Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Monographies / Grandes figures de l'art moderne

 

 

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Vassily
Kandinsky

 

 
 

Impression V (Parc), 1911

 

Introduction
Une œuvre encore à découvrir

Biographie
Vassily Kandinsky (1866-1944), artiste, esthète et nomade

Le fonds Kandinsky du Centre Pompidou et la SociÉtÉ Kandinsky


Les Œuvres

I. Les années de formation et de voyages, 1900-1907
- Rotterdam, 1904
- Zwei Mädchen (Deux jeunes filles), 1907

II. Du Cavalier bleu à l’abstraction, 1908-1914
- Almanach Der Blaue Reiter, 1911
- Impression V (Parc), 1911
- Jungster Tag (Le Jugement dernier), 1912

III. Moscou, 1915-1921
- Einfach (Simple), 1916
- (Sans titre) Akhtyrka, 1917

IV. Le Bauhaus, 1922-33
-
Panneau pour l'exposition de la Juryfreie, 1922
- Auf Weiss II (Sur blanc II), 1923
- Développement en brun, 1933

V. Les dernières années à Paris, 1934-44
-
Composition IX, 1936
- Bleu de ciel, 1940


Textes de rÉfÉrence 
- Vassily Kandinsky, Regards sur le passé, 1913-1918 (extrait)
- Correspondance Kojève-Kandinsky (extraits)

RepÈres chronologiques

Bibliographie

 

Introductionretour sommaire

Une œuvre Encore à découvrir

Kandinsky est célèbre pour son rôle de pionnier de l’art abstrait, dans les années 1910, et pour son essai Du Spirituel dans l’Art, qui a fait de lui l’artiste de la « nécessité intérieure ». L’identification de son art à cette invention liée à une recherche de spiritualité, si elle est pertinente, donne néanmoins l’illusion d’une œuvre qui se concentre sur quelques années, la réduisant à cette décennie décisive. Morcelée et interprétée selon des perspectives tronquées, pour des raisons historiques et politiques, il est encore difficile de pouvoir l’apprécier dans son ensemble.

Tout d’abord, Kandinsky lui-même a perdu à deux reprises des parties de son œuvre. A la veille de la guerre, en 1914, quittant Munich pour Moscou, il confie son atelier et ses travaux à sa compagne Gabriele Münter. Après leur rupture, il ne reverra jamais ces œuvres qui ne figureront même pas dans les monographies publiées de son vivant (en 1924 et 1931). Elles ne seront redécouvertes qu’en 1956, lorsque Gabriele Münter les lèguera à la ville de Munich.
Puis, ses nombreuses toiles entrées dans les collections publiques de l’Union soviétique, avant 1921, demeureront inaccessibles au moins jusqu’en 1963, date à laquelle certaines seront exposées lors de la première vraie rétrospective qui lui consacre le R. Solomon Guggenheim Museum de New York, presque vingt ans après sa mort.
De plus, l’accueil de son œuvre a connu et subi des rebondissements idéologiques. En tant que moscovite fortuné, il est soupçonné par les artistes de gauche d’être de sympathie avec les russes blancs. Mais en tant qu’il a travaillé en Union soviétique après la Révolution d’Octobre, les autorités occidentales, et surtout allemandes, le soupçonnent de bolchevisme. Pris entre les feux de la politique, son art est au mieux regardé comme une émanation spirituelle dégagée de toute contingence matérielle.

Alors qu’il se pourrait qu’il se soit précisément construit contre l’adversité. Par exemple, durant la période moscovite entre 1915 et 1921, il réalise, faute de moyen et de confort matériel, des séries de dessins qui font aujourd’hui une des richesses des collections du Musée. Arrivé au Bauhaus en 1922, il se voit confier l’atelier de peinture murale, discipline qui est loin d’être sa spécialité : c’est l’occasion de commencer quelques décors monumentaux, le Salon pour l’exposition de la Juryfreie, 1922, et le Salon de musique de 1931, entré dernièrement au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Il saisit les occasions, contacte spontanément les personnes, comme Arnold Schönberg, avec qui il souhaite collaborer…
Aussi, c’est une œuvre, sinon complète, au moins complexe, que ce dossier propose d’explorer. On y insistera notamment sur les expérimentations techniques - linogravure, dessin, peinture sur verre – menées par l’artiste tout au long de sa vie, pour trouver la forme adéquate au contenu qu’il souhaitait exprimer.

 

biographieretour sommaire

Vassily Kandinsky (1866-1944), artiste, esthÈte et nomade

Kandinsky naît à Moscou en 1866 dans une famille aisée et cultivée. Il apprend l’allemand avec sa grand-mère, prend des cours de piano, de violoncelle et de dessin. En 1885, il entreprend à la faculté de Moscou des études de droit qu’il poursuit jusqu’en thèse. Mais, au moment d’obtenir une chaire d’enseignant, en 1895, il décide de rompre avec la carrière juridique pour se consacrer à l’art. Il se rend alors à Munich pour apprendre la peinture, puis s’institue très vite lui-même professeur en créant, avec d’autres artistes munichois, l’association Phalanx. Par ce biais, il rencontre Gabriele Münter, une artiste germano-américaine, qui sera sa compagne jusqu’en 1914. Avec elle, il voyage à travers l’Europe et l’Afrique du nord et, en 1906, s’installe à Paris pour un an. A cette époque, ses œuvres sont de petites peintures, souvent des paysages dans un style impressionniste, comme des notes de voyages, qui le font passer pour un dilettante auprès du milieu parisien.

Ce n’est qu’en 1908, de retour en Allemagne, où il vit avec Gabriele Münter à Murnau, que commence sa véritable carrière d’artiste. Si ses thèmes de prédilection - les paysages, la culture populaire - restent les mêmes, il les traite de manière de plus en plus abstraite grâce à l’autonomie croissante des couleurs. En 1914, alors que la guerre éclate, il quitte Munich pour se réfugier en Suisse, puis part pour Moscou où il restera jusqu’en 1921. Là, il commence la rédaction d’un texte, conçu comme le pendant de Du Spirituel dans l’Art, « Du Matérialisme dans l’Art », qui ne sera publié qu’en 1926 : Point et ligne sur plan. Durant cette période, il peint peu, privilégiant, pour des questions matérielles, le dessin et les œuvres sur papier. Puis, tandis que se met en place le nouveau régime, il se consacre à la création des nouvelles structures artistiques du pays, telles que l’IZO, l’organisme d’Etat gérant les arts plastiques.

Toutefois, sa situation, tant artistique que financière et politique, est devenue précaire. En 1921, profitant d’une mission officielle, il s’installe en Allemagne avec son épouse Nina. Walter Gropius, directeur du Bauhaus, lui propose un poste d’enseignant : il l’occupera jusqu’à la fermeture de l’école en 1933 et son départ pour la France. A cette date, déchu de la nationalité allemande obtenue en 1927, Kandinsky s’installe à Paris, apatride. Ce n’est qu’en 1939 qu’il deviendra citoyen français, in extremis avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. Jusqu’en 1944, les Kandinsky mènent une vie retirée à Neuilly-sur-Seine, l’artiste poursuivant ses dernières recherches.

 

Le fonds Kandinsky du Centre Pompidou et la SociÉtÉ Kandinsky retour sommaire

Le fonds

Le Musée national d’art moderne du Centre Pompidou fait partie avec le Lenbachhaus Museum de Munich et le R. Solomon Guggenheim Museum de New York des trois institutions dans le monde qui détiennent la majeure partie des œuvres de Kandinsky, à l’exception des pièces laissées en Russie lors de son départ en 1921.

Le Musée national d’art moderne n’a acheté du vivant de l’artiste que deux œuvres, en 1937 et 1939. Mais, en 1976, il bénéficiait d’un don de quinze peintures et quinze aquarelles de Nina Kandinsky, puis, en 1980, du legs : le fonds d’atelier de l’artiste à Neuilly, qui fait aujourd’hui la spécificité de la collection. Celle-ci s’est enrichie notamment de la correspondance de Kandinsky avec des personnalités telles que Christian Zervos, directeur des Cahiers d’Art, Alexandre Kojève, philosophe et neveu de Kandinsky, ou le magistrat Pierre Bruguière qui a fait aboutir son dossier de naturalisation en 1939. Mais l’originalité du fonds réside surtout dans l’ensemble d’œuvres sur papier de la période moscovite. Plus récemment, en 1994, le fonds Kandinsky du Centre Pompidou a bénéficié de la dation du galeriste Karl Flinker et des acquisitions effectuées grâce à la Société Kandinsky. Au total, le fonds contient plus d’une centaine de peintures, autant de gouaches, plus de 500 dessins, des carnets, des gravures et des manuscrits.

Le Lenbachhaus Museum de Munich, grâce aux pièces léguées par Gabriele Münter en 1956, possède quant à lui environ 123 peintures, 333 dessins et 27 carnets de croquis, tandis que le Guggenheim de New York détient plus de 200 œuvres, dont 150 acquises à partir de 1930 sur les conseils de l’artiste Hilla Rebay qui secondait Solomon R. Guggenheim dans ses achats.

En 2008-2009, une grande exposition « Kandinsky » circulera dans ces trois institutions, profitant des dernières découvertes, notamment celles qui concernent l’attachement de Kandinsky à son pays, la Russie, et à sa ville natale, Moscou.

 

La SociÉtÉ Kandinsky

Créée par Nina Kandinsky en 1979, la Société Kandinsky est une association Loi 1901, siégeant au Centre Pompidou. Elle réunit les directeurs des trois Musées de Paris, Munich et New York, des spécialistes de Kandinsky et des personnalités désignées par Nina Kandinsky. Claude Pompidou en a été la présidente de 1979 à 2007.

Sa vocation est tout d’abord de veiller à l’intégrité de l’œuvre. A cet effet, la Société a financé la publication de catalogues raisonnés, dans la continuité de ceux que le grand spécialiste allemand de Kandinsky, Hans Roethel, avait établis. Mme Vivian Barnett a publié le catalogue raisonné des aquarelles (2 volumes, paru en 1994), celui des dessins (paru en 2006) et des carnets (en 2007).
Puis la Société Kandinsky a veillé à ce que les dispositions testamentaires, précédant le legs effectué par Nina Kandinsky en 1980, soient respectées, notamment le legs au Musée de Berne ou celui de trois tableaux aux musées soviétiques.

La Société pratique aussi une politique d’achat visant à compléter la collection du Centre Pompidou. En 2001, elle a, par exemple, procédé à l’acquisition de trois aquarelles de 1915 auprès de Mme Nina Ivanoff, la compagne d’Alexandre Kojève. Elle a racheté les œuvres données en hommage par ses collègues au Bauhaus en 1926. En 2006, le dernier achat fut une aquarelle de 1930 intitulée Verdunkeln (Obscurcir). Enfin, la Société Kandinsky subventionne la publication des écrits manuscrits de Kandinsky. Elle accorde des bourses pour favoriser la connaissance de l’œuvre de l’artiste.

(L’auteur remercie M. Christian Derouet, conservateur au Musée national d’art moderne et membre de la Société Kandinsky, pour les informations qu’il lui a communiquées afin de réaliser ce dossier.)

 

LES ŒUVRES retour sommaire

I. Les annÉes de formation et de voyages, 1900-1907

Ces premières années révèlent des traits de la sensibilité de l’artiste : un nomadisme irrépressible et un intérêt constant pour le phénomène de la perception où la couleur jouera pour lui le premier rôle.

Rotterdam, 1904
Huile sur carton entoilé, 23 x 31,7 cm

Après sa formation à Munich et la dissolution de l’association Phalanx, Kandinsky entreprend une série de voyages, en Hollande où il séjourne en mai-juin 1904, en Tunisie, en Italie, en Suisse, à Paris, Berlin, avec de fréquents aller et retour à Moscou et à Odessa… Ces voyages sont l’occasion de rompre avec la pratique académique apprise à l’école et de réaliser des peintures sur le motif. Ce sont de petits paysages, des sortes de cartes postales mais dont le pittoresque est évacué au profit d’un travail sur la perception du réel.

Ici, il s’agit d’une petite esquisse représentant plus ou moins fidèlement le port de Rotterdam. Elle n’avait probablement pas grande valeur pour Kandinsky : elle apparaît dans son catalogue des petites esquisses peintes, mais reste oubliée dans une malle, où elle a été retrouvée en 1980 dans la cave de son appartement à Neuilly.
Cette esquisse permet d’apercevoir ce qui préoccupait le peintre. Bien qu’à cette époque sa peinture semble encore proche du néo-impressionnisme, tel que celui de Signac, qu’il a exposé dans le cadre de Phalanx, le port d’Amsterdam est peint comme aurait pu l’être n’importe quel autre port, sans le moindre signe de reconnaissance particulier. C’est sans doute parce que Kandinsky se détourne de ce qui s’offre à ses yeux. Il va cesser de peindre sur le motif, réalisant des œuvres où la couleur sera investie d’un rôle primordial pour lui : conserver le souvenir. Comme il l’explique dans les premières lignes de son autobiographie à travers un exemple remontant à son enfance, les couleurs sont ce dont on se souvient le mieux.

Zwei Mädchen (Deux jeunes filles), 1907
Linogravure, 22,5 x 13,7 cm

Le premier catalogue raisonné de l’œuvre de Kandinsky, publié par Hans Roethel en 1970, était consacré à la gravure, ce qui laisse entrevoir l’importance que l’artiste accordait à cette technique pratiquée dès 1903. Ses premières gravures sur bois sont en noir et blanc, puis certaines sont coloriées, en écho à l’art traditionnel russe fréquenté lors d’un voyage à travers la Russie quand il est encore étudiant en droit. Comme Zwei Mädchen, ces gravures témoignent d’un goût pour les représentations schématiques, évoquant un univers symboliste qui ne le quittera jamais vraiment.

Grâce à la gravure au linoléum, il parvient à pleinement intégrer l’élément central de ses préoccupations, la couleur. En effet, le lino, plus souple que le bois, permet de superposer facilement l’impression de plusieurs planches, chacune avec sa couleur. De plus, pour chaque épreuve les couleurs changent, créant à chaque fois un exemplaire unique.

 

II. Du Cavalier bleu à l’abstraction, 1908-1914 retour sommaire

A partir de 1908, la peinture de Kandinsky cesse d’être celle d’un dilettante et s’achemine vers une invention déterminante pour l’histoire de la peinture : l’abstraction. Relayées par une formulation théorique, les œuvres de cette période s’éloignent de plus en plus du réel et, à la question qu’il formule dans l’un de ses textes : « qu’est-ce qui doit remplacer l’objet ? », Kandinsky répond par le choc des couleurs et des lignes.

Almanach Der Blaue Reiter (1911)
Etude pour la couverture de l'Almanach du Cavalier Bleu
Aquarelle, gouache et encre de Chine sur papier, 29 x 21 cm

De retour en Allemagne, Kandinsky devient l’un des protagonistes de la peinture d’avant-garde. En 1911, avec Franz Marc, il crée « une sorte d’Almanach avec images et articles exclusivement réalisés par des artistes ». Le but est de montrer que toutes les formes d’art, si différentes soient-elles, peinture, musique, mais aussi arts populaires, dessins d’enfants, tendent toutes dans la même direction. Car pour Marc et Kandinsky, « la question de l’art n’est pas celle de la forme, mais du contenu artistique ».

L’Almanach du Cavalier Bleu renvoie aux cavaliers des mythes populaires. Pour Kandinsky, le cavalier est une métaphore de l’artiste : « Le cheval porte son cavalier avec vigueur et rapidité. Mais c’est le cavalier qui conduit le cheval. Le talent conduit l’artiste à de hauts sommets avec vigueur et rapidité. Mais c’est l’artiste qui maîtrise son talent » (Regards sur le passé). Dans cette feuille, qui fait partie des 11 études réalisées par Kandinsky pour la couverture du premier Almanach, le cavalier apparaît en plein élan, traversant la page de papier comme l’artiste franchirait d’un bond la distance qui le sépare de l’art à venir.

Impression V (Parc), 1911
Réalisée le 12 mars 1911
Huile sur toile, 106 x 157,5 cm

Dans cette toile – une nouvelle étape dans la voie vers l’abstraction – on reconnaît deux cavaliers – l’un, au centre portant une cape bleue (un voile ?) et l’autre, en beige, tout à fait à droite -, ainsi que deux personnages assis sur un banc. Mais ces repères iconographiques se dissolvent dans un ensemble de taches colorées et de lignes noires qui rythment l’image plutôt qu’elles ne décrivent des formes.

Le tableau est dominé par le triangle rouge au centre, installé entre les deux aplats de bleu et de vert de la partie inférieure, tandis que les lignes noires indiquent comme un itinéraire pour le regard. Le sous-titre, « Parc », qui pourrait placer cette œuvre dans la continuité des paysages réalisés jusqu’alors par Kandinsky, ne renvoie pas directement à une réalité extérieure. Dans une lettre à un ami, l’artiste précise que les « sous-titres ne sont pas là pour définir le contenu du tableau. Le contenu est ce que le spectateur éprouve sous l’effet des couleurs et des formes ».

Par conséquent, le parc n’est qu’une indication pour exprimer un contenu plus complexe, selon une rhétorique picturale que Kandinsky met en place la même année. Dans son ouvrage rédigé en 1911, Du Spirituel dans l’art, il définit trois types de peinture, les « impressions », les « improvisations » et les « compositions ». Tandis que les impressions s’appuient sur une réalité extérieure qui leur sert de point de départ, les improvisations et les compositions dépeignent des images surgies de l’inconscient, la « composition » étant plus élaborée d’un point de vue formel. Ainsi, comme on peut l’éprouver face à Impression V (Parc), les impressions interrogent le phénomène de la perception « compris d’une manière plus active, comme acte commun du sentant et du sensible, acte qui les confond et dans lequel l’un est modifié par l’autre » (catalogue Kandinsky : œuvres de Vassily Kandinsky (1866-1944), Centre Pompidou, 1984, p. 115).

Jungster Tag (Le Jugement dernier) (1912)
Fixé-sous-verre
Peinture à l'eau et encre de Chine sous verre, 33,6 x 45,3 cm

La technique de la peinture sous verre, qui consiste à peindre au revers d’un support en verre lisse ou ondulé, a été découverte par Kandinsky durant l’été 1908. Le peintre se passionne pour cette forme typique de l’artisanat bavarois qui se pratique traditionnellement en famille - et à laquelle il s’adonne avec son entourage - entreprenant même quelques recherches pour en connaître les origines.
Cette technique l’intéresse en tant qu’expression d’une culture populaire, mais aussi parce qu’elle permet de produire des effets de transparence, de brillance et d’impressions moirées, selon les peintures utilisées. Entre 1909 et 1913, 33 fixés sont réalisés. Pour les protéger, toutes ces œuvres sont encadrées. Ici, Kandinsky peint également le cadre de bois.

Dans Jungster Tag, cette technique permet à l’artiste d’orchestrer un concert tonitruant de couleurs, dominé par des variations de jaune. Comparée, dans Du Spirituel dans l’art, à « une oreille déchirée par le son aigre de la trompette », cette couleur exprime ici le fracas de l’apocalypse, en référence aux trompettes qui, dans le texte biblique, annoncent l’heure du Jugement dernier. Mais, plus largement, elle rappelle à quel point Kandinsky s’appuie sur le modèle musical et, en particulier, la composition telle qu’elle a été bouleversée par Schönberg.
Dans la première lettre qu’il adresse au musicien, le 18 janvier 1911, il établit un rapprochement entre leurs œuvres caractérisées par la place accordée aux « dissonances ». De même que Schönberg compose sa musique sur le principe d’une disharmonie, Kandinsky construit ses tableaux à partir de chocs colorés, ici le jaune et le bleu, qui expriment la lutte contre le chaos dont, selon Kandinsky, procède toute création.

Pour l’analyse d’autres œuvres de Kandinsky de cette période, voir le dossier pédagogique consacré à la Naissance de l’art abstrait

 

III. Moscou, 1915-1921 retour sommaire

Longtemps négligée par les spécialistes de Kandinsky et par l’artiste lui-même, sans doute pour des raisons politiques, la période du retour à Moscou prolonge les années du passage à l’abstraction et voit la naissance d’œuvres et d’écrits d’une aussi grande force.

Einfach (Simple), 1916
Aquarelle sur papier, 22,8 x 29,1 cm

« Dessins pour d’autres temps », c’est ainsi qu’on parle des dessins de la période moscovite dans le catalogue de l’exposition consacrée à ces années (Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, 2001). Réalisés pendant la guerre à laquelle succède la révolution bolchevique, ces dessins appartiennent à un contexte peu propice à l’art. Kandinsky avait été contraint de rentrer dans son pays, où la conjoncture politique et économique était difficilement supportable. Néanmoins, il devait leur accorder une certaine importance, les emportant avec lui lorsqu’il fuit Moscou en 1921. Et s’il ne les a pas montrés par la suite, c’est sans doute qu’en tant qu’exilé sa situation, aussi bien en Allemagne qu’en France, ne s’est jamais vraiment stabilisée.

Einfach, avec son dépouillement et la dissociation radicale des lignes et des couleurs, témoigne de la richesse de la production de cette époque. Dans cette recherche de simplicité, Kandinsky tire de façon radicale les conséquences des principes mis en place avec le passage à l’abstraction et, surtout, parvient à une maîtrise gestuelle qui, tout en rappelant la calligraphie orientale, annonce un art qui n’apparaîtra que dans les années 50, l’Art informel.

(Sans titre), Akhtyrka, (1917)
Huile sur toile, 27,5 x 33,6 cm

Cette petite toile intimiste, sorte de retour en arrière en l’été 1917, indique l’une des fonctions que Kandinsky attribue à la peinture : fixer la mémoire. Comparée aux paysages post-impressionnistes des débuts, la notification des souvenirs est  ici  plus méthodique, notamment par le biais des cernes noirs qui délimitent les formes. La scène représentée se déroule dans la propriété des cousins de Kandinsky, près de Moscou, où il séjourne avec Nina après leur mariage. Sous la véranda, Nina, coiffée du bonnet blanc, profite avec sa sœur de l’après-midi ensoleillé. En somme, plus qu’un retour problématique à la figuration, ce tableau, peu fouillé, relève tout simplement de l’affectif.

 

IV. Le Bauhaus, 1922-33  retour sommaire

En 1921, Kandinsky dirige la section « physico-psychologique » de l’Académie des sciences de l’art, une structure mise en place après la révolution. Le contexte artistique se dégradant, une mission officielle en Allemagne lui donne l’occasion de fuir son pays. Un poste d’enseignant au Bauhaus lui permet de poursuivre son œuvre, même si sa position de peintre abstrait, au sein d’une école qui se rapproche de plus en plus de l’industrie, est contestée.

Panneau pour l'exposition de la Juryfreie (1922)
Maquette
Gouache sur papier noir, 34,7 x 60 cm

Dès 1908, Kandinsky réalise des œuvres qui sortent du cadre de la peinture de chevalet, comme ses « compositions scéniques », des pièces musicales pour lesquelles il rédige des textes, crée des scénographies, des chorégraphies et des musiques. En 1911, il décore l’intérieur de la maison de Gabriele Münter à Murnau en peignant au pochoir le mobilier et la rampe d’escalier. Puis en 1914, il réalise des panneaux décoratifs pour l’appartement new-yorkais de Edwin Campbell, le fondateur de la marque Chevrolet. Mais c’est surtout au Bauhaus, en tant que maître de l’atelier de peinture murale, qu’il crée des œuvres monumentales. A son arrivée en 1922, il est chargé par Walter Gropius de concevoir un projet de hall d’entrée pour un musée d’art qui sera présenté à l’exposition de la Juryfreie à Berlin.

En collaboration avec ses élèves, Kandinsky peint d’immenses toiles où, sur un fond noir, lignes souples et formes colorées composent une symphonie pleine d’allégresse. Les motifs sont simplifiés, annonçant la géométrisation à laquelle il procèdera durant ses années au Bauhaus. De ce décor, il ne reste aujourd’hui que des maquettes offertes par Nina Kandinsky au Musée national d’art moderne, des gouaches sur fond noir ou ocre brun qui ont servi de modèle à une reconstitution réalisée lors de l’ouverture du Centre Pompidou en 1977. Quelques années après la réalisation de ce décor, en 1931, Kandinsky crée pour une autre exposition berlinoise, la Bauausstellung, un « salon de musique », un ensemble polychrome en céramique dont on peut voir aujourd’hui les maquettes qui ont servi à une reconstitution réalisée en 1975, au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

Auf Weiss II (Sur blanc II), 1923
Réalisé à Weimar, février-avril 1923
Huile sur toile, 105 x 98 cm

Toile de la période du Bauhaus que les Kandinsky avaient accrochée dans leur salle à manger de Dessau, Auf Weiss II reprend une œuvre de 1920 et son thème des diagonales qui se croisent. Mais elle rappelle aussi certaines peintures des années 10 qui donnaient à voir des affrontements d’éléments picturaux, des gigantomachies de lignes et de couleurs, comme des événements qui se déroulaient sur la toile.

Ici on assiste à la tension entre deux diagonales émanant d’un fond presque carré dont le blanc donne son titre au tableau. A ce propos, on songe aux carrés blancs de Malevitch, mais aussi à ce que Kandinsky dit lui-même du fond de ses tableaux : « J’ai appris à me battre avec la toile, à la connaître comme un être résistant à mon désir (= mon rêve), et à la soumettre à ce désir par la violence. D’abord elle est là, comme une vierge pure et chaste au regard clair, à la joie céleste, cette toile pure qui est elle-même aussi belle qu’un tableau. Ensuite survient le pinceau plein d’espérance qui, tantôt ici, tantôt là, la conquiert peu à peu avec toute l’énergie qui lui est propre, comme un colon européen lorsqu’à travers la sauvage Vierge Nature, à laquelle personne ne toucha jamais, il se fraye un passage à la hache, à la bêche, au marteau, à la scie pour la plier à son désir » (Regards vers le passé).

Dans Auf Weiss II, la blancheur de la toile vierge est redoublée par le fond blanc qui voit naître à sa surface comme un tourbillon de forces. Grâce à un mouvement centripète, ces forces s’organisent en une dualité de lignes noires. Car, contrairement aux autres gigantomachies et au précédent Auf Weiss, Kandinsky parvient à une clarté d’ensemble grâce à des composantes épurées, comme si sa lutte avec la toile avait abouti à la réalisation de son désir.

Développement en brun, 1933
Toile peinte à Dessau après la fermeture du Bauhaus le 20 juillet 1933
Huile sur toile, 101 x 120,5 cm

Développement en brun est un tableau sombre, peint à Berlin au moment de la fermeture du Bauhaus. Privée de ses subventions, l’école a été contrainte de fermer durant l’été 1933. Moment d’autant plus difficile pour Kandinsky que les nazis en avaient exigé son départ.

Le Bauhaus est une étape de la vie de Kandinsky qui se clôt donc dans l’inquiétude, ce que le brun pesant du tableau exprime. On y voit des plans qui se superposent dans un camaïeu de marron, comme une succession de portes qui se referment. Au centre, reste un espace lumineux et coloré, dont on ignore si, pour Kandinsky, il représente un passé définitivement révolu ou s’il indique, malgré tout, une lueur d’espoir pour l’avenir.

 

V. Les dernières annÉes à Paris, 1934-44retour sommaire

A Paris, où il passe les onze dernières années de sa vie, Kandinsky peint et dessine beaucoup, constituant un important corpus d’œuvres dont le point commun est de s’inspirer d’images issues de la biologie, des formes ressemblant à des embryons, des larves ou des invertébrés… toute une population minuscule qui incarne le vivant.

Composition IX, 1936
Huile sur toile, 113,5 x 195 cm

Composée de multiples bandes de couleur en diagonale et de petites formes qui tiennent autant de l’embryon que de la crevette [1], cette toile a valu à Kandinsky le reproche de ne pas suffisamment articuler le fond et les formes. Pourtant, elle fait partie des rares grandes toiles pour lesquelles Kandinsky recourt à nouveau à l’appellation de  « composition ». Dans Du Spirituel dans l’art, il nomme ainsi ses peintures les plus abouties. Il n’y en aura que dix en tout, dans toute sa carrière. La Composition IX semble donc avoir eu une grande valeur pour le peintre, et lorsque l’Etat lui achète pour 5 000 francs, au lieu des 100 000 demandés, il en est très humilié.

Cette toile complexe est en effet l’une des deux œuvres que l’Etat a achetées à Kandinsky de son vivant. Elle manifeste sa nouvelle inspiration dans des couleurs pastel et acidulées, comme un hymne à la vie. Sans compter qu’elle le rapproche d’artistes de la jeune génération comme Miró qu’il fréquente à Paris, le replaçant au cœur des problématiques artistiques de son époque, dominée par le Surréalisme.

[1] Pour une analyse précise des apparitions biomorphiques et de leur source dans les tableaux de la période parisienne, voir l’étude de Vivian Barnett « Kandinsky and science : the introduction of biological images in the Paris period », Kandinsky in Paris, Guggenheim Museum, 1985.

Bleu de ciel [1], 1940
Huile sur toile, 100 x 73 cm 

Dans les dernières années de sa vie, Kandinsky se renouvelle, comme en témoigne ce tableau qui tend au monochrome bleu. De même que dans la Sieste [2], œuvre de Joan Miró, le fond apparaît comme une matrice vibrante à l’origine d’un monde de formes nouvelles, poétiques.

Ici, ce sont des êtres hybrides multicolores, curieux animoncules en voie de formation, qui flottent dans l’air. Leur légèreté invite à penser que, pour Kandinsky, le mystère de la création, qu’il se représentait auparavant comme une lutte, s’est apaisé. Les affrontements de couleurs de jadis ont laissé la place à un bleu qui évoque la liberté du rêve, ce qui n’a pas fini d’inspirer les artistes. Après Miró et Kandinsky, ce sera au tour d’Yves Klein de célébrer le potentiel artistique de la plus immatérielle des couleurs.

[1] On ne sait pas si le titre du tableau est dû à un problème de langue ou s’il s’agit d’un effet poétique volontaire de la part de Kandinsky.

[2] Pour une analyse de ce tableau, voir le dossier pédagogique L’Art surréaliste.

 

Textes de rÉfÉrence retour sommaire

Vassily Kandinsky, Regards sur le passÉ, 1913-1918 (extrait)

Paris, Hermann, établi par Jean-Paul Bouillon, 1974 pour la traduction française, pp. 116-117

La peinture est le heurt grondant de mondes différents destinés à créer dans et par leur combat le monde nouveau qu’on nomme l’œuvre. Chaque œuvre naît, du point de vue technique, exactement comme naquit le cosmos… Par des catastrophes qui, à partir des grondements chaotiques des instruments, finissent par faire une symphonie qu’on nomme musique des sphères. La création d’une œuvre, c’est la création du monde.
Ainsi, ces sensations de couleur sur la palette (de même que dans les tubes, qui ressemblent à des hommes d’esprit puissant mais d’apparence modeste dévoilant soudain, en cas d’urgence, leurs forces jusque-là tenues secrètes, et les faisant agir) se convertirent-elles en expériences spirituelles. Ces expériences servirent ensuite de point de départ aux idées dont je pris conscience voici [dix ou douze ans]* [et qui commencèrent alors à s’assembler pour aboutir au livre Du Spirituel dans l’art. Ce livre s’est fait de lui-même plutôt que je ne l’ai écrit]. Je transcrivis des expériences isolées qui, comme je le remarquai plus tard, avaient entre elles un rapport organique. J’avais le sentiment de plus en plus fort, de plus en plus clair, que [dans l’art les choses ne dépendent pas] du « formel » mais d’un désir intérieur (= contenu) qui [délimite le domaine du] formel.
Ce fut un grand pas en avant -  à ma grande honte il m’a fallu longtemps pour le faire – que de résoudre entièrement la problème de l’art sur la base de la nécessité intérieure [qui était à même] de renverser à chaque instant l’ensemble des règles et des frontières connues […].

*Les passages entre crochets correspondent à des modifications du texte de 1913 apportées par Kandinsky en 1918 dans la version russe de ce même texte.

 

Correspondance KojÈve - Kandinsky (extraits)

Textes traduits du russe par Nina Ivanoff, Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Hors-série Archives, 1992, pp. 160-163

Kojève à Kandinsky
Boulogne, le 20/IX/31

Cher Oncle Vassia,

J’ai reçu en parfait état tes 7 aquarelles. Je les porterai personnellement au début du mois d’octobre [à la galerie de France] pour éviter tout malentendu.

J’ai immédiatement défait le colis et j’ai été frappé par le tableau (n°432, 1931) « Fleckig » ; je trouve que c’est une de tes meilleures œuvres (aquarelles). Encore de quelque chose de tout à fait nouveau. Je ne peux pas expliquer en ce moment en quoi consiste ce nouveau, mais on le sent immédiatement. Extérieurement, celui-ci se manifeste par une certaine absence de géométrie rectiligne de figures. On a l’impression que l’« élan créateur » se trouve à l’étroit en présence des formes créées avant et devenues rigides dans leur traditionalisme – cet élan les fait exploser de l’intérieur –, la couleur débordant le dessin. A la violence de cette force créatrice correspondent les couleurs vives et succulentes, presque grossières. A première vue, ce tableau m’a frappé par une certaine parenté avec certaines œuvres de Picasso. Après, j’ai compris que cette « ressemblance » est basée justement sur la force, la franchise et l’intensité du contenu du tableau. Ce qui est si typique des œuvres de Picasso (vraies et sérieuses). Je suis chaque fois étonné par ta capacité de trouver toujours des formes nouvelles pour ta peinture. En ceci, seul Picasso pourrait se comparer avec toi. Mais contrairement à lui, tu ne te permets jamais le cabotinage. Oui, dans tes tableaux, il y a davantage de tact, de goût et d’intelligence et aussi peut-être de savoir-faire. Cependant, cette grande qualité devient parfois aussi un défaut ; souvent, et parfois aussi avec raison, on te reproche d’être trop raisonneur. Je pense moi-même que certains de tes tableaux sont plutôt des exemples illustrant ta théorie de la peinture et non pas de la peinture spontanée. Là tu ressembles à Léonard de Vinci.

En ce qui concerne les autres tableaux, ils sont certainement beaux. C’est un art véritable, comme tout ce que tu fais. Mais, à mon avis, ils sont en retrait par rapport au tableau n°432. Ils sont pourvus d’une structure traditionnelle. Bien que tu l’aies créée toi-même, elle est déjà figée. On a l’impression qu’elle n’est pas issue organiquement du contenu artistique du tableau, mais qu’elle remplace ce contenu. Le tableau ressemble dans ce cas à une combinaison (très remarquable et fine, mais sans génie) de formes déjà toutes prêtes. Et ce n’est pas par hasard que certains de ces tableaux ressemblent aux aquarelles de Klee, de ce maître de Kleinkunst et de toutes sortes de « virtuosité ». Ce n’est pas, bien entendu, un reproche, puisqu’aucun peintre ne peut se maintenir dans toutes ces œuvres au niveau le plus haut de sa force créatrice et de sa spontanéité (même Rembrandt qui se rapproche le plus de cet idéal ne le réalise pas entièrement). Et toi moins que quiconque mérite ce reproche. Mais j’ai voulu marquer la différence entre le n°432 et les 6 autres tableaux …

 

Kandinsky à Kojève
Dessau, Stresemann Allee 6
Le 11/X/31

Je te remercie beaucoup pour les aquarelles et des lettres que tu as envoyées pour moi à Berne. Je t’ai déjà écrit qu’à cause des conditions actuelles en Allemagne, je ne peux pas correspondre directement avec ma banque suisse. Je suis donc obligé de te déranger.
Je te demande encore un service. J’espérais obtenir un livre édité à Paris par l’intermédiaire d’une librairie locale, mais sans succès : les Français n’envoient pas à l’étranger. Je pensais que je l’achèterai moi – même quand je serai à Paris, mais tu sais que nous n’y sommes pas allés. Cette édition m’est indispensable pour mon enseignement. Tu as peut-être l’occasion de passer par la rue Vavin. Si oui, va, s’il te plaît, chez Ortet-Roussel, 1, rue Vavin et demande-leur de m’envoyer immédiatement le 1er tome de « L’Art aujourd’hui » port dû. Si ce n’est pas possible, tu pourras peut-être payer toi-même et me faire savoir combien cela t’a coûté. Je te rembourserai immédiatement. Je t’en serais très reconnaissant. Il y a déjà plus d’un an que je tente d’obtenir cette édition.
Ta « critique » de mes aquarelles m’a beaucoup intéressé, tu as une perception très fine, ce qui n’arrive pas très souvent aux gens doués d’une « tête bien faite », c’est pourquoi je l’apprécie particulièrement. Tu te distingues des gens « sans tête » et surtout sans sensibilité par ceci : ces gens ne voient aucune vie et même pas de « sens artistique » dans mes œuvres « austères », tandis que toi tu leur réserves une place due dans mon « passé » (d’après toi). Tu dis : « elles étaient vivantes mais ont commencé à se figer », c’est pourquoi assez d’elles. Je ne sais pas, ça sera peut-être comme ça. Mais jusqu’ici, quand je peins des choses aussi sérieuses, tout en moi se tend au maximum. J’ai besoin ici d’un très grand élan intérieur : le caractère, la dimension, et le lieu de chacune de ces formes austères se définit chaque fois d’après une « dictée intérieure », une sorte de « voyance ». Et moi, j’ai l’impression qu’un tel élan n’est pas seulement nécessaire, mais aussi impossible dans le cas où les formes sont figées.
De nombreuses personnes disent que mes œuvres austères sont aussi froides. Il y a des pâtés chinois qui sont chauds à l’extérieur (sortant directement du four) tandis qu’à l’intérieur, c’est de la glace. Mes œuvres austères sont comme ces pâtés chinois mais à l’inverse : froides à l’extérieur, ardentes à l’intérieur.
Voici mon autodéfense. Ecris-moi et dis-moi toujours en toute franchise ce que tu penses de mon travail.
Peut-être nous verrons nous à Paris à Noël. Peut-être même avant en Allemagne ? A Dessau ? Voilà ce qui serait bien.

Je t’embrasse tandis que Nina te salue cordialement.

Ton Kandinsky

 

RepÈres chronologiquesretour sommaire

1866
- Naissance de Vassily Kandinsky à Moscou. [Nina Kandinsky tenait à ce qu’on écrive Vassily à la française avec un V.]

1885
- Il s’inscrit à la faculté de droit de Moscou.

1889
- Premier séjour à Paris.

1892
- Mariage avec sa cousine Anna Chemiakina.

1893
- A l’université, Kandinsky présente son mémoire sur la légalité du salaire des ouvriers.

1895
- Il refuse une chaire d’enseignant à l’Université de Dorpat (Estonie, aujourd’hui Tartu) pour se consacrer à l’art.

1896
- Installation à Munich.

1900
- Kandinsky entre, en tant qu’élève, à l’école des beaux-arts de Munich.

1901
- Fondation de Phalanx, une association qui est une école d’art et un lieu où sont organisées des expositions.

1902
- Rencontre avec Gabriele Münter.

1903
- Fermeture de Phalanx et début d’une série de voyages.

1906
- Début d’un séjour à Sèvres qui durera un an.

1907
- Kandinsky expose une centaine d’œuvres à Angers.

1908
- Eté à Murnau dans les Alpes bavaroises avec Alexis von Jawlensky. Cette période marque un tournant dans son œuvre.

1909
- De retour à Munich, il co-fonde avec des artistes munichois l’association Neue Künstlervereinigung München (NKVM).
- Rédaction de Du Spirituel dans l’art.

1910
- Rencontre Franz Marc avec qui il crée, l’année suivante, le Cavalier bleu (Blaue Reiter).

1911
- Le 1er janvier, Kandinsky assiste à un concert de Schönberg. Il lui écrit pour lui dire combien il se sent proche, en tant qu’artiste, de ses préoccupations. C’est le début d’une riche relation épistolaire.

1912
- Publication de son ouvrage Du Spirituel dans l’art.
- Publication de l’Almanach du Cavalier bleu.

1913
- Publication à Berlin de la version allemande de Rückblicke (Regards sur le passé), une autobiographie.

1914
- Kandinsky quitte l’Allemagne pour la Suisse puis regagne Odessa et Moscou.

1917
- Rencontre et mariage avec Nina Andrevskaia.
- Après la révolution, il s’implique dans la création des nouvelles structures de l’enseignement artistique.

1918
- Il collabore à l’IZO, un organisme national chargé des arts plastiques, où il collabore avec Rodtchenko, et enseigne aux Ateliers d’arts nationaux à Moscou.

1920
- Participation à la XIXe exposition d’Etat qui se tient à Moscou.

1922
- Installation en Allemagne et enseignement au Bauhaus à Weimar. Kandinsky se lie d’amitié avec Paul Klee et Joseph Albers.

1925
- Le Bauhaus déménage à Dessau, construction de l’école, du lotissement des Maîtres.

1926
- Parution de Point et ligne sur Plan, rédigé une dizaine d’années auparavant à Moscou.

1927
- Début de la correspondance avec Christian Zervos, directeur des Cahiers d’Art. Il obtient la nationalité allemande.

1929
- Solomon Guggenheim et sa conseillère, l’artiste Hilla Rebay, rendent visite à Kandinsky à Dessau et commencent leur collection.
- Exposition en France à la galerie Zac de Paris.

1932
- Le Bauhaus déménage dans la banlieue de Berlin et ferme un an plus tard.

Fin 1933
- Le couple Kandinsky s’installe à Neuilly-sur-Seine.

1939
- Kandinsky obtient la nationalité française.

1942
- Il peint sa dernière grande toile et se consacre désormais à de petites œuvres sur carton.

1944
- Kandinsky meurt le 13 décembre.

1956
- Gabriele Münter lègue à la ville de Munich le fonds d’atelier que Kandinsky lui avait confié lors de son départ d’Allemagne en 1914.

1963
- Première rétrospective de l’œuvre de Kandinsky organisée par le R. Solomon Guggenheim Museum de New York

1981
- Mort de Nina Kandinsky, à Gstaad. Le Mnam entre en possession du fonds d’atelier parisien qu’elle a légué l’année précédente.

 

Bibliographie sÉlectiveretour sommaire

Catalogues d’exposition
- Kandinsly, Centre Pompidou, 2009
- Vassily Kandinsky. Le Salon de musique de 1931 et ses trois maquettes originales, Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg, 2006
- Kandinsky, retour en Russie, 1914-1921, Musée d'art moderne et contemporain, Strasbourg, 2001
- Kandinsky, collections du Centre Georges Pompidou, Musée des beaux-arts, Nantes, co-édition Centre Pompidou/Rmn, collection Hors les murs, 1998 
- Kandinsky : œuvres de Vassily Kandinsky (1866-1944), Centre Georges Pompidou, 1984

Textes de Vassily Kandinsky
- Point et ligne sur plan : Contribution à l'analyse des éléments de la peinture, Paris, Gallimard, 2006
- Du Spirituel dans l’Art et dans la peinture en particulier, Paris, Gallimard, 2005
- Regards sur le passé et autres textes : 1912-1922, Paris, Hermann, 2003
- Kandinsky : du théâtre, été Kandinsky, 1998
- Kandinsky-Albers. Une correspondance des années trente, Cahiers du Musée national d'art moderne, hors-série/Archives, décembre 1998 
- Correspondances, textes Schoenberg-Busoni, Schoenberg-Kandinsky, Genève, Contrechamps, 1995
- Vassily Kandinsky : correspondances avec Zervos et Kojève, Cahiers du musée national d'art moderne, hors série/Archives, janvier 1993 

Témoignages
- Nina Kandinsky, Kandinsky et moi, Paris, Flammarion, 1991

Essais sur Kandinsky
- Christian Derouet, « Kandinsky-Delaunay : un échange de lettres en avril 1912 », Cahiers du Musée national d'art moderne n°73, automne 2000 
- Nadia Podzemskaia, « Kandinsky entre les sciences humaines et l’art », Cahiers du Musée national d’art moderne n°68, été 1999 
- Marcella Lista, « Les "compositions scéniques" de Kandinsky », Cahiers du Musée national d’art moderne n°63, printemps 1998 
- Annette et Luc Vezin, Kandinsky et le Cavalier bleu, Paris, Pierre Terrail, 1991

Dossiers pédagogiques
- Vassily Kandinsky : Jaune, rouge, bleu, 1925
- La naissance de l’art abstrait
- Kandinsky, exposition, Centre Pompidou, 2009

 

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Contacts
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Crédits
© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, janvier 2008
Œuvres de Vassily Kandinsky © Adagp, Paris 2010
Texte : Vanessa Morisset
Design graphique : Michel Fernandez,
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques