Dossiers 
    pédagogiques
    Parcours
    exposition
|  
       
 5 mars 2008 – 2 juin 2008, Galerie 2, niveau 6 
  | 
  
|  
       | 
  
| 
Louise Bourgeois en 1990, derrière sa sculpture en marbre Eye to Eye, 1970 Photo Raimon Ramis  | 
  
De l’image à la sculpture
  Le
    rôle du dessin
    Femme-maison,
  1946-1947
  Quarantania I,
  1947-1953
  Fillette (Sweeter Version), 1968-1969
La métamorphose comme principe de l’œuvre
  L’ambiguïté des matériaux,
  des formes, du sens
  Janus fleuri,
  1968
  Cumul I,
  1968
  Untitled, Sans titre,
  1996
  The Reticent Childs,
  2003
La mémoire, source et sujet de création
  Sculpter
  l’espace du psychisme
  Precious liquids,
1992
Cell (Choisy), 1990-1993
Red Room (Parents), 1994
Spider,
1997
Née en France en 1911 et vivant à New York depuis 1938, Louise Bourgeois est une des artistes majeures de la seconde moitié du 20e siècle et du début du 21e. Traversant le Surréalisme, l’Expressionnisme abstrait, le Minimalisme, son œuvre, oscillant entre géométrie abstraite et réalité organique, échappe à toute classification artistique.
Basée sur la mémoire, l’émotion, la réactivation des souvenirs d’enfance, elle obéit à une logique subjective, usant de tous les matériaux et de toutes les formes. Le langage personnel et entièrement autobiographique de Louise Bourgeois rejoint les pratiques les plus contemporaines, et exerce son influence sur de nombreux artistes.
Organisée par le Centre Pompidou, Musée national d’art moderne en collaboration avec la Tate Modern de Londres, cette exposition événement rassemble plus de deux cents œuvres - dessins, peintures, sculptures, installations, gravures, objets - réalisées entre 1940 et 2007. Présentée dans trois espaces, elle commence dès le Forum avec une araignée géante en bronze et acier, jamais montrée en Europe. En Galerie 2, un parcours chronologique permet de découvrir les œuvres majeures avec un regard particulier sur les dix dernières années de création de cette artiste âgée de quatre-vingt-seize ans et qui ne cesse de renouveler son langage artistique. La Galerie d’art graphique propose « Tendres compulsions », une exposition plus intime, conçue à la manière d’un cabinet de curiosités et réunissant dessins, gravures et sculptures de petit format pour rendre compte de la permanence de certains thèmes et de la diversité des techniques et matériaux employés.
Ce dossier, conçu à l’attention des enseignants, propose d’interroger l’œuvre
  de Louise Bourgeois à partir de trois moments forts de sa création :
  - de
  l’image : peinte, gravée,
  dessinée, à la sculpture,
  - la métamorphose comme principe essentiel de l’œuvre,
  - la mémoire, source et sujet de création, sculpter
l’espace du psychisme.
Sculpteur, Louise Bourgeois garde néanmoins son attachement à l’image, peinte, gravée, dessinée, par laquelle elle a commencé. Le dessin sera pour elle une pratique constante, une sorte de carnet intime où elle note ses « pensées plumes » comme elle les appelle, idées visuelles qu’elle attrape au vol en les fixant sur les supports les plus variés. Ces idées visuelles peuvent donner ou non naissance à des sculptures. Par le dessin elle décante ses souvenirs complexes et les images du passé qui émergent à la conscience suscitées par des émotions intenses. L’art et la vie étant pour elle indissociables, on peut comprendre l’importance du dessin si on se réfère à l’enfance de l’artiste.
Louise Bourgeois passe son enfance à Choisy-le-Roi où ses parents tiennent un atelier de restauration de tapisseries anciennes. À partir de onze ans, Louise est associée au travail de dessin des motifs. Le fil qui restaure sera métaphoriquement assimilé au trait dans le dessin. Comme le souligne Marie-Laure Bernadac, dans son ouvrage : Louise Bourgeois, La création contemporaine (Flammarion, 2006, première édition, 1995), les premiers dessins automatiques sont associés aux scènes primitives de l’enfance, naissance, maternité. Moins immédiate, la peinture n’en est pas pour autant une des expressions privilégiées de l’artiste jusqu’à la fin des années quarante.
Au début des années trente, Louise Bourgeois fréquente l’Ecole des beaux-arts
  et diverses académies, parmi lesquelles la Grande Chaumière, elle a comme professeur Fernand
  Léger qui décèle sa vocation de sculpteur. « La peinture n’existe pas
  pour moi », affirme l’artiste, se disant plutôt attirée par « l’aspect
  physique de la sculpture » qui, seule, lui permet l’abréaction des affects
  que recherche sa démarche artistique, la libération et le dépassement
  de la peur par la mise en forme de l’affect.
  En 1938, elle rencontre l’historien d’art Robert Goldwater qu’elle épouse
    et part vivre aux Etats-Unis. Lors de sa première exposition personnelle
    en 1945 à New York elle présente douze peintures. En 1947 apparaît dans le
    dessin et la peinture un des thèmes majeurs de son œuvre : la
  femme-maison.
Qu’il s’agisse d’une série de peintures et de dessins réalisés vers la fin
  des années 1940, des sculptures en marbre des années 1980, ou des grandes installations
  des années 1990, les Cells, le thème de la femme-maison est omniprésent
  chez Louise Bourgeois.
  Dans ces peintures qui doivent aux surréalistes le
  goût de la rencontre
    entre des éléments incongrus, le corps
  de la femme se termine par différentes sortes de maisons. 
Dans cette toile rigoureusement verticale, le corps féminin, sans bras, porte sur les épaules une maison grise à colonnes. La rigidité grise de la maison contraste avec le rose vif du corps féminin où le sexe souligné évoque une fleur. Du toit de la maison, comme un nuage de fumée, sort une sorte de nasse qui fait penser à la chevelure féminine à laquelle l’artiste, qui en possédait une splendide, était très attachée. « La chevelure est omniprésente dans les premiers dessins et peintures de Louise Bourgeois. Luxuriante, sensuelle, voire auto-érotique, elle est peut-être la seule substance irréfutablement féminine de son univers », écrit Robert Storr, dans « Géométries intimes : l’œuvre et la vie de Louise Bourgeois » (in Art Press, n°175, déc. 1992). Couleurs chaudes et froides, lignes droites et courbes, géométrie et éléments organiques coexistent dans ces images qui sortent d’une combinatoire étrange et personnelle. Marie-Laure Bernadac voit dans « ce mélange de géométrique et d’organique, de rigidité et de malléabilité, d’architecture et de viscéralité, (…) la métaphore de sa structure psychique » (in Louise Bourgeois, op.cit. p.64). Une structure psychique faite de contrastes.
Au-delà d’une revendication féministe dénonçant le poids écrasant de la maison dans la vie d’une femme au foyer, comme pourraient le faire penser les titres, il s’agit d’un noyau immense d’inspiration. La maison est le contenant idéal de tous les souvenirs et en particulier de ceux de l’enfance. Maison d’enfance où elle avait vécu une vie familiale très mouvementée, à cause d’un père volage, trompant souvent sa mère avec d’autres femmes et de manière encore plus douloureuse, pour l’artiste, avec sa jeune surveillante anglaise : Sadie.
Ce n’est qu’en 1947 que Louise Bourgeois aborde la sculpture
    avec des figures
    totémiques en bois.
    Ces figures, qu’elle appellera plus tard « personnages », sont des entités qui lui permettent
  « d’exorciser le mal du pays » qu’elle
  avait eu en quittant la France et des personnes de sa famille.
  Plaçant toujours au centre de son art la vie affective, Louise Bourgeois souligne : « Au
  départ, mon travail c’est la peur de la chute. Par la suite c’est devenu l’art
  de la chute. Comment tomber sans se faire mal. Puis l’art d’être ici, en ce
  lieu. »[1] De cette peur
  de tomber qu’elle avait eu en 1940, enceinte
  de son premier enfant, elle fera un thème essentiel de son art. Tous les « personnages » de
  1947-49 ont en commun, selon l’artiste, « la fragilité de la verticalité (…)
  qui représente l’effet surhumain pour se tenir debout ». Les monolithes
  qu’elle crée en ces années existent en interrelation directe les uns sur les
  autres. Un champ spatial et psychologique d’attraction et de répulsion les
  ordonne. Louise Bourgeois conçoit dès les débuts la sculpture comme
  relation avec l’environnement et les œuvres entre elles.
  Sans socles, les personnages étaient conçus pour être enfoncés dans le sol
  comme des totems. Les contraintes de sa galerie l’obligèrent à les poser sur
  un socle.
Quarantania I est composée de cinq figures qui proviennent des « totems » qu’elle avait montrés séparément lors de sa première exposition à la Peridot Gallery de New York en 1949. Au centre, Woman with Packages (Femme avec des paquets), entourée de plusieurs femmes-navettes. La navette, instrument de travail de ses parents dans leur atelier de restauration de tapisseries d’Aubusson, est un élément formel et affectif qui renvoie à l’enfance de l’artiste. En équilibre précaire sur la pointe qui la fige au socle, chaque figure féminine semble ici néanmoins soutenir l’autre et trouver une forme d’équilibre et d’harmonie. Chaque membre du groupe conserve son indépendance, respectueux du territoire de ceux qui l’entourent, tandis qu’ensemble ils protègent la figure centrale. Comme l’écrit Robert Storr : « Forte de leur prévenance et incapable de basculer hors du cercle de ses pairs, la protagoniste archétypale de Louise Bourgeois, la femme en équilibre précaire et lourdement chargée, semble pour une fois vraiment à l’abri de ce qu’elle redoute par-dessus tout » (in Art Press, n° 175, art. cit.).
Très hautes et minces, ses silhouettes en bois que Bourgeois sculpte affirment la verticalité. Sans têtes et sans bras, elles sont réalisées en bois de séquoia, que l’artiste travaille à la lame de rasoir. Elles sont aussi peintes en blanc, couleur virginale pour l’artiste, et en bleu clair. « La couleur est plus forte que le langage. C’est une communication subliminale. Le bleu représente la paix, la méditation, l’évasion (…) Le blanc signifie le retour à la case départ (…) », note l’artiste.
 Louise
    Bourgeois, Fillette
      (Sweeter Version), 1968-1969
      Latex sur plâtre (œuvre suspendue),
      60 x 27 x 20 cm
      Collection privée
Dès les débuts des années 1960, Louise Bourgeois quitte la verticalité et la rigidité du bois et travaille avec des matériaux souples. La liquidité du plâtre l’attire ainsi que le latex qui lui inspirera des œuvres biomorphiques ou ayant pour sujet le refuge, le nid. C’est aussi la période d’un grand nombre de travaux impliquant des fragments du corps, souvent des parties sexuelles.
Jouant sur le contraste ironique entre le titre et l’œuvre, Fillette représente un pénis. L’artiste se fait photographier
    par Robert Mapplethorpe en train de bercer la sculpture et de regarder d’un œil
    malin le spectateur. Fillette est ainsi devenue l’emblème de son œuvre, une œuvre
    qui veut garder floues les frontières entre les identités et les choses.
  La
  forme du pénis revient souvent dans sa création, elle est surdéterminée
  de sens. Ce sens est d’abord érotique, puisque à la base de tout il y a,
  pour l’artiste, la pulsion sexuelle et sa sublimation dans l’art. Mais
  dans son regard malicieux, l’artiste-fillette-espiègle
  s’identifie au phallus qu’elle porte dans les bras, et qu’elle incite à lire,
  toujours avec ironie, en termes féminins. En effet si l’œuvre a la forme évidente
  d’un pénis, elle n’en est pas moins une sorte de personnage gauche,
  avec une couverture qui le protège, féminin, enfantin et masculin à la fois.
  L’ambivalence féminin-masculin, se retrouve aussi dans le choix des matériaux,
  le plâtre dur et le latex souple qui le recouvre.
Fillette porte dans sa partie haute
    un crochet par lequel elle devait être suspendue au plafond. La vision en
    contre-plongée des deux boules renvoie bien évidemment aux testicules, mais
    pourrait aussi renvoyer aux seins, souvent assimilés chez Bourgeois à des
    formes sphériques.
  En 1966 elle avait réalisé une œuvre qui pourrait être considérée
    comme le pendant de Fillette, il s’agit de Regard,
  masse ovale en latex et tissu évoquant le sexe féminin avec une fente au milieu
  représentant
  à la fois « l’intérieur des lèvres » et la commissure des paupières. L’œil
  et le sexe féminin se trouvent reliés par l’artiste, contrairement à
  Freud qui assimile le regard au phallus et la peur de perdre la vue à
  l’angoisse de castration. 
Les fragments du corps, seins, pénis, qui reviennent sans cesse dans l’œuvre de Bourgeois, ont tous, selon la critique d’art Rosalind Krauss, le statut « d’objets partiels » tels que la psychanalyste Mélanie Klein en a défini le concept. « Il s’agit principalement de parties du corps réelles ou fantasmées (sein, fèces, pénis) et de leurs équivalents symboliques. Même une personne peut s’identifier ou être identifiée à un objet partiel. » (Cf. à ce sujet la rubrique « Objet partiel », in Vocabulaire de la psychanalyse, de Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Puf, 1967). En 1934, Mélanie Klein introduit la notion de « clivage dans l’objet » et de « bon et mauvais objet ». Les différentes phases de la psychogenèse de Klein axée autour des verbes agresser, détruire, reconstruire, réparer l’objet libidinal, sont celles de l’acte créateur chez Bourgeois, qui est très proche de la psychanalyse. [2]
[1] Les citations de l’artiste renvoient au catalogue de l’exposition qui s’organise selon la forme d’un glossaire qui puise ses entrées dans les archives de Louise Bourgeois. L’artiste écrit son journal à partir de l’âge de douze ans. Elle y raconte sa vie, ses rencontres, ses réflexions sur son art et sur sa vie intime. S’exprimant alternativement en français ou en anglais, sa pensée est claire et son style incisif. Les dernières années se caractérisent par des textes poétiques, où domine le souvenir d’enfance avec des allitérations, assonances et autres effets prosodiques.
[2] Outre l’article de Julia Kristeva, sémiologue et psychanalyste, « Du « petit pois » à la runaway girl », le catalogue de l’exposition présente aussi l’article de Mignon Nixon : « Reconstruire le passé : Louise Bourgeois et la psychanalyse », entièrement consacré à la relation de l’artiste à la psychanalyse.
La métamorphose est un des principes essentiels de l’œuvre de Louise Bourgeois, elle intervient à plusieurs niveaux : au sein même d’une sculpture, et dans l’interaction de celle-ci avec d’autres éléments qui en modifient la perception formelle et le sens. En effet, l’enchaînement, l’articulation sont chez elle des procédés originaux de métamorphose.
C’est tout d’abord l’ambiguïté plastique propre à l’œuvre qui permettra la transformation, le passage d’une forme à l’autre et d’un sens à l’autre. « En perpétuelle métamorphose, les formes de Louise Bourgeois inventorient les permutations apparemment inépuisables des oppositions sexuelles (…) », souligne R. Storr (in Art Press, n°175, art. cit.) en accentuant la connotation souvent érotique de son travail. Si Fillette était pénis et petite fille à la fois, le pénis affaissé de Sleep (1967) souligne la féminité des hommes, par l’analogie formelle que l’œuvre entretient avec les seins de la femme.
Dans la même année que Fillette, Louise Bourgeois réalise d’autres œuvres suspendues qui sont des parties du corps humain à consonance sexuelle. Il s’agit d’une série de quatre sculptures de forme phallique, au titre évocateur de Janus parmi lesquelles Janus fleuri. Comme l’indique la référence à l’antique divinité latine, Janus, était le dieu à double visage, l’un tourné vers le passé et l’autre vers le futur, divinité des portes (janua), celles de son temple étaient fermées en temps de paix et ouvertes en temps de guerre. Tout s’ouvre ou se ferme selon sa volonté. C’est le côté bipolaire qui fascine l’artiste dans le choix du titre. « Janus fait référence à la polarité qui nous habite (…) la polarité dont je fais référence est une pulsion vers la violence extrême et la révolte (…) et le retrait », écrit l’artiste qui y voit aussi « un double masque facial, deux seins, deux genoux ».
L’œuvre, en bronze, représente deux pénis flasques réunis par un élément central à la limite de l’informe qui évoque la fente et la toison féminine. C’est cet élément de jonction, dont la matière exubérante se répand sans limites précises sur les deux autres parties au fini impeccable, qui distingue l’œuvre au sein de la série, l’adjectif « fleuri » renvoyant par métaphore visuelle au sexe féminin comme efflorescence. Masculin et féminin se trouvent encore une fois réunis dans cette œuvre aux deux visages où, par un ultérieur glissement formel, le pénis se fait sein.
Quant aux modalités de sa présentation suspendue, elle traduit pour l’artiste « la passivité », tandis que « sa masse inférieure exprime la résistance et la dureté. Elle est peut-être un autoportrait - un parmi tant d’autres », note-t-elle. Dépassant les limites et les identités des choses, Janus fleuri serait aussi un autoportrait de l’artiste, « ce défaiseur de tout narcissisme comme de toute identité imaginaire y compris sexuelle », comme le définit Julia Kristeva dans Pouvoir de l’horreur, essai sur l’abjection (Seuil, 1980, p.246).
Les années soixante sont pour Louise Bourgeois des années de maturité où elle expérimente diverses formes et matériaux. Le plâtre, le latex, le caoutchouc, le bronze, le marbre se succèdent. Après son séjour en Italie à Pietrasanta où elle se rend pour travailler le marbre, elle l’utilisera fréquemment. Ce matériau résistant donne l’illusion de la douceur de la peau.
Dans Cumul I, plus rien ne semble tenir en place et chaque forme vouée au changement perpétuel. Cumul fait partie d’une série qui fait référence au nuage, élément changeant par excellence, et plus précisément aux nuages ronds appelés Cumulus. « Ce sont des nuages, une formation de nuages. Moi je n’y vois pas de formes sexuelles », affirme-t-elle. Le point de départ de ces formes est la sculpture en forme de phallus flasque, Sleep II de 1967.
Ici, l’effervescence de formes rondes et blanches semble sortir d’un voile aux nombreux plis, drapé baroque renvoyant au Bernin (1598-1680), le grand sculpteur baroque qui avait impressionné l’artiste. Au-delà de la référence usuelle aux seins ou au sexe masculin, certaines de ces formes rondes semblent évoquer la tête d’une religieuse dont le visage émergerait - tel celui de Sainte-Thérèse dans la sculpture du Bernin à Rome (La Transverbération de Sainte-Thérèse, 1652, Eglise Sainte-Marie de la Victoire) - d’un voile qui se perd en de multiples plis.
Ce même drapé se trouve aussi dans Femme-maison (1983), œuvre en marbre blanc, qui est encore, comme le souligne Marie-Laure Bernadac, inspirée du Bernin. Cumul I annonce aussi la grande et impressionnante installation en latex : The Destruction of the Father, de 1974.
  Untitled,
      Sans titre, 1996
Vêtements, bronze, os, caoutchouc et acier, 
300,40
      x 208,3 x 195,6 cm
      Collection de l’artiste
Photo Allan Finkelman
La métamorphose ne se limite pas chez Bourgeois à une classique migration
  du sens qui suit la forme. Elle repose aussi, comme on a dit, sur un procédé essentiel à son
  travail, l’enchaînement, l’articulation de différents éléments entre eux se
  nouant, comme les parties d’une longue phrase visuelle, pour produire un sens
  nouveau et inattendu. Ce procédé ne vise pas, comme chez les surréalistes,
  l’étonnement, la surprise du spectateur, il est au service de l’inconscient
  de l’artiste qui met en forme ses peurs
  et ses affects les plus anciens et les plus refoulés. L’art devient, dans cette
  perspective, une catharsis, une abréaction des affects au sens psychanalytique
  du terme et, comme c’est écrit dans la partie supérieure de Precious liquids : « L’Art
  est une garantie de santé mentale ».
  « Etant donné que les peurs du passé étaient liées à
  des peurs physiques, elles ressurgissent dans le corps. Pour moi la sculpture
    est le corps. Mon corps est la sculpture », affirme-t-elle. Ainsi, s’intéressant
    de près au corps, l’artiste n’a pas
    manqué, au cours des années 90, de s’attaquer au vêtement qui le recouvre
    en le protégeant. C’est ce qu’elle fait dans une série d’œuvres qui mettent
    en scène le vêtement et plus
    spécialement, ses anciens vêtements, derniers objets d’un passé à questionner
  toujours.
Sans titre est l’association d’une
    robe noire avec des perles et de la lingerie intime ayant appartenu à l’artiste.
    Ces éléments sont suspendus à une structure verticale en acier, rappel
    des porte-bobines de fils qui servaient à la restauration des
    tapisseries dans l’atelier de ses parents à Choisy-le-Roi. L’immense porte-bobine
    polymorphe revient, en effet, sans cesse dans son travail et constituera
    avec les bobines et la navette, une œuvre : In Respite,
    1993.
  Ici, il est comme une sorte d’arbre, où s’accrochent d’inquiétants porte-manteaux
    en os de bœuf assurant la suspension
    des habits. Le vêtement léger, d’une couleur claire, en soie ou en satin, épouse
    directement les ossements lourds. Le corps ancien qui les endossait a disparu
    et ce qui devrait rester caché se montre : le squelette,
    faisant surface derrière la peau et la chair qui s’effacent. Ces matériaux
    insolites s’opposent ou s’accordent et par là même se révèlent : la
    légèreté des satins contraste avec l’os massif rongé par
    le temps et renvoyant à la mort, la structure métallique inaltérable
    semble soutenir la pérennité du souvenir.
  L’enchaînement des différentes parties de l’œuvre procède
    ainsi par métonymie (l’os
    pour le corps humain) et par métaphore (la
    clavicule pour le porte-manteau et le métal pour le souvenir). Ainsi orchestrés
    et rythmés dans l’air à différentes hauteurs, les vêtements instaurent une
  étrange danse macabre. 
Les derniers travaux de Louise Bourgeois renvoient en général à la famille, aux relations mère-enfant, père-enfant, et à des scènes à forte charge érotique, souvent des accouplements entre adultes perçus par le regard de l’enfant comme un agrégat protéiforme de corps qui s’ébattent dans un lit, ainsi pour Seven in Bed de 2001.
The Reticent Child s’inspire de la
    relation avec son fils Alain. L’œuvre, qui fait notamment allusion au premier
    traumatisme de la vie, celui de la naissance, a été réalisée pour le Sigmund Freud Museum de
    Vienne. Il s’agit d’une installation qui s’étend
  horizontalement et qui se présente comme une maquette de théâtre.
  La grossesse,
  la naissance, l’enfance et l’adolescence de son fils y sont
    représentées. Le tissu et le marbre
    sont les deux matériaux utilisés pour réaliser ici les figures. Cinq figurines
    sont en tissu de laine rose et la sixième, couchée sur un lit, est en marbre
    couleur peau. Disposés sur une table métallique au-dessus de laquelle est
    fixé
  un grand miroir convexe, les six personnages se reflètent dans la
  glace. La métamorphose est amenée de manière spectaculaire par
  le miroir déformant qui, selon le point
  de vue où se trouve le spectateur, modifie la perception des formes, redoublant
  le caractère inquiétant de ces figures assemblées dans une scène qui rappelle
  celle du rêve. 
Ombres du passé, présences énigmatiques, figures surdéterminées de sens se succèdent tout le long de cette installation qui soulève le problème de comment représenter le temps dans l’œuvre plastique. Le choix de l’horizontale pour signifier la succession des événements a ici quelque chose qui, malgré l’aspect résolument contemporain de l’installation, fait penser à la peinture ancienne, au célèbre Tribut (vers 1427) de Masaccio où trois temps de la narration biblique sont représentés sur la même fresque. Masaccio et ses peintures de la chapelle Brancacci à Florence reviennent encore dans le geste du jeune homme à l’extrémité de l’œuvre, qui baisse la tête en se cachant les yeux, geste qui n’est pas sans rappeler celui d’Adam dans Adam et Ève après la chute (vers 1427).
Le regard se porte sur l’enfant dont le marbre rend la peau diaphane, enfant réservé nous dit le titre. Couché sur son lit en position fœtale il semble ne plus vouloir le quitter. Mais peut-être aussi, comme dans le processus du rêve analysé par Freud, le véritable sujet n’est pas celui qui se montre comme tel, il est à chercher ailleurs, ici, dans l’orchestration des personnages tout au long de l’installation qui s’apparente à une narration. Le sujet c’est le temps et son déploiement dans la scène, dans une polyphonie des formes et des matières, de clair-obscur et de couleur. Le véritable sujet de l’œuvre c’est l’ensemble inextricable qu’est l’œuvre elle-même, ce plateau où se donne à voir la représentation de la vie.
- Voir Masaccio, Le Tribut de Saint-Pierre, 1427, chapelle Brancacci
- Voir Masaccio, Adam et Ève après la chute, vers 1427, chapelle Brancacci
Toute œuvre d’art sollicite en même temps la pensée, l’imagination, l’affect, interpellant à plusieurs niveaux le spectateur. « Les arts du dessin sont muets, ils n’ont que le corps pour représenter les âmes, ils agissent sur l’imagination par les sens, la poésie sur les sens par l’imagination » écrivait déjà Stendhal en 1817 dans son Histoire de la peinture en Italie, soulignant une différence essentielle entre les effets produits par la peinture et par la poésie. Il en va autrement quand l’émotion, la mémoire, l’affect sont le sujet même de l’œuvre. C’est le cas de Louise Bourgeois qui se mesure sans cesse à la mise en forme de ce qui n’est pas de l’ordre de la forme et à rendre visible ce qui échappe au visible et à ses modalités.
Quand le sujet de l’œuvre d’art devient l’émotion elle-même, l’émotion
    vécue par l’artiste, en tant qu’expérience liée à
  l’inconscient, tout est  à
  réinventer, de manière on ne peut plus
  singulière. C’est ce que l’artiste a fait, traversant les différents courants
  de l’art du 20e siècle, Surréalisme, Minimalisme, Art informel, pour les dépasser,
  les devancer, suivant au fond l’impératif plastique que lui dictait sa vie
  réelle et fantasmatique, vécue d’abord et revécue ensuite, questionnée sans
  cesse dans la création.
  L’espace de l’œuvre devient particulier, un espace du psychisme, avec sa logique
  qui emprunte à l’inconscient ses procédés de condensation, déplacement, surdétermination.
  C’est ainsi qu’il faut entendre les œuvres monumentales des années 90, les Cells, Cellules, à la fois ouvertes
  et fermées, qui se donnent à voir comme une traversée d’un espace du dedans.
Dans les années 90, à quatre-vingts ans, Louise Bourgeois se consacre à la réalisation de ces chambres magiques, que sont les Cells. Elle y rassemble des objets qui lui sont très proches et qu’elle investit d’une grande charge émotionnelle. Les Cells sont les lieux où elle déroule la trame de ses souvenirs et de ses affects.
Liquides précieux est une imposante
    installation cylindrique où le spectateur est invité à entrer. Il s’agit
    d’un espace sombre et clos, composé d’un réservoir cylindrique d’eau en bois
    de cèdre, tel qu’on peut en voir sur les toits new-yorkais, et destiné à
  recueillir les « liquides précieux ».
  Ces liquides sont ceux que le corps humain produit quand
      il est soumis à des émotions comme
    la peur, la joie, le plaisir, la souffrance. Sang,
    lait, sperme, larmes sont donc des liquides précieux pour l’artiste qui en
  orchestre la mise en espace.
  Au centre de l’étrange tonneau se trouve un lit ancien en fer entouré de
    montants qui soutiennent des ballons en verre,
    tenus de décanter, à
  travers des tuyaux qui les relient à une
  flaque d’eau au centre du lit, le liquide qui s’évapore et qui retombera ensuite
  après sa condensation.
En face, un immense manteau masculin surplombe l’espace, enfermant en son sein un petit vêtement d’enfant avec l’inscription « Merci-Mercy ». De l’autre côté figurent deux boules en caoutchouc et une sculpture ancienne en marbre. L’installation est une œuvre complexe, surdéterminée de sens. Le spectateur est interpellé par cet espace déserté de toute présence humaine et qui pourtant en porte les traces, ce lieu où s’inscrit l’absence, le temps qui passe dans la vétusté du lit et du manteau, la mort peut-être. La curieuse alchimie des liquides et la construction mentale que l’artiste y rattache font de l’espace de l’œuvre un espace du psychisme.
En effet, Louise Bourgeois s’explique quant à la signification des objets y figurant. Le manteau renvoie au père, figure de la répression, le petit habit à la petite fille qu’elle a été, et la dynamique des fluides serait liée aux humeurs de la peur face au père. On est au cœur du « complexe de castration » qui renvoie, selon Freud, au manque central de pénis chez la petite fille et à la différence sexuelle. L’artiste l’a bien évidemment dépassé mais l’œuvre, dans la mise en scène du fantasme, en est sous-tendue.
Le mot cellule renvoie chez Louise Bourgeois à la plus petite unité biologique qui nous constitue et aussi à la maison, le refuge, la famille. Et il n’y a de maison que de l’enfance, premier réceptacle de la vie, et des premières marques du psychisme. Elle réalisera deux séries de Cells, les unes consacrées aux sens, les autres liées à l’enfance et à la mémoire. « Les Cells représentent différents types de douleur : physique, émotionnelle et psychologique, mentale et intellectuelle… Chaque Cell a trait à une peur. La peur est une douleur… Chaque Cell traite du plaisir du voyeur, le frisson du regardeur et celui d’être regardé », affirme-t-elle.
Jouant de plus en plus de la polyphonie des matériaux, Louise Bourgeois les
  exploite maintenant tous : verre, bois, métal, marbre, tissu. Chaque matériau
  garde son histoire et se présente dans son opacité ou transparence, dans sa
  pesanteur ou légèreté, son côté lisse ou rugueux.
  Avec Cell (Choisy),
  l’artiste
    commence une série de grandes cages, où la grille est un élément essentiel. Elle
    permet de voir à
  travers et évoque aussi l’idée de captivité. Il s’agit ici de la maison de
  son enfance, lieu de tous ses souvenirs à Choisy-le-Roi. La maison est au centre
  de l’installation. En marbre rose, elle pourrait donc être sereine mais, au-dessus,
  la lame immense d’une guillotine la menace. Allusion à la France et
  à son histoire et à l’artiste elle-même dans ce que la psychanalyste Marthe
  Robert, suivant Freud, appellerait « le roman familial du névrosé » (Marthe
  Robert, Roman des origines et origines du roman, Gallimard, 1977). Pour
  la psychanalyse chaque individu crée, à partir
  des éléments réels de son enfance, un mythe individuel où réalité
  et fantasmes se mêlent. Ceci est particulièrement parlant au sujet de Louise
  Bourgeois qui n’a pas arrêté de puiser dans son histoire familiale la matière
  de ses œuvres.
La guillotine montre « que les gens se guillotinent à l’intérieur d’une famille. Le passé est également guillotiné par le présent », déclare l’artiste. Avec l’âge qui avance, le souvenir devient de plus en plus présent, puisant en profondeur dans la « préhistoire » individuelle. La sculpture seule, le travail en volume, physique et tangible, permet pour l’artiste de traverser le passé en lui enlevant le côté mortifère et pénible. Comme conjurés, les fantômes du passé sont là, dans cette maison temple du souvenir revécu et mis en forme dans l’art. Le présent « guillotine » le passé, car l’art le rappelle sur la scène une dernière fois pour passer outre.
Remontant de plus en plus loin dans le passé et avec une liberté de plus en plus assumée, Louise Bourgeois touche, avec les deux installations parallèles : Red Room (Parents) et Red Room (Childs), au « noyau » de l’inconscient, réserve inépuisable de fantasmes, et au lieu interdit par excellence, celui de la chambre parentale, lié à ce que Freud appelle la « scène primitive » (Urszene), celle du rapport sexuel entre les parents. Tel qu’il peut être regardé ou fantasmé, cet acte est selon Freud toujours interprété par l’enfant comme un acte de violence, voire de viol de la part du père à l’égard de la mère.
La couleur dominante est ici le rouge, un rouge sang
    qui couvre le lit, les portes sont en bois sombre et proviennent d’anciennes loges de théâtre. L’association
    du rouge (couleur de la passion pour l’artiste) et du noir donne à ces chambres
    un côté tragique au sens fort de tragédie grecque. On y entend les échos
    du mythe d’Œdipe et le lien inextricable
    entre Eros et Thanatos. Passion et violence, angoisse et mystère y dominent.
  L’ambivalence est néanmoins comme toujours à l’œuvre. Si le mot « je
  t’aime », écrit en rouge dans le coussin, ainsi que le petit train d’enfant
  et l’instrument de musique posés sur le lit évoquent la paix et la sérénité du
  ménage, pourtant un curieux doigt en caoutchouc piqué d’une
  épingle qui sort du lit ainsi qu’une espèce
  de vessie rouge qui pend sur le même lit troublent l’ensemble. Fil, bobines,
  aiguilles, épingles, rappellent la couture et la profession maternelle, et
  le doigt piqué n’est pas sans évoquer la jeune princesse de la fable de Perrault, La
  belle au bois dormant qui, s’étant piqué le doigt avec un fuseau,
  restera endormie cent ans en attendant le prince qui la délivrera du sortilège.
  Du
  point de vue de l’histoire de l’art, ce détail rappelle
    un tableau de Max Ernst, Œdipus rex de 1922, où le doigt
  piqué renvoie à la figure d’Œdipe qui s’aveugle en se crevant les yeux après
  avoir découvert qu’il a tué son père et couché avec sa mère. De ce mythe
  fondateur de l’inconscient humain selon Freud, Louise Bourgeois en donne ici
  sa version.
Un miroir ovale posé dans l’installation rappelle le lit et redouble la sensation de l’espace, un espace désormais inhabité, où les êtres, contrairement au miroir de la chambre nuptiale dans le célèbre tableau de Van Eyck : Les époux Arnolfini (1434), ne se reflètent plus. L’énorme navette rose, allusion ultérieure au métier à tisser parental, renvoie par son échelle à la vision de l’enfant selon laquelle les objets semblent géants. Elle instaure aussi un subtil jeu formel et chromatique avec les deux bulles en verre rouge et bleu et rompt, avec ironie, le tragique contraste en rouge et noir qui domine la pièce où plane la dimension de l’interdit.
Voir Max Ernst, Œdipus rex, 1922
Voir Jan van Eyck, Les Époux Arnolfini, 1434
 Spider,
      1997
Acier, tapisserie, bois, verre, tissu, argent, or et os, 445
  x 666 x 518 cm
  Collection particulière. Courtesy Cheim & Read,
  New York
Les années 90 voient aussi l’apparition d’une nouvelle figure qui deviendra obsédante dans le travail de l’artiste, celle d’une immense araignée qu’elle identifie à sa mère. Si, avec le père, homme immature et volage, l’artiste a toujours eu une relation ambiguë, allant jusqu’au rejet, sa mère, rationnelle et rassurante, est pour Louise une amie. Elle la perdra à vingt et un ans. Quelques jours après, devant son père qui ne semblait pas prendre au sérieux le désespoir de sa fille, elle se jeta dans la Bièvre, il la sauvera à la nage.
La série d’Araignées consacrée à sa mère est, comme d’habitude, accompagnée
  de dessins et de textes. L’écriture prolonge chez l’artiste le travail du
  trait, du trait comme fil qui se fera trame, trame textuelle, qu’elle a alimentée depuis son plus
  jeune âge. Précise, lucide et poétique à la fois, l’écriture de Louise Bourgeois
  rend compte de tous les thèmes et obsessions caractéristiques de son travail,
  sans pour cela porter atteinte au caractère poignant de l’œuvre plastique qui
  prend toujours le spectateur de surprise. Dessin, écriture et sculpture sont
  pour elle des pratiques intimement associées.
  Sur un dessin elle a écrit : « L’Amie (l’araignée, pourquoi
  l’araignée ?). Parce que ma meilleure amie était ma mère et qu’elle était
  aussi intelligente, patiente, propre et utile, raisonnable, indispensable,
  qu’une araignée. Elle pouvait se défendre elle-même » (cité par Marie-Laure
  Bernadac, in Louise Bourgeois, op. cit. p.149). L’araignée qui tisse sa toile
  est associée à la mère et à son travail de réparation de tapisseries. Elle
  associe aussi son propre travail à une toile
  d’émotions et de souvenirs qu’elle tisse et détisse et retisse, telle Pénélope, tout au long d’une vie. L’artiste
  appelle une de ses œuvres de 1999-2000 du titre très parlant : I do,
  I undo, I redo, Je fais, je défais, je refais, titre qui révèle le fonctionnement psychique et créateur
  de Louise Bourgeois. 
Si faire renvoie à l’acte de l’artiste, défaire et refaire suivent une logique qui, selon la psychanalyse, et en particulier Mélanie Klein, renvoie aux pulsions agressives du nourrisson face à l’objet maternel. Défaire serait détruire la mauvaise-mère qui n’est pas aimante, refaire serait éprouver la phase dépressive liée à la culpabilité et la dépasser par la réparation. L’artiste explique la dynamique de son travail très souvent en termes proches des théories de Mélanie Klein (cf. Louise Bourgeois, Destruction du père, reconstruction du père. Ecrits et entretiens, 1923-1997, édition française, Lelong éditeurs, 2000, p.390). « Le travail artistique agit comme une réparation, une restauration au sens propre comme figuré », écrit à ce sujet Marie-Laure Bernadac (in Louise Bourgeois, op. cit. p.163).
Comme toujours néanmoins, l’araignée énorme que Louise Bourgeois réalise depuis 1994 sous différentes formes et mises en scène, reste une figure ambivalente. Si pour l’artiste elle est bénéfique, elle n’ignore pas qu’elle peut assumer le rôle d’un objet phobique et devenir métaphore de la femme qui attend dans sa toile les victimes masculines prises au piège pour les dévorer. Le thème mythologique des Trois Parques qui filent le destin, ou d’Arachné, jeune fille grecque experte en l’art du tissage et transformée par Athéna qui en est jalouse en araignée, se rattachent au caractère symbolique de la représentation de l’insecte. Bourgeois en donne plusieurs versions dont certaines terrifiantes.
Avec Spider de 1997, elle met en scène à la fois l’araignée et son ouvrage. En effet cette version s’accompagne d’une cellule en forme cylindrique grillagée, à l’intérieur de laquelle on perçoit des fragments de tapisserie ancienne. La lumière jaunâtre qui illumine cette scène nocturne n’a rien de rassurant.
Devant ces immenses présences qui incarnent, malgré la dimension positive
  qui les rattache à la mère, des peurs enfantines et inconscientes, l’œuvre
  d’art a ici son rôle premier chez Bourgeois de rejouer les peurs pour les exorciser
  et de transformer l’angoisse en plaisir.
  Empruntant la montée qui, à Rome, l’amenait à la contemplation dans l’église
  de Saint Pierre aux Liens du Moïse (1513-16), célèbre statue en marbre de Michel-Ange, Freud subit la forte
  impression de l’œuvre et s’en questionne. Les raisons du plaisir mêlé de trouble
  qu’il éprouve devant cette œuvre, viendrait du fait que Moïse, malgré
  le calme apparent qui semble l’envahir, garde néanmoins les traces d’une
  « fureur maîtrisée », écrit-il. Rappelant la colère de Moïse devant
  son peuple en train d’adorer le veau d’or, par certains détails qui demeurent,
  l’œuvre nous fait en même temps jubiler du moment où « la tempête passée,
  le calme est rétabli » (cf. Sigmund Freud, « Le Moïse de Michel-Ange »,
  1914, in Essais de Psychanalyse appliquée, Gallimard, 1933). 
Comme Freud devant Michel-Ange, Louise Bourgeois appelle
    aussi son spectateur à revivre
  les anciennes peurs liées aux fureurs des figures
  parentales et, grâce à la sublimation artistique, à
  jouir de la transformation de l’angoisse ancienne en présent plaisir
  esthétique. Son œuvre, s’intéressant à ces moments émotifs qui constituent
  la trame de l’esthétique entendue au sens large de science qui s’intéresse
  aux qualités de notre sensibilité, touche à ce que Freud appelle Das Unheimliche,
  L’Inquiétante étrangeté.
  C’est dans le domaine de l’œuvre d’art que la psychanalyse
  étudie les effets de l’inquiétante étrangeté. Certaines œuvres d’art s’éloignent
  des catégories rassurantes du beau et soulèvent les sentiments
  « d’effroi, de peur, d’angoisse » souligne Freud. L’esthétique
  « s’occupe plus volontiers des sentiments positifs, beaux, sublimes, attrayants,
  de leurs conditions et des effets qui les éveillent que des sentiments contraires,
  repoussants ou pénibles » poursuit-il, mais remarque pourtant que ces
  deux expériences contraires relèvent du domaine de l’esthétique. (L’Inquiétante étrangeté,
  1919, in Essais de Psychanalyse appliquée, op.cit.).
  Le travail de
  Louise Bourgeois est au cœur de ces questions qui touchent à l’œuvre
    d’art en tant qu’elle véhicule beauté
  rassurante, trouble bouleversant, ou les deux à la fois, remettant en cause
  de manière radicale les théories classiques sur l’art. En arts plastiques
  comme en philosophie, son œuvre sera exemplaire dans
l’illustration du statut de l’œuvre d’art et des effets qu’elle suscite.

 
- Galerie 2, niveau 6
- Musée, Galerie d'art graphique, niveau 4
- Forum du Centre, niveau 0
- Jardins des Tuileries
Visites commentées
Le samedi à 15h30.
Conférence Un dimanche, une œuvre
Precious Liquids, avec Elisabeth Lebovici
et Marie-Laure Bernadac.
Dimanche 13 avril à 11h30, Petite salle, niveau -1
Colloque Louise Bourgeois
Avec Mieke Bal, Jean Frémon, Gérard Wacjman et les commissaires de l’exposition :
Marie-Laure Bernadac, Jonas Storsve et, pour la Tate Modern, Frances Morris
Mercredi
16 avril, 15h-18h30, Petite salle, niveau -1
Promenade urbaine
Louise Bourgeois et Choisy-le-Roi
  Samedi 31 mai, 14h-18h.
> Inscription par courriel sur promenadesurbaines@yahoo.fr 
Cinéma
Films de Brigitte Cornand sur Louise Bourgeois
  Chère Louise, 1995,
  50’ ; C’est
le murmure de l’eau qui chante, 2002, 92’ ; La Rivière gentille,
2007, 1h40.
Lundi 5 mai, Cinéma 1, 18h-22h
Jeudi 22 mai, Cinéma 2, 18h-22h
Vendredi 30 mai, Cinéma 2, 18h-22h
Visiteurs handicapés
Samedi 12 avril
  Ecouter voir. Visite pour les aveugles
et malvoyants. A 11h.
Visite en langue des signes à 14h30 et Visite
en lecture labiale à 11h pour les sourds et malentendants.
> Réservation
sur le site Public handicapé ![]()
Programme pour les groupes, enseignants et formateurs
Visite
  de l’exposition (de la maternelle au lycée), parcours scénographie
pour les lycées professionnels.
Rendez-vous pour les enseignants et formateurs : présentation de l’exposition
le mercredi 12 mars à 14h30 ou 18h.
> Sur réservation. ![]()
	Pour consulter les autres dossiers sur les expositions, les collections du Musée national d'art moderne, les spectacles, l'architecture du Centre Pompidou
En français 
	
	![]()
	En anglais 
	
	![]()
	
	
Contacts
	Afin de répondre au mieux à vos attentes, nous souhaiterions connaître vos réactions et suggestions sur ce document
Vous pouvez nous contacter via notre site Internet, rubrique  Contact, thème éducation ![]()
© Centre Pompidou, Direction de l’action éducative
      et des publics, mars 2008
            Texte : Margherita LEONI-FIGINI, professeur relais de l’Education
            nationale à la DAEP
  
  
Pour les œuvres de Louise Bourgeois : Adagp, Paris, 2010
Maquette: Michel Fernandez
Mise à jour : Florence Thireau, 2010
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education/ rubrique
            ’Dossiers pédagogiques’
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers
pédagogiques