Salvador Dali
Du 21 novembre 2012 au 25 mars 2013 - Galerie 1, niveau 6

Début du contenu du dossier

Le Grand Masturbateur, 1929

Le Grand Masturbateur, 1929
[Visage du Grand Masturbateur]
Huile sur toile, 110 x 150 cm
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

Retour sur un personnageRetour haut de page

Plus de trente ans après la rétrospective qu’il lui a consacrée, le Centre Pompidou déploie à nouveau l’œuvre labyrinthique de Salvador Dalí dans ses espaces. Décrivant un parcours circulaire, cette seconde rétrospective, organisée par Montse Aguer, Jean-Michel Bouhours et Thierry Dufrêne sous la direction de Jean-Hubert Martin, propose de suivre les circonvolutions de l’univers dalinien le long d’un fil chronologique.

L’exposition commence avec les premières recherches picturales, l’attrait de Dalí pour l’impressionnisme, le cubisme et son rapport ambivalent à la peinture académique. Elle s’étend par la suite à la période surréaliste, allant de ses premières rencontres avec les principaux membres du mouvement jusqu’à sa mise à l’écart, soulignant la position particulière de l’artiste au sein du groupe parisien. Vient ensuite sa période « néomystique », caractérisée par un regain d’intérêt pour les grands maîtres espagnols et les thématiques religieuses, puis les rapports que l’artiste entretient à la scène, au cinéma et aux médias de masse. Après avoir traité de ses visions cosmogoniques, étayées de références aux récentes découvertes scientifiques, l’exposition se termine par la figure d’un artiste autoproclamé, annonciateur du « mysticisme nucléaire » et se représentant parmi les grands maîtres de l’histoire de l’art.

Cette rétrospective articule plus de deux cents pièces − toiles, dessins, objets, films −, dont certaines comptent parmi les plus célèbres de Dalí. Au-delà des seules productions matérielles, elle met aussi l’accent sur l’attention toute particulière qu’il accordait à la construction de son personnage, l’édification de son propre mythe et l’affirmation de son génie, qui le caractérise encore aujourd’hui auprès du grand public.

Plan de l'exposition Dalí


Plan de l’exposition Dalí
Architecte-scénographe : Laurence Le Bris, assistée de Valentina Dodi
Archtiecte associé : Oscar Tusquets.
Télécharger le plan de l'exposition (PDF, 640ko)

L’Ultralocal et l’UniverselRetour haut de page

L’élaboration d’une mythologie personnelleRetour haut de page

La naissance d’un roi

Le treize mai 1904, jour de la naissance de Salvador Dalí, « le vent a cessé de souffler, le ciel est pur ». Dans les golfes de Rosas et d’Ampurias où les Grecs et les Phéniciens avaient « préparé le lit des civilisations et les draps propres et théâtraux de [sa] naissance », la Méditerranée est calme et « sur son dos lisse de poisson, on peut voir briller comme des écailles, les sept reflets du soleil »1. Théâtralisant de la sorte le récit de sa vie depuis sa naissance, et même de sa période prénatale, Dalí travaille toute sa vie à être, sinon le roi, en tout cas le génie qu’il était prédestiné à être. Dès la réalisation de ses premières toiles, l’autoreprésentation constitue donc un enjeu majeur de sa création, que ce soit à travers la pratique de l’autoportrait ou à travers celle du paysage, projetant dans l’espace théâtral de sa terre natale l’histoire mythique de ses origines.

Représentations de soi

Quittant en 1922 l’École municipale de dessin de Figueres, sa ville natale en Catalogne, Dalí part à Madrid étudier la peinture, la sculpture et la gravure à l’Académie des Beaux-arts de San Fernando. Il rapporte qu’on y encourageait les étudiants à trouver leur propre manière. Paradoxalement, ses camarades et même la plupart de ses professeurs en étaient restés, selon ses dires, au mouvement impressionniste qu’ils considéraient comme le sommet de l’avant-garde, peinture qu’il avait pour sa part découverte à douze ans, chez le peintre Ramon Pichot qui l’avait accueilli dans sa propriété El Molí de la Torre, aux alentours de Figueres.

Outre ses premiers attraits pour le néo-impressionnisme, son adhésion au noucentisme2 catalan, Dalí s’intéresse au cubisme parisien, au futurisme italien aussi bien qu’à dada et, dans le domaine littéraire, à l’ultraïsme3 espagnol. Selon ses propres mots, il s’ingénie durant cette période à inventer des manières de peindre inspirées de ces différents mouvements, et plus particulièrement du cubisme découvert à Barcelone en novembre 1920, à l’occasion de la première exposition qui lui est consacrée en Espagne, à la Galerie Josep Dalmau. Il se tient en permanence informé des dernières actualités de la scène artistique européenne, entre autres grâce aux revues L’Esprit nouveau d’Ozenfant et Le Corbusier, et Valori plastici, auxquelles il est abonné.

Autoportrait cubiste,1923

Autoportrait cubiste, 1923
Huile et collage sur carton et bois, 104 x 75 cm
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

Lors de sa visite à la Galerie Dalmau, Dalí est particulièrement marqué par Nu descendant l’escalier N°2 de Marcel Duchamp, tableau qui avait suscité à la fois l’animosité des cubistes parisiens en raison de l’introduction dans la toile du mouvement − une caractéristique propre aux futuristes − et celle de ces derniers en raison du sujet traditionnel du nu repris par les cubistes.
Autoportrait cubiste, réalisé en 1923, porte clairement la marque du cubisme synthétique et celle d’un mouvement de décomposition rayonnant. La présence du prospectus publicitaire, à droite, fait aussi bien référence aux journaux des premiers papiers collés de Braque et Picasso qu’à la volonté futuriste d’inscrire dans la toile un référent direct à l’activité tapageuse de la ville moderne.

Chose intrigante, le rectangle beige de cette publicité qui s’auto-désigne comme telle, est percé d’un demi-trou noir. S’agit-il de la palette du peintre en action, se représentant pour faire son autopromotion tout en faisant celle du cubisme ? Le visage, dont ne demeure qu’un masque sans bouche ni narines, ne comporte aucun élément qui permette l’identification précise de Dalí. Mais la masse noire des cheveux et la forme caractéristique de ses sourcils, qui constituent une simplification synthétique de ses traits, permettent malgré tout de reconnaître le peintre, d’en faire une véritable icône, renvoyant aussi bien à une figure d’art sacré, à un masque nègre, qu’à un personnage d’affiche publicitaire.

Paysages intérieursRetour haut de page

Un lieu hors du temps

Se remémorant les étés de son enfance passés au bord de la Méditerranée, Dalí raconte avoir imaginé dans les plaines de l’Empordan et les paysages rocheux du cap de Creus, les bases des recherches qu’il mènera ultérieurement. Il en sait « tous les coins et recoins » sur lesquels s’est, d’année en année, « imprimée toute [sa] vie sentimentale et érotique, connaissant seul la marche des ombres au cours de la journée, leur angoissante avance sur les rochers jusqu’à l’apparition de la lumière cireuse de la lune ». La beauté du paysage de Cadaqués tient pour lui dans le fait, qu’en dehors de son ossature, il n’y a précisément rien, « seuls de petits oliviers couronnent de leurs cheveux d’argent les fronts pensifs des collines ridées par les sentiments à demi effacés », […] sur une « terre stérile et solitaire, à la rugosité élégiaque » où « les murs de soutènement des anciennes vignes, semblables à des lignes géodésiques, dessinent des gradins réguliers […] souriants, taciturnes, exaltés de sentiments dionysiaques dans les sommets nostalgiques. »4

Le jeune Dalí enracine ainsi son imaginaire dans les reliefs anthropomorphiques de la côte, dressant leurs agglomérats de pierre sur l’horizon infini de la mer. Bien que teinté de nuances élégiaques propres à l’imaginaire antique, on peut également observer dans l’attrait que Dalí éprouve pour les paysages désertiques de son enfance, « d’une mélancolie planétaire »5, un goût pour le sublime romantique qui ne le quittera jamais totalement.
C’est donc à la fois dans la contemplation des paysages de sa terre natale et en tournant son regard vers les avant-gardes européennes que le peintre élabore son imaginaire visuel, affirmant volontiers son caractère à la fois local et international. Du reste, même au sommet de sa gloire, Dalí gardera toujours un pied dans sa région natale.

Paysages anthropomorphes

Cadaqués vu depuis la tour du cap de Creus, vers 1923

Cadaqués vu depuis la tour du cap de Creus, vers 1923
Huile sur toile, 98 x 100 cm
Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres

Dalí peint Figueres, les jardins et le lac de Vilabertrán, le Molí de la Torre, le quartier Garrigal, la baie de Rosas, la plaine de l’Empordan, Cadaqués, Port Lligat ou le cap de Creus, privilégiant toujours ces trois derniers lieux. Après avoir réalisé quelques paysages méditerranéens à la manière impressionniste, ses premiers tableaux consacrés aux décors rustiques et maritimes de sa terre natale, travaillés dans la grisaille et les coloris de la terre, sont marqués par l'influence des peintres catalans du début du siècle.

Cadaqués vu depuis la tour du cap de Creus, peint vers 1923, soit un an après l’entrée de Dalí à l’Académie de Madrid, célèbre l’union du paysage local et de l’avant-garde cubiste. Dans des camaïeux de bruns, d’ocre gris et de verts sombres, il souligne l’imbrication organique des volumes anguleux construits par l’homme et d’un paysage montagneux tout en courbes. Maisons et personnages semblent faire corps avec une terre maternelle, le galbe des montagnes constituant comme une matrice d’où la ville émerge à la manière d’une cristallisation. Le ciel apparait de la même facture que le sol, à peine plus clair, transfigurant l’ensemble de la scène en un paysage de grotte, un lieu de repli à la fois rustre et protecteur.
Cette peinture témoigne de l’intérêt que Dalí porte, d’une part, à l’extrême simplicité de ce paysage façonné par le souffle de la tramontane, d’autre part, aux reliefs évocateurs de ses montagnes, gonflées comme des seins.

De la résidencia de estudiantes au surréalismeRetour haut de page

Entre académisme et avant-gardesRetour haut de page

Le groupe de la résidence

Au cours de ses études à l’Académie des Beaux-arts de Madrid, Dalí est pensionnaire à la Residencia de Estudiantes où, selon ses propres termes, il est « découvert » par le petit groupe d’intellectuels que forment, entre autres, Federico García Lorca, Luis Buñuel, Eugenio Montes, Pedro Grafias, Pepín Bello et Rafael Alberti. Se réunissant dans les cafés et restaurants de la capitale, ils amènent Dalí à se détacher progressivement de l’Académie dont il sera exclu en 19266. Au cours de ces années, il noue une amitié toute particulière avec Lorca qui vient passer ses vacances chez lui à Cadaqués en 1925, avant que leurs divergences d’opinions ne les séparent. La rencontre avec Buñuel s’avère également décisive pour la suite de sa carrière.

Les valeurs de la tradition

Entre l’attitude studieuse de ses premières années d’études à Madrid, et l’attitude provocatrice qu’il développe au contact de ses amis, deux aspirations opposées s’expriment dans la personnalité du jeune peintre. Cette opposition se manifeste, notamment, lors de la visite officielle du roi Alphonse XIII à l’Académie, en 1923, et auquel il tire une profonde révérence. Persuadé que celui-ci a reconnu en lui l’essence royale de sa personne, il en oublie ses idées anarchistes qu’il compte incarner par son mode de vie comme dans sa peinture. Contradiction qu’il s’efforcera de justifier dans ses écrits en expliquant que, s’il se sentait anarchiste, « bien que d’un anarchisme très personnel, anti sentimental », il concevait cette anarchie comme « un royaume » dont il aurait été « le désorganisateur suprême et le monarque absolu »7. Ce tiraillement permanent entre provocation permanente et déférence à l’égard des figures du pouvoir trouve son corollaire dans sa revendication d’un renouveau artistique radical et son admiration pour les techniques de la peinture classique.
Les aspirations du mouvement noucentiste auquel le peintre a adhéré se retrouveront ainsi dans ses périodes ultérieures : l’expression du génie méditerranéen, tiraillé entre tradition et modernité.

Académie néocubiste, 1926

Académie néocubiste, 1926
[Acadèmia neocubista]
Huile sur toile, 190 x 200 cm
N.R. 201.390. Museo de Montserrat, Montserrat

Marquée par cette volonté d’intégrer aux découvertes formelles des avant-gardes les influences de la culture classique, notamment dans la mise en avant du nu et plus particulièrement du corps féminin, Académie néocubiste, 1926, s’inscrit dans l’esthétique européenne de cette période d’entre-deux-guerres, qualifiée par les historiens de retour à l’ordre.

Dans cette toile, l’influence de Picasso se manifeste dans ses emboîtements volumétriques, exprimant l’architectonique des corps. En 1926, peu après son exclusion des beaux-arts, Dalí a effectué son premier voyage à Paris pour rencontrer le maître, qui a remarqué une de ses toiles, Fille de dos, la même année, à la Galerie Dalmau de Barcelone. Picasso accueille le jeune peintre catalan dans son atelier, rue de la Boétie. Gardant un silence presque complet durant toute l’entrevue, il lui présente ses tableaux un à un. De retour en Espagne, Dalí tâche de retenir la leçon. Mais l’expression « Académie néocubiste », titre de cette peinture, suggère comme une distanciation sarcastique vis-à-vis de la révolution cubiste, qui tend déjà à faire école.

Cheminant en transparence sur le paysage, des baguettes d’encadrement s’introduisent dans la composition, comme pour proposer des cadrages secondaires, des indications de lecture qui interdisent au regard toute forme d’immersion. L’œuvre renvoie à l’histoire de la peinture classique par sa composition en triangle, par la recherche de symétrie imprimée à cette grande toile de format carré, ainsi que par les connotations religieuses émanant de sa scène de baignade. Enfin, le chapeau du marin, situé au sommet du triangle, constitue comme une auréole qui permet de reconnaître, dans la posture du personnage, celle d’un Saint-Sébastien, martyr auquel s’identifiait parfois l’artiste, annonciateur d’un renouveau spirituel.

Les putréfaits, art et psychanalyseRetour haut de page

Fin 1928, Dalí retrouve Luis Buñuel pour travailler le scénario d’un film, d’où naîtra Un chien andalou. Ils prévoient de conférer aux phantasmes les plus délirants le réalisme que convoquent les images cinématographiques. Le cinéma représente pour Dalí un moyen de fuir l’état de pourrissement intellectuel qui préside aux beaux-arts traditionnels, de percer l’abcès de la morale petite bourgeoise dont l’art constitue la coquille. À ce titre, les deux réalisateurs commenceront leur film en crevant symboliquement l’œil du spectateur ainsi que sa représentation céleste, la lune.
Chargeant des pianos à queue, noirs et cirés comme des cercueils, de cadavres d’ânes en putréfaction, avec des curés à la remorque, remplaçant la bouche de l’acteur Pierre Batcheff par des poils d’aisselle, ou perçant le creux de sa main pour en faire sortir une colonie de fourmis frénétiques, le film va attenter aux images du corps social de la bourgeoisie comme à celle du corps humain.

La notion ambiguë de putréfaction

Les Efforts stériles. Cenicitas (Petites cendres), 1927-1928

Les Efforts stériles. Cenicitas (Petites cendres), 1927-1928
[Los esfuerzos estériles ; également connu sous le titre Cenicitas]
Huile sur contreplaqué, 64 x 48 cm
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

La notion de putréfaction, à laquelle Dalí fait régulièrement référence est le sujet de sa série de dessins Les Putréfaits, réalisée entre 1925 et 1927. Elle constitue l’un des thèmes favoris au sein du groupe de la Residencia de Estudiantes. Cette notion comporte pour Dalí une charge négative évidente, désignant l’état de pourrissement de tout ce qui a trait à l’immobilisme des valeurs traditionnelles : poètes incarnés en troubadours grotesques, musiciens repliés sur une discipline périmée, hauts gradés de l’armée dégingandés, picadors aux moustaches hirsutes, petites gens perpétuant gestes et attitudes des aïeux… Mais Dalí apprécie aussi ce qui est dépassé, vieilli, rétrograde. En outre, le putréfait illustre, pour ce jeune lecteur de Freud, la fusion des pulsions sexuelles et des pulsions de mort, dont Baudelaire a fait le principal ferment de son œuvre et dont Sade a méthodiquement déployé toutes les combinaisons. En ce sens, le goût pour la putréfaction représente pour lui une marque d’élévation spirituelle, une capacité à embrasser la vie dans ses aspects à la fois les plus sordides et les plus intenses.

C’est dans cette rencontre d’Eros et Thanatos que s’exprime son goût pour le « sang », la « merde » et la « putréfaction », trois motifs grâce auxquels il met le doigt sur les antagonismes du désir sexuel. Même le groupe surréaliste, qui prétend abolir toute forme de hiérarchie, sera dérangé par la figuration des excréments dans la toile Le jeu lugubre, que Dalí leur présente lors de leur première rencontre. Ces derniers ont alors craint que le peintre ne dissimule des pulsions de coprophagie refoulées. Il se défendra en arguant que les apparitions subconscientes ne sauraient être soumises à des hiérarchies, et que l’image d’un excrément n’a pas moins de valeur que celle d’un morceau de cristal de roche. Ces matières appartenant toutes deux au réel, la connotation positive ou négative que l’on attribue à l’une ou à l’autre relève de la projection imaginaire. Prétendant conserver intactes « toutes les réminiscences des paradis érotogènes du nourrisson »8, Dalí fait de la surface de ses toiles un écran de projection des pulsions qui sont à l’œuvre dans la perception.

Dans Les Efforts stériles. Cenicitas (Petites cendres), les éléments constituant de la peinture et du dessin sont soumis à la décomposition : les lignes, les accumulations de petits points, les étalements de couleurs au fond semblent défaire l’unité du motif central pour mener leur propre vie. À l’image du cadavre dont le grouillement de mouches ressuscite les membres, des lignes isolées s’animent de petits coups de pinceau, pour se changer en touffes de poils, en veines ou en coraux, pour faire de l’image désagrégée un véritable vivier imaginaire.
La peinture devient, en propre, la matière excrémentielle que Dalí manipule. À un critique d’art qui lui parlait de « matière » à tout bout de champ, « de la matière de Courbet et comment ce dernier manipulait sa matière », Dalí raconte avoir fini par lui répondre : « En avez-vous mangé[e] ? Merde pour merde, moi je préfère celle de Chardin »9.
Par ailleurs, il faut noter que cette manière de travailler la toile en surface, sans construction de perspectives, témoigne de l’influence de Joan Miró. La même année, quelques mois après son retour de Paris, celui-ci vient voir Dalí à Cadaqués et le prend sous sa protection.

L’introduction au sein du groupe surréaliste

En 1929, Un chien andalou est projeté au Studio des Ursulines, à Paris. Le peintre se trouve « entouré pour la première fois par un groupe de surréalistes »10, rencontrant notamment André Breton et Paul Éluard, qu’il invite à venir chez lui durant l’été. Accompagné de sa femme Gala, Éluard se rend à Cadaqués avec René Magritte, l’écrivain et galeriste belge Camille Goemans ainsi que Luis Buñuel. La rencontre de Gala s’avère déterminante : alors âgé de vingt-cinq ans, Dalí aurait eu avec elle son premier rapport sexuel. Se séparant d’Éluard, comme elle s’était séparée de Max Ernst auparavant, celle qui sera parvenue à libérer Dalí de sa longue période d’onanisme deviendra sa femme et sa muse.

La même année, ayant écrit sur une toile qui représente la silhouette d’un christ : « Parfois, je crache par plaisir sur le portrait de ma mère », alors que celle-ci est morte quatre ans plus tôt, son père le renie et le chasse de sa maison11. Parti pour Paris avec Gala, Dalí met au point sa fameuse méthode paranoïaque-critique, situant le délire d’interprétation et l’autoanalyse au centre du processus créatif. Rédigé en 1930, un essai intitulé « L’Âne pourri », publié dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution, en présente les grandes lignes. De retour en Catalogne, Gala et Dalí s’installent à Port Lligat près de Cadaqués, dans une petite maison que leur vend Lídia Noguer, une femme de pêcheur vivant seule avec ses deux fils. Tous trois paranoïaques, ils accompagnent Dalí dans la nouvelle voie qu’il compte à présent explorer, à la recherche de l’irrationnel concret.

Le surréalisme et la méthode paranoïaque-critiqueRetour haut de page

L’irrationnel concretRetour haut de page

En 1941, dans son premier ouvrage autobiographique, La vie secrète de Salvador Dalí, l’artiste raconte, à propos des débuts de sa méthode paranoïaque-critique, qu’il ne savait pas très bien lui-même « ce que pouvait être cette invention », ne devant « en saisir toute la signification que plus tard »12. Dans son deuxième ouvrage autobiographique, Journal d’un génie, publié au début des années soixante, il précise : « Il y a plus de trente ans que je l’ai inventée et que je la pratique avec réussite bien que je ne sache pas encore au moment présent en quoi elle consiste »13.

Néanmoins, dans son essai manifeste, « L’Âne pourri » écrit en 1930, déclarant vouloir « contribuer au discrédit total du monde de la réalité »14, il explique qu’elle permet de rendre évident que toute perception du monde n’est que projection, chaque manière de percevoir un objet constituant un « simulacre ».
Ainsi, si la vision d’un objet pourrissant est communément associée à l’idée de la mort, elle peut aussi renvoyer à celle de profusion vitale : « Rien ne peut me convaincre que cette cruelle putréfaction de l’âne soit autre chose que le reflet aveuglant et dur de nouvelles pierres précieuses. Et nous ne savons pas si derrière les trois grands simulacres, la merde, le sang et la putréfaction, ne se cache pas justement la désirée terre de trésors »15.

La méthode paranoïaque-critique, inspirée par la lecture des théories freudiennes, rejoint les recherches du groupe surréaliste pour faire vaciller la frontière entre rêve et réalité, et invalider le présupposé sens des réalités sur lequel se fondent les valeurs bourgeoises. Mais elle s’en distingue par la volonté du peintre de rendre littéralement palpable ce qui appartient au domaine de la projection phantasmatique. Il s’agit d’aller au-delà de la représentation des rêves et du merveilleux pour donner corps au fonctionnement irrationnel de la perception dans ce qu’il a de plus concret. « La paranoïa se sert du monde extérieur pour faire valoir l’idée obsédante, avec la troublante particularité de rendre valable la réalité de cette idée pour les autres. La réalité du monde extérieur sert d’illustration et de preuve, et se trouve mise au service de la réalité de notre esprit. »16

Méthode que Dalí distinguera aussi, après son exclusion du groupe surréaliste en 1939, de celle de l’automatisme. Car cette spontanéité qu’il revendique n’implique pas l’absence d’un retour réflexif, d’une maîtrise consciente a posteriori des associations d’idées générées par les visions, ni celle des moyens techniques mis en œuvre. Il affirmera de plus en plus l’importance du savoir-faire pictural. « Toute mon ambition sur le plan pictural », écrira-t-il, « consiste à matérialiser avec la plus impérialiste rage de précision les images de l'irrationalité concrète. »17

Dalí s’applique donc consciemment à déployer ses visions obsessionnelles sur ce qui l’entoure, ou à traquer, juste avant la sieste, les images dites hypnagogiques qui végètent dans les limbes de son sommeil. Loin de l’hallucination incontrôlée ou d’un véritable délire paranoïaque, sa méthode invoque d’ailleurs la pathologie à titre de comparaison. « L’unique différence entre un fou et moi, c’est que moi je ne suis pas fou »18, ne cesse-t-il de rappeler.

L’image doubleRetour haut de page

En dehors de la charge affective que la vision d’un simulacre attribue à la perception d’un objet, celui-ci peut aller jusqu’à changer de nature et se confondre dans un autre. Une pomme peut se changer par exemple en épaule, sans qu’aucun élément ne soit modifié dans la réalité. Les deux visions constituent deux simulacres qui, lorsqu’ils coexistent en une même forme, constituent « une image double : c’est-à-dire la représentation d’un objet qui, sans la moindre modification figurative ou anatomique, soit en même temps la représentation d’un autre objet absolument différent, dénuée elle aussi de tout genre de déformation ou anormalité qui pourrait déceler quelque arrangement […] Ces nouveaux simulacres menaçants agiront habilement et corrosivement avec la clarté des apparences physiques et diurnes »19.
Il s’agit là de l’un des procédés centraux de la démarche paranoïaque-critique. Dalí en situe l’origine lorsque, enfant, il avait aperçu en bord de mer, à Cadaqués, des arbustes dont les feuilles étaient animées d’un mouvement propre et semblaient capables de marcher toutes seules. La découverte de ces feuilles, qui s’avéraient être des insectes, des phasmes, fut pour lui la « révélation du mimétisme » qui « influença la cristallisation des images paranoïaques »20.

Métamorphose de Narcisse, 1937

Métamorphose de Narcisse, 1937
Huile sur toile, 51,1 x 78,1 cm
Tate, Londres. Achat, 1979

Image double et double image, jeux de miroirs et réversibilité du sens... Dans Métamorphose de Narcisse, Dalí rattache sa démarche paranoïaque-critique à la tradition picturale baroque, qui associait au motif des reflets le thème des apparences fugitives du monde sensible. S’inspirant du mythe de Narcisse, mis en vers par Ovide dans ses Métamorphoses, il invoque également la tradition classique pour mettre sa mythologie personnelle en abîme. Le narcissisme du peintre est ici au cœur du sujet. Le personnage de pierre qui observe son reflet dans l’eau se reflète également dans la figure de gauche, représentant une main qui tient un œuf. Or, l’image de la main, organe du peintre, objet de son narcissisme, se confond avec celle d’un personnage dont la posture méditative, voire mélancolique, pourrait aussi bien être celle de la masturbation. L’artiste évoquerait ces moments où, prostré au pied du Parnasse, il se livre aux plaisirs de l’onanisme, sublimant dans leurs représentations les phantasmes sexuels qu’il ne peut assouvir.

Paradoxalement, et bien que la main soit envahie par les fourmis, l’œuf qu’elle porte au ciel donne naissance à un narcisse, annonçant une renaissance qui a peut-être lieu dans l’œuvre même.
L’ambivalence des images associée à leur dédoublement traduit par ailleurs une interrogation du peintre sur sa propre identité, celui-ci revenant souvent sur le sujet de son frère mort avant sa naissance. Egalement appelé Salvador, il lui avait été non seulement donné son prénom mais aussi ses premiers habits. Le thème de la gémellité recoupe ainsi celui du double, brouillant un peu plus les pistes interprétatives.

Figures archétypales et métonymiesRetour haut de page

Le Grand Masturbateur, 1929

Le Grand Masturbateur, 1929
[Visage du Grand Masturbateur]
Huile sur toile, 110 x 150 cm
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

Dans son approche de la paranoïa, Dalí prend appui sur ses lectures psychanalytiques ainsi que sur l’exploration de sa propre mythologie subjective. Celle-ci passe par l’interprétation d’images ou de mythes qui incarnent à ses yeux des figures archétypales, comme la figure du père castrateur, représentée par Guillaume Tell, ou celle de la mère dévorante qu’il projette dans la silhouette féminine de l’Angélus de Millet.

La métonymie, figure de style qui consiste à prendre la partie pour le tout, le contenant pour le contenu ou la cause pour l’effet, est un autre procédé central de la méthode paranoïaque-critique. Dans le champ de la psychanalyse, ce procédé peut être comparé au phénomène de condensation : un élément, un objet, un détail est chargé d’un ensemble de souvenirs qui lui sont implicitement rattachés.

Après sa rencontre avec Gala au cours de l’été 1929, l’artiste s’enferme dans son atelier de Figueres pour finir deux grandes toiles « dont l’une deviendrait célèbre ». « Elle représentait une grande tête livide et cireuse, aux joues roses, aux longs sourcils. Le nez immense s’appuyait par terre. La bouche était remplacée par une sauterelle dont le ventre grouillait de fourmis. La tête se terminait en ornementations de style art nouveau. »21 Le Grand Masturbateur fait ainsi directement intervenir la biographie de l’artiste sous forme métonymique. L’autoportrait de la figure centrale, inspiré des minéralisations du cap Creus, est lié aux lieux où Dalí et Gala décidèrent de s’unir. La sauterelle constitue la principale phobie du peintre depuis qu’il en associe la tête à celle d’un poisson gluant qu’il avait attrapé dans son enfance. La sauterelle étant elle-même attaquée par les fourmis, on peut supposer que le peintre verra sa bouche bientôt libérée, une fois ses angoisses totalement rongées.

L’objet en jeuRetour haut de page

Des objets paradoxaux

Le Téléphone aphrodisiaque, 1938

Le Téléphone aphrodisiaque, 1938
Plastique et métal, 20,96 x 31,12 x 16,5 cm
Minneapolis Institute of Arts, Minneapolis

Comparables aux être-objets des peintures surréalistes d’Yves Tanguy, les objets protéiformes de Dalí opèrent par brouillages catégoriels, fusionnant de nombreux couples d’opposés avec lesquels nous appréhendons le monde : féminin masculin, chaud froid, sale propre, dur mou, clair sombre, animé inanimé, comestible immangeable… La célèbre Vénus de Milo aux tiroirs, réalisée en 1936, associe de la sorte l’inanimé et l’animé, ouvrant les tiroirs de la mémoire collective pour sortir l’anguleux du courbe, et l’objet domestique de l’objet d’art.

Le Téléphone aphrodisiaque, présenté à l’Exposition internationale du surréalisme de 1938, juche un homard sur un téléphone en guise d’écouteurs, rattachant l’objet comestible à l’immangeable sous prétexte qu’ils font tous deux appel aux organes buccaux. Dalí dira d’ailleurs ne pas comprendre pourquoi, quand il commande un homard grillé, « on ne [lui] apporte pas un téléphone bien cuit, pourquoi on met le champagne à refroidir et pas les écouteurs de téléphone qui sont toujours si tièdes et collants, alors qu’ils seraient tellement meilleurs dans un seau avec de la glace pilée »22.

Paradis perdu et visions intra-utérinesRetour haut de page

Des yeux au plat

Œufs sur le plat (sans le plat), 1932

Œufs sur le plat (sans le plat), 1932
Huile sur toile, 60 x 41,9 cm
Collection of the Salvador Dalí Museum, Inc., Saint Petersburg, FL, 2012

Dans son autobiographie, Dalí associe l’idée du paradis perdu et, avec elle toute forme de féerie, au souvenir que chaque homme garde des premières images qu’il perçoit à l’intérieur du ventre maternel. Images dont il prétend avoir personnellement gardé le souvenir : ce « paradis intra-utérin est couleur du feu de l’enfer : rouge, orange, jaune et bleuté. Il est mou, immobile, chaud, symétrique, double et gluant ». Image « hallucinante » qui nous poursuivrait au cours de notre vie et constituerait l’origine de toute recherche d’idéal, offrant une vision sublimée du monde sensible. Ces visions trouveraient leur origine objective dans la position fœtale : l’enfant est recroquevillé, les poings appuient sur les yeux fermés provoquant, par effet de pression, l’apparition de tâches de lumière illusoires, ou phosphènes23. Les deux tâches qui se forment dans l’œil du fœtus représentent pour Dalí deux « œufs sur le plat », « grandioses, phosphorescents et détaillés dans les plis et replis de leurs blancs légèrement bleutés […] irisés comme la nacre ».

À la recherche de ces « souvenirs visuels de la période embryonnaire », « toute la vie imaginative de l’homme tend à reconstituer symboliquement par des situations et des représentations approchantes, cet état paradisiaque initial. »24 Cette théorie n’est pas loin de jeter les bases d’un beau universel, qui se fonderait sur une expérience communément partagée. C’est en tout cas pour Dalí une base de sa quête de l’idéal dans le champ de la peinture : les effets de lumières dramatiques, les dégradés de couleurs incandescentes, les effets de nimbes, comme la texture nacrée de ses corps en liquéfaction.

Les œufs occupent donc tout naturellement une place à part dans la peinture de Dalí. Il leur rend notamment hommage dans Œufs sur le plat (sans le plat) en les représentant dans la lumière mordorée du couchant. Quant à la cuiller qui permet de les manger à la coque, elle devient tout aussi naturellement le symbole, à la fois agnostique et matérialiste, de son concept de « beauté comestible ».

Le dur et le mouRetour haut de page

Tout un monde à ingérer

La Persistance de la mémoire, 1931
Huile sur toile, 24,1 x 33 cm
The Museum of Modern Art, New York
Voir l’œuvre sur le site du MoMA

Plutôt que de revendiquer l’empathie du peintre avec le monde qu’il représente, Dalí en propose l’ingestion. Reste à savoir ce qui est digeste. « La beauté sera comestible ou ne sera pas »25, écrit-il au début des années 1930, déformant la formule de Breton, « La beauté sera convulsive ou ne sera pas ».
Est comestible ce à quoi on peut s’identifier. « Je n’aime, en réalité, manger que ce qui a une forme claire et compréhensible pour l’intelligence. Si je déteste les épinards c’est qu’ils sont informes comme la liberté. Le contraire de l’épinard est l’armure. J’adore manger des armures et surtout de toutes petites armures, en fait tout ce qui est crustacé. Les crustacés ont réalisé cette merveilleuse idée essentiellement philosophique de porter leurs os à l’extérieur et de préserver leur chair si délicate à l’intérieur. » Associant le plaisir de la compréhension et de l’analyse intellectuelle à l’activité de la décortication masticatoire, pour achever son raisonnement, Dalí propose cette variante sadique de l’histoire de l’os rabelaisien dont il s’agit de sucer la substantifique moelle : « Quel délice de faire craquer sous ses dents le crâne des petits oiseaux ! Peut-on manger autrement des cervelles ? »26.

Dans un autre genre, pour l’inventeur de la méthode paranoïaque-critique, « le crâne de Freud ressemblait à un escargot de Bourgogne », ce qui l’amena à conclure que « si on veut manger sa pensée il faut la sortir avec une aiguille. Alors elle sort tout entière »27. Quant à son propre crâne, il le compare volontiers à un oursin, représentant océanique de l’œuf, symbole s’il en est de la rencontre du dur et du mou. Ayant pour coutume d’en manger trois douzaines à chaque repas lorsqu’il séjourne à Figueres, il établit un étrange rituel de deuil lorsque son père le renie : « Je me rasais la tête, puis j’enterrai ma chevelure sacrifiée avec les coquilles vides des oursins mangés à midi. Cela fait, je montais sur une des collines de Cadaqués, d’où l’on dominait tout le village »28, apercevant alors l’ombre projetée de sa tête rasée comme « coiffée d’une carcasse d’oursin ».
Réinvestissant les glacis traditionnels de la peinture, sa peinture incarne toutes les métaphores du comestible liées à ses ingrédients mêmes : huile, œuf, bouillie d’os, d’arêtes ou de peau ..., déposant, dans ses empâtements ou ses jus, les sensations d’une matière offerte à la dévoration du regard.

Le mécanique et l’organique

Dans La Persistance de la mémoire, 1931, la rencontre du mou et du dur se positionne dans le rapport que Dalí établit entre l’organique et le mécanique, tout objet mécanique étant considéré par lui comme son « pire ennemi ». Ses montres, qui segmentent le temps en fractions, peuvent être perçues comme un emblème de la société mécanique, de l’esprit arrêté de son temps, qui méconnaît les subtilités de l’élément liquide, des principes vitaux en somme. La subtilité, c’est-à-dire, littéralement, ce qui est délié, de nature à pénétrer, à s’insinuer en tout.

La machine est infiniment plus grossière que l’organisme vivant. Notre perception du temps et de l’espace, conditionnée par un mode de pensée mécaniste, est toute aussi grossière. La théorie de la relativité d’Einstein, qu’invoque Dalí pour expliquer le ramollissement de ses montres, le prouve à ses yeux entièrement. Les secondes qui scandent nos vies et les articulent au rythme des rouages, ne renvoient qu’à une manière de fantasmer son écoulement.

Les béquilles de la représentationRetour haut de page

Les objets fourchus

Dalí explique l’origine de son intérêt pour les objets fourchus par la fascination pour tout ce qui bifurque. Tout petit déjà, il avait l’habitude de contempler un lézard à deux queues qu’il avait capturé, avec l’intuition du mythe de la bifurcation qu’il établirait par la suite : « Chaque rencontre avec une fourche, minérale ou végétale, [le] laissait rêveur » pour cette raison que « l’objet bifurqué » est à la fois utile « pour la vie et pour la mort, pour pousser et pour appuyer »29.
Il évoque ensuite la découverte de sa première béquille dans une remise, et la manière dont celle-ci lui permettait à la fois de repousser les cadavres des animaux morts et de palper, dans son imagination, les seins d’une paysanne observée de sa chambre. Dans cette anecdote, la béquille semble être pour l’enfant ce que le pinceau est au peintre : l’objet intermédiaire par lequel toucher à l’essence des choses tout en restant à distance. Avant qu’il ne rencontre sa femme, la peinture sert en quelque sorte de béquille au jeune homme handicapé par son extrême timidité. Elle lui permet d’évoluer dans le monde en le peignant, de sublimer ses désirs sexuels inassouvis dans l’idéal de la représentation.

Mais comme toutes les figures qui hantent ses peintures, la béquille ne saurait être réduite à un symbole. En termes psychanalytiques elle peut aussi renvoyer à l’expression d’un tempérament anaclitique, caractérisant un homme qui, à la manière de l’enfant, se repose sur l'objet de son amour dans une relation de totale dépendance à l’être aimé. L’intervention des béquilles procède également d’une inversion des rapports entre le mou et le dur, l’ossature étant placée à l’extérieur de la chair.
D’un point de vue purement esthétique, les béquilles permettent à Dalí de donner à ses formes molles un contrepoint graphique, ainsi qu’un moyen pour elles de s’étirer dynamiquement sur la surface des toiles, de s’épanouir en plis et replis plutôt que de tomber à plat.

L’image fourchue

Bureaucrate moyen atmosphérocéphale,  dans l’attitude de traire du lait d’une harpe crânienne, vers 1933

Bureaucrate moyen atmosphérocéphale,
dans l’attitude de traire du lait d’une harpe crânienne, vers 1933
Huile sur toile, 22,2 x 16,5 cm
Collection of the Salvador Dalí Museum, Inc., Saint Petersburg, FL, 2012

La fonction de la béquille dans Bureaucrate moyen atmosphérocéphale, dans l’attitude de traire du lait d’une harpe crânienne, est en ce sens multiple. Supportant l’élongation phallique qui occupe le centre de la toile, la béquille touche l’un de ces objets ambivalents pour lesquels elle est prédestinée, à la fois érotique et mortifère et, si l’on en juge par le titre qui associe les bourrelets du crâne à ceux d’une mamelle, masculin et féminin.

La déformation anamorphique du crâne engendre une interpénétration d’images dont la lecture se situe au moins à un double niveau : le crâne sur sa béquille décrit la forme d’une vache déliquescente que le personnage assis est en train de traire ; la mâchoire du crâne constitue une harpe dont les dents forment les cordes et dont joue le personnage assis. Sa posture et son jeu à ciel ouvert semblent même être une réminiscence des peintures romantiques représentant le poète imaginaire Ossian muni d’une harpe et jouant au bord des lacs ou des falaises.

Comme la béquille, l’image fourche à cet endroit. L’assimilation du poète mythique au garçon de ferme forme une belle bifurcation qui réunit le domaine éthéré des activités artistiques et celui de la production alimentaire, le monde idéal du vers et la réalité la plus prosaïque. L’association de l’atmosphère et de l’encéphale, dont procède le mot valise du titre, pourrait s’expliquer dans la référence aux poètes romantiques qui se disaient mis en branle par les éléments naturels, traversés par le vent de l’inspiration. Pure conjecture, qui n’explique d’ailleurs pas la mention du bureaucrate moyen.

Projections et cinéma mentalRetour haut de page

L’image comme voile

Regardant souvent les nuages comme Aristophane qui, dans Les Nuées, y voit des figures anthropomorphes, Dalí s’étonne d’y retrouver « toutes les fantaisies désordonnées » de son enfance « ressuscitées dans la gloire de la chair et de l’écume de cumulus fulgurants de lumière », telles que « des chevaux ailés [gonflant] leurs poitrines, d’où fleurissent tous les seins »30 ou le buste ombragé de ses idoles, Napoléon ou Beethoven. Sur le plafond de sa salle de classe, le jeune Dalí s’adonnait déjà à la contemplation des taches dont Léonard de Vinci recommandait l’étude à ses élèves pour trouver l’inspiration en matière de composition de paysages.
Pour Dalí, voir c’est avant tout se livrer à une activité projective, c’est projeter son désir sur les objets qui nous environnent et leur attribuer une valeur, une signification qui nous est propre. À ce titre, la métaphore du cinéma mental intervient régulièrement sous sa plume ainsi que dans quelques dessins qui donnent à voir les yeux comme les lentilles d’un projecteur.

Dans Bureaucrate moyen atmosphérocéphale, la partie supérieure du cumulus présente un rapport formel troublant avec le crâne du poète vacher. La forme du nuage offre ici un exemple de cette activité projective. La toile se fait écran de projection, au sens propre. Les lectures peuvent être multiples et encouragent la projection interprétative. Qu’elle montre ou qu’elle cache, l’image constitue un voile en soi.

La béance de la perspectiveRetour haut de page

Théâtralisation du point de vue

Paysage avec jeune fille sautant à la corde, 1936

Paysage avec jeune fille sautant à la corde, 1936
[également connu sous le titre Muchacha saltando a la cuerda]
Huile sur toile, 301,4 x 466,5 x 10,5 cm
Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

Se souvenant des visites qu’il rendait dans son enfance à Esteban Trayter, son professeur d’école primaire, pour aller voir les objets étranges du cabinet de curiosités qui lui servait de chambre, Dalí s’attarde sur la description d’un objet qui l’avait particulièrement marqué. « La meilleure attraction », écrit-il, « restait le théâtre optique auquel je dois les plus fortes illusions de mon enfance […] dans mon souvenir, on voyait la scène de ce théâtre comme à travers un stéréoscope ou d’une case qui se colorait successivement selon toutes les nuances de l’arc-en-ciel »31. Ce qui, dans ce souvenir, est éclairant pour la compréhension de l’œuvre peinte de Dalí, c’est qu’il noue trois éléments complémentaires, l’appareil optique, l’espace théâtral et la lumière en contre-jour qui, réunis, constituent une véritable mise en scène du point de vue subjectif, une dramatisation de l’illusion de profondeur, plaçant le sujet regardant au centre du dispositif.

Dans Paysage avec jeune fille sautant à la corde, ce n’est pas un hasard si les éléments qui habitent l’espace dépouillé de la toile entretiennent un lien de contiguïté avec la construction même de l’image. L’espace désertique ouvre le champ de vision, soulignant l’espace projectif de la perspective. Des lignes de fuite à demi tracées sur le sol entretiennent une ambiguïté sur la nature du lieu représenté, dessinant le plancher d’un théâtre intérieur sur le sable d’un désert de sable. En les prolongeant, il apparaît clairement que le point de fuite perce l’embrasure de la porte située à la base de la chapelle qui se dresse en arrière-plan, comme posée sur l’horizon.

Plongeant dans les profondeurs de la perspective, on voit alors s’établir une confusion formelle : l’ombre de la jeune fille est suspendue à l’arc de sa corde à sauter, comme la cloche lévite en plein ciel dans sa robe de bronze. Associant le vivant et l’inanimé, le devenir des formes dans l’espace semble renvoyer au devenir de la jeune fille dans le temps.
En périphérie du paysage, d’autres figures peuvent également être associées au thème de la fuite du temps. Tandis qu’au fond deux grandes tours érigent la silhouette d’un couple pétrifié, un autre couple réunissant deux vieillards squelettiques s’avance sur la droite. La jeune fille dans sa robe pourrait bien en elle-même comporter l’image latente du sablier, transformation qu’elle subira plus tard dans le film d’animation Destino32.

Mais, à peine suggérée, cette thématique se brouille avec l’intervention d’autres figures encore émergeant du paysage : l’immense nuage, à gauche, décrit l’envol d’un cygne, dont le cou répond à la forme de la trompe de l’éléphant, lequel est constitué par les volumes du grand rocher à droite de la chapelle. En outre, le choix du format contribue à brouiller les pistes : le tableau est composé d’un triptyque dont les proportions suggèrent celles des retables, thème christique qui ajoute ainsi une nouvelle grille de lecture. La dramatisation du point de vue renvoie au regardeur l’image de sa condition humaine : projeté au centre de la composition, il est seul au milieu du vaste monde comme un christ sur sa croix.

Le décor, que déploie ce triptyque, accorde donc à la perspective un rôle de premier plan, rappelant les toiles de Giorgio de Chirico où les jeunes filles jouent au cerceau.
Dans les peintures de cette période, la dramatisation du point de vue s’accompagne d’une théâtralisation de la lumière. Ses ciels sont souvent placés sous les couleurs d’un soleil couchant. Ici, le jaunissement de l’horizon et l’étirement des ombres indiquent l’heure avancée du jour, bien qu’aucune de ces ombres ne semble issue de la même source de lumière.

Mythes et histoireRetour haut de page

De l’œuf au mondeRetour haut de page

L’application des théories psychanalytiques à l’histoire

Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau, 1943

Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau, 1943
[“Geopoliticus” Child Watching the Birth of the New Man]
Huile sur toile, 45,5 x 50 cm
Collection of the Salvador Dalí Museum, Inc., Saint Petersburg, FL, 2012

Dalí écrivait en 1973 : « L’Histoire ne me concerne pas. Elle me fait aussi peur que les sauterelles »33. Il écrit également qu’elle ne l’a jamais intéressé en raison de son caractère anecdotique. Les anecdotes de sa propre vie en revanche acquièrent un caractère historique dans sa mythographie. Et c’est en appliquant le fruit de ses réflexions psychanalytiques au comportement des peuples qu’il propose d’expliquer l’histoire humaine.
Ici, le monde devient littéralement l’œuf que Dalí décortique pour s’auto-révéler et, se faisant, révéler le monde à lui-même. L’Enfant géopolitique observant la naissance de l’homme nouveau, peint en 1943 aux États-Unis, jouant de ces confusions entre microcosme et macrocosme, fait sortir l’homme nouveau du continent nord-américain.

Pulsions de mort et cannibalismeRetour haut de page

La figure du père

Âgé de sept ans, Dalí est fasciné par l’image d’un petit Napoléon sur un tonnelet de bois contenant le maté qu’il buvait dans le salon de sa mère : « Ce Napoléon à l’orgueil olympique, au ventre blanc et comestible, aux joues d’un rose chair impérial, au chapeau d’un noir mélodieux, correspondait exactement à l’idée que je me faisais de moi-même roi », écrit-il, associant « le délire buccal et l’aveuglant impérialisme spirituel ».34
Dalí se perçoit toute sa vie durant comme un roi, un saint, un génie, voire les trois en même temps. À ce titre, il entretiendra toujours un rapport ambivalent à la figure du père, à laquelle il doit s’opposer pour prendre le pouvoir tout en y vouant une fascination assumée, qu’il s’agisse de son propre père, de Picasso dans le champ de l’art, de Freud dans celui de la psychanalyse, ou d’Hitler et Franco du côté des dictateurs.

Ce n’est donc pas totalement un hasard si, en 1933, L’Énigme de Guillaume Tell suscite la colère d’André Breton. Dans cette toile où un personnage difforme s’agenouille sur une pierre tombale, le père autoproclamé du surréalisme perçoit une attaque frontale. Dalí explique que son archétype du père fait ici référence au héros paradoxal de la démocratie dévorant ses enfants. Mais suite à des propos tenus en public, dans lesquels le peintre dit percevoir en la figure d’Hitler un héros dont la violence pourrait être salutaire pour les démocraties déliquescentes, le groupe surréaliste organise son « procès » en février 1934. Il échappe de peu à l’expulsion et Breton n’obtiendra son exclusion définitive qu’en 1939.

Désirs de dévoration

Cannibalisme d’automne, vers 1936

Cannibalisme d’automne, vers 1936
[Autumnal Cannibalism]
Huile sur toile, 65,1 x 65,1 cm
Tate, Londres. Achat, 1975

Considérant les figures originelles du cannibalisme associées au père, de Chronos aux ogres de la fable en passant par Ugolin, Dalí interprète le rapport des peuples à leurs dirigeants en partant de son propre rapport au père. Un peuple attend toujours un père dévorateur, le seul qu’il puisse aimer.

Dans sa peinture, la digestion d’une image dans une autre est un procédé tout désigné pour représenter les drames de l’histoire humaine, qu’il compare à une forme d’histoire naturelle. Cannibalisme d’automne représente un couple qui s’entredévore dans des camaïeux vert de gris. L’entremêlement de leurs têtes ramollies, correspondant à son interprétation du Yin et du Yang, illustre sans doute l’ambivalence des sentiments amoureux.

Quand Dalí s’intéresse à un sujet historique, comme la révolution espagnole, c’est pour représenter la violence éternelle sous une forme souvent allégorique. Bien qu’elle déchire son propre pays, et qu’elle mobilise de nombreux intellectuels européens, la guerre d’Espagne n’est pas traitée sous ses aspects politiques. Les toiles ne présentent même aucun élément contextuel. Il est ainsi difficile de parler d’un engagement du peintre vis-à-vis du sujet. Dans Espagne, de 1938, par exemple, la nation espagnole représentée par l’image double d’un groupe de personnages décharnés et d’une jeune femme aux seins dressés, confronte la représentation d’une souffrance anonyme à la mignardise d’un corps dessiné tout en délicatesse. Dalí souhaitait peut-être donner une image de la mère patrie violée. Peut-être voulait-il superposer, non sans cynisme, la représentation de cette abstraction idéalisée que constitue la nation ou la république avec la réalité concrète qu’elle engendre.

Le goût de l’énigmeRetour haut de page

L’Énigme de Hitler, 1939

L’Énigme de Hitler, 1939
[The Enigma of Hitler]
Huile sur toile, 95 x 141 cm
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid

Juste avant son exclusion du groupe surréaliste en 1939, Dalí peint L’Énigme de Hitler. Sans le titre, la petite photographie d’Hitler peinte dans l’assiette, entre cinq haricots, pourrait passer inaperçue. Ne prenant aucun parti apparent, elle traite le sujet historique en mettant en avant des éléments empruntés à la banalité la plus déconcertante. Le gris y domine. L’élément liquide aussi. Les parapluies répondent aux chauves-souris. Un téléphone a la goutte au nez, et jusque dans les jus du fond, tout semble délavé. En somme, tout est morne, rien ne se passe. Dénonce-t-il l’insignifiance de l’histoire événementielle face à la vie qui suit son cours, toujours aussi lamentablement réaliste ?

Dalí, cohérent avec lui-même, dira, vingt-cinq ans après avoir réalisé ce tableau, qu’il était « dénué de toute signification politique consciente », ajoutant qu’il n’a d’ailleurs « pas encore déchiffré cette fameuse énigme ».35
La présence du téléphone, accessoire diplomatique, pourrait être historiquement reliée aux accords de Munich de 1938, entre Hitler et Chamberlain. Dalí dira en manière de facétie qu’il y est avant tout question « d’oralité », ce téléphone suscitant chez lui « un délicieux frisson gustatif d’origine buccale qui [le] conduisait à une extase wagnérienne »36. Il y est, en tout cas, question de communication et, à en juger l’état du combiné, de communication à sens unique. Instaurant un rapport entre le téléphone seulement audible, le culte de la personnalité qui passe par le son de la voix mais aussi par l’image, cette toile est également liée à la question de la communication de masse.

ThéâtralitéRetour haut de page

Un masque pour la culture de masseRetour haut de page

Après la première expérience du Chien Andalou, celle de L’Âge d’or se conclut par un saccage du Studio 28 par l’Action Française et la fin de la collaboration entre Dalí et Buñuel. Par la suite, arrivé aux États-Unis, Dalí projette la réalisation de nombreux projets cinématographiques dont beaucoup seront avortés. En 1932, il écrit le scénario de Babaouo ; en 1941, il collabore au scénario de Moontide (La Péniche de l’amour) de Fritz Lang ; lors de son deuxième voyage aux États-Unis, il rédige celui de Giraffes on Horseback Salads pour Harpo Marx ; en 1945, il réalise les décors d’une scène de Spellbound pour Alfred Hitchcock ; travaille sur le scénario d’un film d’animation non réalisé, Destino, pour Walt Disney en 1946...37 Le domaine du théâtre et des ballets l’intéresse également. En 1941, il travaille notamment à la création du ballet Labyrinth pour le Metropolitan Opera House de New York. Il réalise même des devantures pour les grandes boutiques new-yorkaises. Mais en dehors des créations scéniques et cinématographiques à proprement parler, c’est essentiellement à la création et à la diffusion de son image médiatique qu’il s’adonne.

L’icône de la moustache

Dalí écrit que les anecdotes qu’il divulgue à son propre sujet constituent « les éléments dermosquelettiques de [sa] propre image, les matériaux calcaires de [son] autoportrait »38 Offrant à la presse de faux secrets à décortiquer, il se fabrique ainsi un masque solide dont sa moustache devient l’emblème. Il fait de ses moustaches des antennes destinées à capter les idées qui circulent dans l’air du temps, avec plus d’efficacité que n’importe quel radar. Il les compare sans sourciller à celles de Nietzsche qui avait eu la faiblesse de devenir fou : « Même par les moustaches, j'allais surpasser Nietzsche ! Les miennes ne seraient pas déprimantes, catastrophiques, accablées de musique wagnérienne et de brumes. Non ! Elles seraient effilées, impérialistes, ultra rationalistes et pointées vers le ciel, comme le mysticisme vertical, comme les syndicats verticaux espagnols. »39 Dressées en guidon de vélo ou en cornes de taureau, elles deviennent le symbole de son pouvoir d’affirmation, les représentantes du personnage facétieux qu’il constitue pour les médias de masse.

Dalí se conçoit d’autres accessoires qui, au même titre que ses moustaches intégreront sa peinture. Lorsqu’il arrive pour la première fois aux États-Unis, il se munie ainsi d’une baguette de pain de deux mètres de long. Ce sceptre comestible, que l’on retrouve dans sa peinture et ses objets à fonctionnement symbolique, constitue à la fois une variante de l’hostie, le symbole de la tradition française et surtout l’emblème du prosaïsme. « Mon pain était férocement antihumanitaire. Il symbolisait la vengeance d’une imagination de luxe contre l’utilitarisme du monde pratique. Ce pain serait aristocratique, esthétique, paranoïaque, sophistiqué »40, précise-t-il. La corne de rhinocéros, à la fois symbole de la turgescence masculine et de la courbe féminine, transfiguration exotique de la corne d’abondance, l’accompagnera également dans de nombreuses performances publiques.

La vie comme performanceRetour haut de page

Faire œuvre de son image

Philippe Halsman, Dalí Atomicus, 1948

Philippe Halsman, Dalí Atomicus, 1948
Tirage gélatino-argentique noir et blanc, 37,5 x 47,3 cm

Comme Andy Warhol, Dalí compte faire œuvre de son image. Il a parfaitement saisi le changement structurel de la société médiatique qui conduit à une confusion de la culture dite d’élite et de la culture de masse. Ce ne sont plus les artistes des revues d’avant-garde tirées à cinq cents exemplaires dont on parle à travers le monde, mais bien de ceux dont les formules choc sont diffusées à des centaines de milliers d’exemplaires et dont l’image est simultanément retransmise sur des millions d’écrans. Mais plus encore que de faire œuvre de son image, Dalí cherche à faire une œuvre de sa vie entière, quitte à la réinventer, ce qui le distingue du fondateur de la Factory.

Diffusant son image sur tous les supports, Dalí ne néglige aucun média et soigne tout particulièrement ses portraits photographiques. Ceux que réalise Philippe Halsman comptent parmi les plus célèbres. En 1948, conforté par l’avènement de l’ère atomique, Salvador Dalí se passionne pour les nouvelles lois de la physique. Excité par les théories de l’atome, de l’antimatière, son imaginaire visuel est peuplé d’images éclatées en particules et d’objets en apesanteur.
Préparant une séance de photographie, Dalí expose à Philippe Halsman sa conception des forces antigravitationnelles. Le dispositif suivant est envisagé : Dalí, palette à la main, serait photographié en état d’apesanteur avec trois chats, une chaise, le chevalet et une grande giclée d’eau en suspension qui traverserait l’image, à la manière des instantanés de gouttes de lait qui venaient de faire connaître Harold Edgerton. De manière concrète, tandis que Dalí sauterait, les assistants lanceraient les chats d’un côté, le seau d’eau de l’autre ; la chaise serait tenue à bout de bras par la femme d’Halsman et le chevalet au bout d’un fil. Après une trentaine de récidives, l’image est concluante, Dalí est aux anges. Elle s’intitulera Dalí Atomicus, la toile qu’il est en train d’y peindre s’intitulant Leda Atomica.

Science, mystique et théorieRetour haut de page

Le culte des grands maîtresRetour haut de page

Tout changer pour que rien ne change

« Que sont devenues de nos jours les coupoles de la religion, de l’esthétique, de la morale qui abritèrent, pendant des siècles, l’âme, le cerveau et la conscience humaine ? Aujourd’hui l’âme est dehors »41, se lamente Dalí en 1941. De retour en Espagne en 1948, s’il n’a de cesse d’admirer les paysages de sa terre natale et d’y puiser son inspiration, c’est pour voir dans ses rochers « dessinés par Leonardo lui-même », dans ses paysages « baignés d’une lumière raphaélique », les marques intemporelles du culte qu’il voue à la tradition picturale, à ses techniques et à ses grands maîtres. Ce revirement, ou plus exactement cette bifurcation de la démarche et des objectifs du peintre, entamée dès avant la guerre, s’accentue avec son arrivée dans le pays, sous le régime franquiste.

Dalí ne s’impose pour autant aucune astreinte et conserve l’image du personnage déluré qu’il s’est inventé. Il n’abandonne pas non plus sa méthode paranoïaque-critique, qui connaît une nouvelle mue avec la publication en 1951 de son Manifeste mystique. Il y annonce l’avènement du « néomysticisme », une nouvelle stratégie qui le rend présentable aux yeux du régime franquiste. Il place dorénavant le sentiment du sacré au cœur de sa démarche, même si l’artiste confesse qu’il ne parvient pas à avoir la foi.
Procédant à une sorte de repentir, il revient sur les années de destruction méthodique des valeurs de la tradition et se donne à présent le projet de jeter les bases d’un nouvel art religieux en phase avec le vingtième siècle et l’état des connaissances scientifiques.

Sa volonté première de détruire l’art ainsi que les nombreux blasphèmes proférés au cours de sa jeunesse témoignaient en réalité de son amour profond pour les icônes sur lesquelles il crachait.
Mieux, Dalí accomplit pleinement ce qu’il cherchait à faire lors de sa période surréaliste. Il se range progressivement à l’avis du père de la psychanalyse qui considérait la peinture surréaliste comme étant trop consciemment nourrie de psychanalyse pour que le contenu latent y soit authentique. Freud préférait fonder ses analyses sur l’étude des grands maîtres. Dalí considère, dès sa rupture avec le groupe surréaliste que, « plutôt que de s’entêter à faire du surréalisme une subversion, il faut tâcher de faire du surréalisme quelque chose d’aussi solide, complet et classique que les œuvres des musées »42. Ces dernières ont cet avantage sur les précédentes de présenter des traces d’une activité paranoïaque-critique d’autant plus authentiques qu’elles se font plus discrètes, plus subtiles, moins volontaires.

Les thèmes religieux et la citation des grands maîtres font à présent l’objet de compositions à part entière, dédiées à ses idoles immortelles : Raphaël, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Vélasquez, le Caravage, Vermeer... Par ailleurs, l’agencement des figures au sein des toiles à caractère religieux s’assagit, exprimant un goût pour la symétrie que l’on ne percevait pas dans la période surréaliste. Les images doubles mettent en œuvre une technique picturale de plus en plus soignée, suscitant des illusions optiques maîtrisées qui ne sont plus en proie aux précédents délires de déliquescence.

Tête raphaélesque éclatée, 1951

Tête raphaélesque éclatée, 1951
Huile sur toile, 43,2 x 33,1 cm
Scottish National Gallery of Modern Art, Édimbourg

Dans cette veine, Tête raphaélesque éclatée, 1951, entreprend une relecture de la tradition et des valeurs à l’ère atomique. Si l’on y voit d’abord une image double, formée par la surimpression du visage d’un ange raphaélesque sur la coupole du Panthéon de Rome, très vite on aperçoit, qu’à l’instar des photographies d’Halsman, la composition est soumise aux lois de la suspension antigravitationnelle. L’atomisation du visage de la madone illustre le dévoilement des secrets de la matière par les sciences modernes qui, pour Dalí, tendent à confirmer l’existence de Dieu, densifiant toujours un peu plus le mystère de la révélation. Dieu réside dans les atomes ou les neutrinos, les particules élémentaires.

Le procédé d’éclatement fait à ses yeux référence à l’invention du néo-impressionnisme qui préfigurait ses recherches, lequel avait pressenti l’importance de l’atome en pulvérisant les corps en petits points de couleurs.

La voûte crânienne de la vierge constitue le dôme de sa cathédrale intérieure. Quoi de plus évident en ce siècle, où l’on sait que les ailleurs paradisiaques trouvent leur siège dans le subconscient ? D’autre part, le grand récit biblique commençait par cette évidence : lumière et langage, langage et logique sont une seule et même chose. Le dôme, percé d’un puits de lumière en son centre, résonne également avec la mythologie dalinienne en épousant la forme d’une coquille d’oursin dont les parois, constituées de lambeaux de voiles écumants, tourbillonnent dans leur envol comme des colombes ou de grands oiseaux de mer.

Cabinet de curiosités mystiquesRetour haut de page

Pietà, 1958

Pietà, 1958
Huile sur toile, 115 x 123 cm
Collection Pérez Simón, Mexico

Associant la religion à la science, et la science à l’inconscient, Dalí pose les fondements spirituels de sa peinture, s’identifiant au mystique visionnaire Saint-Jean de la Croix. Promenant constamment le spectateur entre les deux infinis, de l’infiniment petit à l’infiniment  grand, il cherche à pénétrer « de plus en plus dans la mathématique contradictoire de l’univers ». « Ces deux dernières années », déclare-t-il en 1964, « j’ai terminé quatorze toiles plus sublimes les unes que les autres. La Vierge et l’enfant Jésus éclatent sur tous mes tableaux. Là encore, j’applique la mathématique la plus rigoureuse : celle de l’archicube. Le Christ pulvérisé en huit cent quatre-vingt-huit éclats qui se fondent en un neuf magique. »43  

Des formes géométriques directement empruntées aux laboratoires d’astrologie de la Renaissance envahissent ses toiles, presque toujours investies de connotations mystiques et alchimiques. En dehors de l’archicube, il invoque la monarchie des sphères, l’escargot galactique, la pomme nucléaire ou la rosace d’or qu’il associe aux images du tournesol et des multiples cornes de rhinocéros qui s’y dessinent de manière concentrique, comme il l’explique lors d’une conférence à la Sorbonne où il présente l’image du tournesol que l’on retrouve dans cette Pietà de 1958.

Autoréférence et grandes machinesRetour haut de page

La peinture à l’ère de sa reproductibilité technique

Le Voyage fantastique, 1965

Le Voyage fantastique, 1965
Gouache, aquarelle, lavis, encre de Chine et crayon sur papier
fixé sur panneau, 101,6 x 152,4 cm
Mugrabi Collection

Avec l’apparition du Pop’art dont les peintures de Dalí portent la trace, il s’agit pour lui de mettre en couleur le statut de l’icône moderne, qui tient son aura de sa reproduction massive. Mais si ses toiles affichent, haut en couleur, la trame agrandie des techniques de reproduction, Dalí pratique le mélange dionysiaque des techniques.

Le Voyage fantastique, 1965, est à ce titre intéressant, faisant des motifs générés par la trame un véritable sujet d’hallucination. Les petits points noirs s’épanouissent en coraux ou en vaisseaux sanguins et, ici et là, en petits personnages colorés. Dans d’autres toiles, ils forment des armées de mouches ou de bonshommes de signalisation.
Sa composition rappelle étrangement ses peintures de la fin des années 1920, pour sa planéité ainsi que ses visions paradoxales de fragments de corps éclatés qui deviennent le lieu d’un foisonnement vital. Le procédé de répétition d’une partie d’une image dans une autre, produisant comme un hoquet formel, est également présent : la bouche du visage agrandi, reprise en plus petit, est transformée en une sorte de sein, qui s’allonge pour forer la jambe d’un homme peint en grisaille, à gauche.

Icônes et mégalomanie

Autoportrait, 1972

Autoportrait, 1972
[Autorretrato]
Huile, technique mixte et collage, 118 x 96 cm
Collection particulière / Photo Dr

Culte de l’image et culte de la personnalité se recoupent. Dans Autoportrait, 1972, Dalí rapproche des figures médiatiques qui lui font concurrence en termes de notoriété et qui, a priori, n’ont aucun rapport entre elles, voire, sont opposées : le visage de Marilyn collé sur le contour de tête de Mao avec, pour fond, un portrait de lui bien identifiable par ses moustaches. Il associe l’actrice, le dictateur et l’artiste, mais aussi la figure de proue du capitalisme américain et celles du communisme asiatique et du royalisme européen.

Est-ce un commentaire ironique sur l’histoire et ses symboles, une manière de vengeance sur deux figures dont la célébrité surpasse la sienne, ou le couronnement de l’artiste par lui-même apposant sa griffe surmontée d’une couronne, en bas à gauche ? Les grandes éclaboussures rouges et jaunes, probablement obtenues au moyen d’un projectile chargé de peinture, balle ou corne de rhinocéros évidée, sont comparables à un acte de dégradation et ce, malgré la finesse du tracé de la montre molle qui part de l’une des coulures. Mais recouvrant le visage de Dalí, ne prennent-elles pas inversement pour cible sa propre image, le visage hybride ayant été collé par-dessus, achevant de donner à la toile l’apparence d’un mur tagué ?

ChronologieRetour haut de page

1904 Naissance de Salvador Dalí à Figueres.
1910 Première œuvre peinte, Paisaje [Paysage]. Scolarité au collège hispano-français de l’Immaculée Conception de Figueres jusqu’en 1916.
1913 Découverte d’Ingres, Vermeer, De Hooch et Boucher au travers des publications Gowan’s Art Book.
1916 Dalí séjourne dans la propriété de la famille du peintre Ramon Pichot, et découvre l’impressionnisme à travers sa collection. Est inscrit à l’École municipale de dessin de Figueres.
1919 Exposition au Salon de la société des concerts du théâtre municipal de Figueres. Premières ventes. Cofonde la revue Studium dans laquelle il écrit sur Goya, Dürer, Léonard de Vinci, Michel-Ange et Vélasquez.
1920 Publication des Champs magnétiques d’André Breton et Philippe Soupault.
1921 Décès de sa mère, Felipa Domènech Ferrès.
1922 Inscription à la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando de Madrid. À la Residencia de Estudiantes, il côtoie Luis Buñuel, Federico García Lorca, Pedro Grafias, Eugenio Montes et Pepín Bello.
1924 Il est temporairement expulsé de la Real Academia de San Fernando. En mai-juin, il est incarcéré à la prison de Figueres. Le groupe surréaliste ouvre, à Paris, le Bureau de Recherches Surréalistes, dont la fonction est de « recueillir toutes les communications possibles touchant les formes qu’est susceptible de prendre l’activité inconsciente de l’esprit ». Parution de la revue La Révolution surréaliste.
1925 Federico García Lorca passe ses vacances chez Dalí à Cadaqués. En novembre, première exposition personnelle à la Galerie Dalmau de Barcelone.
1926 Premier voyage à Paris. Rencontre avec Picasso. Miró lui rend visite à Cadaqués. Federico García Lorca publie Ode à Salvador Dalí. Exclusion définitive de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando.
1927 Fin juillet, parution de l’essai « San Sebastiàn » [Saint-Sébastien] dans L’Amic de les arts. Werner Karl Heisenberg énonce le principe d’incertitude (pour une particule massive donnée, on ne peut pas connaître simultanément sa position et sa vitesse). Ce dernier déterminera ultérieurement les théories cosmogoniques de Dalí.
1928 Publication du Manifest Groc (appelé également Manifeste jaune ou Manifeste anti-artistique).
1929 À Paris, Dalí coréalise Un chien andalou avec Luis Bunuel. Premier contact avec André Breton. Il rejoint le groupe surréaliste et rencontre sa future épouse et muse, Gala Éluard. Période marquée par la psychanalyse freudienne et par la création des premières images doubles.
1930 Mise au point de la méthode paranoïaque-critique avec les publications de « L’Âne pourri » et de « Rêverie » dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution. Dalí et Gala s’installent à Port Lligat, près de Cadaqués, dans une maison de pêcheurs qu’ils vont aménager et agrandir au fil des années. Période de recherche sur le thème de l’espace-temps, mise en forme avec l’œuvre La Persistance de la mémoire. Création de L’Âge d’or, en collaboration avec Luis Buñuel.
1931 Exposition « Salvador Dalí » à la Galerie Pierre Colle. Il peint Hallucination partielle. Six images de Lénine sur un piano.
1932 Rencontre le psychanalyste Jacques Lacan. Création du groupe du Zodiaque. Écriture du scénario de Babaouo.
1933 Publication du premier texte sur L’Angélus de Millet dans Minotaure. Exposition personnelle à la Julien Levy Gallery à New York.
1934 Échappe de peu à l’exclusion du groupe surréaliste suite à des déclarations faites sur son intérêt pour Hitler et ses idées sur les luttes raciales.
1936 Participation à l’exposition « Fantastic Art, Dada and Surrealism » au Museum of Modern Art à New York. Dalí fait la couverture du Time. Il peint Construction molle avec haricots bouillis, nommée un an après Prémonition de la guerre civile. Au cours du mois d’août, Federico García Lorca est fusillé à Grenade par des rebelles antirépublicains.
1937 Second séjour aux États-Unis. Rédaction du scénario de Giraffes on Horseback Salads pour Harpo Marx.
1938 Rencontre Sigmund Freud à Londres. Dalí achève Le Mythe tragique de L’Angélus de Millet, adaptation du procédé de paranoïaque-critique au tableau de Millet.
1939 Dalí peint L’Énigme de Hitler. André Breton obtient son exclusion du mouvement surréaliste. Collaboration à la création du ballet Tristan fou chorégraphié par Léonide Massine, renommé peu après Bacchanale.
1940 Dalí et Gala quittent Paris pour Arcachon. En juin, ils passent en Espagne. Dalí découvre le saccage de Port Lligat. Sa sœur a été torturée par le Comité d’investigation militaire. Dalí et Gala fuient face à l’arrivée des troupes allemandes dans le sud de la France et partent aux États-Unis où ils demeureront jusqu’en 1948.
1941 Exposition anthologique de Dalí et Miró au MoMA. Création du ballet Labyrinth pour le Metropolitan Opera House de New York. Collaboration au scénario de Moontide (La Péniche de l’amour) de Fritz Lang.
1945 Création des séquences du rêve du film Spellbound (La Maison du docteur Edwardes) d’Alfred Hitchcock.
1946 Collaboration avec Walt Disney pour le film d’animation Destino.
1947 Dalí peint Trois sphinx de bikini, évoquant des champignons atomiques, écho aux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki par les États-Unis les 6 et 9 août 1945.
1948 Norbert Wiener (1894–1964) fonde la cybernétique, science du contrôle des systèmes vivants et non vivants.
1949 Obtention d’une audience auprès du pape Pie XII, présentation de la première étude pour La Madone de Port Lligat.
1951 Fin de la rédaction du Manifeste mystique, interprétation dalinienne de la religion. Début de la période « mystique nucléaire ». Conférence « Picasso et moi » au Teatro María Guerrero de Madrid.
1954 Publication de La veritable história de la Lídia de Cadaqués d’Eugenio d’Ors, illustrée par Dalí, livre-hommage à Lídia Noguer, à ses yeux prototype du cerveau paranoïaque. Réalisation du film expérimental L’Aventure prodigieuse de la dentellière et du rhinocéros, en collaboration avec Robert Descharnes.
1955 Conférence à l’Université de la Sorbonne : « Aspects phénoménologiques de la méthode paranoïaque-critique ».
1956 Le général Franco le reçoit au palais de l’Escurial.
1958-1959 Il peint La Découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.
1960 Tournage du documentaire Chaos & Création.
1963 Il réalise le collage Hommage à Crick et Watson et peint Galacidalacidesoxyribonucleicacid (hommage à Crick et Watson) pour célébrer la découverte de la structure de l’ADN.
1964 Dalí est décoré de la Grande Croix d’Isabelle la Catholique par le général Franco.
1966 Jean-Christophe Averty réalise Autoportrait mou de Salvador Dalí avec du bacon grillé.
1972 Création des premières œuvres stéréoscopiques.
1973 Présentation à la presse de son premier chrono-hologramme à l’hôtel Meurice.
1974 Inauguration du Teatro- Museo Dalí à Figueres.
1975 Il coréalise Impressions de la Haute-Mongolie avec José Montes-Baquer.
1979 Rétrospective au Centre Pompidou, Paris.
1982 Dalí est fait marquis de Púbol par le roi d’Espagne.
1982-1983 Il écrit Traité d’écriture catastrophéiforme et L’Enlèvement topologique d’Europe, en hommage à René Thom (1923–2002), mathématicien, père de la théorie des catastrophes.
1989 23 janvier, décès de Salvador Dalí à Figueres.

Bibliographie indicativeRetour haut de page

Écrits de l’artisteRetour haut de page

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Texte : Norbert Godon
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cyril Clément

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Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques Retour haut de page

Références

_1 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, Ed. La Table Ronde, L’Imaginaire Gallimard, 1952, pp.52 et 58.

_2 Ce mouvement artistique, qui naît à Barcelone en 1906 et disparaît avec la guerre civile en 1936, a pour ambition de faire rayonner la culture catalane sur tout le territoire espagnol. Il revendique l’avènement d’une culture moderne permettant la réinterprétation de la tradition classique et de l’art populaire méditerranéen, dans une perspective de construction nationale et civique. Outre la création d’œuvres dans les domaines de la peinture, de la sculpture et même du théâtre, l’action porte également sur des programmes d’éducation et de formation à tous les niveaux. Sur le plan architectural, le mouvement ambitionne de faire de Barcelone une capitale européenne de la culture, une ville idéale à l’urbanisme ordonné. Parmi les principaux artistes qui y participèrent, outre Dalí, Picasso et Miró, interviennent Julio Gonzáles, Joaquim Torres Garcia, José María Sert y Badía, Pau Gargallo, Enric Casanovas, Joaquim Sunyer, Rubio i Taduri, Josep Goday, Tomas Aymat, Liorens Artigas. Parmi les théoriciens les plus influents, citons José Ortega y Gasset et le politicien conservateur Enric Prat de la Riba i Sarrà.

_3 L'ultraïsme est un mouvement d'avant-garde poétique espagnol inauguré en 1919 par la publication de Un manifiesto literario, texte dans lequel les signataires, parmi lesquels Guillermo de Torre et Pedro Garfias, expriment leur désir de rompre avec les normes esthétiques en vigueur. Il se réfère à la fois au mouvement dada, au cubisme français défini par Apollinaire et Reverdy, au créationnisme poétique du chilien Vicente Huidobro, au futurisme italien de Marinetti. En 1921 et 1922, la théorie ultraïste est consolidée par la publication de textes signés par Jorge-Luis Borges dans lesquels le poète sud-américain insiste sur le pouvoir de l’imagination métaphorique.

_4 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, pp.145-146.

_5 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.260.

_6 Après une première exclusion, en 1924, due à une attitude anticonformiste et au rôle joué par Dalí dans une opposition des étudiants de l’Académie aux modalités d’élection de leurs professeurs, la seconde, justifiée par un manque progressif d’assiduité, se traduit par son expulsion définitive en 1926.

_7 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.144.

_8 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.13.

_9 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, p.289.

_10 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.251.

_11 En guise de réponse à son père, Dalí lui envoie son sperme dans une enveloppe, y joignant ce message : « C’est tout ce que je te dois ». Il ne se réconciliera avec lui que six ans plus tard, après la guerre civile.

_12 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.347.

_13 Salvador Dalí, Journal d’un génie, éd. La Table Ronde, L’Imaginaire Gallimard, 1964, p.196.

_14 Salvador Dalí, « L’Âne pourri », Le Surréalisme au service de la révolution, ou SASDLR, N°1, juillet 1930, p.10.

_15 Salvador Dalí, « L’Âne pourri », juillet 1930, p.12.

_16 Salvador Dalí, « L’Âne pourri », juillet 1930, p.11.

_17 Salvador Dalí, cité par Maurice Nadeau, in Histoire du surréalisme, Ed. Le Seuil, 1945, p.329.

_18 Salvador Dalí, Journal d’un Génie, 1964, p.21.

_19 Salvador Dalí, « L’Âne pourri », juillet 1930, pp.10-11.

_20 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.87.

_21 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.277.

_22 Salvador Dalí, La Vie secrète de Salvador Dalí, 2002, p.303.

_23 Un phosphène se traduit par la sensation de voir une lumière ou par l'apparition de taches dans le champ visuel. Les phosphènes peuvent être causés par une stimulation mécanique ou électrique de la rétine ou bien du cortex visuel, ou encore par une destruction de cellules dans les organes de la vision. Dalí rend hommage à leur découvreur, le physicien alchimiste du XVIe siècle Giambattista della Porta, dont le portrait apparaît dans Phosphène de Laporte, 1932, ou encore dans La Mémoire de la femme-enfant. Monument impérial à la femme-enfant, 1929.

_24 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, pp.45-46.

_25 Salvador Dalí et Robert Descharnes, De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture modern style (1933) in Oui, Ed. Denoël/Gonthier, 1971, vol. 2, p. 29.

_26 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.21.

_27 Salvador Dalí, Les moustaches radar, 1964, éd. Gallimard, coll. Folio, 2008, p.62.

_28 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.283.

_29 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.108.

_30 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.127.

_31 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.60.

_32 Voir le chapitre « Théâtralité ».

_33 Salvador Dalí, Comment on devient Dalí, Paris, Robert Laffont, 1973, p.237 ; cité par Thierry Dufrêne, in Dalí, éd. Centre Pompidou, 2012, p.225.

_34 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, pp.17-18.

_35 Salvador Dalí, Journal d’un Génie, 1964, p.29.

_36 Salvador Dalí, cité dans André Parinaud, Comment on devient Dalí, Paris, R. Laffont, 1973, p.153.

_37 Grâce aux techniques de l’image numérique Destino sera réalisé en 2003.

_38 Salvador Dalí, La Vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.24.

_39 Salvador Dalí, Journal d’un Génie, 1964, p.19.

_40 Dalí, La Vie secrète de Salvador Dalí, 2002, p.342.

_41 Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, 1952, p.336.

_42 Salvador Dalí, La Vie secrète de Salvador Dalí, éd. par Frédérique Joseph-Lowery, Lausanne, L’Âge d’homme, 2006, pp. 720-712, cité par Elliott King, in Salvador Dalí, éd. Centre Pompidou, 2012.

_43 Salvador Dalí, Le Journal d’un génie, 1964, p.94.

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