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Monographies / Compositeurs d'aujourd'hui

 

 


JOHN CAGE

LE gÉNIE INGÉNU

 

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John Cage © John Cage Trust — John Cage, Steps (détail), 1989 © Ray Kass and the Mountain Lake Workshop

 

John Cage,
D’un art à l’autre

Par Norbert Godon, plasticien
-
Le refus de la spécialisation
- L’art et la théorie
- Pratiques de la distanciation
- L’humour comme méthode
- Le principe d’indifférence
- Contre l’esprit de système
- L’unique et le multiple
- Déplacer les pratiques artistiques
- Pratique du hasard
- Le non-agir
- L’éloge de l’ennui
- L’art et la vie confondus
- A l’origine du mouvement Fluxus
-
Faire œuvre de l’environnement

 

John Cage,
le courage de tout oser

Par Jacques Amblard, musicologue
- « Un infiltré » dans le monde musical ?
- 4’33’’

Bibliographie

Actualité John Cage

 

 

 

John Cage, d’un art À l’autre retour sommaire

Par Norbert Godon, plasticien

John Cage, connu comme compositeur, rassemble une œuvre dont l’influence s’étend au-delà du seul champ musical, creusant le lit des courants artistiques d'après-guerre tels que le mouvement Fluxus et préfigurant des formes d'expression comme le happening, la performance ou les installations multimédias. De même, ses sources d’inspiration sont aussi bien à chercher du côté de l’histoire des pratiques musicales que de celles des arts plastiques, de l’architecture, de la danse, du théâtre, de la poésie, de la philosophie bouddhiste ou de la mycologie. Échappant au découpage catégoriel, l’œuvre de John Cage procède par dissémination, transposant les gestes d’une discipline à l’autre. Tenter d’établir une cartographie détaillée de ses influences, tant en aval qu’en amont, en cherchant à distinguer les pratiques artistiques qu’elle irrigue ou dont elle se nourrit serait proprement contradictoire. Plus que des formes, des systèmes ou des techniques mis en œuvre, c’est au travers d’une posture, d’une manière de considérer le rôle de l’artiste dans la société que celle-ci se définit, en dehors des frontières disciplinaires. C’est donc en partant de ces principes, ceux qui conduisent John Cage à investir tous les domaines de l’art, à rétablir leur lien avec la vie, que nous tentons de retracer son influence.

 

Le refus de la spÉcialisation retour sommaire

Cage, un artiste qui se veut « sans vocation »

Préférant l’image de l’amateur touche-à-tout à celle du professionnel monomane, John Cage prend très tôt le parti de se présenter comme un artiste sans talent particulier et, qui plus est, sans vocation, dans le sens où celle-ci implique de choisir une voie de spécialisation, un chemin de vie univoque. Il se détermine pour l’indétermination. Se présentant simultanément comme compositeur, plasticien, poète, théoricien et plus tard mycologue, il place son champ d’investigation précisément dans ce qui relie toutes les disciplines entre elles et à la vie.

Depuis son admission à l'Université de Californie du Sud, en 1934[1], pour étudier la composition auprès d’Henry Cowell puis d’Arnold Schönberg, John Cage se distingue par son manque d’intérêt pour les fondements mêmes de l’esthétique musicale. Il raconte plus tard, à l’occasion de l’une de ces « causeries » par lesquelles il introduit ou accompagne ses concerts, que Schönberg, son professeur d’harmonie, lui avait dit : « Pour écrire de la musique il faut avoir le sens de l’harmonie », il ne cesserait, sans cela, de se heurter à un « mur infranchissable ». Cage répondit que, dans ce cas, il consacrerait sa vie « à se cogner la tête contre ce mur ».[2]

De la même manière, lors de ses études d’architecture à Paris, en 1930, quand son maître de stage lui avait précisé que « pour être architecte, il [fallait] consacrer sa vie uniquement à l’architecture », il avait, six mois plus tard, abandonné sa formation pour s’adonner à la peinture au cours de voyages à travers l’Europe. De retour à Los Angeles, en 1933, sans qualification, tentant de gagner sa vie en organisant des conférences sur la peinture et la musique dans l’annexe de son studio à Santa Monica, il rencontrait alors, à l’occasion de ses recherches préparatoires, le pianiste Richard Buhlig, adepte du dodécaphonisme, qui devenait son professeur juste avant qu’il n’entre à l'Université de Californie du Sud…

Lorsqu’il est lui-même enseignant, à partir de 1941 de manière ponctuelle à la Chicago School of Design, à la Wesleyan University de Middletown dans le Connecticut, à l’Université de l’Illinois, à celle de Cincinnati ou à l’université allemande de Darmstadt[3], aux mythiques ateliers d’été du Black Mountain College[4], ou de manière prolongée à partir de 1956 à la New School of Social Research de New York, Cage incarne les idées « anti-scolastiques et anarchiques »[5] de ses débuts, étendant son influence à toute la jeune génération de musiciens, plasticiens et poètes. La posture de l’amateur touche-à-tout, consubstantielle d'une philosophie où l'art et la vie s'interpénètrent, trouve tout particulièrement sa place au sein des cursus que propose la New School of Social Research, précisément située au carrefour des disciplines[6] .

 

L’art et la thÉorie retour sommaire

Superposer les niveaux d’écoute : 45’ pour parleur (1954)

Pour Cage, ses activités d’enseignant ne sont pas à distinguer de sa démarche artistique : sa vie et son œuvre font un seul et même tout, ce qui l’amène à proposer d’aventureux mélanges entre ses diverses pratiques. Ainsi, tout en revendiquant l’idée selon laquelle une œuvre musicale ne saurait être le véhicule d’un message, qu’il soit symbolique, émotionnel ou langagier, il propose régulièrement à son public des lectures de textes théoriques. Invité à parler de son art au Composers’ Concourse de Londres en 1954, juste avant l’exécution de l’une de ses toutes dernières pièces, 34’46,776’’ pour deux Pianistes, plutôt que de prononcer un discours en introduction de son morceau, il décide de mêler les deux. Il écrit alors 45’ pour parleur dont la lecture doit accompagner l’audition du morceau.

Le texte est morcelé et paramétré en fonction du temps de la pièce. Les toussotements, raclements de gorge, déglutition d’eau et autres bruits habituellement suscités par une conférence constituent des indications de jeu destinées à accompagner les parties de piano, déjà agrémentées de coups de sifflets. La simultanéité des deux évènements permet non seulement de libérer les auditeurs des postures conventionnelles, mais aussi de libérer la sonorité des mots, au-delà de leur sens.

Le Discours sur rien (1949)

Louis Marcoussis, Gertrude Stein, vers 1936
Crayon sur papier, 37 x 26,7 cm 
Achat 1964 - AM 3252 D
© Adagp, Paris

Autre cas de figure, réalisé avant 45’ pour parleur, son « Discours sur rien »[7] est un texte composé à la manière de ses pièces musicales, avec des contraintes métriques et un débit de lecture précis. Traitant la parole comme un pur matériau sonore, tandis que celle-ci attire l’attention sur la présence du son produit, il effectue un retour réflexif sur le développement de ses énoncés, indiquant régulièrement à quel endroit de telle ou telle partie du texte « nous en sommes ». Et tandis que la phrase employée pour le signaler se déploie, nous en sommes déjà plus loin. Il informe son auditoire qu’il n’a rien à dire et que ce rien est l’objet de son discours, si bien que l’écoute de la musique produite par ce discours se substitue à l’écoute de son discours sur rien. La répétition lancinante de ses phrases permet progressivement à son public de parvenir à ce niveau d’écoute où rien ne se dit en dehors du fait de dire quelque chose « et les mots aident à faire les silences ».[8]

En cela, les « causeries » de John Cage visent en partie à produire un effet à la fois intellectuel et physique proche de ce que l’artiste éprouva lui-même à la lecture des textes de Gertrude Stein lorsqu’il les découvrit en 1930.[9] John Cage ne se pose ni en théoricien de la musique ni en musicien : en étant les deux à la fois, il est bien plus. Il ne propose à son public ni un divertissement intellectuel, ni un divertissement émotionnel mais une prise de contact existentielle avec les matériaux sonores et la temporalité même de sa causerie composée.

 

Pratiques de la distanciation retour sommaire

Erik Satie, compositeur de la forme brève

Man Ray, Erik Satie, 1922
Epreuve gélatino-argentique, 8,4 x 5,3 cm
Dation 1994 - AM 1994-394(3792)
Photo Bertrand Prévost
© Man Ray Trust/ Adagp, Paris

Le Discours sur rien tient à la fois du retour réflexif propre à la tradition discursive d’Occident et de la distanciation Zen à laquelle John Cage fait régulièrement référence à partir de la fin des années 1940.[10] La distanciation amusée de l’artiste vis-à-vis de la discipline qu’il exerce comme de sa propre production est un aspect constant de son œuvre. L’apparente légèreté qui en découle constitue un autre aspect de son amateurisme revendiqué. Se prendre au sérieux, ce n’est simplement pas sérieux. Un point qui le rapproche du compositeur Erik Satie dont il contribue largement à faire connaître l’œuvre outre-Atlantique, notamment en proposant des adaptations scéniques de ses compositions au travers de la Merce Cunningham Dance Company[11]. Erik Satie, compositeur de la forme brève, du fragment, ennemi des faiseurs de machines, compositeur boudé par les virtuoses est régulièrement cité dans les textes de John Cage. Comme lorsqu’il invoque la formule lapidaire de son « J’emmerde l’Art »[12] pour exprimer toute la considération qu’un artiste digne de ce nom doit avoir de cette notion.

Avant Cage, Satie conçoit l’idée d’une « musique d’ameublement »[13] qui resitue l’art dans son environnement et le met en relation directe avec la vie courante. Avant Cage dans ses causeries, Satie commente ce qu’il produit en permanence, tourne en dérision, met en ballottage, travaille dans une réflexivité permanente que traduit le choix des titres ou des commentaires avec lesquels il annote ses partitions. Pour Satie comme pour Cage, l’enjeu est de mettre en porte-à-faux tout sentimentalisme, car l’expression du sentiment soumet l’œuvre à un « régime d’expressions conventionnelles », et la perception au prima de « l’intention de l’artiste » dont les oreilles sont « murées par les sons de sa propre imagination » : « la psychologie, jamais plus »[14].

Marcel Duchamp, le dilettante et joueur d’échecs

Dans le domaine des arts plastiques, une telle posture ne manque pas d’évoquer celle de Marcel Duchamp, lequel représente pour John Cage une figure tutélaire depuis leur rencontre en 1941, dans des circonstances qui resteront dans sa mémoire.[15] En effet, Marcel Duchamp est aussi de ceux qui revendiquent le dilettantisme, passent d’une activité à l’autre sans établir de distinction entre la pratique artistique et la vie, étant tour à tour et simultanément peintre, poète, sculpteur, installateur et même compositeur.

Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913/1964
Ready-made
Assemblage d'une roue de bicyclette sur un tabouret
Métal, bois peint, 126,5 x 31,5 x 63,5 cm
L'original, perdu, a été réalisé à Paris en 1913. La réplique réalisée en 1964 sous la direction de Marcel Duchamp par la Galerie Schwarz, Milan, constitue la 6e version de ce Ready-made
Achat 1986 - AM 1986-286 
© Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris

La rencontre de cet artiste qui prétend faire de l’art comme il joue aux échecs constitue un jalon dans le parcours du jeune musicien. Plus tard, entre 1965 et 1966, il rendra régulièrement visite au maître dans son appartement new-yorkais, ayant obtenu de recevoir des leçons d’échecs. Ce dernier lui expose alors une vision de l’activité artistique comparable à une partie d’échecs. Dans les deux cas, il s’agit de savoir avant tout placer les bonnes pièces au bon moment. Somme toute, les ready-made comme Fontaine ou Roue de bicyclette consistent à déplacer un objet d’un lieu à un autre, en renversant au besoin sa position ; la beauté du coup repose sur l’extrême simplicité du mouvement dont il procède.

Si les compositions de John Cage ne sont pas à proprement parler des ready-made, sa démarche a en commun avec celle de Duchamp de ne pas intervenir en tant que sujet dans le processus de réalisation de l’œuvre, produisant un art qualifié par certains de froid ou d’intellectuel. Leur travail respectif se limite à déterminer une suite plus ou moins complexe d’opérations visant, pour l’un à détourner des objets préfabriqués de leur usage, pour l’autre à obtenir des partitions sans qu’il ait besoin d’intervenir dans la composition.

 

L’humour comme mÉthode retour sommaire

Avec Duchamp, un même goût pour la formule synthétique

Gisèle Freund, Marcel Duchamp, 1966
Epreuve sur papier, 20,3 x 30,1 cm
Acquisition de l'Etat 1983, attribution 1988 - AM 1988-803
© Estate Gisele Freund

Force est de constater que les deux artistes cultivent aussi un même goût pour la formulation synthétique. Lors de leurs déclarations ou entretiens, l’un comme l’autre aiment à employer des formules d’autant plus simples que la pensée à exprimer est complexe, collectionnant les formules énigmatiques, les déclarations elliptiques, passant au premier degré pour de la pure provocation ou pour de l’humour déplacé. Pour l’un et l’autre, il s’agit de tendre l’énoncé sur la corde raide d’un paradoxe, de rattacher deux idées en apparence opposées ou d’opérer un rapprochement entre deux univers distincts pour produire un raccourci d’autant plus percutant qu’il apparaît absurde voire grotesque au premier abord. Ainsi « plus grand est l’écart établi entre deux réalités rassemblées par esprit de synthèse et plus brève est la formule, plus vive sera l’étincelle qui mettra en lumière le lien jusqu’alors ignoré ».[16]

Marcel Duchamp, interrogé sur ses rapports avec John Cage à la fin des années 1960, dira simplement : « Si les gens aiment bien nous mettre ensemble c’est surtout à cause d’un rapport d’esprit, d’une similitude pour envisager les choses. Il a un côté extraordinaire, une facilité d’être constante. Il pense gai. Pas élaboré : des choses à base d’humour. »[17] Ce goût pour les propos peu « élaborés » rejoint une même volonté de fuir la construction de sens « laborieuse ». Car il s’agit avant tout de poser les bonnes questions : les réponses en découlent naturellement. Évoquant une scène dont il est témoin, Cage raconte ainsi qu’un étudiant au Black Mountain College assaillait le pianiste David Tudor[18] de questions alors que celui-ci souhaitait manger tranquillement. Sans avoir décroché un mot du repas, il finit par lui dire : « Pourquoi posez-vous des questions si vous ne savez pas ? »[19]

Marcel Duchamp, La Boîte de 1914, 1913-1914
Treize plaques de verre argentiques contenues dans une boîte en carton, plaques photographiques des établissements A.Lumière & ses fils
13,5 x 18,5 cm
Don de Jacqueline Monnier 2000 - AM 2000-33(1-13)
Photo Philippe Migeat © Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris

Sur ce principe, les productions écrites insérées par les deux artistes dans leurs œuvres témoignent d’un intérêt pour le trait d’humour, pour une légèreté de ton qui implique un usage de la forme brève et de la formule tronquée. Les Boîtes que Duchamp consacre à la collecte de ses idées − La Boîte de 1914, La Boîte verte de 1934 ou encore La Boîte blanche de 1966 − en attestent. Au corpus de fragments que ces boîtes réunissent s’ajoutent les divers « texticules » que Marcel et son double féminin, Rrose Sélavy, signèrent ici et là au sein de divers catalogues et revues[20]. La Boîte verte contient ainsi une succession de fragments de textes, présentés sous forme de morceaux de papiers déchirés sur lesquels sont reportées des reproductions de son écriture manuscrite. Les notes ainsi rassemblées font l’objet de reconsidérations permanentes, sans cesse reprises, enrichies ou retaillées par leur auteur.

De même, les 45’ pour parleur composées par Cage en 1954 mêlent réflexions personnelles, récentes ou empruntées à d’anciens textes, citations tronquées d’auteurs et artistes morts ou vivants. Dans L’Indéterminé, soixante anecdotes sont collectées, issues de son histoire personnelle et du vécu de ses proches, à lire en une minute chacune. Le texte est destiné à accompagner la diffusion des bruits et parasites radiophoniques qui agrémentent son Concert pour piano et orchestre, au Teachers College de Columbia en 1958. Ces récits sans importance, en décalage avec le sérieux du lieu où ils sont énoncés, prêtent à sourire pour mieux s’ancrer dans la mémoire.

 

Le principe d’indiffÉrence retour sommaire

Avec Duchamp, une inversion paradoxale

Pour Cage, la musique de tradition romantique − « les thèmes / et thèmes secondaires / leur lutte / leur développement / le point culminant / la récapitulation / qui est la conviction / qu’on peut / posséder sa propre maison » − représente l’héritage dont il faut se débarrasser en ce qu’il nous empêche d’être libre, d’éprouver « la continuité » des choses du monde qui est « de fait la / preuve / que notre joie / est de ne rien / posséder ».[21] L’expression de la subjectivité dans la composition d’une phrase musicale, de même que la linéarité de la construction syntaxique dans l’élaboration d’un discours, est la première chose que Cage tend à évacuer. « Il est difficile de parler quand on a quelque chose à dire, précisément à cause des mots qui vous forcent constamment à suivre la voie que les mots ont besoin de suivre. »[22]  Et puisqu’il en va de la phrase écrite comme de la phrase musicale, il s’en prend à la ligne mélodique mais aussi à « l’harmonie » ; il s’en prend à « la musique des sentiments », tout comme Duchamp s’en prend dans le domaine des arts plastiques à « l’art rétinien ».[23]

Cage déclare sous forme d’une inversion paradoxale, qu’avant l’arrivée de Duchamp, « l’art avait besoin d’être regardé de manière non physique, par contre, à son arrivée, la musique avait besoin d’être écoutée de manière physique ».[24] Cette attention portée par John Cage à la matérialité sonore rejoint l’attention portée par Marcel Duchamp à la dématérialisation des arts visuels en cela qu’elles tendent vers un même objectif : libérer les pratiques créatives des critères esthétiques, se débarrasser de la notion de beau et avec elle des conventions de la subjectivité. « Tu dois t’approcher de quelque chose avec indifférence, comme si tu n’avais aucune émotion esthétique. Le choix des ready-made est toujours fondé sur l’indifférence visuelle et, en même temps, sur l’absence totale de bon et de mauvais goût ».[25] Et John Cage de préciser : « Cette subjectivité, ce n’est même pas l’homme, c’est la convention de l’homme occidental post-renaissant ».[26]

Dépasser la question du beau et de l’usage

Passer outre la question du beau nécessite en premier lieu l’effacement de l’artiste et de ses intentions. À ce titre, lorsqu’on demande à John Cage quelles sont les siennes, il répond : « Je ne m’occupe pas d’intentions ».[27] Car si son œuvre devait relever d’une intention ce serait de ne pas en avoir, de ne jamais réduire le matériau sonore à une phrase ou l’œuvre à un acte de communication. Il s’agit bien de « restituer l’homme à l’homme et le son au son ».[28]Car il y a « urgence d’esquiver l’usage »[29] en art comme dans tous les domaines de la vie. Le son, instrumentalisé par la mélodie, tend à disparaître en tant que son, comme la matérialité du mot dans la langue : il est alors vital de cultiver l’indifférence contre l’indifférencié.

 

Contre l’esprit de systÈme retour sommaire

Contre les contres

Man Ray, Arnold Schönberg, vers 1926
Epreuve gélatino-argentique
AM 1994-394
© Man Ray Trust/ Adagp, Paris

Dans l’idée de libérer le son, John Cage ne cherche pas, en soi, à s’opposer à la tradition, à s’insurger contre le culte du beau et celui de l’artiste. S’il s’agit d’être contre le jugement de valeur, il s’agit également d’être contre les contres. Rien ne sert de s’opposer à la tradition musicale : « On ne pos / sède rien / On n’a pas à dé / truire / le passé : il est parti / à tout moment, / il pourrait reparaître / et sembler être / et être le présent ».[30] « Ni sons. Ni harmonie. Ni mélodie. Ni contrepoint. Ni rythme. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de quelque chose qui ne soit pas acceptable. » A ce titre les compositeurs sériels, Schönberg parmi eux, font fausse route. En s’opposant à la construction mélodique et au régime tonal, ils mettent en place un nouveau système, le dodécaphonisme, enfermant un peu plus encore la musique dans les douze notes de la gamme classique. Pour Cage, les octaves et les quintes que la musique sérielle tente d’esquiver ont tout autant droit de cité que les autres accords. De plus, la composition continue de prévaloir sur les sons qu’elle organise. Les sons, non libérés de la structure, n’existent pas en tant que sons, ils apparaissent comme reproductibles à volonté, définis par un timbre normé : ce sont des stéréotypes de son.

Échapper au découpage

Il s’agit encore une fois d’échapper au découpage, dans le sens où toute structure est un découpage. Pour ce faire, Cage amène les sons à retentir librement, c’est-à-dire indépendamment les uns des autres dans la simultanéité, multipliant les pistes et niveaux d’écoute sans paramétrer leurs interactions. Si bien que les pistes en question se chevauchent, se frottent de manière imprévisible, sans cohérence structurelle prédéfinie. Des répétitions surviennent mais, plutôt que de donner à entendre une périodisation dans le retour du même, elles permettent de souligner ce qui distingue chaque son d’un semblable, de mettre en lumière son caractère unique et inaliénable et ce sans l’isoler. « Le son n’existe pas en soi, il jaillit plutôt à chaque fois ».[31]

L’enjeu est éminemment politique : donner à croire qu’il y a répétition du même là où il n’y a que différences, c’est enfermer l’auditeur dans un univers normé, qui lui-même renvoie cette image du foyer où tout est à sa place, où rien ne bouge, rien ne se passe. La musique bien structurée c’est l’apologie du « home sweet home », du repli sur l’espace codifié des valeurs communes. Dans la musique de Cage, rien n’est immuable, rien n’est identique, nous entendons un son revenir, une idée : « serait-ce une répétition ? / Seule / ment si l’on croyait / posséder le temps ».[32] Contre les illusions de la mémoire qui font passer pour identiques les choses qui diffèrent et évoluent sans cesse, il s’agit de projeter l’auditeur dans l’instant présent, qui est toujours unique.

 

L’unique et le multiple retour sommaire

Jasper Johns, des ready-made faits à la main

Cette volonté de donner à distinguer l’unique dans la mise en scène du multiple évoque évidemment la démarche des ready-made : « Si Marcel Duchamp n’avait pas vécu, il aurait fallu que quelqu’un d’exactement pareil à lui vive pour inventer le monde tel que nous le connaissons et commençons à l’éprouver », souligne Cage avec humour.[33] C’est précisément sur cette idée qu’il revient lorsqu’il écrit sur l’œuvre de Jasper Johns. A son arrivée à New York en 1954, le jeune Jasper Johns rencontre Robert Rauschenberg, dont il devient le collaborateur.[34] Tous deux sont fortement marqués par l’œuvre de Marcel Duchamp.

Dès lors, Jasper Johns décide de réaliser des ready-made, mais faits à la main, comme Flag qui sera présenté en 1958 lors de l’exposition inaugurale de la galerie Léo Castelli consacrée à l’œuvre de l’artiste.[35] Ce tableau reprend les motifs du drapeau américain en tous points, à cette différence près qu’il constitue le motif d’une toile et que les aplats de couleurs unis sont remplacés par d’épaisses touches d’encaustique et de peinture à l’huile. John Cage note qu’en respectant la régularité des contours de chacun des motifs du drapeau et en faisant apparaître simultanément la matérialité des couleurs qui les remplissent, Johns restitue aux couleurs une présence que l’image récurrente du drapeau avait fait disparaître, et rend visible le caractère arbitraire de cette structure devenue trop familière. « En commençant par la structure, la division du tout en parties qui correspondent aux parties d’un drapeau, on a peint un tableau qui, à la fois, obscurcit et clarifie la structure sous-jacente. »[36]

Jasper Johns, Flag, 1958, sur le site du Metropolitan Museum of Art lien

Imiter la nature dans son fonctionnement

Jasper Johns, Figure 5, 1960
The Large Figure 5 ; Large Black Five ; Black Figure 5 ; The Big Five
Peinture à l'encaustique et papier journal collé sur toile, 183 x 137,5 cm
Don de la Scaler Foundation 1976 - AM 1976-2
© Jasper Johns / Vaga, New York / Adagp, Paris

John Cage évoque également les œuvres des années 1960 pour lesquelles Jasper Johns se consacre à l'emploi d'objets de la vie courante. Il revient souvent sur une sculpture composée de deux bidons de bière intitulée Bronze peint. Ce qui le fascine, c’est cette manière qu’a Jasper Johns de rendre à la nature ce qui lui a été soustrait. En reproduisant à la main ou en recouvrant la surface d’un objet produit en grande quantité par des machines, Johns restitue le caractère unique de sa présence au monde. « Le pop art est un malentendu / tâche ancienne changeante : imiter la nature dans son fonctionnement. »[37] L’artiste ne reproduit jamais à l’identique, procédant d’une sédimentation son œuvre évolue lentement, couche après couche. Elle procède d’un tâtonnement continu. Dans Green Target les cercles concentriques, tous peints d’un même vert, constituent « moins un centre d’attention que la possibilité pour l’attention de se centrer » sur la présence de l’objet, échappant, grâce à la monochromie, au signe qu’il présente habituellement.

Robert Rauschenberg, Automobile Tire Print, 1953
Robert Rauschenberg décrit le processus de création d’Automobile Tire Print avec John Cage : voir une vidéo sur le site du Museum of Modern Art de San Francisco (SFMOMA) lien

John Cage évoque en ces mêmes termes Automobile Tire Print que Robert Rauschenberg réalise en 1953, avec sa collaboration et celle de sa berline. Déployant une vingtaine de feuilles sur sept mètres de long, au pied de son atelier dans la Fulton Street au sud de Manhattan, Rauschenberg demande à son ami de rouler sur le bandeau après avoir enduit de peinture la roue de son véhicule. John conduit, Robert prépare les outils, mais c’est au final la voiture qui peint. Les aléas de la pression sur la feuille, l’irrégularité de la chaussée confèrent à la bande noire un caractère presque expressif, ni de l’ordre de l’expression subjective, ni de l’ordre de l’impression mécanique : une forme naturelle obtenue au moyen de l’objet industriel.

 

DÉplacer les pratiques artistiques retour sommaire

Donner à « voir les sons » : les premiers « pianos préparés », 1938

Pour en revenir à Marcel Duchamp, il est une note consignée dans sa Boîte verte de 1934 qui mérite toute notre attention : « Perdre la possibilité de reconnaître deux choses semblables […] Arriver à l’impossibilité de mémoire visuelle suffisante pour transporter / point à l’autre / d’un semblable à l’autre l’empreinte en mémoire. / dans le domaine des sons / Même possibilité avec des sons ; des cervellités ».[38] Afin de sortir l’objet plastique ou sonore de leur instrumentalisation habituelle et donner à sentir le caractère unique de l’expérience que leur perception représente, Marcel Duchamp et John Cage déplacent les postures d’une discipline sur l’autre. Ils amènent les arts à « con-verser » entre eux.

Exemple de piano préparé
Photo thomasnyc.wordpress.com

Puisque l’écoute d’une musique en termes musicaux, c'est-à-dire en contrôlant les écarts de notes, relève d’une attention « policière », John Cage propose à son public d’écouter non plus des notes mais des bruits[39]. Ces bruits donnent à entendre les matériaux et la forme des objets qui les produisent, soulignant en quelque sorte leurs propriétés plastiques[40]. Séduit par la formule d’Oskar Fischinger qui lui parle du son comme de « l’âme d’un objet »[41], il décide de donner à « voir les sons »[42]. En 1938, préparant ses pianos sur l’exemple de son professeur Henry Cowell, il insère entre les cordes dés à coudre, gommes, pièces de métal, morceaux de tissus et diverses catégories d’objets choisis pour leurs propriétés plastiques.[43] Au terme d’un travail d’installation qui peut durer plus de deux heures, il transforme ainsi l’instrument à produire des hauteurs de notes en un instrument à produire des variations de timbres. Changé en une batterie incontrôlable, le piano préparé fait appel à un mode d’écoute qui n’était alors envisagé que dans le domaine des instruments à percussions[44]. Cage amène l’auditeur à porter son attention « à la surface » du son, quand la valeur d’une composition était jugée à sa « profondeur »[45].

Composer avec les outils conceptuels des arts plastiques

Ce faisant, Cage en vient à penser l’art de la musique avec les outils conceptuels des arts plastiques. Il pense, comme Duchamp avant lui, en termes de « sculpture sonore ». Pour Duchamp les termes de « sculpture musicale » apparaissent dans la Boîte verte associés à cette description : « Sculpture Musicale / Sons durant et partant de différents points et formant une sculpture sonore qui dure »[46]. Pour Cage, travailler la dimension sculpturale de la musique, cela peut consister à répartir les sons en fonction d’une image mentale des notes les unes par rapport aux autres ; à spatialiser les sons autour du public lors des concerts ; ou à effectuer des transferts de gestes propres à une discipline dans une autre.

Robert Rauschenberg, Sans titre, 1961
Reports sérigraphiques de journaux, crayons de couleur, aquarelle et gouache sur papier, 58,5 x 73,5 cm
Donation Daniel Cordier 1989 - AM 1989-472
© Untitled Press, Inc./ Adagp, Paris

« Tout musicien expérimental au vingtième siècle a dû se relier aux peintres », écrit Cage.[47] Avec Music for piano 1 (1952) ou Concert pour piano et orchestre (1957-1958), il obtient des partitions en surlignant les anfractuosités du papier au crayon.[48] Avec Atlas Eclipticalis (1961-1962), il écrit une pièce pour quatre-vingt six instruments à partir de cartes astronomiques. Pour composer un portrait musical de Duchamp, Solo 65 (daté de 1965 comme son titre l’indique), il reprend les contours de l’Autoportrait de profil (réalisé par Duchamp en 1958) pour déterminer les notes auxquelles il associe, dans le désordre, les différentes syllabes de La Mariée mise à nue par ses célibataires, même.

Pour Cartridge Music (1960), il superpose différents transparents présentant des lignes, des cercles, des points et un cadran de chronomètre, lesquels, selon leur « combinaison », produisent différentes partitions possibles. Le terme de « combinaison » convient tout particulièrement en ce qu’il ne manque pas de renvoyer aux « Combines » de son collaborateur et ami Robert Rauschenberg qui, dès 1962, se lance dans plusieurs séries d’œuvres en transparence, superposant radiographies, grilles astrologiques, panneaux de plexiglas sérigraphiés, vitres sans teint…

Voir le dossier pédagogique : Robert Rauschenberg, Combines, 1953-1964 lien

 

Pratique du hasard retour sommaire

Le Yi-King, outil de composition aléatoire

En 1969, John Cage réalise Not Wanting to Say About Marcel[49], une production plastique en cent vingt-cinq exemplaires, chacun présentant une superposition de huit plaques de plexiglas imprimées de mots et de motifs issus du dictionnaire, choisis de manière aléatoire comme le fut le nom légendaire de Dada. Mots et images sont plus ou moins tronqués, leur position variant sur les plaques, leur inclinaison également… L’ensemble de ces données détermine la composition.

Or, cette composition n’a pas été prise en charge par l’artiste : il s’en est remis à un tirage au sort. À partir d’une liste de questions afférentes aux décisions à prendre, John Cage consulte le Yi-King. Si Cage a fait très tôt appel au hasard avec ses compositions à pile ou face ou, en pensant à Mallarmé, au lancé de dés, il ne cessera d’employer le Yi-King à partir de 1951 avec sa composition Music of Changes, dont le titre fait référence au Book of Changes, ou Livre des Transformations, traduction du célèbre recueil d'oracles de la Chine ancienne en deux volumes, le Yi-King.

Dans cette pièce, les critères musicaux à faire varier ont été déterminés sur la base d'un tirage au sort effectué à l'aide du Yi-King. Les aspects sonores pris en compte par ces critères sont ensuite déterminés par une seconde consultation du Yi-King, de telle sorte que John Cage ne savait pas même la durée de la pièce avant d’en obtenir la réponse. La meilleure façon d’échapper à la simplification consiste à recourir aux opérations du hasard et le Yi-King y fait appel de manière particulièrement raffinée.

Le Yi-King

Les origines du Yi-King, ou Yi Jing, remontent à l’antiquité mythique de la Chine. La littérature chinoise attribue sa composition à quatre personnages : Fo Hi, le roi Wen, le duc de Tchéou et Confucius. Ce livre des oracles, réputé pour contenir le fruit d’une sagesse millénaire, associe le Livre des Mutations à un jeu de huit trigrammes qui en permet la consultation par tirage au sort. A l’image d’un monde en continuelle métamorphose, dont les fluctuations ne sont soumises à aucune finalité, cet ouvrage ne se lit pas de façon linéaire et son interprétation dépend de l’instant même où il est consulté.
Consulter les oracles du Yi-King consiste à piocher deux des huit trigrammes qui le composent en posant une question. Une fois rassemblés, ces deux trigrammes constituent l’un des soixante-quatre hexagrammes que les possibilités de combinaison recoupent. Le symbole obtenu renvoie alors à différentes sections du Livre des Mutations. La réponse apportée dépasse alors le caractère binaire d’une résolution par oui ou non. Echappant à tout dualisme, le hasard agit sur tous les plans ; il repose à la fois sur le tirage au sort et sur l’interprétation des fragments de texte désignés.

Il n’y a pas de « pourquoi » 

Suivant ce même principe, John Cage prend l’habitude, avant les entretiens qu’il donne, de préparer des réponses écrites à des questions dont il ne connaît pas la teneur. Pied de nez aux « gens de culture » soucieux de voir son œuvre embaumée dans quelque classement historique, de replacer l’artiste ou sa production dans une filiation de pratiques.
« Pour qu’une chose soit un chef-d’œuvre, il faut qu’on puisse prendre le temps de la classer, de la rendre classique. » Cette volonté de dérouter toute tentative de rangement tient au fait qu’un tel rangement exprime un désir de sécurité dans la recherche du cloisonnement, qu’il soit historique ou causal. Ainsi, lorsqu’on lui demande pourquoi il fait ce qu’il fait, c’est par une question qu’il répond : « Y a t-il une raison quelconque de demander pourquoi ? ». À l’image du monde, les gestes que ses œuvres incarnent n’ont pas de finalité. Elles n’ont ni début, ni fin, ni milieu. Son art ne connaît ni la cadence, ni même la contre-cadence : la valeur de l’ensemble doit pouvoir s’éprouver « en un point quelconque »[50] du morceau. C’est le cas de Music of Changes : puisqu’il n’y a aucun fil à suivre, aucune narration, aucune mise en relief de principe causal, chaque partie contient le tout. Plutôt qu’une ligne tracée entre deux points, c’est une surface que le morceau donne à explorer.

Le concept : une machine à produire de l’art

Marcel Duchamp, La Boîte verte, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, 1934
Ensemble de 93 fac-similés de photographies, dessins et notes (1911-15), une reproduction incluse dans l'emboîtage et un dessin original (perdu). 2,2 x 28 x 33,2 cm
Boîte n° : V/XX, exemplaire de tête
A droite : une des versions de son Erratum Musical
Achat 1980 - AM 1980-429
© Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris

Cette manière bien particulière de composer en faisant appel aux lois du hasard nous renvoie encore une fois aux travaux de Duchamp. C’est à travers elles qu’en 1913 les deux versions de son Erratum Musical voient le jour.[51] Pour la première, Marcel Duchamp place des billets avec noms de notes dans son chapeau et les donne à tirer au sort pour constituer différentes lignes musicales à jouer simultanément. L’opération est répétée trois fois, par trois personnes, pour trois partitions différentes. Les paroles d’Erratum Musical reprendront la définition du verbe « imprimer » de son dictionnaire, renvoyant à cette idée selon laquelle le concept est une machine à produire de l’art, une forme d’art adaptée à l’ère de la reproductibilité technique, en dehors de tout jugement de valeur. Pour la seconde version, le principe est plus complexe. Il propose une partition réalisée au moyen de quatre-vingt cinq chiffres, directement inscrits sur une portée classique en fonction d’un tirage au sort en temps réel : chaque mesure, à l’image des wagonnets d’un train en marche, emporte un lot de notes, tirées à différentes cadences.[52]

 

Le non-agir retour sommaire

Créer comme la nature, avec la nature

Pour Cage, laisser œuvrer le hasard, cela signifie créer comme le monde, avec le monde ou pour reprendre ses termes « comme la nature, avec la nature ». C’est montrer en cela que rien ne repose sur la responsabilité de l’homme. Le monde tient tout seul. L’artiste ne porte pas l’univers sur ses épaules, pas plus qu’il n’a en lui un univers. Outre le culte de l’artiste démiurge, il est urgent de contrer le volontarisme occidental qui impartit à l’homme le devoir de maîtriser la nature. « Il est d’une importance capitale non pas de faire une chose mais plutôt de ne faire rien […] Quand on fait taire le désir et que la volonté est au repos le monde en tant qu’idée devient mani-feste. » Par l’utilisation du Yi-King, Cage emprunte au Bouddhisme Zen le principe du non-agir. « C’est l’irresponsabilité qu’il nous faut. »[53] En tant que liée à la conscience de la position de l’homme dans le monde, cette recherche d’irresponsabilité est une marque de connaissance qui le conduit tout naturellement à confier ses compositions musicales au Yi-King.

Marcel Duchamp, 3 Stoppages-étalon (1913/1964)
Assemblage. 3 fils d'un mètre collés sur 3 bandes de toile peinte bleu de Prusse, collées sur verre, règles à fixer, le tout dans un coffre en bois
Fil, toile, cuir, verre, bois, métal, 28 x 129 x 23 cm
coffre : 28 x 129 x23 cm, plaque de verre : 125,4 x 18,3 cm
bande de toile : 119,2 x 13,2 cm
Première réalisation à Paris, en 1913-1914. Réplique réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par La Galerie Schwarz à Milan
Achat 1986 - AM 1986-287
© Succession Marcel Duchamp, Adagp, Paris

En 1980, pour réaliser la série des soixante-deux monotypes couleurs qu’il intitule Strings, Cage lâche des ficelles et différentes cordes enduites de peinture du haut d’un escabeau. L’épaisseur des cordes, la couleur de la peinture, la hauteur du lâcher dépendent de paramètres déterminés par la consultation du Yi-King, un geste qui renvoie aux 3 Stoppages-étalon réalisé par Duchamp en 1913/1914. Sur trois règles d’un mètre, Duchamp lâchait un fil, constituant le dessin des courbes selon lesquelles les règles allaient être découpées. Ce faisant, il soulignait le caractère arbitraire du mètre-étalon, base de notre système métrique, officiellement défini en 1791 par l’Académie française des sciences comme représentant un dix-millionième du quart du méridien terrestre − ce qui s’est avéré inexact.

Les ateliers de Mountain Lake, 1983, 1988, 1989, 1990

Ryōan-ji, Kyoto zen garden, mai 2007
Photo Cquest (cc) Creative Commons

La composition des Strings de John Cage exprime cette même idée d’un lâcher-prise à l’égard de l’idéologie rationaliste et des volontés de mesures universalistes qu’elle suppose, mais elle témoigne également d’une autre réflexion liée au non-choix. Après avoir visité en 1962 le célèbre Ryōan-ji, jardin de pierre du temple bouddhiste Zen de Kyoto, Cage fait part à son maître et ami Teitaro Suzuki de ses observations[54] : il lui semble que la répartition de ces quinze pierres disposées en cinq îlots sur cette grande étendue de graviers blancs, bien que présentée comme un chef-d’œuvre en matière de composition, pourrait bien être le résultat d’un choix indifférencié. Le rapport de proportions établi entre la surface de gravier et la taille des pierres permettrait à n’importe quelle autre disposition de produire le même effet. En abandonnant la responsabilité de l’harmonisation des éléments graphiques, Cage souhaite inscrire ses œuvres « en continuité avec le chaos qu’elles rendent apparent »[55], car le chaos constitue l’ordre du monde.

John Cage, Where R = Ryoanji R/7, février 1988
Crayon sur papier japon, 25,7 x 48,5 cm
Achat 2004 - AM 2004-48
Photo Jean-Claude Planchet © John Cage Trust

Suivant le modèle de composition aléatoire qu’il perçoit dans le Ryōan-ji, en 1983, quelque vingt ans après la visite du célèbre jardin, John Cage entreprend la réalisation des Where R = Ryoanji, séries « d’expérimentations plastiques » sur papier, consistant à cerner au moyen d’une plume d’oie, de pinceaux, de pointes sèches ou de crayons, quinze pierres polies, choisies parmi les soixante-quatre qu’il ramasse sur les bords de la New River et qu’il numérote pour correspondre aux soixante-quatre hexagrammes du Yi-King. Les quinze pierres sont choisies et réparties sur ses feuilles en fonction de paramètres également obtenus au moyen du Yi-King.

Ce sont d’abord des gravures et eaux-fortes, puis viennent les aquarelles sur papier japonais. Le titre des œuvres indiquent les paramètres pris en charge par le Yi-King. Ainsi, dans Where R = Ryoanji R/7 de 1988, réalisée au crayon sur papier japon, la lettre « R » renvoie aux quinze pierres[56] du jardin zen et le chiffre « 7 » au nombre de crayons utilisés. Sur les quinze pierres du jardin de Kyoto, quel que soit le point de vue adopté par le visiteur, seules quatorze sont visibles en même temps[57]. Pour The Missing Stone, extraite de la série des New River Rocks and Smoke de 1989, Cage dit qu’il aurait de même oublié par mégarde de prendre en compte la quinzième pierre.  Par le choix de ce titre, il attire l’attention sur un manque qui, sans cela, serait resté inapparent, insistant sur la part d’invisible inhérente à ce qui est perçu. Le monde est composé de cette infinité d’éléments que notre pensée tend à simplifier. Les séries des Where R = Ryoanji incitent le spectateur à laisser-être la richesse et la multiplicité du monde.

John Cage, New River Rocks and Smoke, 1990
Aquarelle sur papier enfumé
© Ray Kass and the Mountain Lake Worshop

En 1988, ces expériences l’amènent à entreprendre un travail en résidence au Mountain Lake Workshop, en Virginie, où cette même démarche le conduit à réaliser la série d’aquarelles intitulée les New River Watercolors. Vient ensuite la série des New River Rocks and Smoke en 1989-90, pour laquelle Cage fait intervenir l’élément gazeux en plus des éléments rocheux et liquide, enfumant ses toiles avant de les peindre, utilisant en cela un matériau absolument insaisissable et soumis à des aléas non paramétrables. Enfin, les New River Rocks and Washes de 1990 mêleront les diverses techniques éprouvées au cours de ses recherches.

John Cage et Jean Arp : laisser la nature agir

Jean Arp, Concrétion humaine (torse-fruit), 1934
Marbre blanc, 32 x 56 x 43 cm
Don à l'Etat, attribution 1950 -  AM 896 S
Photo Philippe Migeat © Adagp, Paris

John Cage a particulièrement admiré la démarche de Jean Arp, ce dadaïste de la première période. Comme lui, il attribue une portée cosmogonique à l’acte créateur. Dans ses Concrétions commencées dans les années 1930, Arp présente la vision d’une nature en gestation perpétuelle. Remontant aux origines du monde et de la vie, le sculpteur compare son geste à celui de la mer, polissant les pierres avec patience, les caressant avec amour. Les galbes et rondeurs qu’il en obtient, comme ceux d’une mère, portent l’amour de la vie, en opposition aux angles de l’industrie mécanique, fruit de la rationalité occidentale et source d’agression visuelle qui suscite en retour l’agressivité. En osmose avec les principes de création naturels, Arp s’oppose ainsi à la composition. Il ne s’agit pas pour lui de rassembler des éléments pour les soumettre à une structure mais de produire une série d’unités organiques, des unités cellulaires. L’ensemble de son œuvre devait évoluer progressivement, de réalisation en réalisation, à la manière d’une cellule en développement.

Cette définition de l’acte créateur ne s’accompagne pas nécessairement pour John Cage d’une esthétique organique, mais la manière dont ces deux artistes mettent l'accent sur l'organisation plutôt que la composition, ne serait-ce qu’à travers la métaphore de l’eau, relève d’un vitalisme comparable.

John Cage, Steps (détail), 1989
Aquarelle sur papier avec empreintes de pieds, 182 x 528 cm
© Ray Kass and the Mountain Lake Workshop

Lorsque John Cage réalise en 1989 la série des Steps c’est bien une forme de vitalisme qui se trame au travers des compositions. Après avoir déroulé sur plusieurs mètres à même le sol une large bande de papier, il en recouvre la surface d’une seule traînée d’aquarelle au moyen d’un immense pinceau. D’un seul geste, dans un mouvement lent et continu, la charge d’aquarelle se dépose et s’épuise en bout de parcours jusqu’à disparaître, tandis que les traces de pas qu’il laisse, entraînées par le passage du pinceau, voient leurs contours se faire emporter comme ceux des rochers vacillant sous l’eau d’une rivière.
Bien que liée au déploiement d’un geste, cette démarche, découlant d’une volonté de lâcher-prise, témoigne d’une attention au monde qui a toujours tenu Cage à distance de l’action-painting : il ne s’agit pas pour lui d’exposer les traces volontaristes d’une énergie intérieure mais bien d’accorder toute son attention à ce qui lui est extérieur, d’accompagner les matériaux dans leur parcours, de les employer selon leur nature. C’est dans leur sillon qu’il trace son chemin.

John Cage at the Mountain Lake Workshop : New River Watercolors
Sur le site de Ray Kass, artiste et fondateur des Mountain Lake Workshop, un diaporama de 188 images montre le déroulement de l’atelier mené par John Cage (voir en bas d’écran)

 

L’Éloge de l’ennui retour sommaire

« Qu’y a-t-il de plus ennuyeux que Marcel Duchamp ? »

C’est déjà en adoptant cette vision vitaliste de l’implication du hasard dans ses compositions, qu’en 1950 Cage attribue au vide le pouvoir de remplir les cœurs. Inspiré de la pensée Zen, ce sentiment du vide, défini comme une absence de direction donnée à l’œuvre, doit conduire à un ennui salutaire. Une fois le stade de l’ennui dépassé, le monde se révèle et l’homme « s’éveille » à celui-ci.

« Qu’y a-t-il de plus ennuyeux que Marcel Duchamp ? Je vous le demande », écrit-il. Regarder tourner La Roue de bicyclette, des heures durant, c’est prendre conscience de notre incapacité à saisir le réel tel qu’il se manifeste. Cet objet dépourvu de toute esthétique présente un simple effet d’optique qui nous entraîne vers des abymes de perplexité. Face à l’enthousiasme néodada que déclenche la publication de l’ouvrage de Robert Motherwell, The Dada painters and Poets : an Anthology (1951), il déclare : « Les autres étaient artistes. Duchamp fait collection de poussière ».[58] Car le récit des actions passées ne saurait inspirer directement l’action présente, il est impossible de rejouer l’aventure des dadaïstes. C’est à travers la revendication du non-agir qu’il propose de poursuivre l’action. Faire grand bruit en donnant à entendre la voix du silence, revendiquer l’expérience du rien. L’enjeu est politique, il concerne l’action à mener dans une société centrée sur le culte de l’individu et de sa propriété car, « dans un état de rien », ces notions n’ont plus de consistance. « C’est alors sans peur, plein de vie et d’amour »[59] que nous nous éveillons à nous-mêmes.

C’est avec cette volonté de confronter le public à un spectacle où la volonté de l’artiste n’est plus souveraine que John Cage collabore avec Robert Rauschenberg pour la création d’Untitled Event, lors de la deuxième session d’été au Black Mountain College, qu’il organise en 1952[60] avec Merce Cunningham. Rauschenberg y présente, sur le principe de ses White Paintings réalisées en 1951, de purs monochromes blancs, équivalents visuels du silence que John Cage donnera à entendre dans sa pièce en trois mouvements : 4’33’’, peu après l’expérience du Black Mountain. Lorsque les White Paintings reparaissent en 1953 sur les murs de la Eleanor Ward's Stable Gallery de New York, John Cage note : « pas de sujet, pas d’image, pas de goût, pas d’objet, pas de beauté, pas de message, pas de talent, pas de technique (pas de pourquoi) pas d’idée, pas d’intention, pas d’art, pas d’émotion, pas de noir, pas de blanc, (pas de et) ».[61] Le peintre se situe comme Cage dans une tradition élémentariste, il sera également influencé par Le Livre des mutations.[62]

Robert Rauschenberg, White Painting (Three Panel), 1951, sur le site du MoMA of San Francisco (SFMOMA) lien

 

L’art et la vie confondus retour sommaire

Roaratorio, an Irish circus on Finnegans Wake, 1979

Gisèle Freund, James Joyce, Paris, 1939
Tirage de 1991
Epreuve couleur, 30 x 20,8 cm
Donation de l'artiste 1992 - AM 1992-166
© Estate Gisèle Freund

En 1979, Cage compose Roaratorio, an Irish circus on Finnegans Wake, en hommage au roman de James Joyce, Finnegans Wake, livre réputé illisible pour présenter simultanément des scènes appartenant à plusieurs périodes de l’histoire sans organisation chronologique, pour la manière avec laquelle les points de vue subjectifs des personnages s’entremêlent, et surtout pour être rédigé en plusieurs langues, parfois amenées à se confondre. L’ouvrage renverrait, à en croire ses exégètes, à une théorie cyclique de l'histoire selon laquelle les civilisations naissent du chaos et y retournent, passant par différentes phases entre leur émergence et leur déclin.

Roaratorio rassemble violon, cornemuse irlandaise, tambour, chant et soixante-deux lecteurs audio amplifiés diffusant, simultanément, bruits de rue, paroles en diverses langues et fragments d’émissions radio. Roaratorio semble vouloir instaurer un lien presque didactique entre l’art et la vie. Il n’y a pas, d’un côté, l’œuvre close, parachevée, présentant l’image d’un monde ordonné dans un temps défini et, de l’autre, la vie en devenir, dans son désordre perpétuellement reconduit. L’art doit infuser l’expérience quotidienne comme la vie les pratiques artistiques, jusqu’à ce que la distinction disparaisse. « Les bruits sont-ils aussi musicaux en dehors du conservatoire qu’en dedans ? »[63] Tout ce qui se passe autour de la scène fait partie du concert, le public est au centre du spectacle. Une seule chose importe : le contingent. Une seule chose dure : le transitoire.

A consulter sur la base documentaire Brahms de l’Ircam : un texte de John Cage sur la création de Roaratorio, an Irish circus on Finnegans Wake lien

Untitled Event, 1952, le premier « happening » de l’histoire de l’art, avec la Merce Cunningham Dance Company et Robert Rauschenberg

Jasper Johns, Merce Cunningham, portfolio, 1974
7 estampes séparées par 7 feuilles portant nomenclatures des estampes et photographies des ballets de Merce Cunningham auxquels les artistes ont apporté leur contribution (détail)
Reproduction photomécanique, 75,8 x 56 cm 
Achat 1980 - AM 1980-51(9)
© Jasper Johns / Vaga, New York / Adagp, Paris

L’idée selon laquelle l’art et la vie doivent être réunis trouve sa première concrétisation au cours de la soirée « sans nom », l’Untitled Event de 1952 que Cage conçoit avec Robert Rauschenberg et la Cunningham Company au Black Mountain College (voir ci-dessus). Cette soirée sera considérée comme le premier « happening » de l’histoire de l’art. S’inspirant du Théâtre et son double d’Antonin Artaud, John Cage souhaitait mettre en application cette idée d’un théâtre de « choses » simultanées laissant une large part non à l’improvisation mais à l’indéterminé. Physiquement cerné par les tableaux et projections le public est au centre. Pendant que l’image d’un film de Nicolas Cernovitch glisse du plafond au sol d’un côté de l’espace, des diapositives de peintures sont projetées de l’autre ; les poètes Mary Caroline Richards et Charles Olson, juchés sur des échelles, lisent leurs textes ; Robert Rauschenberg, qui a suspendu ses White Paintings au plafond, passe des disques ; David Tudor joue Water Music de John Cage qui, de son côté, lit une causerie en traçant des lignes à la craie sur le sol ; Merce Cunningham danse, un chien avec lui.

Aucune structure narrative n’ayant été établie, ce n’est pas l’intention de l’artiste qui est au centre de l’œuvre, mais l’attention du public qui est au centre des préoccupations. Untitled Event sollicite la singularité du regard de chaque spectateur au lieu de souligner celle d’une direction artistique. Enfin l’intervention du public est directement encouragée. Mary Caroline Richards et Charles Olson lui proposent de poursuivre des lectures entamées. À la fin de la soirée, tous les participants sont le jeu d’une performance : on leur sert le café dans les tasses qui, déjà disposées sur des chaises à l’ouverture, ont servi entre temps de cendriers. Ces événements collés bout à bout se suivent en se superposant comme un collage de Kurt Schwitters. L’enchevêtrement des pratiques artistiques est tel que la perception de l’objet devient un événement évoluant avec le contexte dans lequel il est perçu, de même que l’événement, n’étant soumis à aucune directive, se vit comme la contemplation d’un objet.

Allan Kaprow, l’inventeur du « happening »

Parmi les artistes présents à cet événement figure également Allan Kaprow, l’inventeur du terme « happening », précisément défini dans « Something to take place : A Happening », texte publié par le magazine The Anthologist en 1959. Allan Kaprow distingue la performance, qui se produit « devant un public », du happening qui, lui, « n'a pas de public, seulement des intervenants ». Le happening ne fait aucune « références à la culture artistique. Ni références à la musique, ni au théâtre, ni à la littérature ». Il intègre le cours de la vie de tous les jours même si, concède Kaprow, la performance et le happening sont identiques « structurellement et philosophiquement ». Les premiers happenings revendiqués comme tels sont les « 18 Happenings in 6 Parts » organisés par Kaprow à la Reuben Gallery de New York qu’il fonde en 1959 à cette occasion. Au cours des six soirées que constituent ces six parties interviennent, entre autres, Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Robert Whitman, Sam Francis, Dick Higgins, George Segal.

Influencé par les leçons de John Cage sur le rôle du hasard et l’indétermination en art, Allan Kaprow définit le happening comme un ensemble d’événements chorégraphiés qui mettent en œuvre des interactions spontanées entre les spectateurs et les objets afin de réactiver leur présence, les performeurs étant à considérer comme des objets animés agissant sur d’autres. Kaprow confie au public un programme ainsi qu’un ensemble de cartons portant des instructions. Lors de chaque rendez-vous, dont le début et la fin sont signalés par des tintements de cloche, ont lieu trois happenings qui se répondent. Des instructions indiquent des changements de siège et sollicitent les mouvements du public. Surtout, il est demandé à celui-ci de ne pas applaudir à la fin, ce geste conventionnel séparant l’événement du reste de la vie en l’encadrant dans le temps. A la différence des performances de John Cage, qui cherche à mettre le spectateur dans une posture de désœuvrement, dans une situation de totale liberté qui implique une certaine forme de passivité, les happenings de Kaprow sont fondés sur des directives précises, impliquant une activité du public, paradoxalement passif d’un point de vue décisionnel.

 

À l’origine du mouvement fluxus retour sommaire

Yoko Ono et le loft de la Chambers Street : l’école de la liberté

Installée à Manhattan avec son premier mari, Toshi Ichiyanagi, un jeune compositeur japonais élève de John Cage, Yoko Ono fait de son loft de la Chambers Street le théâtre de nombreuses performances artistiques et de concerts au début des années 1960. John Cage qu’elle rencontre dès la fin des années 1950 constitue l’élément déclencheur. La Monte Young et George Maciunas y réalisent des performances avant que ce dernier ne fonde le mouvement Fluxus qui, à New York, resserré autour de la figure de Cage, réunit George Brecht, Dick Higgins, Nam June Paik et sa compagne Charlotte Moorman, autant d’anciens élèves qui se réclameront de sa tutelle.

De la Monte Young à George Maciunas

Venu à New York en 1960 pour étudier la musique électronique avec John Cage dont il a découvert les travaux à Darmstadt en 1959, La Monte Young rencontre Yoko Ono qui lui propose d’organiser des concerts dans son loft (il en devient rapidement le directeur musical) et lui fait connaître Cage. Le jeune homme travaille des sons obtenus par frictions, traînées de matériaux et souffles de bandes magnétiques. Sur l’exemple de Cage, ce qu’il compose et met en scène dans le loft de Yoko Ono, accorde une large place au hasard, comme ce Lâcher de papillon, composé à partir des mouvements d'un papillon qui, lâché dans la pièce, donne naissance à une musique et y met fin en en sortant. Ce type de partitions réduites à une simple idée, parfois à un seul geste, confère une forte dimension théâtrale aux représentations.
John Cage qui reconnaît dans sa démarche une filiation avec la sienne, le recommande auprès de Merce Cunningham pour son ballet Winterbranch. Plus tard, La Monte Young développera la part mystique de l’enseignement de Cage en s’orientant vers une musique minimaliste, parfois composée d’un seul son, cherchant à plonger son public et lui-même dans des états de transe.

Introduit par La Monte Young chez Yoko Ono, George Maciunas y rencontre George Brecht, Dick Higgins, Allan Kaprow, Jonas Mekas, ouvrant peu après la galerie AG sur Madison Avenue à New York où il projette des films sur les travaux de John Cage, Yoko Ono, Henry Flynt, Dick Higgins… En 1961, Maciunas écrit le Manifeste Fluxus qu’il conçoit comme un outil destiné à tuer l'art.

Nam June Paik et Wolf Vostell

La même année, Nam June Paik[64] débute ses expériences au Studio électronique de la Westdeutscher Rundfunk et présente en 1963, à la galerie Parnasse de Wuppertal, l’Exposition of Music/Electronic television, que l’on considèrera comme la première exposition d’art vidéo. Comme pour Wolf Vostell, autre fluxiste qui y expose peu de temps après, le geste consiste avant tout à mettre en scène des téléviseurs, à « préparer » des postes de télévision, radio, microphones et autres appareillages d’après-guerre, comme John Cage préparait ses pianos, hybridant les différents appareils pour produire de la « musique visuelle ». Les informations électroniques destinées à des haut-parleurs sont envoyés aux tubes cathodiques, l’émission radio brouillant ainsi l’émission télé, auxquelles s’ajoutent les bruits de pas des visiteurs, via le micro.

Entretien avec Nam June Paik, « Bonjour Monsieur Orwell »
Extrait de cnacmagazine n°19, janvier-février 1984
© Centre Pompidou

L’intention de Paik et Vostell n’est pas alors de créer une nouvelle catégorie dans l’histoire des pratiques, ni « art vidéo » ni « art multimédias ». Les historiens et professionnels de la culture s’en chargeront pourtant très vite et avec l’encouragement des artistes concernés.
Ainsi, en 1984, Nam June Paik organise l’émission de télévision Good Morning Mr Orwell, réponse optimiste au roman 1984 de George Orwell, en mettant en scène la vision du Global Village décrit par Marshall McLuhan, dans une atmosphère d’échanges ludiques entre les continents[65]. Deux chaînes de télévision l’une française, l’autre américaine, établissent un dialogue entre Paris et New York, coupant au besoin l’image en deux, afin de souligner l’effet de direct. Dans chaque ville, des duos d’artistes se rendent la pareille : à Paris, Joseph Beuys et des pianistes turcs répondent à Allan Ginsberg et John Cage qui, à New York, jouent avec des coquillages en guise de percussions ; face à Merce Cunningham qui danse à New York, des danseurs des rues, interceptés sur le parvis de Beaubourg, donnent la réplique, Jean-Louis Barrault ayant décliné l’invitation. A cette émission participent également Laurie Anderson, Charlotte Moorman, Takehisa Kosugi, Combas, Ben Vautier. Cette fois-ci, l’art rejoint moins la vie que l’espace domestique des téléspectateurs et, si le jeu est au rendez-vous, la portée politique du geste reste indéterminée. L’échange, bien que transatlantique, apparait unilatéral et, loin d’être mis au centre, le public reste en face d’un écran.

 

Faire œuvre de l’environnement retour sommaire

Déjouer les clivages nature-culture

John Cage à la cueillette des champignons près de la New River en Virginie, 1983
© Ray Kass and the Mountain Lake Workshop

Si l’art de John Cage prétend rejoindre la vie c’est qu’il est pleinement capable d’entrer en résonnance avec ce qui l’environne, voire même de ne résonner que pour donner à entendre ce qui l’environne. Et pour John Cage l’environnement, ça n’est pas d’un côté la forêt et ses sonorités agréables et de l’autre la ville et ses bruits insupportables ; d’un côté la passivité contemplative et de l’autre l’action effrénée. John Cage, en mêlant ce que séparent les stéréotypes de la culture occidentale, déjoue les clivages nature-culture. Il nous donne à écouter le chant des klaxons et des moteurs, change des freins d’automobile en instruments de musique (Construction in Metal pour “gamelan”), fait d’un salon d’appartement standardisé une véritable batterie (Living Room Music). Sa démarche environnementale incite à la contemplation et à l’écoute de la nature, non dans quelque refuge bucolique éloigné mais au cœur même de la ville, sollicitant une attention aux choses qui, si elle venait à être adoptée, pourrait représenter une réelle révolution quant aux rapports de l’homme à l’environnement.

Dans un numéro de la US Lines Paris Review de 1954 consacré à l’humour, John Cage publie un texte sur La Flore de l’amateur de Musique. Il y est question de champignon, sujet de prédilection de Cage, trouvant dans ce domaine matière à penser l’art. Le monde de l’art y est, par analogie, décrit comme un écosystème fragile dont la biodiversité est menacée par le fait de cultiver en très grande quantité certaines espèces communes, du type de celle que l’on trouve en ville au fond des caves, et que l’on reconnaît sous l’appellation générique de musique de jazz. Pour remédier à l’extinction de certaines espèces de musique, il préconise les hybridations interdisciplinaires les plus diverses. Ailleurs, évoquant Bouddha qui serait, selon la légende, mort en mangeant un champignon, il en vient à déduire que le sage est probablement mort de vieillesse : le champignon pousse à l’automne, saison associée à l’idée de la destruction pour les bouddhistes. Le champignon débarrasse le monde « des vieux déchets » et lui permet de se ressourcer. John Cage, se présentant souvent au travers de son intérêt pour ces organismes discrets, dont on ne perçoit que la fructification temporaire, serait en ce sens un champignon dans le biotope artistique.

 


John Cage, le courage de tout oser retour sommaire

Par Jacques Amblard, musicologue

« Un infiltrÉ » dans le monde musical ? retour sommaire

Écouter la vie, l’environnement

John Cage
© John Cage Trust

Musicien novice de 22 ans, Cage étudia avec Schönberg, sans grand succès. Il se consacra à la question du timbre, s’intéressa aux percussions (dont il fonda plusieurs ensembles). Ceci rappelle Varèse mais, plus novateur encore, Cage mit en scène, dès ces années 30-40, les « timbres du quotidien ». Voilà qui augurait déjà de la musique concrète d’après-guerre ainsi que de l’anti-élitisme des arts visuels des années 60. Il devint d’abord célèbre pour ses pièces pour « pianos préparés », ainsi Sonates et interludes (1948). Remarquables d’économie, les pianos devinrent des orchestres de percussions de chaque jour (punaises, gommes et autres objets ordinaires accolés aux cordes ou aux marteaux). Selon une esthétique comparable, Cage serait bientôt précurseur de la « nouvelle vocalité » des années 60, en redonnant à la voix, dans Aria (1958), son allure quotidienne.

L’étude de la philosophie zen, à la fin des années 40, conduisit au rejet de l’intention et finalement à l’invention des musiques aléatoires (Music of Changes, 1951), qui allaient devenir l’un de ses fers de lance, et dont on retrouve le piquant par exemple dans Etudes australes (1974). Furent tentés aussi des décloisonnements entre artiste et public. Si Cage regrettait qu’il n’y eût pas eu « assez de réactions du public », même indignées, lors de la création de son Concerto pour piano (1958), c’est que pour lui l’œuvre était autant dans la salle que sur la scène. Cependant, la méfiance envers toute intention personnelle, et la démarche de retrait en général, culminaient déjà dans son célèbre 4’33’’ (1952), pièce silencieuse invitant à écouter la vie, l’environnement – naturel mais pas seulement –, en tant que seules « vraies musiques ». Cette – en partie – écologie sonore se poursuivit dans des œuvres comme Branches (1976) ou Inlets (1977) pour coquillages emplis d’eau. Enfin Cage déclara net que « la musique, c’est l’écologie[66], bien avant que cette dernière ne devînt à la mode. Au fond, Cage affirmait tôt un anti-anthropocentrisme si sage et précurseur qu’il n’est pas encore d’actualité aujourd’hui. Il le sera.

Il organisa au Black Mountain College, en 1952, le premier happening de l’histoire, liant musique, danse, peinture, théâtre, cinéma et poésie. Les années 60, plus pop, en fait plus inféodées aux nouvelles technologies, furent celles des performances électrifiées, des œuvres pour bandes enregistrées comme Rozart mix (1965) puis Bird Cage (1972). L’ensemble des expériences fut synthétisé dans les œuvres ultérieures mais l’essentiel était peut-être déjà dit dans 4’33’’.

Une posture de Petit prince

Bref, Cage attaqua les frontières, voire la définition de « la musique » fâcheusement déifiée par le romantisme et qu’il s’ingénia à désacraliser par des gestes simples. Il devint une des grandes références du XXe siècle, tous arts confondus, quant aux démarches les plus expérimentales, souvent sans nécessité de travail technique du matériau : le modèle rêvé pour nombre d’autodidactes. Cage fut l’amateur de génie, dadaïste ayant dépassé la pose ironique, prônant un très humble anti-élitisme. Son mérite sembla moins la virtuosité que le courage de tout oser. Il défendit une esthétique souvent minimaliste associée à des émotions « essentielles », « enfantines », cherchées pures dans leur immédiateté et leur dépouillement, dans la lignée, en musique, du seul Satie. Dream (1948) ose un langage tonal rudimentaire, balbutiant, ressemblant à une improvisation d’enfant ou à une ébauche des futures musiques de variété. Ceci ne fut compris et prolongé par d’autres musiciens qu’avec le postmodernisme des années 80. Cette posture artistique et philosophique de Petit prince (ou de Prince Muichkine dans L’Idiot de Dostoïevski) était si nouvelle en « musique savante », que le public le plus large, interloqué, répondit souvent par le rire, comme face à un clown de grand talent. Un document télévisuel américain de 1960 le montre : Cage déclenche, avec sa performance sonore exécutée avec des objets ordinaires (Water walk), non des ricanements, mais des rires francs et attendris dans la salle. Ses « œuvres », ses discours « naïfs », étaient vraiment capables de déconditionner le public.

On peut se demander si Cage ne fut pas, finalement, un artiste plasticien « infiltré » dans le monde musical, capable de dire sincèrement que la « musique de Mozart et de Beethoven est toujours la même alors que celle du trafic automobile change en permanence ». Cage se référa beaucoup moins à Schönberg qu’à Marcel Duchamp. Cette infiltration éventuelle (malentendu ou premier geste artistique malicieux ?), a donné un fruit étonnant, un regard neuf, « innocent », sur la musique, qui a permis à celle-ci, dans biens des domaines, de se libérer des lourds formalismes du XXe siècle.

A consulter sur YouTube, Water walk, performance sonore de John Cage, 1960

 

4’33’’ retour sommaire

Première publication de ce texte dans Code Couleur n°6, janvier-mars 2010

Une fin (un accomplissement)…

4’33’’ c’est bien sûr le minimalisme absolu en musique. Le silence ! Or, il y a là l’aboutissement d’une recherche collective, propre à une certaine modernité de la première moitié du XXe siècle, mais pas n’importe laquelle. Il s’agit de cet esprit d’avant-garde particulier (à l’opposé de celui, « additionnel », de l’Autrichien Schönberg) qui a cherché, après le sommet wagnérien, l’avancée paradoxale par la soustraction, l’effeuillement, le retrait d’au moins certains paramètres de la musique. Le Français Satie (né en 1866), le premier, supprima quelque chose, le timbre. Puis le Russe Stravinsky (né 16 ans plus tard) se concentra sur le rythme et pour cela, sacrifia la mélodie. Et le Français Varèse (né un an après Stravinsky), ainsi complémentaire de Satie, sacrifia tout sauf le timbre.
Si l’on veut, chez le mystique italien Scelsi (né 22 ans après Varèse), et c’est là qu’on comprend que la spiritualité (souvent revivifiée au XXe siècle par le bouddhisme) participe bien entendu de cette démarche de dépouillement, ce n’est même plus le timbre pur mais un seul son. Scelsi se guérit de sa dépression, à l’hôpital, en écoutant inlassablement, pendant deux ans, une seule note de piano... Or, durant cette année 1952 où il se trouve « guéri » par ce nouvel « effeuillement » de la musique, l’Américain Cage franchit le dernier pas sur ce chemin, au fond, de mystérieuse épuration.

…ou un début ? (Un ensemencement esthétique ?)

Or, cet aboutissement minimaliste fut aussi une naissance. De ce silence unique et finalement bref, naquirent mille cris prolongés. Car sur la souche 4’33'' a poussé l’une des plus luxuriantes végétations esthétiques du XXe siècle. Au-delà des justifications par des parallèles picturaux avec Carré blanc sur fond blanc (1918) de Malevitch, les Peintures blanches de Rauschenberg (1951) ou autres monochromes d’Yves Klein (1955), il faut bien qu’il y ait eu, malgré les commentaires indignés lors de la création et les rires encore aujourd’hui, jouissance d’une époque face à cet événement, pour qu’un tel parasitage esthétique de l’œuvre, un tel nombre de commentaires soient nés si spontanément, c’est-à-dire au fond de façon si vivace. L’autocastration apparente de l’interprète, du compositeur lui-même, sert bien, en fait, le futur projet de la sainte culture, celui de placer le public au centre. Le public, c’est-à-dire ses commentaires. Cage ose disparaître à une époque où l’artiste trône encore dans son statut de dieu culturel assumant, de façon absurde, toute spiritualité dans nos sociétés au fond égarées par leur matérialisme scientiste.

Cage « l’amateur », dont son professeur d’harmonie, le Schönberg susnommé, était fort mécontent, Cage, ce « charlatan sublime », nous rend à notre souveraineté, nous qui pensions, encore en 1952 (de nos jours aussi ?) devoir trouver les solutions de nos existences dans l’art, dans l’écoute des « génies musiciens ». Plus de cette attente passive !, nous dit-il. Nous sommes nous-mêmes la musique, c’est-à-dire Dieu selon la pensée romantique.

Un optimisme méconnu

Mais juger ainsi, esthétiquement, c’est toujours ajouter son commentaire, d’autant plus facilement sur une page blanche, sur le fameux vide de 4’33’’ quand vide il n’y eut pourtant pas, quand il y eut acte positif et « plein d’espérance ». La création eut lieu au milieu d’une forêt. Le silence de la « musique savante » invitait notamment à se remplir des bruits ou même des images idéalisées de l’environnement, où se fût caché le réel sublime.

Cage dit (dans For the birds) que « la musique, c’est l’écologie ». Le voilà encore visionnaire, pour décréter, dès 1952, le retrait de l’homme moderne (dans ce qu’il a de plus sacré, son art) face à la nature. Au passage, l’artiste américain, libre, « ingénu », pulvérise au moins tous les maniérismes du modernisme musical issu de Schönberg (galopant durant cette époque « sérielle intégrale »), cela moins dans le snobisme supposé d’une provocation que dans l’humilité, au contraire, d’une spiritualité sans dieu et déjà New Age. C’est ainsi que Cage non seulement annonce, mais déjà résume et dépasse, dès 1952, la future postmodernité musicale commençant 25 ans plus tard (disons en 1976), par ce minimalisme épris de pureté, de naïveté, d’amateurisme assumé et de spiritualité zen sous-jacente. Et lui n’a pas même besoin, comme les futurs postmodernes, d’un retour à la tonalité. Le silence simplifie tout et « le génie », rappelle Proust, « est simplificateur ». Ou destructeur ? Car... qu’écrire après 4’33’’ ?

Vidéos à consulter sur YouTube, John Cage, 4’33'' pour piano, 1952 lien

 

 

BIBLIOGRAPHIE retour sommaire

Ouvrages de John Cage

• John CAGE, Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004
• John CAGE, Pour les oiseaux : entretiens avec David Charles, L’Herne, Paris, 2002
• John CAGE, Conversations avec John Cage, entretiens avec Richard Kostelanetz et introduction de Marc Dachy, Editions Des Syrtes, Paris, 2000
• John CAGE, John Cage : Poèmes, avec essai de Christophe Marchand-Kiss, Textuel, Paris, 1998
• John CAGE, Mirage verbal [Mirakus] [Selkus], Ulysse fin de siècle, 1990
• John CAGE, X Writings '79-'82, Marion Boyars, London ; New York, 1987
• John CAGE, Journal : comment rendre le monde meilleur (on ne fait qu’aggraver les choses), M. Nadeau Papyrus, Paris, 1983
• John CAGE, « Entendre John Cage, entendre Duchamp », entretien avec Alain Jouffroy et Robert Cordier, in Opus International, n°49, mars 1974
• John CAGE, M : Writings ’67-’72, Calder and Boyars, Londres, 1973
• John CAGE, Notations, avec Alison Knowles, West Glover, Something Else Press, 1969

Ouvrages sur John Cage

• Ulrike KASPAER, John Cage, Un artiste dans son temps, éd Scérén du Cndp, Paris, 2009
• Carolyn BROWN, Chance and circumstance twenty years with Cage and Cunningham, Alfred A. Knopf, New York, 2007
• Peter DICKINSON, Cage Talk : Dialogues with and about John Cage, University of Rochester Press, 2007
• Carmen PARDO SALGADO, Approche de John Cage : l’écoute oblique, l’Harmattan, Paris, 2007
• Antonia RIGAUD, John Cage, théoricien de l’utopie, l’Harmattan, Paris, 2006
• Ulrike KASPAER, Ecrire sur l’eau : l’esthétique de John Cage, Herman, Paris, 2005
• Judith DELFINER, « Black Moutain Dada » in Dada Circuit Total, Les Dossier H, dir Jacqueline Roux, éd. L’Âge d’homme, Lausanne, 2005
Etant Donné n°6, « Marcel Duchamp et John Cage », éd. Association pour l’étude de Marcel Duchamp, 2005
• Daniel CHARLES, Gloses sur John Cage : suivies d’une glose sur Meister Duchamp, Desclée de Brouwer, Paris, 2002
• Jean-Charles FRANCOIS, « Quel champignon faut-il pousser ? », Le Corps Écrit n°35, Paris, PUF, Evry, pp. 115-120, 2000
• Jean-Yves BOSSEUR, John Cage, suivi d’Entretiens avec Daniel Caux et Jean-Yves Bosseur, Minerve, Paris, 1993
• Paul GRIFFITHS, Cage, Oxford University Press, 1981
• Richard KOSTELANETZ, John Cage, 1971, Penguin, Londres, 1971

Ouvrages autour de John Cage

• Bernard CLAVEZ, George Maciunas, une révolution furtive, Presses du Réel, Dijon, 2009
• Eva MEYER-HERMANN, Allan Kaprow : art as life, exhibition 2007-2008, présentation de Stephanie Rosenthal, Los Angeles, 2008
• Alfred, WILLEMER, Le désir d’improvisation musicale : essai de sociologie, L’Harmattan, Paris, 2008
• Sam HUNTER, Robert Raushenberg, Hazan, Paris, 2006
• Guillaume MOREL, « Jean Arp, les enjeux de la forme et du hasard », in L’Œil n°558, 05/2004
• George BRECHT, L’imagerie du hasard = chance imagery, Presses du Réel, Paris, 2002
• Meiling CHENG, In other Los Angeleses : multicentric performance art, University of California Press, Berkeley, 2002
• Steven JOHNSON, The New York schools of music and visual arts : J. Cage, M. Feldman, E. Varèse, De Kooning, J. Johns, R. Raushenberg, Routledge, New York, 2002
• Arturo SCHWARTZ, The Complete Works of Marcel Duchamp, Deland Greenidge Editions, 1997
• David, VAUGHAN, Merce Cunningham, un demi-siècle de danse, Plume, Paris, 1997
• Allan KAPROW, L’art et la vie confondus, trad. Jacques Donguy, éd. Centre Georges Pompidou, 1996
Hors Limites, « L'Art et la vie 1952-1994 », catalogue, éd. Centre Georges Pompidou, Paris, 1994
• Allan KAPROW, « Autour de l'environnement », entretiens avec Jacques Donguy, in Art Press, n°172 (septembre 1992)
• Laurence LOUPPE, « Black Mountain College et la danse », in Art Press, n°172 (septembre 1992)
• Charles DREYFUS, Happenings & Fluxus, catalogue, Galerie 1900-2000, Paris, 1989
Écouter par les yeux : Objets et environnements sonores, catalogue, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, Paris, 1980
• Marcel DUCHAMP, Duchamp du signe, Écrits, Paris, Flammarion, 1975
• Pierre CABANNE, Dialogue with Marcel Duchamp, The Viking Press, New York, 1971
• Allan KAPROW, « How to make a Happening », New York, Something Else Press, 1966
• Marcel DUCHAMP, Entretien avec Otto Hahn, Paris Express, Paris, 23 juillet 1964

Liens internet externes

John Cage sur Deezer.com lien
John Cage, œuvre aléatoire en ligne lien
Autobiographie en ligne, 1989 lien
John Cage, sur le site de l’Ircam lien
John Cage – database lien
Site de la Compagnie Cunningham lien
Merce Cunningham, Variations V, vidéo sur Youtube lien
Œuvres de John Cage sur le site du Fine Arts Museums of San Francisco lien
Ray Kass and the Mountain Lake Worshop lien
En savoir plus sur le Yi-King. Site de l’Association française des professeurs de chinois lien

Dossiers pédagogiques

Dossier pédagogique, Sons & Lumières. Une histoire du son dans l’art du 20e siècle, (pdf) lien
Dossier pédagogique, L’œuvre de Marcel Duchamp dans les collections du Musée national d’art moderne lien
Dossier pédagogique, Robert Rauschenberg, Combines, 1953-1964 lien
Marcel Duchamp. Pas d’art. Le Porte-bouteilles et la Roue de bicyclette lien

 

 

ActualitÉ John Cage retour sommaire

Le 25 mars 2010
Quel héritage pour John Cage dans la création musicale d'aujourd'hui, dans le spectacle vivant, les arts plastiques et l'esthétique ? Une rencontre et un concert autour de l'œuvre emblématique de l'artiste américain : 4'33''. Programme proposé conjointement par l'Ircam et le Département du développement culturel.

Rencontre 4’33’’. Portrait chinois. Hommage à John Cage.
À 19h, Grande salle.

Concert 4’33’’. Après J.C.
À 20h30, Grande salle
- Informations sur le site du Centre Pompidou lien
- et sur le site de l’Ircam lien

 

 

Contacts
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Vous pouvez nous contacter via notre site Internet, rubrique Contact, thème éducation lien

© Centre Pompidou, Direction de l’action éducative et des publics, mars 2010
Textes : Norbert Godon et Jacques Amblard
Maquette : Michel Fernandez
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education/ rubrique ’Dossiers pédagogiques’
Coordination : Marie-José Rodriguez (responsable éditoriale des dossiers pédagogiques)

 

 

[1] John Cage entre à l'Université de Californie du Sud par l’intermédiaire d’Henry Cowell et Adolph Weiss qui le prennent comme élève après avoir eu connaissance de ses trois premières compositions, Six Short Inventions, Sonata for Two Voices et Sonata for Clarinet, dans lesquelles il tente de pousser le dodécaphonisme au maximum de ses possibilités en termes de variations. En 1934, Henry Cowell envoie John Cage dans la classe de Schönberg, théoricien du sérialisme et inventeur du dodécaphonisme, duquel John Cage se départira très vite dans ses compositions.

[2] John CAGE, L’Indéterminé : texte composé d’une suite d’anecdotes, proposé au public de l’Exposition de Bruxelles en 1958 (John CAGE, Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004, p.150)

<[3] Pendant les cours donnés à Darmstadt en 1958, centrés sur la question de la musique aléatoire et sur le principe d’indétermination en composition, John Cage a, entre autres, pour élève l’un des futurs membres du groupe Fluxus, Nam June Paik.

[4] Le Black Mountain College, université expérimentale fondée en 1933, situé près d’Asheville en Caroline du Nord, a été créé comme un pendant aux écoles d’art plus traditionnelles. Articulant un programme centré sur le travail manuel et l’activité conceptuelle, il met en avant l'expérience de petites communautés que les ateliers d’été permettent de souder autour d’un projet collectif. Ces ateliers font appel à des artistes qui n’enseignent pas dans l’établissement. D’anciens enseignants du Bauhaus y professent, tels que Josef Albers et Lyonel Feininger, assurant un lien avec les mouvements d’avant-garde européens du début du siècle, ce qui contribue fortement à constituer l’aura de cet établissement. John Cage participe aux ateliers de 1948 et 1952.

[5] John CAGE, Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004, (p.13)

[6] John Cage y a entre autres pour élèves Allan Kaprow, Dick Higgins, George Brecht, Toshi Ichiyanagi, avec lesquels il sera amené à collaborer par la suite

[7] Discours sur rien, prononcé en 1949 à l’Artist’s Club de la 8e rue, à New York, club lancé par Robert Motherwell, repris par Philip Pavia, puis Bill de Koononing… La structure de ce texte a été conçue sur le modèle des Sonates et Interludes ou encore des Trois Danses que John Cage avait récemment composées, incluant des répétitions de phrases telles que : « Nous arrivons nulle part et c’est un plaisir » ou « Si quelqu’un a sommeil, qu’il s’endorme ».

[8] John CAGE, « Discours sur rien », in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.68)

[9] John Cage lit quelques textes de Gertrude Stein lors de son voyage d’étude à Paris, notamment le poème « Rose is a rose is a rose is a rose... » et les livrets écrits par la poétesse pour le compositeur Virgil Thomson (l’ami qui lui fera découvrir Erik Satie)

[10] John Cage découvre la pensée bouddhiste Zen à la fin des années 1940 au travers d’articles de vulgarisation publiés par l’écrivain et traducteur japonais Teitaro Suzuki, dit le Daisetz (le calme). En 1951, il assiste à ses conférences données lors d’une tournée aux Etats-Unis. De 1952 à 1957, il fréquente régulièrement ses séminaires à l'université de Columbia. Teitaro Suzuki devient son maître à penser en matière de philosophie Zen, ils entretiennent alors une relation amicale. En tant que vulgarisateur de la pensée bouddhiste, Teitaro Suzuki s’intéresse à toute forme de pensée religieuse afférente : il initie également John Cage aux écrits de Maître Eckhart.

[11] Peu après son arrivée à New York en 1941, John Cage est hébergé par Jean Erdman Campbell, une danseuse qui avait collaboré avec son ancien professeur, Henry Cowell. Il y retrouve alors Merce Cunningham qui travaille, comme elle, à la Martha Graham Dance Company. John Cage se lie d’amitié avec le danseur qu’il avait rencontré en 1938 à la Cornish School (Cunningham était alors élève de la section danse où Cage avait la charge des accompagnements au piano). Il commence à collaborer avec Merce Cunningham dès 1942 et assurera la direction musicale de la Cunningham Company à sa fondation en 1953. Il remplira cette fonction jusqu’à sa mort.

[12] Erik SATIE, Lettre du 23 août 1918 à Valentine Gross, Erik Satie, Correspondances presque complètes, Fayard/Imec, 1994

[13] L’idée de Satie consiste à placer divers instrumentistes à plusieurs endroits d'une même pièce pour leur proposer de jouer des morceaux sans rapport les uns avec les autres.

[14] John CAGE, « 45’ pour parleur », 1954, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.109 et p.129)

[15] Quelques mois auparavant, après avoir composé la bande son d’une fiction radiophonique, The City Wears a Slouch Hat, écrite par le poète Kenneth Patchen pour la Columbia Broadcasting System, John Cage se sent encouragé dans ses ambitions et décide de se rendre à New York. Faisant escale à Chicago pour donner des conférences à la School of Design de Chicago, sur l’invitation de Laszlo Moholy-Nagy, il donne un concert au Chicago Arts Club qui déclenche une polémique dans la presse locale et lui vaut de rencontrer Max Ernst et sa femme Peggy Guggenheim. Ces derniers lui proposent de l’héberger à New York et de subventionner ses recherches. Il accepte l’invitation et, par leur intermédiaire, rencontre Piet Mondrian, André Breton, Virgil Thomson, Marcel Duchamp… Mais alors que Peggy Guggenheim doit présenter une de ses pièces pour percussions, John Cage obtient du Museum of Modern Art une proposition de concert. Hors d’elle, Peggy Guggenheim le met à la porte ainsi que sa femme. S’étant réfugié dans une pièce vide pour pleurer, celui-ci s’aperçoit qu’il n’est pas seul : impassible dans son rocking-chair, Marcel Duchamp le regardait sans mot dire.

[16] Daniel CHARLES, Gloses sur John Cage : suivies d’une glose sur Meister Duchamp, Desclée de Brouwer, Paris, 2002 (p.227)

[17] Marcel DUCHAMP, Entretien avec Otto Hahn, Paris Express, Paris, 23 juillet 1964 (p.55)

[18] Le pianiste et compositeur David Tudor, présenté à John Cage par Morton Feldman en 1951, sera l’un de ses plus fidèles comparses.

[19] John CAGE, « L’Indéterminé », 1962, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.155)

[20] Notes rassemblées dans l’ouvrage de Michel SANOUILLET, Duchamp du signe, édition revue et corrigée de 1973, Flammarion, Paris, 2008

[21] John CAGE, « Discours sur rien », 1959, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (pp.69-70)

[22] John CAGE, « Discours sur quelque chose », 1962, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.86)

[23] Ce dernier éprouve d’ailleurs un sentiment similaire à l’égard de la musique, déclarant qu’il est « anti-musique ». « Vous comprenez, la musique, c’est tripes contre tripes : les intestins répondent au boyau de chat du violon » (Marcel DUCHAMP, Entretien avec Otto Hahn, Paris Express, Paris, 23 juillet 1964, p.59)

[24] John CAGE, « Entendre John Cage, entendre Duchamp », entretien avec Alain Jouffroy et Robert Cordier, in Opus International, n°49, mars 1974

[25] Marcel DUCHAMP, in Pierre CABANNE, Dialogue with Marcel Duchamp, The Viking Press, New York, 1971 (p.48)

[26] John CAGE, cité par Daniel Charles, in Daniel CHARLES, Gloses sur John Cage : suivies d’une glose sur Meister Duchamp, Desclée de Brouwer, Paris, 2002 (p.227)

[27] John CAGE, « Communication », 1958, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.20)

[28] John CAGE, cité par Daniel Charles, in Daniel CHARLES, Gloses sur John Cage : suivies d’une glose sur Meister Duchamp, Desclée de Brouwer, Paris, 2002 (p.227)

[29] John CAGE, « Discours sur rien », 1959, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.69)

[30] John CAGE, « Discours sur rien », 1959, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.69 et p.89)

[31] John CAGE, in  Daniel CHARLES, Gloses sur John Cage : suivies d’une glose sur Meister Duchamp, Desclée de Brouwer, Paris, 2002 (p.250)

[32] John CAGE, « Discours sur rien », 1959, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.69)

[33] John CAGE, « 26 Considérations sur Marcel Duchamp », 1962, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.165)

[34] Depuis leur collaboration lors de l’atelier d’été au Black Mountain College en 1952, John Cage et Robert Rauschenberg travaillent régulièrement ensemble et s’influencent mutuellement. En 1956, ce dernier intègre la Merce Cunningham Dance Company dont il devient le directeur artistique. En 1957, John Cage rencontre Jasper Johns par l’intermédiaire de Robert Rauschenberg, qui en a fait son collaborateur. Jasper Johns intègre à son tour la Cunningham Company en 1961. En 1968, lors de l’une de ces réunions au cours desquelles Marcel Duchamp et John Cage jouent aux échecs, Jasper Johns suggère à Merce Cunningham de s’inspirer des motifs de La Mariée mise à nu par ses célibataires, même pour l’un de ses prochains spectacles. C’est ainsi que naît Walkaround Time : Johns réalise de grands cubes de plastic transparents marqués aux motifs du Grand Verre à l’aide de pochoirs en soie réalisés par Richard Hamilton.

[35] Le conservateur en chef du MoMA, Alfred Barr, comme une grande partie des visiteurs, est enthousiaste et fait immédiatement acheter deux des œuvres qui y sont présentées, Green Target et Target with Plaster Casts.

[36] John CAGE, « Jasper Johns ; Histoires et idées », 1964, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.169)

[37] John CAGE, « Jasper Johns ; Histoires et idées », 1964, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.170)

[38] Notes de 1911-1915, in La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, La Boîte verte, Duchamp, 1937. Cette citation sera reprise par Jasper Johns par la suite

[39] Cet intérêt pour les « bruits » est souvent rattaché au traité théorique du futuriste Luigi Russolo, L’art des bruits, 1916

[40] Au début de sa carrière John Cage accorde une importance particulière à l’incarnation plastique des sons. A partir des années 1960, il développe une pratique musicale davantage tournée vers les nouvelles technologies, s’éloignant de ses premiers travaux

[41] En 1937, John Cage est l’un des assistants d’Oskar Fischinger sur la réalisation de son film d’animation Optical Poem, pour la Metro-Goldwyn-Mayer. Il s’intéresse à cette occasion à sa manière de composer en dessinant sur les bandes son

[42] Daniel CHARLES, Gloses sur John Cage : suivies d’une glose sur Meister Duchamp, Desclée de Brouwer, Paris, 2002 (p.226)

[43] Avec la collaboration du pianiste David Tudor, le fluxiste George Brecht conçoit en 1961 une installation sur le principe du piano préparé en hommage à John Cage, son professeur de la New York School. Cette installation, Incidental Music, propose au musicien d’ériger une colonne de cubes basée sur les cordes d’un piano ouvert jusqu’à ce qu’elle s’effondre, engendrant une déflagration sonore destinée à « faire résonner une certaine région de l’harmonie »

[44] Ses premières compositions, sur le modèle d’Edgar Varèse, se destinent à cette catégorie d’instruments. Il réalise ses premières partitions d’ensemble en 1934 pour l’Orchestre de l’Université de Los Angeles, explorant, entre autres, les glissandos du water gong − tambour immergé − qu’il invente pour animer les ballets nautiques de l’université

[45] En 1949, John Cage reçoit, pour Sonates et Préludes, le prix de l’Académie Nationale des Arts et Lettres des Etats-Unis pour avoir « reculé les frontières de l’art musical ». Il reçoit peu de temps après celui de la Guggenheim Fellowship for Creative Work in the Field of Music qui lui permet de financer un voyage en Europe, durant lequel il rencontre Pierre Boulez

[46] John Cage reprendra ces mots pour en composer un poème sous forme de mésostiche (John Cage, Mirage verbal [Mirakus] [Selkus], éd. Ulysse fin de siècle, 1990)

[47] John CAGE, X Writings '79-'82, Marion Boyars, London ; New York, 1987 (p.53)

[48] Les premières partitions graphiques apparaissent à la fin des années 1940 dans les œuvres de Morton Feldman et d’Earle Brown qui inaugurent également le concept d’open form – partition permettant une lecture à géométrie variable. Viennent ensuite celles de John Cage dans les années 1950. Les trois compositeurs enseignent alors à la New York School. John Cage initie son élève Christian Wolff à cette pratique. Cornelius Cardew et Karlheinz Stockhausen s’y adonnent eux aussi une dizaine d’années plus tard

[49] Ce titre reprend une réponse de Jasper Johns interrogé par des journalistes qui lui demandaient de s’exprimer sur ses liens avec l’artiste

[50] John CAGE, « Communication », 1958, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (pour les citations dans ce paragraphe : p. 24 et p.22)

[51] Les deux versions de l’Erratum Musical sont présentes dans La Boîte verte de 1934

[52] Une partition originale de cette seconde version d’Erratum Musical sera donnée à John Cage par Alexina Duchamp (surnommée Teeny) en 1970, deux ans après la mort de son mari

[53] John CAGE, « Discours quelque chose », 1959, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (pour les citations dans ce paragraphe : p. 69 et p.99)

[54] John Cage découvre le Ryōan-ji en 1951 et y retournera à plusieurs reprises

[55] John CAGE, cité par Ulrike KASPAER, Ecrire sur l’eau : l’esthétique de John Cage, Herman, Paris, 2005 (p.45)

[56] La lettre R, en gras, désigne l’ensemble des nombres réels, elle renvoie en même temps à l’initiale du Ryoanji et ses quinze rochers, ses quinze « Rocks ».

[57] C’est au terme d’une longue méditation que la quinzième apparaîtrait aux plus éveillés

[58] John CAGE, « 26 déclarations au sujet de Marcel Duchamp », 1962, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (pour les citations dans ce paragraphe, p.166 et p.165)

[59] John CAGE, « Discours sur quelque chose », 1959, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.89)

[60] La première session du Black Mountain College a lieu en 1948. Avec la collaboration du peintre Willem de Kooning et de sa femme Elaine, de l’architecte Buckminster Fuller et de Merce Cunningham, il monte la comédie lyrique en un acte d’Erik Satie, Le piège de Méduse, dirigée par Arthur Penn. Composé de neuf scènes et de sept danses, le scénario de cette pièce est réduit à peu de choses et laisse place à l’indéterminé. Le personnage central en est le singe mécanique qu’interprète Merce Cunningham

[61] John CAGE, cité par Judith DELFINER, « Black Mountain Dada » in Dada Circuit Total, Les Dossiers H, dir Jacqueline Roux, éd. L’Âge d’Homme, Lausanne, 2005 (p.442)

[62] Robert Rauschenberg découvre le Yi-King par l’intermédiaire de John Cage, qui lui-même en doit la découverte au philosophe Christian Wolff en 1951

[63] John CAGE, « Communication », 1958, in Silences, trad Monique Fong de l’édition de Wesleyan University Press de 1961, Denoël X-Trême, 2004 (p.20)

[64] Après avoir vu une représentation de Musik Walk à la galerie 22 de Düsseldorf en 1958, Nam June Paik suit les conférences de John Cage à Darmstadt puis, l’année suivante, se rend à New York pour devenir son élève

[65] Dans 1984, George Orwell décrit un monde soumis au totalitarisme d’un Big Brother assisté de son système de télésurveillance. Marshall McLuhan décrit sa vision du « Global Village » dans Understanding Media, ouvrage publié en 1964, éd. McGraw-Hill, New York

[66] Dans For the birds, Boston, Marion Boyars, 1981