Dossiers
pédagogiques
Parcours
exposition
17 octobre 2007 – 11 fÉvrier 2008, Galerie 1, niveau 6
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Nu debout sur socle cubique, 1953, Coll. Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris, © Adagp, Paris, 2007 |
Introduction à l’exposition
L’atelier comme laboratoire
Du Primitivisme au Surréalisme
Les premières années
De l’objet à la vision
Remettre en cause la ressemblance
Épuiser le modèle, recommencer
sans fin
L’artiste à l’œuvre
L’œuvre et son espace
Inclure le vide et la distance
Bibliographie
Le Centre Pompidou, Musée national d’art moderne organise, en partenariat avec la Fondation Alberto et Anne Giacometti, l’exposition intitulée « L’Atelier d’Alberto Giacometti ». Réunissant plus de 600 œuvres, l’exposition aborde pour la première fois toutes les facettes de la création de Giacometti : peintures, sculptures, objets d’art décoratif, dessins, estampes, écrits. Elle offre un regard nouveau sur les modes de création de l’artiste dont l’atelier est le laboratoire. L’exposition puise essentiellement dans les collections de la Fondation et accorde une importance particulière à la diffusion de l’œuvre sculptée, révélant des aspects à ce jour méconnus de l’œuvre de l’artiste.
Ce dossier, conçu à l’attention des enseignants, propose d’interroger l’œuvre
de Giacometti à partir de quatre moments forts de sa création :
- les
premières années ou Du Primitivisme au Surréalisme,
-
la remise en cause de la ressemblance et le passage qui s’opère De
l’objet à la vision,
- l’artiste à l’œuvre, Épuiser le modèle,
recommencer sans fin,
- la singulière relation qui se noue de L’œuvre à son
espace.
Alberto Giacometti (1901, Stampa en Suisse – 1966, Coire en Suisse) nait dans un milieu artistique, son père Giovanni est un peintre impressionniste réputé, son oncle Augusto est aussi un peintre suisse connu. Giacometti, encouragé par son père, dessine depuis son plus jeune âge. En 1915 il décide de devenir peintre et s’inscrit à l’Ecole des beaux-arts de Genève.
Un premier voyage en 1920 en Italie lui révèle Tintoret, Giotto, Cimabue, mais aussi l’art égyptien. Il découvre le Futurisme italien, lit et illustre les tragiques grecs. Arrivé à Paris en 1922 il suit les cours de Bourdelle. En 1927 il s’installe dans l’atelier minuscule du 46 rue Hippolite-Maindron qu’il ne quittera plus. Il rencontre André Masson et Michel Leiris, surréalistes dissidents, quitte l’atelier Bourdelle et renonce au travail d’après nature.
Il expérimente alors plusieurs langages plastiques : celui de l’avant-garde (le Cubisme tardif de Picasso, Laurens, Lipchitz), comme celui des arts archaïques et primitifs très présents à Paris. Son intérêt se porte ainsi sur la sculpture égyptienne, sumérienne et cycladique, sur l’art nègre, l’art océanien et d’Amérique latine, mais aussi sur l’art de la Renaissance italienne connu au cours de ses voyages en Italie. Jusqu’en 1935, moment où il décide de revenir vers le modèle, sa relation à l’art primitif sera marquante. Le Primitivisme lui permettra de se libérer à la fois de la tradition de la sculpture classique et des constructions cubistes.
Femme cuillère, 1927Femme, Homme, Couple, ces titres reviennent souvent chez Giacometti, pour nommer ses sculptures de la fin des années vingt. Femme cuillère est l’œuvre la plus importante de cette période.
Cette figure, de taille humaine, relève en même temps de l’art tribal africain, de l’abstraction, par la pureté des formes et la simplification du langage, et annonce dans sa frontalité la présence de l’être humain que l’artiste a recherchée sans cesse. Comme le souligne Rosalind Krauss : « Femme cuillère […] reprend la métaphore que l’on trouve souvent dans la cuillère à riz dan, où la partie creuse de l’ustensile est rapprochée de la partie inferieure du corps de la femme vue comme réceptacle, poche ou cavité. » (« On ne joue plus », étude sur Giacometti, in L’Originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, 1985, Macula, 1993.)
Mais, contrairement aux statuettes africaines aux formes plus naturalistes, Giacometti va vers la généralisation en stylisant à l’extrême les formes. Par l’importance accordée à l’élément central, la concavité de la cuillère renvoyant à l’utérus féminin, la femme est ici, comme dans certaines Vénus de l’art des Cyclades, ramenée à sa fonction primaire de mater-matrice. Malgré les emprunts à l’art ancien et à l’art du 20e siècle, Femme cuillère est une des premières grandes figures féminines solennelles et figées de l’œuvre de Giacometti.
Femme [plaque II], vers 1928-29
Bronze, 39,4 x 17 x 7,8 cm
Coll. Fondation Alberto et Annette Giacometti,
Paris
FAAG 1994-0118
Entre 1927 et 1929, Giacometti réalise une série de sculptures aux formes très sommaires appelées Plaques, titre général qui renvoie à leur côté plat. Reinhold Hohl, spécialiste de l’œuvre de Giacometti, les considère comme « les premières concrétisations des problèmes de perception explorés pendant des années » par l’artiste. S’affranchissant à la fois du travail d’après modèle de Bourdelle, des reliefs plats des post-cubistes, Laurens et Lipchitz, Giacometti trouve avec ses monolithes une solution à sa volonté de rendre à la fois l’ensemble et le détail.
Des formes géométriques, rectangles, carrés, losanges, traduisent des Têtes, des Femmes, des Hommes. Des légères scarifications en rythment la surface lisse, parfois concave parfois convexe selon la partie corporelle représentée. Femme de 1928-29 est, comme les autres figures de la série, d’une géométrie essentielle : le rond en haut figure la tête, les incisions des deux côtés les ondulations des cheveux, la partie concave le ventre. Le piédestal pourrait être à la fois pieds de la femme et socle de la sculpture.
Entre la forme compacte de la sculpture de face et son mince profil, il y a une différence frappante. Si la vue frontale de ce bloc renvoie à un corps féminin à peine évoqué dont la surface porterait l’empreinte, vue de profil la sculpture présente un bord effilé et « tranchant » qui lui confère toute sa tension. Entre absence et présence menaçante Femme [Plaque II] témoignerait déjà de « l’ambivalence » qui caractérise l’œuvre de Giacometti. (Cf. Agnès de la Beaumelle, in Alberto Giacometti, La Collection du Centre Pompidou, 1999.)
La Boule suspendue, 1930-1931Avec Femme couchée qui rêve, 1929, œuvre habitée par l’air qui la traverse, l’artiste s’approche des surréalistes et d’une de leurs principales préoccupations : le rêve - dans cette œuvre, le rêve est suggéré par les ondulations qui renvoient aussi aux formes féminines. Mais c’est avec Boule suspendue qu’il attire toute leur attention. L’œuvre, en plâtre avec des tiges de métal, sera ensuite réalisée en bois par un ébéniste. André Breton achètera cette version en 1932, la placera au cœur de son célèbre mur et la qualifiera comme une réalisation fondatrice du Surréalisme.
En 1931, le Surréalisme est en crise. Sollicité par Breton à rejoindre le mouvement, Giacometti accepte son invitation, bien qu’il fréquente certains de ses dissidents, Masson, Desnos, Leiris, Artaud et Bataille, réunis autour de la revue Documents. Cette revue porte un grand intérêt à l’art primitif et Boule suspendue, qui est à l’origine de la vogue surréaliste pour les « objets à fonctionnement symbolique » (Dali), a beaucoup à voir, comme le souligne Rosalind Krauss, avec sa relation à l’art primitif.
L’objet de la sculpture se situe dans un dispositif d’optique formé par la cage en métal. Ce dispositif soulignant et éloignant à la fois l’objet, fait appel au désir de voir du spectateur, la pulsion scopique dont parle Freud, si cher aux surréalistes. Au centre d’une cage donc, une boule suspendue par un fil et fendue en son milieu, effleure une espèce de croissant suggérant à la fois la douceur de la caresse, rendue aussi par la rondeur de l’objet, et la violence de l’incision soulignée par l’arête tranchante du croissant. La dimension érotique est ici évidente, ainsi que l’ambivalence des deux éléments en question, chacun participant des deux registres : féminin et masculin. Les critiques ont vu aussi que le croissant peut renvoyer au sexe féminin ou à la corne d’un taureau, allusion à Histoire de l’œil, de Georges Bataille, dont Giacometti était proche. Dans ce récit la corne de taureau pénètre le torero et le tue en l’énucléant.
Boule suspendue implique l’idée de mouvement et se relie ainsi à une forme d’art cinétique à composante émotionnelle, comme le Grand Verre de Duchamp, la mécanique en jeu étant dans les deux cas sexuelle ainsi que la composante sadique qui s’y rattache. Erotisme, ambivalence des désirs inconscients, rêve, les œuvres de cette période, comme aussi Vide-poche (1930), Objet désagréable (1931), Objet désagréable à jeter (1931) ont de quoi séduire les surréalistes. Giacometti sera exclu du mouvement par Breton en 1935 car l’artiste, voulant approcher le réel de la sensation, revient au travail d’après nature.
Alberto Giacometti est très proche d’écrivains
et poètes. Avant André Breton qui écrira des pages admirables
sur l’artiste, Giacometti fréquente Georges Bataille, Michel Leiris,
Antonin Artaud et, dès le début des années trente, écrit des poèmes,
des souvenirs, des textes sur ses œuvres qui paraissent dans la
revue Le Surréalisme au service de la révolution,
entre 1933 et 1934.
Plus de dix ans après sa rupture avec le Surréalisme,
en décembre 1946, il publie dans Labyrinthe, revue d’Albert
Skira, le texte célèbre : Le Rêve, le Sphinx et la mort de
T. Texte encore marqué par le Surréalisme car centré sur la libre
association inconsciente d’images et de souvenirs anciens et récents où
le rêve envahit la réalité et où domine l’étrange et l’inquiétant.
Les différents textes de Giacometti sont réunis dans le recueil : Alberto
Giacometti, Ecrits, Paris, Hermann, 1990.
Riches en force visuelle
les écrits de Giacometti
témoignent de ce lien névralgique et toujours à questionner entre
le texte et l’image. De Léonard de Vinci à Giacometti, en
passant par Delacroix, Cézanne, Picasso, Miró, nombreux sont
les artistes qui ont été attirés par l’écriture. L’œuvre plastique
et littéraire de Giacometti pourra être le lieu d’un questionnement
impliquant plusieurs disciplines d’enseignement et en particulier
la littérature et les arts plastiques.
Entre 1935 et 1940 Giacometti décide de revenir au modèle afin de réaliser les compositions qu’il a en tête. De 1940 à 1941, il le délaisse pour travailler d’après mémoire. Têtes et figures deviennent alors minuscules, à la limite du visible. A cette époque l’artiste se lie d’amitié avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Dans les mêmes années il rencontre à Genève Annette Arm qui deviendra sa femme.
De retour à Paris en 1945, dans son atelier rue Hippolite-Maindron, il reprend la sculpture des nus et des têtes. Le dessin lui permet de garder aux sculptures une certaine taille, mais elles s’allongent et s’amincissent malgré lui. Il détruit et recommence pour aboutir aux mêmes sculptures filiformes et étirées, les seules qui correspondent à sa vision de la réalité.
Qu’il s’agisse d’un travail d’après modèle ou d’après mémoire, Giacometti instaure un éloignement de l’objet et s’attache à ce qu’il appelle la vision. Quelque chose qui, se libérant de la ressemblance, touche à la présence d’un être ou d’une chose et qui serait proche de l’adage de Cézanne disant : « Je vous dois la vérité en peinture et je vous la rendrai. » La vérité en question étant celle de la sensation.
Comme le souligne Sartre, le jour où Giacometti instaurera cette révolution copernicienne dans le domaine de l’art, il détiendra son œuvre. « En prenant à contre-pied le classicisme, Giacometti a restitué aux statues un espace imaginaire sans parties. En acceptant la relativité, il a trouvé l’absolu. C’est qu’il s’est avisé le premier de sculpter l’homme tel qu’on le voit, c'est-à-dire à distance. » (« La recherche de l’Absolu », in Situations III, Gallimard 1949, renouvelé en 1976). Dans un entretien avec David Sylvester (1964), l’artiste se propose de réaliser des œuvres qui comprennent « à la fois, le regard et l’œuvre. L’expérience de la vision et l’objet inextricablement liés. La vérité de la vision se situerait entre le trop peu d’après mémoire et le trop d’après nature ». (Entretien avec David Sylvester, repris in Ecrits, op. cit.)
Tête d’Isabel, vers 1936
Plâtre, 30,3 x
23,5 x 21,9 cm
Coll. Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris
FAAG 1994 – 0343
S’attachant presque exclusivement à la figure humaine, Giacometti en privilégie la tête : « mettre en place une tête humaine » sera son affaire tout au long de son travail de sculpteur et de peintre. « Sacrifier tout le personnage pour faire la tête », confie-t-il à David Sylvester.
Des premières têtes des années de jeunesse et de formation, représentant comme toujours les membres de sa famille : mère, père, frère, à la célèbre Tête sur tige, figure de la mort de T et de la mort tout court, aux têtes de la maturité représentant Annette, Diego, Beauvoir, etc., ce sujet constitue un véritable fil conducteur de l’œuvre de Giacometti.
Ce buste représente une jeune femme anglaise, Isabel Nicholas (Rawsthorne par la suite), modèle de Giacometti, de Picasso et, plus tard, de Francis Bacon qui en fera à plusieurs reprises le portrait, entre autres, le célèbre Three studies of Isabel Rawsthorne, de 1966.
Giacometti revient sans cesse sur son travail. La première version, Isabel I, 1936, est un plâtre de style art déco. Les traits du modèle, sa chevelure, y sont stylisés, épurés, la sculpture offre un aspect lisse, un fini rare chez l’artiste. Il en réalise ensuite d’autres versions, comme Isabel II, retravaillées, attaquées au canif, lacérées avec le crayon. Giacometti fait entrer ainsi l’espace à l’intérieur de l’œuvre. La surface se fait âpre, accidentée, d’un aspect non-fini. Dans « L’atelier comme terrain infini d’aventure » et « Sculpter sans relâche », in L’Atelier d’Alberto Giacometti, catalogue de l'exposition, Véronique Wiesinger pointe la matérialité des œuvres de l’artiste, « non seulement leur aspect inachevé, mais le défi qu’elles présentèrent de plus en plus, le temps passant, à l’idée du propre, du beau, de ‘l’art’ ». Ainsi il peint les plâtres jugés inanimés, les rehausse au crayon, les entaille de sillons opérés au canif.
Ce que l’artiste attaque dans ses reprises du même modèle c’est l’immobilité, car « c’est l’énergie contenue dedans qui compte, la tension », affirme-t-il. Une tension qu’il libère ici en lacérant les contours, en donnant à la figure sereine et stable de 1936, un mouvement qui la mesure à l’espace qui semble la ronger de partout. Si « depuis 3 000 ans on ne sculpte que des cadavres » (Sartre), c’est une « statue d’homme » que Giacometti veut sculpter.
Tête sur tige, 1947 (détail)En 1947 Giacometti réalise plusieurs plâtres peints parmi lesquels La main, La jambe, (terminée en 1957), Le nez et Tête sur tige. Ces plâtres ont la particularité d’être tous des fragments corporels. Ils participent de son obsession de ne pas réussir à approcher la totalité d’un corps, d’où le choix de s’attacher à la partie pour rendre le tout. À l’origine de cette œuvre, différents faits que l’artiste relate et condense dans le texte écrit pour la revue surréaliste, Labyrinthe n°22-23 (décembre 1946), plus de dix ans après sa rupture avec le mouvement.
Le texte, on l’a vu, s’intitule Le Rêve, le Sphinx et la mort de T. Comme dans le « travail du rêve » analysé par Freud, des éléments récents sont mis en relation ici avec d’autres plus anciens, passé et présent coexistent et se relient à l’enseigne de la logique inconsciente. Sémantiquement et plastiquement, il est ici question de la mort et de la révolution spatio-temporelle qu’elle impose à la sensibilité de l’artiste. La tête, détachée du reste du corps et portée par une tige comme un trophée macabre, semble engloutir l’espace autour dans un cri muet. Au sujet de la mort de son ami T. Giacometti écrit : « Immobile, debout devant le lit, je regardais cette tête devenue objet, petite boîte, mesurable, insignifiante. A ce moment-là une mouche s’approcha du trou noir de la bouche et lentement y disparut. »
C’est l’horreur de ce devenir-chose dans la mort que Giacometti rend dans cette tête qui a perdu sa verticalité et repose, effrayante et inclinée, dans le vide. Baudelaire en laissait une vision saisissante dans son poème La Charogne, avant lui Bossuet faisait de la mort ce qui arrête la parole, et du corps mort « un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue ». C’est à ce point ultime et irreprésentable que nous renvoie, comme une vision hallucinatoire et on ne peut plus réelle cette tête. Un réel à entendre dans le sens lacanien de ce qui ex-siste, de ce qui est inassimilable pour le sujet. Giacometti écrit que, paradoxalement, ce cadavre réduit à un objet sans vie, lui semblait n’avoir plus de limites et être partout. Présence qui, au-delà de la tête sculptée, se libère de l’œuvre et se fait regard envahissant l’espace et interpellant le spectateur de ce point ultime qu’est pour chacun sa propre mort.
Au-delà d’une quelconque ressemblance avec un modèle, c’est la vision qui prime ici, celle qui nous pose devant l’énigme du corps-parlant que nous sommes. Cette tête décharnée de plâtre blanc, garde en elle quelque chose encore de la vie, le moment même où la parole faite cri sourd s’est arrêtée. La vie dans la mort elle-même et la mort travaillant la vie sont des questions que pose la sculpture de Giacometti à partir des années 1945.
Femme de Venise V, 1956Comme le souligne David Sylvester : « Il y a trois thèmes récurrents dans le travail de Giacometti en sculpture : un buste d’homme, un nu masculin en marche, un nu féminin debout […] Ces figures peuvent apparaître isolément ou par groupes de deux, trois, quatre, cinq, huit ou neuf. » (Giacometti, trad. française 2001, André Dimanche Editeur.)
Cette Femme de Venise est désignée comme le numéro V d’une série de plâtres réalisés en 1956 et dont neuf seront coulés en bronze en 1957 par la fonderie Susse. Les plâtres des Femmes de Venise ont été modelés en argile, puis moulés en plâtre et retravaillés avec du plâtre liquide, repris au canif et rehaussés de peinture. (Cf. Véronique Wiesinger : « Sculpter sans relâche », in L’Atelier d’Alberto Giacometti, op. cit.) Il s’agirait toujours de la même figure, dont les plâtres successifs montrent des états différents du processus d’élaboration continuel auquel Giacometti s’est livré entre janvier et mai 1956. Les épaules larges, les seins et les hanches bien marqués, les bras qui retombent droits le long du corps, Femme de Venise V se dresse, avec ses grands pieds et comme les autres figures de la série, de sa base inclinée. Inclinaison qui déstabilise la verticalité la faisant basculer en avant, vers le spectateur, tandis que la tête montée sur le cou comme sur un socle, s’élance vers un espace lointain.
Imposant une vision frontale ou de profil, les Femmes de Venise semblent à la fois proches et lointaines, inaccessibles comme des figures sacrées et vulnérables comme la chair humaine. Leur surface particulièrement accidentée, la matière rongée de l’intérieur, réduit la figure humaine à l’essentiel. « On peut s’imaginer que le réalisme consiste à copier… un verre tel qu’il est sur la table. En fait on ne copie jamais que la vision qu’il en reste à chaque instant, l’image qui devient consciente… Vous ne copiez jamais le verre sur la table ; vous copiez le résidu d’une vision. » (Entretien avec André Parinaud, juin 1962, in Ecrits, op.cit.)
« C’est l’œuvre de Giacometti qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l’homme quand les faux-semblants seront enlevés », écrit Jean Genet en soulignant l’aspect dévastateur et sans illusions de l’œuvre de l’artiste. (L’Atelier d’Alberto Giacometti, in Lettres Nouvelles, septembre 1957 - « L’Arbalète », 1958 - et repris dans ses Œuvres complètes, T.V, Nrf, Gallimard, 1979.)
Comme Jean Dubuffet, Jean Fautrier, et Francis Bacon,
artistes qui peignent au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, inscrivant
dans leurs œuvres le choc de la mort et de la folie, Giacometti nous
donne une vision sans complaisance de l’homme.
De la vision en
tant que perception sensible, à
la vision en tant que dimension métaphysique, la vision est ce
qui, au-delà du medium choisi, caractérise un artiste comme un
écrivain. Comme l’écrivait déjà Proust, c’est dans la vision
que les arts et la littérature se rencontrent.
Ainsi il serait fructueux
d’élargir le questionnement
ouvert par l’œuvre de Giacometti autour de la vision à la
vision littéraire de l’homme dans l’après-guerre, avec un écrivain
comme Samuel Beckett. En philosophie pourrait être abordée
l’œuvre de Jean-Paul Sartre, si proche de Giacometti. Entre
les deux il s’est établi un des tandems, écrivain-artiste, les plus
célèbres.
L’Existentialisme de Sartre, prônant contrairement
à la philosophie classique l’existence avant l’essence,
est proche de cette vision de l’homme en situation, au cœur de la
vie et rongé par le temps, que présente l’œuvre de Giacometti.
Ce qui caractérise le travail de Giacometti en dessin, peinture, comme en sculpture, est un recommencement sans fin afin de saisir la « présence » d’un être qui s’avère fuyante et souvent impossible. « Je me suis aperçu que ma vision changeait tous les jours » (Entretien avec André Parinaud, in Ecrits, op. cit.). Le modèle pose devant lui pendant des longues séances sans que l’artiste commence à voir quoi que ce soit. Un recommencement sans fin s’impose car, affirme-t-il, « c’est comme si la réalité était continuellement derrière les rideaux qu’on arrache (...) ». Dans cette quête inépuisable, l’artiste a la sensation que « plus on s’approche, plus la chose s’éloigne. » (id. p.275.) Recherche exigeante de la vérité de la vision qui amène l’artiste à détruire ses travaux ou à faire qu’ils soient toujours en perpétuelle métamorphose.
Ce devenir incessant de la matière allant jusqu’à la destruction rend ses œuvres proches de l’être humain. « Jamais la matière ne fut moins éternelle, plus fragile, plus près d’être humaine », souligne en effet Jean-Paul Sartre dans « La recherche de l’absolu » (op.cit.). Ce recommencement perpétuel n’est pourtant pas infini, car « Il y a un terme fixe qu’il faut atteindre, un problème unique qu’il faut résoudre : comment faire un homme avec de la pierre sans le pétrifier », écrit encore Sartre. Pour cela, Giacometti n’aime pas la résistance de la pierre. « Il choisit une matière sans poids la plus ductile et la plus périssable, la plus spirituelle : le plâtre ». (id. p.29.) En peinture c’est le trait noir ou blanc, les coups de pinceaux sur coups de pinceaux et une gamme chromatique réduite. Une relation unique s’établit avec ses modèles, souvent ses proches.
Isaku Yanahira, I, 1956,Jeune professeur de l’Université d’Osaka venu à Paris en 1954 pour y faire des études de philosophie, Isaku Yanahira interviewe Giacometti pour un journal japonais en novembre 1955. Devenu modèle « irremplaçable » de Giacometti, Yanahira posera pour lui entre 1956 et 1961. L’artiste réalisera une douzaine de portraits et un buste sculpté.
Fasciné par ce visage qui échappe au cercle familial de ses modèles (sa femme Annette, son frère Diego, sa mère), Giacometti se mesure avec lui à une nouvelle difficulté, rendre un visage lisse, impénétrable, et sur lequel il n’a pas de possibilité de « prise ». Yanahira décrit des longues séances de pose le jour ou le soir à la lumière électrique, le découragement du maître et ses avancées. Giacometti note la difficulté : « Et plus ça allait et plus il disparaissait. Le jour de son départ je lui ai dit : « Si je fais encore un trait, la toile s’abolit complètement. » (Entretien avec Pierre Dumayet, in Ecrits, op. cit.).
C’est une figure à la limite de la disparition que nous présente ce portrait dessiné au pinceau, émergeant d’un fond qui l’entoure comme une auréole de lumière pâle, d’où ressort le noyau dur de la tête. Entre apparition et disparition se lit le caractère fugace du personnage. Le pinceau revient sans cesse pour cerner les traits qui constituent la tête du modèle en un réseau de lignes concentriques. Ce portrait, qui serait le premier de la série, aurait confronté Giacometti à la difficulté d’essayer de rendre, souligne Yves Bonnefoy, l’expression « d’un autrui inconnu ».
Caroline en larmes, 1962Pendant six ans, à partir de 1960 et jusqu’à décembre 1965, Giacometti fait poser Caroline, jeune femme rencontrée dans un bar à Montparnasse en octobre 1959. Assise sur la même chaise, il réalisera d’elle une vingtaine de portraits et un buste. Plus de six toiles ont été peintes la première année de leur rencontre. Inachevée, comme beaucoup d’autres, car susceptible d’être toujours reprise afin de rendre l’infinie variété des perceptions d’un visage et l’étincelle de vie qui se dégage d’un être, la toile est un exemple de cette quête ultime qui anime l’artiste.
Les bords de la toile à peine tracés contrastent avec la partie centrale, celle du visage, et plus particulièrement des yeux où s’acharne le travail de l’artiste. « Tête surtout, tête [d’abord] figures après. Diego, Annette, Caroline, autres sculptures, peintures, dessins. Tout reprendre à la base, tels que je vois les êtres et les choses, surtout les êtres et leurs têtes, les yeux à l’horizon, la courbe des yeux, le partage des eaux » (in « Carnets et feuillets », février 1963, Écrits). Selon qu’on regarde les orbites ou le nez qui pointe, le visage semble s’approcher ou s’éloigner. Concentré d’ombre et de lumières, ce portrait est rendu par une multitude de petites lignes noires et blanches tranchantes ou au contraire estompées. La figure s’inscrit dans un rectangle de peinture qui la détache du fond et fait converger (comme dans les Cage(s) et dans Boule suspendue) le regard vers l’objet de la vision. Comme les autres toiles de la série, Caroline en larmes témoigne de la quête obstinée et sans concessions de la présence d’un être que cherche Giacometti. Les yeux y ont toujours une place particulière. « Si j’ai la courbe de l’œil, j’aurais aussi l’orbite, si j’ai l’orbite, j’ai la racine du nez, j’ai la bouche. Le tout pouvant à la fin donner quand même un regard [...] » (Conversation avec Jacques Dupin, dans le film Alberto Giacometti d’Ernst Scheidegger et Peter Münger, 1965.)
La tête devient, comme le dit l’artiste, ce « noyau de violence » où se concentre le crayon ou le pinceau afin de « donner » le regard qui excède l’œil et qui devrait rendre, même si de façon pulsatile la singularité d’un être. Giacometti appelle cet acte : une « prise », prise directe sur l’instant, fixant ainsi dans le regard rendu la fuite du temps et des choses. Panta rei, tout coule et s’écoule, dans le même fleuve jamais nous descendrons les mêmes, disait l’adage d’Héraclite si proche du travail de Giacometti.
Diego au manteau, 1954« Il n’est à la beauté d’autre origine que la blessure singulière, différente pour chacun, cachée au visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. […] L’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure sécrète de tout être et même de toute chose, afin qu’elle les illumine », écrit Jean Genet (in L’Atelier d’Alberto Giacometti, op. cit.) à propos de ce qui caractérise ces visages à maintes reprises retravaillés par l’artiste afin d’en faire jaillir la plus profonde singularité, qu’on l’appelle « présence » ou « beauté ». Toute beauté n’est-elle pas, comme le dit Platon « éclat de la présence » ?
Son frère Diego est une des figures qui reviennent sans cesse dans son œuvre. Très proche de l’artiste et de son travail, Diego le rejoint à Paris dès les années trente dans son atelier de la rue Hippolyte-Maindron où il moule les plâtres, patine les bronzes, sauvegarde parfois ce qu’Alberto aurait pu détruire. C’est un nombre incalculable de têtes et de bustes que l’artiste consacre à son frère dans un face à face qui dure des heures et des jours. Giacometti se souvient qu’à treize ans, en 1914, il avait réalisé son premier buste d’après nature et que c’était Diego qui posait. Mais même avec un sujet si proche que son frère, en qui il voyait une forme d’alter ego et d’altérité à la fois, ce qu’il cherche se refuse à lui.
Il s’agit ici d’un buste frontal. Le visage et le cou de Diego se détachent du bloc massif qui condense la courbe des épaules et le manteau du modèle, sorte de socle où s’insère la colonne du cou qui reçoit la tête, où se concentre le travail de l’artiste. « Mais arriver à rendre ça, à rendre une tête… quand je vois la face je ne vois plus la nuque parce que c’est presque impossible de rendre la notion de la profondeur en voyant de ce point et quand je vois la nuque, j’oublie la face ! […] » Problème de la vision auquel Giacometti se mesure inlassablement et dont l’œuvre rend la complexité. L’artiste cherche ici « l’apparition ». « L’apparition, parfois je crois l’attraper, et puis je la reperds, et il faut recommencer. […] » (Entretiens avec Pierre Schneider in Écrits, op.cit.) L’étincelle de vie qui se dérobe se lit dans les surfaces accidentées de ses sculptures, dans le côté non-fini car à jamais ouvert à la percée de l’être de ses œuvres. L’espace vibre autour : « Rien n’est plus en repos, chaque bosse, crête, courbe, angle, continue à émettre la sensibilité qui la créa », écrit Genet (in L’Atelier d’Alberto Giacometti, op.cit.).
Personne comme Giacometti n’a sondé la dimension de l’être et du temps qui le consume, de l’être et du néant qui se donnent en même temps. Tout au long de son œuvre monumentale, Martin Heidegger revient sur l’être dont le propre est de se « retirer » s’abritant dans « le néant essentiel », ne surgissant que par effraction. C’est entre apparition et disparition que se lisent les dessins, peintures et sculptures de Giacometti, l’être est consubstantiel au néant qui l’abrite dans l’œuvre de Giacometti comme dans la pensée du grand philosophe. Véronique Wiesinger souligne, elle aussi, cette proximité entre Heidegger et Giacometti : « Giacometti cherche à faire advenir la présence de l’œuvre d’art elle-même comme sujet, la présence de son être-œuvre, et son caractère de chose vivante en soi […] » (in « L’Atelier comme terrain infini d’aventure », art.cit.).
En arts plastiques comme en philosophie l’œuvre de
Giacometti pourrait être abordée à partir de « L’Origine
de l’œuvre d’art » (in Chemins qui ne mènent nulle part,
Holzwege, 1949) de Martin Heidegger, texte connu par Giacometti
qui l’avait dans sa bibliothèque.
En littérature, une relation serait à établir
avec La
Nausée de Jean-Paul Sartre, roman paru en 1938, où le
narrateur sonde sa relation au réel qui se fait présence inquiétante
et exorbitante de l’être et du néant à la fois ; ou avec l’œuvre
poétique de Francis Ponge, et en particulier Le Parti
pris des choses, 1942. L’écrivain s’attaque ici à l’objet dont
il brise l’enveloppe sensible pour en révéler l’irréductible présence.
Travail minutieux que Ponge accomplit en s’attaquant à la matière
même du langage, les mots, pour leur faire dire, l’impossible chose.
Infiniment petites ou extrêmement allongées, surgissant seules d’immenses socles qui les retiennent au sol ou inscrites dans des « cages » évidées, les figures de Giacometti entretiennent avec l’espace une relation singulière. Les ruptures d’échelle demandent au spectateur une gymnastique du regard où voir devient aussi inclure le vide que la sculpture appelle et porte en elle.
L’érosion des contours participe de la tension et du mouvement que l’œuvre entretient avec l’espace qui vibre avec elle. Dans les petites figures ne dépassant pas les cinquante centimètres, le regard englobe aussi inexorablement le vide qui les entoure et que leur présence rend sensible. Les immenses sculptures qui dépassent les deux mètres s’étirant vers le haut augmentent la distance à laquelle l’œil doit se placer pour les saisir en entier. Un écart se creuse entre le spectateur et l’œuvre qui l’oblige à la regarder à distance, tel un objet intouchable et sacré.
A ce propos Catherine Francblin remarque que « L’invention de l’art moderne n’est peut-être rien d’autre que la découverte par l’artiste de sa mobilité face au sujet qui l’occupe. Picasso combinant simultanément différents points de vue peignait comme s’il avait fait le tour de son modèle. Giacometti, prenant la liberté de voir le monde d’une autre planète fit, lui, de son œil une lunette réglable. » (« Alberto Giacometti, un art de la cruauté », in Art Press, n°49)
La Cage (première version),1949-1950La cage est un dispositif de construction que Giacometti a présenté déjà dans Cage, Boule suspendue (1930-31), repris dans Le Nez (1947) et dans Figurine enfermée (1950).
Ici la structure géométrique contraste avec le côté non-fini de l’œuvre, comme si l’artiste voulait saisir à la fois la rigidité de ce qui demeure stable et le mouvement de la vie. La cage enferme une gracile figurine féminine dont les bras ouverts se prolongent en deux obliques, reliant les deux côtés de la cage, et une tête masculine surgie du sol comme dans un rêve. Entre les deux figures il n’y a pas de communication possible.
La cage isole dans l’espace l’œuvre, renforçant l’idée d’isolement des personnages. L’isolement, l’incommunicabilité, l’étrangeté des relations homme-femme sont des thématiques récurrentes dans le travail d’après-guerre. Thématique de la séparation à laquelle répond l’isolement du dispositif spatial. La cage et le plateau sur lequel reposent les deux figures devraient donner à l’œuvre une légèreté qui l’élève du sol et la suspend, mais cet effet est contrebalancé par l’exubérante matière brute qui s’affaisse informe à la base de la cage d’où émerge, encore enfoncé à moitié dans la rugueuse matière, le petit buste masculin.
Femme debout n° 8, vers 1953-1954Travaillant toujours au plus près de la sensation visuelle, la figure humaine semble à l’artiste s’éloigner, devenir minuscule jusqu’à n’avoir plus de lien avec la dimension réelle des personnages. « Je ne peux plus jamais ramener une figure à la grandeur naturelle. Quand je suis au café, je regarde les gens passer sur le trottoir d’en face, je les vois très petits, comme de toutes petites figurines, ce que je trouve merveilleux. […] Si je regarde une femme sur le trottoir d’en face, et je la vois toute petite, c’est l’émerveillement du petit personnage qui marche dans l’espace et, alors, la voyant plus petite, mon champ visuel est devenu beaucoup plus vaste. Je vois un énorme espace au-dessus et autour, qui est presque illimité. » (Entretien avec David Sylvester, in Ecrits, op.cit.»)
Femme debout, portant pour la différencier le n°8 qui renvoie à la série, est une de ces innombrables figurines exécutées par Giacometti au débout des années cinquante. Le modèle reconnaissable en est encore sa femme Annette. Elle est reconnaissable à la chevelure qui caractérise ses portraits, aux épaules amples et rondes, à la taille bien prise. Le modelé, fluide, porte l’empreinte profonde du pouce de l’artiste. Les bras sont collés au corps, les jambes bien unies forment un bloc qui s’élève du socle massif. A force de voir son modèle néanmoins, les traits distinctifs d’Annette s’estompent, pour devenir, Femme debout ou Nu debout, ou encore Corps de femme. Ce qui intéresse l’artiste c’est d’aller chaque jour plus loin dans la vision. Minuscules, parfois filiformes, ces sculptures incisant l’espace et englouties en lui, relèvent de l’apparition et de la disparition à la fois. « Les sculptures de Giacometti, si proches de ne pas être, ont l’intensité évanouissante d’une hallucination », souligne encore Catherine Francblin. (In Art Press, n°49, art. cit.)
L’Homme qui marche I, 1960Plus que toute œuvre de Giacometti, les grandes sculptures des Hommes qui marchent ou des Femmes debout impliquent la distance. Immenses, elles n’en sont pas pour autant proches. Sartre évoquait à propos des sculptures de Giacometti l’idée de « distance absolue ». C’est plus que jamais le cas dans ces figures qui se dressent verticales dans l’espace, ou qui avancent vers une direction inconnue. « La distance aiguise les antagonismes (base/sommet, espace/figure, style/sens », écrit encore Catherine Francblin (art.cit.).
Traversant l’espace L’Homme qui marche s’oppose à la posture hiératique des grandes femmes si lointaines et inapprochables. Surgissant du socle où les pieds encore en partie engloutis s’arrachent à la matière informe, cette figure humaine procède fragile et décidée à la fois. Etirée entre le bas qui la colle au socle et le haut qui l’inscrit dans un espace sans plus de limites, où va-t-elle ? Aucun accessoire qui couvrirait sa nudité sans appel n’aide à imaginer une réponse. Personne ne semble s’interposer à sa trajectoire. L’homme est seul, les bras tombant le long de son corps à peine esquissé, matière à peine sortie de l’informe et qui se précise au fur et à mesure qu’on quitte le sol pour le sommet. Pas de pathos dans ce personnage on ne peut plus humain et irrémédiablement seul. Une acceptation résignée de la condition humaine entre matière et tension spirituelle. Vibrant, le modelé de la surface exigüe accroche la lumière. La sculpture n’occupe pas de l’espace mais se livre avec l’espace, le délimitant et le désignant à la fois.
Dès les débuts des années trente, avec les sculptures
horizontales, Giacometti se préoccupe de la présentation de ses œuvres.
Après 1945, le socle devient une partie intégrante de sa sculpture ;
avec la cage, il construit, en peinture et en sculpture des dispositifs
d’optique qui éloignent et désignent en même temps l’objet
de la représentation sollicitant le désir de voir chez le spectateur.
Ces
questions recoupent tout particulièrement le programme
de l’option facultative d’arts plastiques en classe de terminale
qui est celui de la présentation. L’exposition s’attachant
tout particulièrement à montrer la matérialité des œuvres de Giacometti,
entre présentation et représentation, croise à plusieurs reprises
ce programme.
Textes de Giacometti
- Alberto Giacometti, Ecrits, Paris, Hermann, 1990
Textes sur Giacometti
- L’Atelier d’Alberto Giacometti, Collection
de la Fondation Alberto et Anne Giacometti, sous la direction de
Véronique Wiesinger, catalogue
de l’exposition, Éditions Centre Pompidou, 2007
- David Sylvester, Giacometti, traduction française, André Dimanche Éditeur, 2001
- Alberto Giacometti, le dessin à l’œuvre,
sous la direction d’Agnès de la Beaumelle, coédition Gallimard-Centre
Pompidou, 2001
- Alberto Giacometti, la Collection du Centre
Pompidou, sous la direction d'Agnès de la Beaumelle, Éditions Centre Pompidou, 1999
- Rosalind Krauss, L’Originalité de l’avant-garde
et autres mythes modernistes, 1985, Macula, 1993.
- Michel Leiris, Pierres pour un Alberto Giacometti,
Paris, L’Echoppe, 1991
- Reinhold Hohl, Alberto Giacometti, traduction française, Lausanne,
Clairefontaine, 1971
- Jean Genet, L’Atelier d’Alberto
Giacometti, publié
d’abord in Lettres Nouvelles, septembre 1957, puis « L’Arbalète »,
1958, et repris dans ses Œuvres complètes, Tome V, Nrf, Gallimard,
1979
- Jean-Paul Sartre, « La recherche de l’Absolu »,
in Situations III, Gallimard, 1949, renouvelé en 1976
Revues
- Catherine Francblin, « Alberto Giacometti, un art de la cruauté », in Art Press, n°49, juin 1981
Contacts
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Contacter : centre.ressources@centrepompidou.fr
© Centre Pompidou, Direction de l’action éducative et
des publics, octobre 2007.
Texte : Margherita LEONI-FIGINI, professeur relais de l’Education
nationale à la DAEP
Œuvres d’Alberto Giacometti : © Adagp, Paris
2007
Maquette: Michel Fernandez
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education/ rubrique
’Dossiers pédagogiques’
Coordination : Marie-José Rodriguez
L'incrustation du logotype de la Fondation et la limitation à 400 pixels du plus grand côté des agrandissements sont des demandes de la Fondation Alberto et Annette Giacometti.