qu’un « appareil à porter avec vous, et la ville une machine pour se brancher ».
Le jeu, la farce, le sarcasme et l'humour traduisent une révolte face à l'ordre établi et à l’académisme. Le portrait en est un des principaux thèmes : carnavalesque et truculent chez Magritte, grand guignolesque mais troublant de réalisme chez Thomas Schütte, absurde et énigmatique chez John Currin.
René Magritte, Le Stropiat, 1948
Huile sur toile marouflée sur contreplaqué, 59,5 cm x 49,5 cm
Le Stropiat a été exécuté pour
la première exposition personnelle de Magritte dans une galerie parisienne,
en même temps qu’une série d’une quinzaine de toiles de grand format. Cette
exposition a été conçue par le peintre comme un manifeste, une provocation
contre la doctrine surréaliste édictée par
André Breton avec lequel Magritte entretient des relations conflictuelles
depuis plusieurs années.
Comment ne pas voir dans ce Stropiat un
autoportrait du peintre déjà connu pour ses peintures de pipes ? Au
fil du temps, la pipe, dont la première apparition date de 1928, est devenue,
pour ainsi dire, l’objet éponyme de Magritte qui se cacherait ici sous
le bonnet phrygien, derrière la barbe postiche et le nez rouge.
Dès 1943, il s’écarte des images énigmatiques
et de la manière sobre et minutieuse qu’il pratiquait jusque-là pour un
style acide, spontané, carnavalesque et truculent teinté d’un certain « mauvais
goût » qui caractérise la période « vache » de
l’artiste, marquée par un éclectisme formel et esthétique.
Les peintures « vaches » sont
une attaque contre les normes esthétiques, dont Paris avait été avant-guerre
l’épicentre international, et expriment le rejet d’une culture dont les
valeurs n’ont pas su enrayer l’essor de la barbarie. Elles en appellent à une création
renouvelée et libre.
Thomas Schütte, United Enemies, 1994
Fait partie d'un ensemble de 10 tirages Offset, 69 x 99 cm
25/35
Don de la Galerie Nelson 1995
A partir de la fin des années quatre-vingt, Thomas Schütte se concentre sur la figure humaine. C’est sous la forme de petites poupées fabriquées de manière rudimentaire, avec des morceaux d’étoffes, quelques baguettes de bois et une tête en pâte à modeler qu’il renoue avec la figure. Dans la série United Enemies, ces êtres à l’allure grotesque ont deux têtes et un tronc commun. Entravés par des ficelles, ils évoquent la difficulté de toute relation à l’autre et se donnent à voir, au travers d’un globe, comme des objets de curiosité. Thomas Schütte réalise également des prises de vue de ces étranges personnages. Les photos montrent des visages démesurément agrandis, mettant en œuvre de manière remarquablement efficace le principe de manipulation des échelles, fondamental chez Schütte.
L’artiste mêle à l’envi le sérieux et l’humour, la farce et la tragédie si bien qu’il se dégage de ces portraits une véritable profondeur psychologique. S’il y a du grand guignol dans les visages bariolés des United Enemies, ces personnages sont néanmoins d’un réalisme troublant, d’une vérité saisissante : on en connaît certains, on a pu en croiser d’autres au moins une fois. Etrange galerie de portraits, têtes d’expressions proches de l’esprit Messerschmidt (Franz Xaver Messerschmidt, sculpteur, 1736-1783) ou des caricatures de Daumier (Honoré Daumier, 1808-1879), tout ce monde de faces souriantes et grimaçantes témoigne des qualités d’observations de l’auteur qui tente de restituer une image multiple, complexe et contradictoire de l’homme.
John Currin, The Moroccan, 2001
Huile sur toile : 66,04 x 55,88 cm
The Moroccan représente une femme au sourire énigmatique, vêtue d’une Djellaba marocaine. Cette œuvre pourrait s’inscrire dans la tradition du portrait, si ce n’est la présence incongrue des trois poissons posés sur la tête du modèle, qui confère à l’œuvre une dimension absurde. Cette image improbable fonctionne sur la juxtaposition de deux genres de l’histoire de l’art : l’un relevant du portrait bourgeois, l’autre de la nature morte. The Moroccan emprunte au style de la peinture hollandaise du XVe au XVIIe siècles, mêlant une touche moderne dans la représentation du visage, un peu caricatural et comme sorti d’un livre de contes pour enfants.
Les œuvres de John Currin relèvent d’un jeu sur le kitsch et les clichés, de références à la « mauvaise peinture » et d’un certain plaisir à l’avilissement des modèles, en même temps qu’elles témoignent d’une connaissance approfondie de l’histoire de l’art par des renvois constants aux peintres du passé (Cranach, Boucher, Fragonard, Courbet, Manet…). Sa peinture est motivée par la volonté d’interroger les notions antagonistes d’académisme et d’avant-garde. Ce métissage de styles et de références atteste la disparition de la grande tradition de la peinture mais affirme la vitalité de la pratique picturale actuelle qui trouve ses sources tout à la fois dans les chefs-d’œuvre anciens et dans les images produites par la culture contemporaine.
Figure emblématique, symbole de la bêtise humaine, d’un monde absurde et grotesque, Ubu – personnage de théâtre né de l’imagination d’Alfred Jarry – devient une source d’inspiration pour de nombreux artistes.
Victor Brauner, Force de concentration de Monsieur
K, 1934
Huile sur toile avec incorporation de poupées en celluloïd, végétaux factices en papier avec fil de fer
148,5 x 295 cm
Originaire de Roumanie, Victor Brauner fut, dès 1934, reconnu par André Breton comme l’une des grandes figures de la peinture surréaliste. Dans la mythologie personnelle de Victor Brauner où il apparaît comme un thème de prédilection, Monsieur K. est une allégorie de la sottise triomphante, une sorte d’Ubu Roi auquel un tableau de la série renvoie directement (Ubu Monsieur K., 1934). La charge est ici explicitement politique. La lettre K (initiale de Kaiser, König, Kapital, Képi, etc.) exprime les notions de noirceur, d’oppression et de ridicule. C’est cette force de dérision tous azimuts qui est célébrée dans ce tableau.
Monsieur K. met en œuvre un principe cher à Brauner, celui de l’organisation duelle : mâle/femelle, positif/négatif. Le tableau est en réalité une sorte de faux diptyque : à gauche, la silhouette cramoisie et cannibale de Monsieur K. sur un fond blanc, à droite le même monstre mais blanchâtre sur un fond noir. Cette idée du Double, tout comme l’hybridation des influences et le souci de tendre aux archétypes, sont aux sources mêmes de l’œuvre de Victor Brauner et font de la Force de concentration une œuvre programme, insolite et fascinante.
- La Collection du Musée national d’art moderne,
éditions
du Centre Pompidou, 1987
-
La collection du Musée national d'art moderne II, 1986-1996
Sous
la direction d'Agnès de la Beaumelle et Nadine Pouillon, éditions du Centre
Pompidou 1997
-
La collection design du Musée national d'art moderne/Centre de Création
Industrielle. Un siècle de design
Marie-Laure Jousset, Martine Moinot, Coll. Jalons, éditions
du Centre Pompidou, 2001
-
La collection d'architecture du Centre Georges Pompidou.
Projets d'architecture, 1906-1998
Sous la direction d'Alain
Guiheux, éditions
du Centre Pompidou, 1998
Certaines notices sont rédigées à partir des ouvrages ci-dessus.
-
Didier Ottinger, Francis Picabia dans les collections du Musée national d’art
moderne
éditions du Centre Pompidou, 2004
-
Didier Ottinger, Marcel Duchamp dans les collections du
Musée national d’art
moderne
éditions du Centre Pompidou, 2001
-
Didier Semin, Victor Brauner dans les collections du Musée national d’art
moderne
éditions du Centre Pompidou, 1996
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Catherine Grenier, Dépression et subversion, les racines de l’avant-garde
éditions
du Centre Pompidou, 2004
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Big Bang, destruction et création dans l’art du XXe siècle
éditions du
Centre Pompidou, 2005
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Contacts
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© Centre Pompidou, Direction de l’action éducative
et des publics, octobre 2005
Pour les œuvres (sauf mentions) : Adagp, Paris 2010
Texte : Alice Fleury
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education/ rubrique ’Dossiers
pédagogiques’
Maquette : Michel Fernandez
Mise à jour : Florence Thireau, 2010
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers
pédagogiques