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Dossiers pédagogiques
Action culturelle, création et territoires
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Quelques projets,
témoins d'une dynamique artistique et culturelle actuelle

Si le monde de l'art et de la culture vit une période de transformation impliquant quelques difficultés pour ses acteurs, les projets exposés lors du séminaire viennent, eux, témoigner de la vivacité des démarches de l'action culturelle et de la création contemporaine, spécifiquement en Île-de-France.
Projets artistiques dans l'espace public, expérimentations dans la fédération d'acteurs, liens avec la vie locale et les habitants, relation entre institutions culturelles et structures associatives, telles sont les questions ouvertes par les projets présentés ci-après.

   • Claude Rutault à la Cité des Maillards
   • "Pierre", un projet fédérateur - Le Théâtre de l'Arpenteur à Noisiel
   • L'Axe majeur de Cergy-Pontoise, un projet fédérateur et constitutif d'une identité locale

Claude Rutault à la Cité des Maillards


Claude Rutault, Toiles à l'unité, 1973/Légendes, 1985

Collection Centre Pompidou, Mnam
© Claude Rutault (4 photos)

Claude Rutault est peintre. Son travail depuis 1973, comme il le dit, « consiste à peindre des toiles de la même couleur que le mur sur lequel elles sont accrochées ». Mais celles-ci peuvent être repeintes, redimensionnées, repositionnées à souhait selon les envies et goûts des personnes chez qui elles prennent place. Autrement dit, « l'objet fini n'est pas l'enjeu de son œuvre ».
S'il se présente alors comme peintre, c'est parce que les matériaux qu'il utilise et les procédés qu'il suit sont ceux de l'activité traditionnelle du peintre : la toile, la peinture, la couleur, le recouvrement de surfaces, l'accrochage...

La nature de son travail dépasse la peinture. On entend tout de suite dans son récit la place importante qu'il laisse à l'Autre, celui qui va choisir d'accueillir une toile, de la manipuler. Échange et appropriation sont, dans le travail de Claude Rutault, des mots importants.
C'est avec le temps que s'est élaborée, précisée la place qu'il occupe et celle proposée à l'Autre dans son travail.
Sa « définition méthode », c'est l'idée d'une « proposition à trous ». L'Autre, celui qui accueille la toile, se glisse alors dans les espaces laissés volontairement et métaphoriquement vides, pour faire advenir quelque chose du travail en cours. C'est pourquoi Claude Rutault peut annoncer n'avoir « sans doute jamais vu la moitié de ses œuvres ». Il se raconte dans l'impression que « ses véritables peintures seront là après sa mort, quand il ne sera plus là pour vérifier et valider ».

Il joue donc sur la présence-absence et nous raconte quelque chose de la pérennité du geste et du lien, ou comment sortir de la consommation des œuvres.

Le projet à la Cité des Maillards

Contexte de naissance du projet

Ce qui intéresse Claude Rutault, dans la cité, c'est son territoire délimité, appréhendable dans son ensemble et porteur d'une identité. Il exposait en 2002 au Parc de La Villette, dans le 19e arrondissement à Paris quand il eut l'envie de se lancer dans un projet à l'échelle d'une cité.

Son choix s'est porté sur la Cité des Maillards à Rosny-sous-Bois, qui présente un certain nombre de caractéristiques propices à la mise en place d'un projet avec des populations :
- une unité architecturale permettant un lien social fort entre les habitants;
- 360 appartements, soit une population ni trop faible ni trop grande;
- un réseau associatif ancré.

L’entrée en contact avec le territoire : plusieurs niveaux

Tout d'abord, il y a le lien de Claude Rutault avec Yves Jamet, professionnel de la culture. Celui-ci assure des formations en médiation au sein de l'APSV (Association de Prévention du Site de la Villette). C'est par l'intermédiaire d'une des élèves de l'APSV en stage aux affaires culturelles de la ville de Rosny-sous-Bois qu'un contact s'établit entre l'artiste et le médiateur d'un côté, et la municipalité de l'autre.

Puis arrive la rencontre de Claude Rutault avec la présidente d'une association locale. Très impliquée dans la vie de son quartier, elle fait largement connaître le projet aux habitants. C'est par son intermédiaire qu'il obtient un appartement dans la cité, espace nécessaire au déploiement du projet.
L'artiste, le professionnel de la culture, l'étudiante, la responsable associative et la chargée des affaires culturelles, au moment du lancement du projet, ont chacun été un élément rendant possible sa réalisation.

Ce projet, quel est-il?

Il s'agit tout d'abord de proposer à des jeunes habitants de la cité de participer à la rénovation d'un appartement. Pour cela, ils seront rémunérés par la municipalité. Le principe de cette réhabilitation est de choisir une couleur de peinture par pièce. L'appartement sera ensuite ouvert aux habitants comme lieu de discussion.
Cette phase du projet a duré 3 mois.

Dans un deuxième temps, il est proposé aux personnes venant visiter le lieu de repeindre eux-mêmes leur intérieur. Une condition est fixée : repeindre un élément accroché au mur dans une même couleur que le mur. La peinture est fournie par la municipalité.

L'idée est ici de partir d'un agir ensemble pour susciter des discussions.
Le projet a donc bien pris auprès des habitants. Monsieur Maillard lui-même, architecte de la cité, est venu voir ce qui se passait dans les lieux !
Les discussions ont porté sur « tout et n'importe quoi, assez peu sur des questions artistiques, de peinture, finalement », dit l’artiste.
Le rapport à l'art s'est ici établi sans qu'il soit un impératif, au contact d'un artiste venu avec un projet invitant à participer.

Désir de relation, la place des autres

Pour Claude Rutault, s'implanter sur un territoire, c'est exister quelque part, en contact avec des gens. « Il y a de moins en moins de groupes d'artistes, et l'idée de territoire joue ici. » S'implanter dans un territoire est donc une question importante pour lui.
Mener un projet intéressant dans un territoire, en relation avec ses habitants, implique de la part de l'artiste un investissement personnel ; il doit bien connaître le terrain géographique et humain, s'y sentir bien, y trouver de l'intérêt.

Il ne tient pas particulièrement à parler de son travail et préfère les échanges amenant ailleurs. C'est pourquoi il ne fait rien en fonction d'un public donné mais explique prendre en compte les remarques.
« J'estime être assez disponible pour m'expliquer sur ce que je fais, mais je ne suis pas sûr que ce soit indispensable », ajoute-t-il.
On imagine la rencontre plus spontanée que pédagogique.

Durée du projet, montage et financement

Si le projet de la Cité des Maillards a été vécu par Claude Rutault comme une réussite, c'est dans le sens où il a suscité de l'intérêt auprès des habitants. Une dizaine d’entre eux ont participé au dispositif en repeignant une pièce de leur appartement.

Celui-ci s'est tout de même, de l'avis de Claude Rutault, éteint trop vite, après quatre mois seulement. A quoi cela est-il dû?
Tout d'abord, la position de Claude Rutault et Yves Jamet au lancement du projet était celle d'une volonté d'indépendance et de liberté. Ils n'ont pas cherché à développer les contacts avec les acteurs institutionnels de la ville. Ils ont préféré, pour entrer dans la ville, le billet associatif, qui leur permettait une rencontre plus immédiate avec la population.

Après quatre mois, la période des vacances d'été a mis le projet en pause.
Il est apparu, au moment de retourner sur les lieux, que le projet peinait à vivre un deuxième élan. Il n'était pas assez implanté. Or, sans un minimum de soutien institutionnel, il était difficile de relancer un projet en voie d'essoufflement.

Quelques autres pistes de réflexion ouvertes par ce projet

Renouvellement du mode de médiation de l'art

En termes de médiation de l'art, comme le dit Chantal Dahan, nous pouvons avancer que notre époque « a substitué à la rencontre avec l'œuvre − modèle de Malraux − la rencontre avec l'artiste. »
Ce projet nous montre combien ce mode d'appropriation de l'art peut être riche en ce qu'il met en relation des individus.

Commande publique et démarche artistique

Dans ce cas, le projet n'a pas émané d'une commande publique. Mais il permet de rendre compte de l'importance qu'un artiste se retrouve entièrement dans un projet. La question est d'autant plus d'actualité que les projets participatifs et d'intervention dans des territoires se multiplient. De l'adéquation entre un projet et la démarche de l'artiste invité, dépendent la possibilité et la qualité de la rencontre entre l'artiste et les habitants.
Nous pouvons avancer qu'il serait opportun de partir des artistes eux-mêmes et de leur projet pour construire les commandes publiques.

De l’avantage d’un accompagnement institutionnel

En effet, la manière dont l'intervention de Claude Rutault à la Cité des Maillards s'est terminée est assez emblématique des projets montés sans implication des acteurs institutionnels locaux.
La question de la rencontre entre l'artiste et les habitants n'est pas ici remise en cause. Elle semble avoir été plutôt riche pour les uns et les autres.
Cependant, la pérennité du projet et sa mémoire  ne semblent pas assurées. En effet, Claude Rutault est passé à autre chose et il n'y a pas de raison évidente à ce qu'il revienne sur les lieux. Les structures institutionnelles, elles, sont la stabilité. Sans leur concours, la pérennité d'un événement et sa mémoire sont donc difficilement garanties.

"Pierre", un projet fédérateur
ou Le Théâtre de l'Arpenteur à Noisiel


Théâtre de l'Arpenteur. Audition pour le spectacle Pierre, 2007 © Emmanuel Pain (3 photos)

Le Théâtre de l'Arpenteur et la démarche d’Hervé Lelardoux

Le Théâtre de l'Arpenteur est une compagnie conventionnée, dirigée par Hervé Lelardoux et Chantal Gresset. Implantée à Rennes depuis sa création en 1985, son travail suit la démarche d'Hervé Lelardoux, metteur en scène. Depuis 1999 et sa rencontre avec Les Villes invisibles d'Italo Calvino, le travail de la compagnie s'ancre dans une exploration de la ville, des villes, celles de chacun, lieux de mémoire et de fictions, d'intimité, de subjectivité et de fantasme.

« Pierre », un projet dans et avec la ville

Le projet « Pierre » a pour point de départ une annonce passée dans un journal local. Pierre y déclare être amnésique et demande aux habitants l'ayant croisé de lui raconter sa propre vie. Le Théâtre de l'Arpenteur se fait intermédiaire de cet homme − qui n’est, en fait, qu’un personnage fictif − en récoltant les souvenirs des habitants sous la forme d'une enquête de terrain. Les récits sont déroulés en plusieurs temps, conduisant les interrogés à forger en eux ces souvenirs fantasmés. Ce personnage devient alors « Celui que l’on reconnaît, dans lequel on se reconnaît... Cet autre nous-même », comme le dit Hervé Lelardoux. Les récits font prendre corps à la ville, terrain commun à Pierre et aux participants, qui devient habitée par les anecdotes, les mots.

Pierre est donc un projet qui se bâtit sur la rencontre, s'appuie sur la confidence, la complicité dans l'imaginaire, sur la connaissance intime et subjective de soi et de sa ville, sur l'envie de raconter. Le Théâtre de l'Arpenteur, dans cette proposition, invite donc à s'échapper de son quotidien en réinventant son rapport au lieu.

Interdépendance professionnels et habitants : un souhait

L'aboutissement de ce travail consiste en une pièce écrite et jouée par des comédiens, en salle. Sa construction, elle, s'établit sur le rapport de proximité entre artistes et participants, par le maillage entre la place que les comédiens proposent aux participants, les récits de ceux-ci et leur appropriation par l'équipe artistique. « Pierre» s'appuie donc sur une relation d'interdépendance entre professionnels et invités.

Un projet, des acteurs locaux

« Pierre » est un projet qui, de par sa nature et sa structure, implique la mise en place de partenariats entre une pluralité d'acteurs de la vie locale : médias locaux pour le lancement de l'enquête, structures de médiation des publics pour la rencontre des habitants. Son étalement dans le temps et son déroulement en plusieurs phases font également apparaître la nécessité d'une coordination dans la durée de ces différents acteurs.
Il pose donc de façon exemplaire la question de la manière dont un projet artistique peut fédérer des acteurs de cultures professionnelles différentes.

« Pierre » à Noisiel

À Noisiel, le projet « Pierre » a pris place dans le cadre plus large du programme « Dynamique culturelle des habitants » mené par la Fondation l'Abbé Pierre. Celui-ci, prenant place dans trois villes et étalé sur trois ans, prévoyait d'inscrire la pratique artistique dans des quartiers en grande précarité et sur la durée. C'est donc après un travail d'analyse de la situation locale mené par la Fondation et la rédaction d'un cahier des charges très précis en direction des artistes, que ceux-ci — à Noisiel, Hervé Lelardoux — ont été invités à intervenir pour la dernière phase du projet, soit la troisième année.

Les partenaires

La Ferme du Buisson, scène nationale de Marne-la-Vallée, propose le projet « Pierre » à la MJC de Noisiel, elle-même partenaire du projet « Dynamique culturelle des habitants » pour le volet artistique. Ariane Bourrelier − alors directrice de la MJC − retient le projet ainsi que la Fondation.

C'est donc par l'association d'une structure privée à vocation sociale, de deux acteurs locaux — lieu artistique et structure socio-culturelle — et de l'artiste invité, que le projet « Pierre » a pris place à Noisiel.

Rencontre avec les habitants

Nous pouvons mesurer l'impact de cette coopération dans la remarque d'Hervé Lelardoux : « Avec ce projet, par le biais de la Fondation, nous avons rencontré un public qu'on ne touche jamais, avec aucun autre de nos interlocuteurs. »

Une fédération d'individus

La force du projet « Pierre » à Noisiel tient à la manière dont les acteurs de sa mise en œuvre, issus de champs professionnels différents, se sont fédérés. La qualité des partenariats a notamment permis à Hervé Lelardoux de dépasser le cadre initialement prévu pour son intervention. D'un travail avec quelques quartiers, le projet s'est élargi à toute la ville, entraînant un travail avec des habitants représentant la diversité sociale de la ville.

Bémol à la transversalité

Si Hervé Lelardoux répond positivement à la question « réussissez-vous à fédérer une diversité d'acteurs de vos territoires d'intervention autour de vos projets? », son récit pointe également les limites d'un tel pari. En effet, le projet de la Fondation a fait l'objet d'un travail d'analyse conséquent commandité par celle-ci à une société privée. Or, s'il s'agissait pour la Fondation de « démontrer qu’il était possible, avec le support d’actions culturelles et l’implication d’artistes aux côtés des intervenants sociaux d’engager un processus de transformation durable des relations sociales, de favoriser l’émergence d’une parole collective et "participante" et d’améliorer la vie quotidienne des habitants », l'impact des projets artistiques est peu évalué dans les conclusions de l'enquête, nous dit Hervé Lelardoux.

A l'image des résultats des études des publics exposées plus haut, le rapport sur le projet de la Fondation l'Abbé Pierre reste extérieur à l'exploration du rapport intime à la ville offerte par le Théâtre de l'Arpenteur.
Si la volonté d'un travail commun entre structures sociales – appuyant traditionnellement leurs actions sur des constats sociologiques − et démarches d'artistes est réel, perdure une certaine herméticité des enquêtes sociologiques aux particularités que les démarches artistiques mettent en avant. Hervé Lelardoux, lui, met en garde contre « les attentes [envers les artistes] définies de façon scientifique ».

L'Axe majeur de Cergy-Pontoise
Un projet fédérateur et constitutif d'une identité locale

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L’Axe majeur, Cergy-Pontoise © Claude Mollard (6 photos)

Contexte et naissance

L'Île-de-France voit naître, dans les années 60, cinq villes nouvelles pour désengorger Paris. Cergy-Pontoise sera l'une d'elles. Il s'agit alors d'imaginer un espace urbain et l'ensemble de ses équipements, avec la population présente et pour une population à venir.
L'époque, celle d'une réflexion sur les équipements intégrés, ne laisse pas l'art en marge.

C'est en 1980 que Dani Karavan, artiste israélien rencontré par l'urbaniste Michel Jaouën en charge de la construction de Cergy, intègre le projet.

L'Axe majeur

Dani Karavan a imaginé, à partir du nombre 12 et de ses multiples, une œuvre d'art monumentale. Mi-sculpture, mi-land art, l'Axe majeur trace son chemin en partant d'un belvédère, au milieu des immeubles de Ricardo Bofill. Puis s'en va, sur 3 km, en passant par des vergers et par l'immense esplanade de Paris, qui peut accueillir plus de 10 000 personnes, jusqu'aux terrasses, ornées de 12 colonnes blanches. Surplombant l'Oise, celles-ci font écho aux tours de la Défense, que l'on aperçoit 30 kilomètres plus loin. 
Œuvre dont la construction s'achèvera en cette année 2010, cet immense espace public sculpté est emblématique de la ville, en ce qu'il fait partie de son identité et de celle de sa population.

Un projet étalé dans le temps et pluripartenarial

Si le concept de l'Axe majeur intègre une réalisation séquencée en douze étapes, celle-ci s'est finalement étalée sur trente ans. La construction de cette œuvre est donc un cas rare et en cela exemplaire. Elle permet d'observer la manière dont différents acteurs – étatiques, associatifs, municipaux et privés − se sont relayés pour mener à bien réalisation du projet et appropriation par les habitants.

Naissance dans la désobéissance d'État

La construction de l'Axe majeur débute, comme le dit Claude Mollard, par un « acte d'autorité fondé sur une désobéissance ». En effet, alors que le directeur de l'EPA en charge de la construction de Cergy ne voit pas l'intérêt de poser « le décor avant d'avoir la structure », l'artiste, l'urbaniste et l'architecte (Ricardo Bofill) font appel au ministère de la Culture en la figure de Claude Mollard − alors délégué aux arts plastiques. Celui-ci prend une décision forte en accordant son financement à la première étape du chantier : la construction de la tour du belvédère.
L'État apparaît ici dans l'un de ses rôles importants, en France, celui « d'impulser » des projets.

Le compagnonnage associatif

Cinq ans après son inauguration, l'Association de la Tour du Belvédère est créée. Elle réunit des habitants et des artistes du bassin urbain, témoignant de l'implantation déjà forte de l'œuvre dans la vie des riverains, et générant un effet de compagnonnage autour du projet. Ses membres sont, entre autres, en charge de la clé permettant d'entrer et de monter dans la tour, ce qui constitue un fait symboliquement fort, celle-ci étant le lieu d'où l'on voit l'Axe majeur dans son entier.

Les douze colonnes, un financement privé

La construction des douze colonnes est une étape importante en ce qu'elle introduit des partenaires privés.
Alors qu'aucun argent public n'est disponible, Claude Mollard − que l'on pourrait qualifier de « parrain » du projet et qui a alors créé son entreprise d'ingénierie culturelle − et Dani Karavan font appel aux entreprises locales : vingt-quatre sociétés privées sont réunies pour le financement de l'équivalent d'une demi colonne chacune.
Le ministère de l'Équipement sera néanmoins là lors de l'inauguration des douze colonnes, apportant sa reconnaissance à l'effort privé de participation à la vie locale.

Appropriation de l'œuvre

La population, elle, vit désormais avec cet espace, qu'elle voit évoluer. Des témoignages, tels celui d'une étudiante racontant « j'ai toujours vécu avec l'Axe majeur », ou l'exposition en juin 2009 dans les locaux de la Communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise de photos de l'Axe majeur, toutes prises par les habitants de la ville, sont là pour assurer les fortes implantation et appropriation du lieu par ses habitants.

Persévérance de l'artiste

Le projet n'en est pas, lui, à son dernier rebondissement !
Nous pouvons d'ailleurs ici remarquer la ténacité qui a été − et est encore − celle de Dani Karavan à l'égard de cette construction pharaonique contemporaine. Véritable moteur de sa réalisation depuis les débuts, il y a presque trente ans, sa persévérance a assuré la cohérence du projet et la force de l'œuvre.

L'Association « Les amis de l'Axe majeur », un rôle fort

Alors que l'argent public fait à nouveau défaut, une nouvelle association est créée : « Les amis de l'Axe majeur ». Elle réunit des gens de différents milieux et niveaux d'influence, répondant au schéma des « quatre familles » que Claude Mollard présente comme le modèle de décision le plus démocratique, en matière d'action culturelle : décideurs (politiques ou financiers), artistes, médiateurs et publics s'unissent pour la promotion du projet.
C'est grâce aux actions de sensibilisation et de promotion de cette association que plusieurs parties de l'œuvre voient le jour. La construction de la pyramide est un cas emblématique : alors qu’une organisation écologiste locale s'oppose à son implantation, « Les amis de l'Axe majeur » proposent une alternative dans laquelle vie sociale et nature trouvent un moyen de cohabiter.

Évolutions administratives et politiques, des nouveaux élans

L'EPA se retire progressivement de la gestion de cette ville nouvelle pour laisser définitivement sa place à la Communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise, regroupant dix communes. Celles-ci deviennent alors propriétaires de l'Axe majeur.

S'en suit un certain piétinement du projet, que Dani Karavan continue à défendre et à mener bec et ongles !
L'Etat, lui, intervient à nouveau en accordant son financement au chantier de l'île artificielle. Puis c'est l'élection de Dominique Lefebvre − ancien membre du cabinet ministériel de Catherine Trautmann − à la municipalité de Cergy-Pontoise et sa nomination à la présidence de la Communauté d'agglomération qui relancent l'affaire. Une enveloppe de dix millions d'euros est votée, permettant de lancer le chantier de la douzième et dernière étape de l'Axe majeur : la construction de la passerelle reliant l'île à l'axe central.
L'Axe majeur vivra une nouvelle inauguration en cette année 2010, clôturant le projet de Dani Karavan.

Quelques autres pistes de réflexion ouvertes par ce projet

Conception interdisciplinaire de la ville, un élément fort

La situation de départ, celle de l'intervention d'un artiste dans un espace urbain à venir, est exceptionnelle. Si l'implication de Dani Karavan est l'élément premier de continuité dans ce projet, la situation que nous connaissons aujourd'hui, trente ans plus tard, celle d'une forte empreinte identitaire de l'Axe majeur chez le Cergypontain, permet de témoigner de la force qu'a constituée cette association artistique à la conception d'une ville. Cette conception interdisciplinaire de la construction d’espaces publics est très bénéfique.

L'étalement dans le temps, un bienfait rétrospectif

L'étalement dans le temps de ce chantier apparaît également, rétrospectivement, comme un bienfait pour le projet. L'Axe majeur est en effet aujourd'hui un élément constitutif d'une identité locale. Cette empreinte du lieu et son appropriation par les habitants sont bien dues à l'histoire qu'il porte et qui le constitue. Sa construction progressive en a fait un projet fédérateur, et ce par l'association des acteurs, nombreux et divers, qu'elle a impliquée.
Cela montre que l'appropriation d'un projet d'espace public ou dans l'espace public, en tant qu'il participe au quotidien de ses riverains et le transforme, peut nécessiter du temps.

Les associations, un rôle important

La construction de l'Axe majeur nous renseigne également sur le rôle important que jouent les associations dans la continuité d'un projet. En effet, non régies par les temporalités politiques et économiques des institutions et des entreprises, mais bien guidées par un désir d'action et de réalisation, ce sont elles, ici, qui ont accompagné les différentes étapes du projet.
L'action associative, dans le cas de l'Axe majeur, a notamment permis une alliance de financements publics et privés. C'est leur composition et leur vocation non lucrative qui permettent aux associations de composer avec une pluralité de partenaires sans s'engager dans des mécanismes de reconnaissance ou de dépendance unilatérale. Cela leur confère une certaine liberté d'action qui, dans le cas de l'Axe majeur, a été importante et très bénéfique au projet.
Par ailleurs, l'exemple de l'Axe majeur nous permet de penser les associations − c'est-à-dire les populations −, comme « des aides pour le politique à assumer des décisions difficiles », comme le dit Claude Mollard.

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