Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Un mouvement, une période

 


LE FILM
Collection du Musée, Centre Pompidou

 

image


Nam June Paik, Zen for Film (Fluxfilm n°1), 1964
Œuvre en 3 dimensions. Installation cinématographique
Film cinématographique 16 mm vierge, silencieux
Durée : en boucle

 

Une histoire du film
Par Patricia Maincent

Un cinéma en-dehors du schéma industriel
- Relations du cinéma avec les courants d’avant-gardes : dada, cinéma lettriste et situationniste, fluxus, pop’art
- Expérimentations cinématographiques : le cinéma underground de l’autre côté de l’Atlantique, le cinéma expérimental en Europe
- Cinéma et vidéo : la question de la pellicule aujourd'hui

Quelques thématiques dans les films de la collection
- Texte et narration : le manifeste, la parodie, la narration philosophique
- Lien au réel : le journal filmé, le document, le documentaire
- Sur et autour de la pellicule : le found footage, le travail direct sur la pellicule, l’installation cinématographique

 

Les films de la collection du Musée : une actualité
Entretien avec Philippe-Alain Michaud. Par Patricia Maincent et Marie-José Rodriguez

Après Le Mouvement des images

Questions autour du corpus « Films »

 

Bibliographie

 

 

une histoire du film retour sommaire

Si le cinéma, né en 1894, a très vite été un outil de création pour les plasticiens, son entrée dans les collections du Musée national d’art moderne peut sembler tardive, puisqu’elle date de 1972 avec le film de Pol Bury et Clovis Prévost, Une leçon de géométrie plane (1971), alors que le Centre Georges Pompidou n'existe pas encore. Depuis, grâce à une politique d’acquisitions et d’achats, la collection a rassemblé quelque 1 128 films et 19 installations cinématographiques.
Le cinéma est par essence moderne. Son caractère technique naît de la Révolution industrielle, qui précipite les changements de la société de la fin du 19e siècle. La modernité, incarnée entre autres par l’industrie, l’urbanisation, la vitesse et les déplacements, trouve sa forme de représentation dans cette technique qui enregistre le réel en mouvement. Le mouvement de caméra nommé « travelling », qui veut dire voyage, concentre ces caractéristiques.

Dès l’origine, le cinéma va oblitérer sa dimension matérielle et technique, au profit d’une expérience qui se calque sur celle du théâtre (d’un côté la scène, de l’autre côté la salle) et d’un écran qui devient le lieu d’une profondeur fictive. A contrario, les artistes vont questionner toute cette part cachée de l’expérience cinématographique, analyser les divers constituants de l’image en mouvement (défilement, montage, cadrage, moyens  de projection,…). C’est cette dimension que ce dossier propose de mieux connaître, en prenant pour exemples les films parmi les plus représentatifs de la collection du Musée.
Même si les supports de l’image en mouvement se sont multipliés, entre autres la bande magnétique et le format numérique, et ont été assimilés récemment à la notion de cinéma, ce dossier reste centré essentiellement sur cette collection, soit sur tout ce qui a trait à une dimension matérielle du médium, la pellicule.

 

un cinÉma en-dehors du schÉma industriel retour sommaire

Relations du cinéma avec les courants d’avant-gardes
Un cinéma inclus dans des démarches artistiques pluridisciplinaires

Le cinéma, emblème de la modernité, fascine les artistes. Alors qu'à la fin du 19e siècle, la peinture est remise en question tant sur le plan de la forme que du sujet, le film offre une nouvelle fenêtre de projection aux plasticiens. L'influence est mutuelle entre le cinéma et des techniques traditionnelles comme la peinture ou la sculpture. Chaque courant d'idées exploite à sa manière ce nouvel outil, suscitant de nombreuses innovations tout en renouvelant notre rapport à l’image.

• Dada

En pleine Première Guerre mondiale, les dadaïstes se réunissent pour dénoncer les valeurs bourgeoises à l’origine, selon eux, du conflit. La sacralisation de l'œuvre d'art subit de violentes critiques. Mettant en question aussi bien la notion d’auteur que celle de savoir-faire, les dadaïstes trouvent dans la caméra un moyen d’expression qui répond à leur attente et à leur besoin de valeurs nouvelles.
Entr'acte (1924) de René Clair (Paris, 1898 - Paris, 1981) est tiré d’un scénario de Francis Picabia mis en musique par Erik Satie. Tous trois souhaitaient faire un film pour « sortir le public de la salle » pendant l’entracte du ballet Relâche. Ce film « qui ne respecte rien, si ce n'est le droit d'éclater de rire », disait Picabia, est une suite de péripéties absurdes et indécentes ponctuées de slogans anti-art façon dada. Dès le début du film, Picabia et Satie tirent au canon en visant la caméra, et donc le spectateur lors de la projection. Puis une foule poursuit un corbillard qui roule tout seul et finit par perdre son cercueil en plein champ. En sort un magicien qui fait disparaître les poursuivants… Provocateur et grotesque, le montage audacieux crée des associations incongrues déconstruisant la linéarité d’une trame narrative.

Hans Richter, Rhythmus 21, 1921-1924
Photogrammes
Film cinématographique 35 mm noir et blanc, sonore
Durée : 3'34"

Dans le même temps, le dadaïsme revendique un langage abstrait qui se développe au cinéma sous forme d’une peinture animée. Dans Rhythmus 21 (1921) de l’Allemand Hans Richter, des carrés et des rectangles en mouvement dessinent des surfaces de projection. Après avoir vu cette animation, l’artiste néerlandais Theo Van Doesburg commence à élaborer une théorie de l’architecture comme un agencement d’écrans.

• Cinéma surréaliste

Ce qui caractérise le surréalisme c’est la volonté de déplacer l’art du côté du documentaire (même s’il est de nature psychique) en refusant la fiction, le roman, les effets artistes. On peut d’ailleurs citer ici l’intérêt du groupe d'André Breton pour les films à caractère scientifique, notamment les documentaires animaliers de Jean Painlevé, projetés lors des expositions de groupes.
La Coquille et le Clergyman (1927) de Germaine Dulac est une adaptation d’un texte d’Antonin Artaud, dont il a dit lui-même : « Ce scénario cherche la sombre vérité de l’esprit, en des images issues uniquement d’elles-mêmes, et qui ne tirent pas leur sens de la situation où elles se développent mais d’une sorte de nécessité intérieure et puissante qui les projette dans la lumière d’une évidence sans recours. » Caractéristique d'un nouveau genre littéraire, cette écriture d’Artaud  a fasciné la réalisatrice par son langage aux procédés cinématographiques, montage, contraste de dimension, ou encore rapidité.

Cinéma lettriste et situationniste

Maurice Lemaître, Le film est déjà commencé ?, 1951
Film cinématographique 35 mm, noir et blanc, sonore
Durée : 58'38"
Assistance : Marcelle Dumont-Billaudot
Avec les visages et les voix de Marcelle Dumont-Billaudot, Christine Guymer, Bernard Marçay, Isidore Isou, Gil J. Wolman

La guerre conduit les artistes surréalistes aux États-Unis où ils connaissent un grand renom outre-Atlantique. Un peu isolé intellectuellement, Paris retrouve un souffle d’avant-garde en 1945 avec Isidore Isou, jeune poète roumain subversif, créateur du lettrisme, une théorie artistique ouvertement révolutionnaire fondée sur une instrumentalisation de toutes les formes sonores produites par l’homme. L’artiste Maurice Lemaître adhère à cette école d’agitateurs dès 1949 et propose une nouvelle forme de spectacle, le syncinéma, qui brise et élargit la projection classique du cinéma à "une séance" entière où le public participe : le spectacle est sur l’écran et dans la salle.
Le moyen-métrage Le film est déjà commencé ? (1951) concentre les multiples recherches pour briser le format de la séance de cinéma. Des textures abstraites sont superposées à un passage filmé, la bande-son est par moment indépendante des images et une mise en scène intervient directement dans la salle de projection ; à la première, Maurice Lemaître intervient personnellement dans le public. En combinant tous ces éléments, Lemaître crée un spectacle filmique d’un nouveau genre où la polysémie du mot cinéma prend tout son sens, le cinéma étant à la fois le système de formes et la salle de spectacle, tout comme le mot théâtre.

• Fluxus

Nam June Paik, Zen for Film (Fluxfilm n°1), 1964
Œuvre en 3 dimensions. Installation cinématographique
Film cinématographique 16 mm vierge, silencieux
Durée : en boucle

En 1961, l’Américain George Maciunas utilise le terme Fluxus pour la première fois, réunissant derrière ce nom des expérimentateurs iconoclastes, imprégnés de philosophie zen, de l’enseignement de John Cage et des travaux de Marcel Duchamp.
Zen for Film (Fluxfilm n°1) (1964) du Coréen Nam June Paik (1932-2006) est un film-dispositif. Une amorce vierge est projetée en boucle, accumulant peu à peu poussières et rayures. Sans début, ni fin, le spectacle naît de la matérialité de la pellicule et du projecteur. En retournant le regard sur l’envers du décor, Paik, dans un geste duchampien, élève la machine et la poussière au rang d’œuvre d'art. En passant dans le projecteur, la pellicule accumule les traces du temps qui passe. Film métaphysique, Zen for Film est une réflexion sur et par le dispositif.

• Pop’art

Andy Warhol, Empire, 25 juillet 1964 - 26 juillet 1964
Film cinématographique 16 mm noir et blanc, silencieux
Durée: 46'
Coréalisation : John Palmer
Caméra : Jonas Mekas

Fasciné par l’industrie du cinéma, Andy Warhol (1928-1987) utilise directement les images de stars pour ses sérigraphies. Cependant son œuvre filmée peut paraître bien austère pour un amoureux de Marilyn Monroe. Dans son utopique désir « d’être une machine », la caméra est l’outil rêvé pour ne pas intervenir directement dans la réalisation d’une œuvre. Dans Empire, tourné dans la nuit du 25 juillet 1964, un plan séquence capte pendant huit heures un plan fixe du bâtiment emblématique de la puissance de New York, l’Empire State Building. En étirant le temps, comme si elle ne faisait que restituer la réalité, la prise de vue apparente le film à une peinture ou une photo, créant un rapport morbide à l’image, lui ôtant tout le vivant de l’image en mouvement.
Les États-Unis vont voir fleurir les nouvelles avant-gardes après la Seconde Guerre mondiale. La proximité de la plus grosse industrie du cinéma va favoriser l’utilisation de la caméra par les artistes. Dans ce florilège d’écoles, on peut citer encore l’art minimal avec les gestes filmés de Richard Serra et l’art conceptuel avec les films de Robert Morris.

Expérimentations cinématographiques
Le cinéma expérimental et le cinéma underground

Au-delà de ses liens avec l'ensemble des arts plastiques, le cinéma va aussi développer des recherches spécifiques, aussi bien formellement que dans sa diffusion. Si le terme expérimental est sujet à caution, il n'en reste pas moins un terme référent pour toute une frange de cinéastes, regroupant la notion d’un cinéma indépendant, expérimentateur, parallèle, marginal... Selon l’écrivain Dominique Noguez, « est expérimental tout film où les préoccupations formelles sont au poste de commande ». Aux États-Unis, les cinéastes vont se regrouper en coopérative et l'Europe suivra par la suite ce modèle.

• Le cinéma underground de l'autre côté de l'Atlantique

En 1961, le mot « underground » est prononcé lors d’une conférence par Marcel Duchamp en réponse à une question sur l’avenir des artistes. Le terme est récupéré par l'histoire parallèle du cinéma non-commercial.
Dans les années 1960, le cinéma underground est intimement lié aux mouvements sociaux de l’époque. Ce cinéma se démarque de l’industrie professionnelle entre autres par l’emploi de la pellicule 16 mm plutôt que la classique 35 mm, plus coûteuse, et par la création d'une coopérative qui lui donne une grande liberté et lui permet de contourner la censure.

Le 28 septembre 1960, Jonas Mekas et vingt-deux autres réalisateurs indépendants (Ron Rice, Rudy Burckhardt, Jack Smith, Lloyd Williams, Robert Breer, Ken Jacobs, Gregory Markopoulos, pour en citer quelques-uns) se réunissent et fondent le groupe de New American Cinema dans le but de réfléchir aux rêves et problématiques du cinéma indépendant. Ce groupe de recherches crée, en 1962, la Film-maker's Cooperative, première organisation de distribution parallèle. Pôle incontournable pour tous les réalisateurs (Stan Brakhage, Andy Warhol, Carole Schneemann, …) cette coopérative va faire école, rassemblant des recherches très différentes, mais qui ont en commun le refus du cinéma commercial.

En se réunissant, les artistes dénoncent la censure et donnent une visibilité à des franges diverses de la société et à d'autres systèmes de valeurs. Déjà connu pour ses courts métrages sulfureux sous influence de Lautréamont, Kenneth Anger (1927, Etats-Unis) réalise, en 1963, le mythique Scorpio Rising, sorti à peu près au même moment que Flaming Creatures de Jack Smith, que nous évoquerons plus loin. Très vite censuré pour indécence, c'est surtout son iconographie homosexuelle, fétichiste et satanique qui dérange. Dans un montage très éclaté, Anger crée des liens étranges donnant des connotations symboliques et occultes au cliché américain du biker. Dans une atmosphère de sexe, d'angoisse, de religion, de violence et de mort Kenneth Anger superpose une bande-son de musiques populaires, désamorçant la gravité de certaines images.

Voir Scorpio Rising de Kenneth Anger sur Google vidéos

• Le cinéma expérimental en Europe
Dernier pays européen à s’être doté de coopératives de diffusion de cinéma expérimental, après l’Angleterre, l’Allemagne ou l’Italie, la France voit, entre 1971 et 1982, l’apparition de trois structures qui existent toujours en 2011, alors que leurs homologues continentaux ont disparus, et sont remplacés, parfois, par des structures plus récentes.
En France, donc, trois groupes historiques majeurs s'occupent de la promotion, la sauvegarde et la distribution du cinéma expérimental. Il s'agit du Collectif Jeune Cinéma, fondé en 1971, de la Paris Film Coop. Cinédoc, coopérative de cinéastes créée en 1974, et de Light Cone une association créée en 1982. Leurs multiples démarches permettent d'identifier une scène et des pratiques qui évoluent en dehors du système d'exploitation cinématographique, mais aussi en marge de l'institution muséale très présente dans le domaine artistique. Ils proposent des projections, des rencontres, maintenant une vie intellectuelle et de recherche autour des pratiques expérimentales.
Les artistes sont partie prenante de ce type de structures : le cinéaste Yann Beauvais est co-fondateur de Light Cone, Peter Tcherkassky (1958) est membre fondateur de la coopérative autrichienne, ou encore Matthias Müller (1961) organise les premiers festivals de cinéma expérimental en Allemagne.

Cinéma et vidéo : la question de la pellicule aujourd'hui

Les supports d’enregistrement de l’image en mouvement sont en constante mutation depuis les débuts des frères Lumière. Le format de la pellicule se développe allant du 35 mm au 16 mm, au 8 mm et au super 8. Malgré les spécificités de chaque format, certains paramètres comme la nécessité d'une bonne luminosité, la contrainte de durée, le coût du matériel et la nécessité d'un développement permettent d'analyser le support pellicule dans son ensemble.

Quand Sony commercialise en 1967 le portapak, caméra vidéo portable, les artistes s’en emparent  pour capturer à moindres frais de l’image en mouvement. Au départ la vidéo est liée à la télévision, soit un écran de petite taille en noir et blanc et réservé à un usage domestique. Sur la scène artistique, l'utilisation de la vidéo va donc se développer dans cette relation à l’intime, à la flexibilité de captation et à une contrainte de durée beaucoup plus souple que la pellicule (par exemple, le format le plus abordable et néanmoins onéreux est le 8 mm, il existe sous forme d'une bobine d’une durée de 3 minutes, alors que les cassettes à bande magnétique sont bon marché et d'une durée d'au moins 60 minutes).

Que la vidéo soit utilisée comme documentation ou comme outil de création, ses contraintes d’utilisation apportent des pratiques qui distinguent l'histoire de la vidéo de l'histoire du cinéma. Depuis le début des années 1990, l'incroyable avancée technologique du numérique, qui remplace la bande magnétique, tend à modifier son statut. Le gain en qualité d'image a transformé son mode de diffusion. Alors qu’elle était associée à une présentation télévisuelle, la vidéo fait soudain son apparition dans les salles de projection. De l'intimité, on passe à la salle de spectacle. Dans cette évolution, de nouveaux modes de diffusion et de conservation apparaissent dans la sphère de l’image en mouvement. Tout d'abord la souplesse de la vidéo permet une diffusion à différentes échelles, et non plus exclusivement dans une salle équipée d'un projecteur avec une copie unique de l'œuvre. Les artistes, tels Peter Fischli et David Weiss, rompent avec l'exclusivité de la pellicule et font des copies de leurs vidéos, permettant une diffusion à plus grande échelle.

Alexander Ugay, Mourning, 2004
Film cinématographique 8 mm, 16 mm, vidéo montés sur mini DV, noir et blanc, sonore
Durée : 9'55"

La qualité de l'image renvoie aussi à des époques bien spécifiques. Si l'on a parlé à propos de Zen for Film de la détérioration de la pellicule, on peut aussi évoquer les diverses trames et formats des différents supports liés à des périodes bien déterminées. En reconnaissant un support on reconnaît une époque et des comportements. Le format carré et le grain du super 8 évoquent les films de famille des années 70, la trame d'une bande magnétique les années 80 et le tube cathodique. L'artiste Alexander Ugay va jouer sur la nostalgie de ces évocations en mélangeant les supports. Son film Mourning (2004) est en 8 mm, 16 mm et vidéo, le tout transféré sur mini DV.

Sophie Calle et Gregory Shepard, No Sex Last Night, Double blind, 1995
Durée : 76'

Si, pendant longtemps, la pellicule a été convertie en vidéo pour permettre sa diffusion, on a pu observer, dernièrement, le phénomène inverse. Un film peut être tourné et monté en vidéo puis gonflé en 35 mm, c'est-à-dire converti en pellicule. Le but du kinescopage, la technique de transfert sur pellicule, peut apparaître obscure. Le support devient cher et plus difficile à diffuser. Cependant il gagne en qualité sur le plan de l'image et de la salle de diffusion. Les salles de cinéma sont dotées de meilleurs projecteurs et conçues pour que le public puisse s'immerger dans le film, alors que la souplesse de la vidéo a entraîné des modes de diffusion moins solennels.

Le film de Sophie Calle et Gregory Shepard, No Sex Last Night (1995), est un road movie filmé à 2 caméras. Chacun des protagonistes se confie à sa caméra et filme l'autre durant une traversée des États-Unis, de New York à Las Vegas où ils vont se marier. Dans ce jeu de caméras croisées, seule la souplesse de la vidéo permet à chacun d'être discret dans ses commentaires et ses points de vue. Le film a, par la suite, été transféré en pellicule permettant sa projection en salle de cinéma.

 

quelques thÉmatiques dans les films de la collection retour sommaire

On retiendra ici quelques thématiques évidemment non exhaustives, mais suffisamment caractéristiques des films d'artistes pour qu'on s'y attarde. Tout d'abord le thème du texte et de la narration, puis le lien au réel et enfin tout ce qui a trait à l'objet cinéma, sur et autour de la pellicule.

Texte et narration

Très vite assimilé au spectacle, le cinéma commercial va développer un rapport à la salle et à l’écran proche du théâtre. Cependant l'histoire du cinéma parlant ne démarre qu’en 1927, ce qui contribue à une prédominance de l'image sur le langage, amenant les réalisateurs à penser la narration de façon plus visuelle. Dans l’image en mouvement, le montage, le découpage et le cadrage apportent des éléments narratifs qui démarquent le cinéma du théâtre. L'utilisation du gros plan, de la simultanéité, de la répétition, de la désynchronisation son-images rompt avec la trame narrative théâtrale. De nombreux artistes vont questionner le rapport texte-image, l'utilisation du texte parlé et écrit, les modes narratifs, dont nous retiendrons trois aspects : le film manifeste, la parodie, la narration philosophique.

• Le manifeste

Qu’il soit à l’écrit, en direct ou en film, le manifeste expose un programme d’ordre politique ou esthétique.

Isidore Isou, Traité de bave et d'éternité, 1951
Film cinématographique 35 mm noir et blanc, sonore
Durée : 123'25"

Traité de bave et d'éternité (1951) est le manifeste lettriste d’Isidore Isou (1925-2007). Premier film de l'artiste, ce manifeste exploite et déconstruit le cinéma, son système et ses codes. Vu comme une arme de propagande pour une culture de masse, le cinéma est dénoncé pour les messages qu’il délivre de façon consciente ou inconsciente. Dans le film, une déambulation d'Isou dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés est rythmée par une logorrhée de provocations, critiques du cinéma bourgeois anticipant le situationnisme de Guy Debord, avec un humour grinçant. Dans la dernière partie, des éléments graphiques à même la pellicule sont accompagnés de poésie lettriste. La rupture du synchronisme de la bande-son et de la bande-image, appelée montage discrépant par Isou, intensifie l'écoute de la voix au ton déclamatoire. Le ton et le montage déstructuré font scandale au festival de Cannes en 1951, où il reçoit le Prix des Spectateurs d'avant-garde.

• La parodie

La parodie est un genre humoristique qui reprend les codes d'une œuvre qu'elle inverse, exagère ou travestit. Hommage ou critique, l'esprit parodique transgresse les valeurs sur un mode léger permettant des propos audacieux.

Flaming Creatures (1963), le film le plus connu de Jack Smith (1932-1989), met en scène des travestis et des jeunes femmes se prêtant à des jeux sensuels dans un décor délirant. Vu comme un remake parodique de La Femme et le pantin (1935) de Josef Von Sternberg, le film est à l'origine d'une violente condamnation et d'une interdiction de projection, encore d'actualité, pour pornographie.
Outre Sternberg, Smith s’inspire du kitsch hollywoodien, des monstres des films fantastiques des années 40, des films de vampire, le tout imprégné d'une sensualité orientaliste. Jack Smith a notamment engagé pour le tournage Francis Francine, la sheriff drag-queen du film de Warhol Lonesome Cowboys, pour sa ressemblance avec l'actrice Maria Montez dont il est un fervent admirateur. L'univers étrange de ce moyen-métrage est aussi le fruit d'une manipulation non orthodoxe. Dû au faible budget de la production, le film est tourné sur une pellicule 16 mm avec une émulsion périmée, d'où résulte une texture granuleuse et un effet de surexposition, qui donne une impression irréelle proche du rêve ou du cauchemar.

Voir des extraits du film de Jack Smith, Flaming Creatures, sur You Tube

• La narration philosophique

Marcel Broodthaers, La Pluie (projet pour un texte), 1969
Film cinématographique 16 mm noir et blanc, silencieux
Durée : 2'37"

Philosophie et poésie inventent de nouvelles formules avec la caméra. Dans son court métrage La Pluie (projet pour un texte) (1969), le Belge Marcel Broodthaers (1924-1976) écrit sous des trombes d'eau qui emportent l'encre des mots. La disparition du texte alors même qu'il vient d’être écrit est une métaphore de la place du poète, de la fluidité de sa parole, et surtout on voit là une image de la pellicule qui défile. Dans ce jeu philosophique visuel, le flux de la pensée ne se fixe pas, les mots ne prennent pas forme, mais deviennent un dessin abstrait aléatoire et mouvant qui disparaît.

Lien au réel

Évidemment, la fascination originelle de la caméra tient à son lien avec la réalité, même si beaucoup du travail de l'artiste tient au détournement qu’en fait l'outil. Comment restituer le réel ? Pourquoi ? Quels aspects l'œuvre d'art va t-elle privilégier ? Trois démarches retiennent l'attention : l'introspection sous forme de journal filmé, le document sur une œuvre et le documentaire.

Le journal filmé

Genre cinématographique, le journal filmé est un journal intime ou une autobiographie en film. Dans la pratique, plusieurs démarches sont à l'œuvre, de l'autofilmage (le fait de se filmer soi-même) au refilmage de souvenirs, documents, en passant par la confidence en voix off. Ce genre développe une écriture singulière et intime en décalage avec la théâtralité de la projection.

Jonas Mekas, Lost, Lost, Lost, 1949-1976
Film cinématographique 16 mm noir et blanc et couleur, sonore
Durée: 178'
Distributeurs : Light Cone, Film-Makers'Cooperative
Achat 1999 - AM 1999-F1406

L'artiste américain d'origine lituanienne Jonas Mekas (1922) a développé ce genre, notamment dans Lost, Lost, Lost (1949-1976). Durant les trois heures du film, quinze années de 1946 à 1963 défilent, dans lesquelles l’histoire personnelle de Mekas immigrant se mêle à l'histoire des États-Unis – celle de la guerre du Vietnam − et à l’histoire artistique de la coopérative qu’il va créer. « ...La période que je décris à travers ces six bobines de film fut une période de désespoir, de tentatives pour planter désespérément des racines dans cette terre nouvelle, pour créer des souvenirs. À travers ces six douloureuses bobines, j'ai essayé de décrire les sentiments d'un exilé, mes sentiments pendant ces années-là... » (Jonas Mekas, 31 mars 1976, extrait des notes à la sortie du film).
Dans cette écriture autobiographique se lit un destin personnel qui rejoint celui de tant d'exilés. Les souvenirs sont comme une terre oubliée que Mekas tente de retrouver et de recomposer. Il invente une écriture qui raconte le tâtonnement de l'esprit. Ses confidences en voix off, son utilisation des gros plans, ses images incomplètes, son montage comme un collage d'images, le tremblement de sa caméra en main font ressurgir la logique désordonnée du souvenir. Dans cette poésie, le cerveau recompose le fil d'une pensée parcellaire et subjective, qui correspond au cheminement de notre mémoire.

• Le document

Alors que la performance et la notion d'éphémère parcourent le questionnement artistique, la caméra vient pérenniser subjectivement un événement, faisant œuvre d'une œuvre. Le cadre de la caméra crée un point de vue qui devient la trace d'une démarche. Le mode de fonctionnement est vaste, allant de la simple caméra de « surveillance » qui propose un plan fixe et directe sur une performance, à la subjectivité d'un réalisateur qui suit tout le processus d'un artiste, en passant par la pratique de l'auto-filmage permettant à l'artiste lui-même de filmer sa performance.

Gordon Matta-Clark, Conical Inter-Sect, 1974
Paris, rue Beaubourg. Réalisé dans le cadre de la Biennale de Paris de 1975
Film cinématographique 16 mm couleur, silencieux
Durée : 17'52"

Conical Inter-Sect (1974) est une œuvre de Gordon Matta-Clark (1943-1978) réalisée dans le cadre de la Biennale de Paris de 1975. Lors de la construction du Centre Georges Pompidou, Matta-Clark découpe un cône géant dans l'immeuble situé 29 rue Beaubourg, créant un panorama inédit sur les travaux de construction du Centre. Le cutting, pratique de découpes de volumes dans des bâtiments abandonnés, a déjà fait la célébrité de Matta-Clark. Mais, au-delà de l'aspect formel impressionnant, il y a une volonté de libérer les espaces d'habitations de leurs contraintes sociales et utilitaires, en cassant leurs fonctionnalités. Le film permet d'appréhender les différents aspects de la démarche éphémère de l'artiste.

• Le documentaire

Le documentaire est principalement assimilé à un format codifié pour la télévision (52 mn) ou le cinéma (long métrage), avec des contraintes liées à leur mode de diffusion et au public. Des artistes vont proposer un regard singulier sur un événement, un lieu, un objet ou autre sans pour autant adapter leur regard à ces formats prédéterminés. La liberté de ton, de format permet une forme d'œuvre réfléchie par rapport à l'objet d'étude.

Tacita Dean, Kodak, 2006
Œuvre en 3 dimensions. Installation cinématographique
Projection continue sur écran intégré dans le mur
Film 16 mm, noir et blanc et couleur, sonore
Durée : 44'

Kodak (2006) de Tacita Dean (1965, Royaume-Uni) est un hommage aux usines Kodak de Chalon-sur-Saône. Alors que les usines vont disparaître, Tacita Dean filme le processus de développement de la pellicule. Auto-référentiels, les plans montrent les machines utilisées pour développer la pellicule, elle-même en train de tourner dans le projecteur. Le parallèle entre le travail de développement et le mode de projection est renforcé par la présence du projecteur dans la salle. Le temps de développement de la pellicule et celui de visionnage se confondent renvoyant à la notion de déroulement. Le temps défile et file emportant les objets, et la pellicule tout en se déroulant a fixé définitivement ce qui n'est plus.

Sur et autour de la pellicule

Une réflexion sur les composants du cinéma est le point de départ d'une création qui détourne et exploite les capacités du médium. La démarche de récupération du found footage, les développements visuels sur la pellicule et l'utilisation de l'espace sont trois aspects importants de la créativité audiovisuelle.

Le found footage

La production d'images au cours du siècle dernier est exponentielle. Non seulement l'industrie du cinéma est devenue la plus grosse industrie dans l'économie des médias mais le développement d'un matériel amateur a aussi produit beaucoup de matières filmiques. À partir de cette masse d'images, une forme d'appropriation va voir le jour. Le found footage, littéralement métrage trouvé, consiste en un remploi de matières filmiques, déchets de films, films de famille, séries B... Dès 1969, Jonas Mekas prédit l'importance du procédé : « Je gage que l'entière production hollywoodienne des quatre-vingts dernières années pourra devenir un simple matériau pour de futurs cinéastes. » Cette technique permet de fragmenter, détourner, déconstruire mais aussi d’assembler des éléments de qualité et d'univers différents.

Bruce Conner, A Movie, Un film, 1958
Film cinématographique 16 mm noir et blanc, sonore
Durée : 11'

A Movie (1958) de Bruce Conner est un condensé de cinéma articulant chutes de documents visuels, images trouvées dans les séries B, les films d'actualité et de soft-porn. L'ensemble est monté sans narration linéaire, explosion thermonucléaire, couronnement du pape, pendaison de Mussolini à un croc de boucher... C'est un genre de jeux visuels comme on peut parler de jeux de mots. Très représentatif de la technique du found footage, Bruce Conner a marqué l'histoire du film aussi pour son utilisation de la musique et son rythme de montage. Il est considéré comme le père du vidéo-clip.

• Le travail direct sur pellicule

Si la pellicule a été inventée pour être développée, elle va être détournée pour devenir le support direct de recherches graphiques à la manière d'une feuille de papier. Le réalisateur néo-zélandais Len Lye (1901-1980) est l'inventeur du direct film, film d'animation exécuté directement sur la pellicule, sans prise de vue. Selon lui, « puisque l'on est capable de composer de la musique, il devrait être possible de composer du mouvement. Après tout, il existe des figures mélodiques, pourquoi n'existerait-il pas des figures du mouvement ? ». Une fois la pellicule noircie par un développement, elle peut être grattée, délavée, colorisée... Utilisée vierge, la pellicule est transparente, permettant des applications directes et des jeux de transparence.

Len Lye, Kaleidoscope, 1935
Film publicitaire pour les cigarettes Churchmans
Film cinématographique 35 mm couleur, sonore
Durée : 3'20"

Pour le film Kaleidoscope (1935), Len Lye a été sponsorisé par le fabricant de cigarettes Churchmans. Des pochoirs en forme de cigarette s'animent sur la pellicule. Rythmées par une musique cubaine, des formes abstraites créent un flux continu aux couleurs vives. Pour raviver encore la luminosité, certaines formes sont découpées permettant à la lumière du projecteur d'illuminer directement l'écran. L'écran est une toile sur laquelle la peinture s'anime.

• L’installation cinématographique

Si la notion d'espace est intrinsèque au mot cinéma, puisqu'il désigne aussi bien la salle que le système de formes, l'installation cinématographique développe cette polysémie, en s'attachant à questionner l'espace de projection autant que la projection elle-même.

L'installation de l'artiste hollandaise Marijke Van Warmerdam (1959), Skytypers (1997), est une projection continue dans un espace avec une lumière ambiante, le projecteur devant être visible et à une distance de 8 mètres de l'image projetée sur un écran suspendu. Le film en 16 mm est silencieux, si ce n'est que la présence du projecteur crée un son en accord avec l'image.
Sur l’écran, surface bleue du ciel, des avions volent en dessinant des lignes avec de la fumée. Le bruit des réacteurs se confond avec le ronronnement continu du projecteur, suscitant un parallèle entre l’histoire et la technique de l'aviation et du cinéma, deux fleurons de l’ère industrielle. L'artiste prend le ciel comme toile et des avions en guise de pinceaux, geste pictural démesuré, pour créer un tableau abstrait en mouvement.

 

Conclusion

Ces dernières années, un nouveau regard sur le cinéma a vu le jour. Dans une approche transdisciplinaire de l'œuvre d'art, l'écran a pris place sur les cimaises à côté de la peinture. L'accrochage thématique de la collection du Centre Pompidou Le Mouvement des images, en 2006, a marqué un peu plus cette rupture. Et maintenant nul ne s'étonne des films qui jalonnent les parcours plus classiques du musée, complètement intégrés dans l'accrochage. Les démarches filmiques des artistes bénéficient aussi d'une programmation spécifique au Centre, signe de l'intérêt particulier qu'on leur accorde.

Patricia Maincent

 

 

Les films de la collection du MusÉe : une actualitÉ retour sommaire

Rencontre avec Philippe-Alain Michaud, responsable de la collection de films du Musée.

aprÈs le Mouvement des images… retour sommaire

Le Mouvement des images, Musée, 4e niveau, 2006
L'installation de l'artiste hollandaise Marijke Van Warmerdam, Skytypers
Photo Georges Meguerditchian

Marie-José Rodriguez. Vous avez été le commissaire de l’accrochage Le Mouvement des images en 2006 qui montrait comment le dispositif cinématographique (défilement, montage, projection, récit) avait pu rejaillir sur la création plastique. Votre approche des relations de l’histoire de l’art et du cinéma vous a conduit aussi à renommer la collection de films expérimentaux du Musée. Un changement qui n’a rien d’anodin.

Philippe-Alain Michaud. Parler de « film » est une manière d’insister sur la dimension matérielle du médium. Le cinéma industriel, le cinéma distribué dans les salles, induit une dématérialisation complète de l’expérience cinématographique. L’écran fonctionne comme une fenêtre transparente à travers laquelle une profondeur fictive se déploie. Avec le film tel que nous le conservons et diffusons, en revanche, le dispositif scénique s’inscrit dans l’espace du spectateur, ou du visiteur, que ce soit dans le cadre des projections ou dans celui des expositions. La grande différence entre ces deux cinémas n’est donc pas qu’ils soient narratifs ou non, traditionnels ou expérimentaux – il n’y a qu’une petite partie du cinéma dit expérimental qui le soit vraiment – mais que l’un reconnaît la dimension matérielle du dispositif filmique, ce qui n’est pas le cas de l’autre. On voit ainsi très bien comment cette conception du film se rapproche du mode d’inscription dans l’espace de la peinture ou de la sculpture.

M.-J.R. Dorénavant présents dans les accrochages à côté des œuvres plastiques, que ce soit au Centre Pompidou-Paris ou au Centre Pompidou-Metz, les films de la collection font aussi l’objet d’une programmation hebdomadaire, d’une nouvelle série de DVD, d’expositions « hors les murs »… Ce qui était un galop d’essai, avec Le Mouvement des images, a pris aujourd’hui sa vitesse de croisière.

Hans Richter, Rhythmus 21, 1921-1924
Photogramme
Film cinématographique 35 mm noir et blanc, sonore
Durée : 3'34"

P.-A.M. Nous sommes, ici, au Musée, à la place idéale pour faire ce travail de déplacement du film, de l’histoire du cinéma vers l’histoire de l’art. Le film est désormais une partie intégrante de chacun des nouveaux accrochages, moderne et contemporain. Leur choix et confrontation aux autres œuvres sont faits avec les responsables des différents secteurs des collections. Pour le dernier accrochage des collections modernes, la sélection a été réalisée avec Jean-Paul Ameline et Jean-Michel Bouhours. À Metz, ce sont les équipes du nouveau Musée qui l’ont conçue.

Le film est aussi présent dans les expositions. Pour l’exposition De Stijl, organisée ici au Centre Pompidou, de décembre 2010 à mars 2011, Rhythmus 21 de Hans Richter, par exemple, s’imposait car c’est à partir de ce film que Theo van Doesburg commence à élaborer une théorie de l’architecture comme agencement d’écrans, dérivée de l’expérience du film. Rhythmus 21 est un film d’animation abstrait fait de rectangles blancs, gris, noirs, de lignes qui se referment ou s’ouvrent. La conception de l’image y est entièrement déductive, c’est-à-dire que tout ce qui apparaît est déduit de la forme même de l’écran.

En dehors de ces accrochages, nous préparons des expositions de films. Pour la réouverture du Dortmund Museum am Ostwall, en décembre, l’exposition Bild für Bild reprend les thématiques du Mouvement des images, avec un choix d’œuvres renouvelé des collections du Musée.
Pour l’exposition Nuits électriques, qui ouvre en décembre à Moscou à la Maison de la photographie, puis en mars 2011 au Laboral de Gijon en Espagne, l’idée est de montrer le spectacle filmique comme un prolongement, à l’ère de la reproductibilité, des spectacles de feux d’artifice de l’âge classique. Nous travaillons actuellement sur la scénographie. La présentation des films devrait s’inspirer de ces spectacles : les écrans, accrochés très haut, fonctionneront ensemble, les films choisis relèveront plutôt de l’ornemental, l’ornemental étant une façon de visiter l’histoire du film.

M.-J.R. Avec le cycle Film, nous sommes dans le cadre d’une projection classique.

Ce rendez-vous hebdomadaire tourne autour de la collection et en contrepoint autour des expositions. Pour Promesses du passé, par exemple, nous avions rassemblé, avec les commissaires de l’exposition, un corpus de films inédits en Europe de l’Ouest. En janvier 2011, les séances porteront sur des films inspirés par l’expérience visuelle de De Stijl. Par ailleurs, nous continuons à inviter des conférenciers à choisir un film dans la collection et à le commenter. J’aime bien cette forme mixte, entre parole et projection. Tous les mercredis, ce cycle est présenté dans la Petite salle, 144 places, et la salle est souvent pleine. Le public s’est longtemps limité au public expérimental parisien. Maintenant, il y aussi des historiens de l’art, des étudiants, des artistes, de plus en plus de liens se créent avec le public du Musée. Le catalogue de la collection, qui sera réédité fin 2011, reprendra l’ensemble de ces conférences.

M.-J.R. Quels sont les premiers titres de DVD réalisés avec les films de la collection ?

Laszlo Moholy-Nagy, Impressionen vom alten marseiller Hafen
Marseille vieux port, 1929
Première mondiale du film au cinéma Kamera à Berlin le 4 mars 1932
Film cinématographique 35 mm noir et blanc, silencieux
Durée : 9'25"

P.-A.M. Il y a, en fait, plusieurs collections, l’une réalisée en lien avec les expositions, une seconde thématique – nous n’éditerons pas de monographies –, une troisième en direction du public jeune. Un premier DVD sort pour l’exposition De Stijl avec des films de Hans Richter, Werner Graeff, ou Robert Breer très inspiré par le néo-plasticisme. Les deux premiers titres de la collection thématique sont consacrés à la ville. La Ville moderne − avec des films comme Manhatta de Charles Sheeler et Paul Strand tourné à New York en 1921, Marseille vieux port, 1929, de Moholy-Nagy, ou 16 X d’Igor et Svetlana Kopystiansky réalisé à Moscou en 1987 − est une manière de montrer l’interaction entre l’émergence de l’architecture moderne, la géométrisation de l’espace, la vitesse et les effets produits sur la production du film. En diptyque, la Ville des chiffonniers, en rassemblant des documentaires sociaux qui traversent le 20e siècle, montrera l’envers noir de la modernité, avec ses taudis, sa pauvreté, la zone.

Autre thème sur lequel nous travaillons : le Bricolage. Il s'agit, là, de repartir de la théorie de Claude Lévi-Strauss pour décrire une classe d'objets filmiques composés de manière empirique, par approximations successives et emprunts de techniques à d'autres medium ; il y aura, par exemple, ceux de Cécile Fontaine − qui utilise des sparadraps et des produits de vaisselle pour décoller les émulsions sur des films déjà impressionnés (home movies, films de série...) − ou de Jennifer West qui utilise des produits de beauté (parfum, cold cream), des produits de cuisine (ketchup, mayonnaise) pour réaliser des abstractions colorées...

Nous inaugurerons la collection éditée pour les jeunes avec un DVD intitulé Kaléidoscope. L’idée est de retrouver la trace, dans l'histoire du cinéma non narratif, du jouet optique commenté par Charles Baudelaire et par Walter Benjamin − dans lequel ce dernier voyait une forme pré-cinématographique −, associant miroirs et fragments d'objets pour créer des dispositifs géométriques ornementaux indéfiniment recomposés.

 

Questions autour du corpus « films » retour sommaire

Rodney Graham, Rheinmetall/Victoria 8, 2003
Installation cinématographique
Projection continue dans une salle blanche
Le projecteur et le boucleur sont posés sur un socle tapissé en gris
Film cinématographique 35 mm couleur, silencieux
Durée : 10'50" en boucle
3/5
Achat 2004 - AM 2004-F21

Patricia Maincent. Faîtes-vous une distinction entre ce cinéma qui montre son dispositif et l’installation où le dispositif est partie intégrante de l’œuvre, comme par exemple Rheinmetall/Victoria 8 de Rodney Graham ? Je situe, pour ma part, cette installation entre sculpture et cinéma.

Philippe-Alain Michaud. Non. Je ne fais aucune distinction. De fait, cette œuvre de Graham est dans notre collection de films. C’est une manière de montrer que le cinéma a quelque chose à voir avec la sculpture et c’est l’aspect sur lequel la pièce de Rodney Graham fonctionne.
Pour moi la projection cinématographique conventionnelle est un cas particulier de l’installation. On a fini par considérer le fait d’aller au cinéma comme la seule expérience cinématographique. En fait, sa naissance dans les années 1910 n’est pas du tout contemporaine de la naissance technique du cinéma. L’espace de la salle est un héritage du théâtre à l’italienne reposant sur une séparation entre une scène encadrée par un arc et une salle aménagée en gradin selon un point de vue optimal unique. Le cinéma industriel a été une adaptation du cinéma aux conditions de la théâtralité. Et le cinéma qu’on a appelé expérimental, et que j’appelle simplement le film, a été le signe que l’expérience du film ne se confondait pas avec celle du cinéma industriel et par extension avec l’expérience de la théâtralité.

P.M. Il y a toute une partie des films de la collection dans laquelle la neutralité impose cette théâtralité.

P.-A.M. La salle est un endroit idéal pour regarder un certain type de cinéma, mais elle fait perdre d’autres expériences, comme celle de la durée. Beaucoup de films ont des durées non standard, de 7 heures ou de 2 minutes. Dans le cinéma industriel le long métrage de fiction étant la mesure de tout le cinéma, il faut intégrer ces films à des programmes pour pouvoir les diffuser et donc, de facto, les transformer en courts métrages.
De plus, la salle de cinéma étant connotée par l’industrie du film, son public est un public issu de l’histoire du cinéma et non de l’histoire de l’art. Ballet mécanique projeté dans une salle de cinéma s’inscrit dans le contexte du cinéma narratif des années 20. Montré dans une salle de musée, il entre en relation brusquement avec les papiers collés, le cubisme… Par ailleurs, parler de cinéma expérimental entérine une sorte de faille entre l’histoire qui se met en place autour de 1920 pour durer jusque dans les années 90 et la pratique des artistes contemporains qui travaillent avec le film en édition limitée, et dont la diffusion des œuvres passe par les galeries.

P.M. Il y a quand même une façon d’aborder ce cinéma, même si c‘est pour l’ouvrir sur les arts plastiques, il y a quand même pour vous ce lien qui est la pellicule.

P.-A.M. La pellicule est un mode d’expression du cinéma. Le corpus dont je m’occupe est le film. On trouve dans l’histoire de l’art, y compris une histoire de l’art qui s’intéresse à des périodes très anciennes, des dispositifs de mise en mouvement des images qui ne passent pas du tout par l’appareillage technique des films.
Hollis Frampton raconte une belle fiction à ce propos : un archéologue américain découvre dans une grotte au Nouveau Mexique des rouleaux de boyaux de chiens sur lesquels sont inscrits des cryptogrammes ; il découvre que ces images ont été tracées par les ancêtres des Hopis, 2000 ans avant Jésus-Christ, pour être projetées sur les murs par un système de réflexions sur des bassines remplies d’eau. Magnifique apologue sur le fait que le cinéma n’a jamais été inventé ! C’est d’ailleurs Frampton qui disait que désormais on appellerait la discipline dont il s’occupait, le film.

P.M. La coupure entre la tradition expérimentale et la vidéo est-elle aussi toujours d’actualité ?

P.-A.M. Au moment où la vidéo apparait, les artistes qui travaillent avec les moyens vidéo et ceux qui travaillent avec les moyens traditionnels du film produisent des œuvres radicalement différentes. Il y a une gestion différente de la temporalité dans les deux medium, les effets ne sont pas les mêmes, la vidéo n’étant, de plus, pas faite pour la projection mais pour la diffusion sur moniteur. Les artistes qui, dans les années 70-80, travaillent en vidéo se servent aujourd’hui, autant que les cinéastes, du numérique. La coupure entre vidéo et film a un sens historique mais il n’y aucune raison de continuer à maintenir cette distinction.

Propos recueillis par M.-J.R.

 

 

Bibliographie retour sommaire

Catalogues

Le Mouvement des images, éditions Centre Pompidou, 2006
L’art du mouvement, éditions Centre Pompidou, 1996

Ouvrages

François Albéra, L'Avant-garde au cinéma, Armand Colin, 2005
Dominique Païni, Le temps exposé. Le cinéma, de la salle au musée, éditions Cahiers du cinéma, collection Essais, 2002
The New American Cinema, éditions Jon Lewis, 1998
Dominique Noguez, Éloge du cinéma expérimental, éditions Centre Georges Pompidou, 1979

Liens internet

Dossier pédagogique Le Mouvement des images, Centre Pompidou, 2006
Dossier pédagogique John Cage, le génie ingénu
Dossier pédagogique Sons & Lumières. Une histoire du son dans l’art du 20e siècle
Dortmund Museum am Ostwall : Bild für Bild – Film und zeitgenössische Kunst. Aus der Sammlung des Centre Pompidou, du 8 octobre 2010 au 13 février 2011
Maison de la Photographie, Moscou : Nuits électriques, à partir de décembre 2010
Laboral, Centro de Arte y Creación Industrial, Gijon, Asturies : Nuits électriques, à partir de mars 2011
Light Cone, association de distribution, promotion et sauvegarde du cinéma expérimental
Anthology film archives, centre international pour la préservation, l’étude et la diffusion du film expérimental et de la vidéo, fondé en 1969 par Jonas Mekas, Jerome Hill, P. Adams Sitney, Peter Kubelka et Stan Brakhage

DVD

La Ville moderne. Films de la collection du Musée, Centre Pompidou

 

 

Pour consulter les autres dossiers sur les expositions, les collections du Musée national d'art moderne, les spectacles, l'architecture du Centre Pompidou
En français 
En anglais 


Contacts
Afin de répondre au mieux à vos attentes, nous souhaiterions connaître vos réactions et suggestions sur ce document
Vous pouvez nous contacter via notre site Internet, rubrique Contact, thème éducation

Crédits
© Centre Pompidou, Direction des publics, décembre 2010
Texte : Patricia Maincent. Entretien : Patricia Maincent et Marie-José Rodriguez
Pour les œuvres (sauf indications) : Adagp, Paris 2010
Pour les œuvres : Adagp, Paris 2010
Design graphique : Michel Fernandez
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques