Dossiers
pédagogiques/Collections du Musée
Un
mouvement, une période
Le Minimalisme |
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Dan Flavin, Untitled (To Donna 5a), 1971 |
Les
artistes et leurs œuvres
Ad Reinhardt, Ultimate Painting
n°6, 1960
Frank Stella, Mas o Menos
(Plus ou moins), 1964
Donald Judd, Stack (Pile),
1972 ; Sans titre, 1978
Carl Andre, 144 Tin Square
(144 carrés d'étain), 1975
; Hearth (Foyer), 1980
Dan Flavin, Untitled (To
Donna 5a), 1971 ; Untitled
(Monument for Vladimir Tatline),
1975
Ce dossier s’inscrit dans une
série Un mouvement, une période, qui
sera régulièrement augmentée dans cette partie du
site.
• Ces dossiers sont réalisés autour
d’une sélection d’œuvres des principaux mouvements
ou tendances représentés dans les collections du
Musée national d’art moderne.
• S’adressant en particulier aux enseignants
ou aux responsables de groupe, ils ont pour objectif
de proposer des points de repères et une base de
travail pour faciliter l’approche et la compréhension
de la création au 20e siècle, ou pour préparer une
visite au Musée*.
Chacun de ces dossiers comporte :
- une présentation générale permettant de définir
et de situer le mouvement dans un contexte historique,
géographique et esthétique,
- une sélection des œuvres des collections du Musée
les plus représentatives, traitées par fiches comportant
une notice d’œuvre, une reproduction et une biographie
de l’artiste,
- un ou plusieurs textes de référence apportant
en complément une approche théorique,
- une chronologie,
- une bibliographie sélective.
*À NOTER
Les collections du Musée comportent plus de 59 000
œuvres. Régulièrement, le Musée renouvelle les œuvres
présentées dans ses espaces situés aux 4e et 5e
niveaux du Centre Pompidou. Les dossiers pédagogiques
sont réalisés en lien avec ces accrochages.
Pour en savoir plus sur les collections du Musée : www.centrepompidou.fr/musee
Né aux Etats-Unis au milieu des années 60, interprété comme une réaction au débordement subjectif de l’Expressionnisme abstrait et à la figuration du Pop art, le Minimalisme est caractérisé, entre autres, par un souci d’économie de moyens. Il hérite du célèbre principe de l’architecte Mies Van der Rohe « Less is more », des œuvres de Malevitch, et reconnaît le peintre abstrait Ad Reinhardt comme l’un de ses pionniers. Le Minimalisme regroupe des artistes tels que Frank Stella, Donald Judd, Carl Andre, ainsi que Robert Morris et Sol Le Witt, mais qui vont s’en détacher rapidement (1).
Si la sobriété extrême est bien l’une des qualités communes à l’œuvre de ces artistes, elle ne constitue pas, selon eux, un but en elle-même. L’insistance sur cette caractéristique, qui présente leurs œuvres sous l’angle de la pauvreté, leur paraît un jugement réducteur au point qu’ils rejetteront l’appellation de Minimalisme ou d’Art minimal.
Leur travail et leur réflexion portent avant tout sur la perception des objets et leur rapport à l’espace. Leurs œuvres sont des révélateurs de l’espace environnant qu’elles incluent comme un élément déterminant. Ainsi, si Donald Judd et Carl Andre réalisent des pièces qui matérialisent cet espace, c’est en le teintant de lumière que Dan Flavin lui procure une consistance. Ne faisant qu’un avec l’espace - comme le dit Judd, « les trois dimensions sont l’espace réel » -, ces œuvres insistent sur la globalité des perceptions. Elles rejoignent par là certaines thèses de la philosophie et de la psychologie modernes.
Le Minimalisme a profondément
marqué l’évolution de l’art contemporain. Incarnant
la tendance américaine dominante à la fin des
années 60, il a suscité de nombreuses réactions.
Ainsi, dès sa naissance, le mouvement Arte
Povera – qui se fonde sur la conscience
politique de l’artiste et une idée de la « pauvreté »
de l’art dans le sens d’une précarité nécessaire
– s’est opposé directement à la sophistication
volontairement froide et neutre du Minimalisme
(2).
Mais le Minimalisme est aussi à l’origine
d’une part importante de la sculpture contemporaine
et de l’Art conceptuel – lequel
prolonge le souci d’économie de moyens jusqu’à
privilégier l’idée sur la réalisation. Son influence
se retrouve jusque dans le design actuel, par
exemple dans les créations des frères Bouroullec.
(1) Voir le dossier
Art conceptuel
(2) Voir le dossier
Arte Povera
Ad Reinhardt
Buffalo (Etats-Unis),
1913 – New York (Etats-Unis), 1967
Ad Reinhardt,
Ultimate Painting n° 6,
1960
(Dernière peinture
n°6)
Huile sur toile, 153 x 153 cm
Dans les dernières années de sa vie, Ad Reinhardt réalise inlassablement des peintures presque sans motifs ni couleurs, presque entièrement noires avec, au centre, une structure cruciforme à peine discernable. Ultimate Painting n°6 fait partie de ces œuvres qui proposent d’expérimenter les limites de la visibilité.
Ce qu’elles expriment est sans doute à rapprocher des religions extrêmes orientales – auxquelles Ad Reinhardt était très attaché, de même que beaucoup d’artistes américains à cette époque – et pour lesquelles le vide est, non pas un néant, mais la frontière entre le sensible et le spirituel, le dépassement de toute limitation.
Cette recherche des limites est, pour Ad Reinhardt, un moyen d’arrêter le spectateur, de l’entraîner dans une expérience sensorielle et méditative, d’attirer son attention vers ce qui suffit à définir la peinture. Cette extrême réduction des moyens mis en œuvre, la pratique de la répétition, qui introduit la notion de série, annoncent la voie que les artistes du Minimalisme choisiront d’explorer.
Biographie
Ad (Adolph) Reinhardt découvre la peinture à travers les cours d’histoire de l’art qu’il suit à New York, à la Columbia University, au début des années 30. Il est notamment l’élève du grand historien de l’art Meyer Shapiro. Puis il fréquente successivement plusieurs écoles d’art dont la National Academy of Design, jusqu’à la fin des années 40. Il pratique alors un art abstrait, de plus en plus géométrique, qu’il défend avec générosité auprès d’un large public en publiant dans la presse des bandes dessinées pédagogiques. L’une d’elles, par exemple, montre un personnage qui se moque d’un tableau abstrait en demandant : « Ah, ah, qu’est-ce que cela représente ? » ; le tableau lui répond, à sa grande surprise : « Et qu’est-ce que vous représentez ? ».
Son engagement en faveur de l’art abstrait le conduit à adhérer, dès sa création, à l’AAA (American Abstract Artists), une association à la fois organisatrice d’expositions et éditrice.
Au début des années 50, sa peinture se radicalise. Il réduit sa palette à une seule couleur par toile, puis, en 1953, n’utilise plus qu’une peinture sombre, proche du noir. À partir de 1960, et ce jusqu’à sa mort, il peint les Ultimate Paintings, des toiles de même format, aux valeurs très proches, presque ton sur ton, qui laissent à peine entrevoir un motif. Ce sont, selon Ad Reinhardt « les dernières peintures que l’on peut peindre », des peintures qui frôlent sans cesse l’extrême limite au-delà de laquelle l’œuvre n’existe plus, ce qu’on a pu appeler le Hard Edge Painting, une abstraction géométrique d’une extrême radicalité. Pour en savoir plus sur le Hard Edge Painting
Frank Stella
Malden (Etats-Unis), 1936
Mas o Menos fait partie des Shaped Canevas (toiles mises en forme) réalisées par Frank Stella à partir du début des années 60. Ces œuvres se caractérisent par l’originalité de la forme de leurs châssis qui détermine l’orientation des motifs de l’espace pictural, des bandes colorées qui scandent la surface.
Ici, les bandes forment une série de zigzags pris dans un mouvement déclinant, rappelant les courbes d’un diagramme géométrique. Comme dans tous les Shaped Canevas, l’espace intérieur obéit aux limites extérieures. Il est comme déduit du cadre, inversant la relation traditionnelle entre le tableau et ses limites qui, généralement, tentent de se faire oublier au profit de l’espace fictif.
Depuis la Renaissance et la définition qu’en donne Alberti dans son Traité de la peinture (1425), le tableau est « une fenêtre ouverte sur le monde », un espace fictif creusé dans le mur. La matérialité de la toile est niée pour mieux pénétrer dans le monde imaginaire proposé. Avec ses Shaped Canevas, Frank Stella affirme au contraire la réalité matérielle du tableau. Le tableau n’a plus à être interprété en tant que métaphore, il doit être regardé littéralement.
« What you see is what you see »
- ce que vous voyez est ce que vous voyez -,
déclarait Stella dans un entretien : il n’y
a rien d’autre à découvrir qu’une surface qui
se découpe sur un mur et indique, en négatif,
l’espace autour de lui.
Ainsi, avec Stella, le tableau devient un objet
dont la fonction est de révéler l’espace environnant,
ce que Donald Judd appellera un « objet
spécifique », terme qui deviendra un
concept central du Minimalisme.
Biographie
Très tôt initié à l’art, et en particulier à l’art abstrait qui domine la scène artistique dans les années 50, Frank Stella suit des cours d’histoire de l’art à la Princeton University à partir de 1954, ce qui explique le caractère réfléchi de sa démarche. Il s’interroge alors sur les techniques utilisées par les peintres contemporains pour créer leurs effets : les pinceaux qu’ils choisissent, les toiles laissées en réserve… Mais il est surtout marqué par le vocabulaire pictural de Jasper Johns, qui lui inspire la célèbre série des Black Paintings, exposées dès leur création au MoMA de New York. Ce sont des tableaux composés de bandes peintes en noir, dont la disposition est déduite du format de la toile, et séparées entre elles par de minces filets de toile laissée en réserve. Ainsi, le motif semble être déduit des conditions matérielles d’exécution de la toile, ce qui constituera la problématique de Stella pendant quelques années. Cet aspect de son œuvre amènera les artistes du Minimalisme à le considérer comme l’un des leurs.
À la suite des Black Paintings, il crée les Shaped Canevas, des peintures déterminées par la forme de leur châssis. Ces études géométriques débouchent ensuite sur une série d’œuvres en relief où Stella s’interroge, par delà l’exigence de bidimensionnalité prônée par la peinture américaine, sur l’illusion de la troisième dimension. Ainsi, les dernières œuvres de Frank Stella participent autant de la sculpture que de la peinture.
Voir l’une des œuvres en relief de Frank Stella : La Vecchia dell’orto, 1986, Musée national d’art moderne dans la collection en ligne, numéro d'inventaire AM 1986-252
Pour en savoir plus sur Frank Stella : voir le dossier constitué par le musée de San Francisco
Donald Judd
Excelsior Springs (Etats-Unis),
1928 - New York (Etats-Unis), 1994
Donald
Judd, Stack, 1972
(Pile)
Installation
10 éléments superposés à équidistance
Acier inoxydable, plexiglas
rouge
470 x 102,5 x 79,2 cm
Chaque élément : 23 x 101,60 x 78,70 cm
Donald Judd commence à réaliser ce type d’œuvres, qu’il appelle de manière générique Stack (pile), à partir de 1965. Elles suivent la publication de son texte « Specific objects » (De quelques objets spécifiques), dont elles sont comme la conséquence.
Ces œuvres sont constituées d’une succession
d’éléments alignés verticalement, accrochés au mur
en porte-à-faux. Le nombre d’éléments varie en fonction
de la hauteur de plafond, mais doit en principe être
un nombre pair pour qu’aucun d’entre eux ne joue le
rôle de centre et n’introduise une organisation hiérarchique
au sein de l’œuvre.
De même, le premier élément du bas ne doit pas être
posé au sol, pour ne pas assimiler la pile à une colonne.
Entre les éléments, les intervalles d’espace doivent
avoir la même hauteur que les parties pleines, car
ces espaces font eux-mêmes partie de la pièce. Il
en va de la signification de l’œuvre. Une Stack
a pour fonction d’englober l’espace
qui l’environne, de le saisir en un tout.
Les nombreuses Stacks conçues par Judd se distinguent entre elles par leurs matériaux et par leurs couleurs. Il existe des versions avec des parties transparentes, d’autres dorées. Certaines sont bleues, jaunes ou violettes. Celle-ci est en acier et en plexiglas rouge, le rouge étant une couleur privilégiée pour l’artiste. Selon lui, c’est la seule couleur qui dessine nettement les contours et les angles de l’objet. Il convient donc particulièrement bien à la forme orthogonale des éléments de la Stack.
Donald Judd,
Sans titre, 1978
Œuvre en 3 dimensions
Laiton et plexiglas teinté vert sur plaque de fond
en aluminium peint
91 x 152,5 x 152,3 cm
Parmi les œuvres que possède le Musée national d’art moderne, l’une d’elles appartient à une autre série conçue par l’artiste : les boîtes cubiques posées au sol. Elles se présentent comme des puits sur lesquels on peut se pencher.
De même que les Stacks, elles ont pour fonction de révéler l’espace, mais en produisant un effet différent. Judd explique son intention par l’opposition recherchée entre l’extérieur et l’intérieur du caisson : l’un est « bien défini » alors que l’autre est « indéfini », c’est-à-dire sans fin. Ici, la partie en élévation est dorée, en laiton, et reflète la lumière et l’espace environnant, tandis que le fond en plexiglas vert, que l’on découvre à l’intérieur dans un second temps, semble les absorber. En les attirant et les précipitant dans un puits sans fond, la boîte engloutit l’espace.
Biographie
Donald Judd commence sa carrière artistique après quelques hésitations. À la fin des années 40, il suit des cours de peinture à l’Art Students League de New York, puis des études de philosophie à la Columbia University, dont il sort diplômé en 1953. Dès cette époque il peint des toiles, qu’il détruira toutes par la suite. Ses études achevées, et comme Ad Reinhardt, il suit les cours de l’historien d’art Meyer Shapiro. Il travaille alors comme critique d’art et publie de nombreuses analyses dans des revues spécialisées.En 1963 a lieu sa première exposition personnelle où il montre des travaux récents, quelques tableaux en relief réalisés à partir de 1961 et des boîtes comportant du plexiglas. C’est à ce moment qu’il rédige le texte considéré comme son manifeste, « Specific objects », publié en 1965, où il annonce la fin de la distinction entre sculpture et peinture, distinction liée à une vision académique de l’art. Les œuvres d’art sont des objets dont la vocation est de procurer à l’espace qui les environne une configuration particulière (voir textes de référence).
Toute son œuvre applique ce principe de fusion des arts, à travers des objets aux couleurs et aux matériaux significatifs. Plus tard, il étend ce principe à l’architecture et au design, notamment avec l’aménagement de bâtiments qu’il achète, au cours des années 90, dans la petite ville de Marfa au Texas. Il conçoit une architecture et un mobilier dans le prolongement de ses créations plastiques. Pour en savoir plus sur Donald Judd : voir le site de la Tate Modern
Carl Andre
Quincy (Etats-Unis), 1935
Carl Andre,
144 Tin Square, 1975
(144 carrés d'étain)
Œuvre réalisée à New York
Installation
Assemblage au sol de 144 carrés d'étain par rangées
de 12
Etain, 367 x 367 cm
Chaque carré : 30,5 x 30,5 cm
144 Tin Square
(144 carrés d’étain) fait partie des œuvres les
plus célèbres de Carl Andre, des pièces au sol réalisées,
avec des variantes de taille et de matériau, à partir
de 1967. Ce sont des œuvres révolutionnaires dans
l’histoire de l’art car elles éliminent l’une des
caractéristiques essentielles de la sculpture, la
verticalité. Carl Andre met ici en question
le respect traditionnel qu’imposent les œuvres,
notamment ces statues - monuments érigées pour
célébrer les grands hommes et qui constituent des
points de repères aussi bien dans l’espace que dans
le temps.
Au contraire, avec 144 Tin Square, on piétine
une œuvre qui n’impose aucun point de vue privilégié,
aucun axe, aucune hiérarchie.
S’inspirant de Constantin Brancusi qui intègre le socle à l’œuvre à travers la répétition de modules, Carl Andre poursuit cette désacralisation de la sculpture, déclarant lui-même : « Je ne fais que poser la Colonne sans fin de Brancusi à même le sol au lieu de la dresser vers le ciel ». Ici, l’infini se développe à l’horizontale.
Carl
Andre, Hearth (Foyer), 1980
Œuvre réalisée à Düsseldorf en 1980
44 éléments en bois de cèdre
rouge
Bois de cèdre, 120,5 x 469 x 90 cm
Chaque élément : 30 x 90 x 30 cm
Hearth (Foyer) est un exemple de l’évolution du travail de Carl Andre, après la mise en place de sa problématique dans les années 60. En 1980, il réalise cette pièce monumentale, constituée d’une quarantaine de poutres en bois brut de scierie, assemblées de manière à former un étroit tunnel. L’œuvre évoque, en effet, l’abri, le souterrain, le passage, mais conserve tout son mystère, comme s’il s’agissait d’une découverte archéologique dont on ne peut que supposer l’usage originel. En particulier, la monumentalité des poutres de bois brut évoque un certain primitivisme, rappellant l’attachement de Carl Andre à Brancusi.
En utilisant ce matériau, Carl Andre renoue avec une pratique adoptée dès ses débuts, l’utilisation et la mise en valeur du bois non transformé. Peut-être faut-il aussi y voir un hommage à son père, menuisier dans les chantiers navals.
Biographie
Carl Andre étudie la peinture à partir de 1951 à la Philips Academy d’Andover, une école près de Boston. C’est là qu’il rencontre le futur cinéaste Hollis Frampton, lequel restera son ami. En 1954, un voyage en Europe lui permet de découvrir l’œuvre de Brancusi qui le marque profondément, au point qu’il dira être un discipline du sculpteur roumain. En Europe, il visite aussi le site des dolmens de Stonehenge en Angleterre.
De retour à New York, vers 1958, il partage l’atelier de Stella alors que celui-ci réalise ses Black Paintings. C’est à ce moment que Carl Andre s’intéresse à la sculpture. Il réalise des œuvres en bois proches de celles de Brancusi, matériau qu’il transformera de moins en moins au profit du bois brut.
À cours d’argent, il travaille de 1959 à 1964 pour la Compagnie des chemins de fer de Pennsylvanie. L’horizontalité de l’architecture ferroviaire est sans doute l’une des sources d’inspiration de son œuvre. En témoigne cette réflexion : « Pour moi, une sculpture est semblable à une route… Mes œuvres obligent le spectateur à marcher le long d’elles, ou autour d’elles ou au-dessus d’elles ».
En 1966, à l’exposition fondatrice du mouvement de l’Art minimal, Primary Structures, au Jewish Museum de New York, il expose pour la première fois une pièce qui utilise la répétition d’un même module : une ligne de 100 briques. À partir de cette première expérience, ses œuvres ne cessent d’interroger l’essence de la sculpture et la perception des formes dans l’espace à partir du principe de répétition.
Dan Flavin
New York (Etats-Unis), 1933
- New York (Etats-Unis), 1996
Dan
Flavin, Untitled (To Donna 5a), 1971
Installation
avec de la lumière
6 tubes fluorescents (jaune, bleu, rose) et
structure de métal peint
Tubes fluorescents, métal peint
245 x 245 x 139 cm
Exemplaire 2 sur 5
Cette œuvre, un ensemble de six néons de couleur assemblés en carré sur une structure métallique, fait partie d’une série dans laquelle Flavin travaille sur les variations de perception. Plus précisément, elle propose de découvrir les effets d’optique que les différentes couleurs produisent dans l’angle d’une pièce. Cette installation doit, en effet, être disposée en coin, pour adoucir ou accentuer les lignes architecturales, c’est-à-dire modifier les caractéristiques d’un espace défini. Comme le dit Donald Judd à propos du travail de cet artiste, Flavin crée « des états visuels particuliers », des perceptions singulières qui rassemblent, dans la fragilité de la lumière, couleur, structure et espace.
Avec ses œuvres, Flavin accomplit parfaitement la mission de l’Art minimal telle que Judd la définit dans « Specific objects » (voir textes de référence), faire en sorte que l’objet se confonde avec les trois dimensions de l’espace réel. Grâce au recours à la lumière, Dan Flavin irradie l’espace, comme contaminé par la beauté et la spiritualité de l’œuvre. Le contexte devient son contenu.
Dan
Flavin, Untitled (Monument for Vladimir
Tatlin), 1975
Installation
avec de la lumière
Assemblage de 8 tubes fluorescents de longueurs
différentes, socles en métal
Tubes fluorescents, métal
304,5 x 62,5 x 12,5 cm
Entre 1964 et 1982, Dan Flavin met à exécution un vaste projet d’hommage au peintre, sculpteur et architecte russe Valdimir Tatline*. Il réalise une série de pièces en néons, pour la plupart entièrement blanches, qui évoquent schématiquement la forme du Monument à la Troisième internationale, 1920, resté à l’état de projet. Il s’agissait d’une construction utopique de plus de 400 mètres de hauteur, constituée de deux spirales métalliques qui s’enroulent l’une dans l’autre, dont le mouvement semblait pouvoir se développer à l’infini.
Avec ses néons qui suggèrent des silhouettes évanescentes, Dan Flavin célèbre cette architecture progressiste, tout en soulignant son caractère conceptuel, irréalisable, voire fantomatique.
Biographie
Dan Flavin est un artiste autodidacte. Séminariste de formation, il renonce à la prêtrise et, après un service militaire en Corée, s’inscrit en 59 aux cours d’histoire de l’art de la Columbia University. Ses premières œuvres, réalisées à cette époque, sont des peintures intitulées Icônes dont le pourtour est orné d’ampoules électriques. Suite à cette première série, son œuvre développe une recherche sur la lumière, qui n’est pas sans lien avec le religieux et, souligne-t-il lui-même, avec « le faste catholique ». À partir de 1963, il réalise des pièces uniquement à base de néons, des tubes de fabrication industrielle qu’il assemble au sein d’installations. Il conservera son vocabulaire artistique jusqu’à ses dernières œuvres.En explorant les variations que permettent le nombre, la couleur, les dimensions des tubes et leur disposition, Dan Flavin travaille sur la perception de l’espace. Un travail que la diversité des lieux pour lesquels il crée vient encore enrichir : ainsi expose-t-il aussi bien dans des musées tels que le Musée Guggenheim de New York, en 1971 et en 1992, ou dans des endroits plus inattendus, la gare centrale de New York en 1977 dont il illumine les quais, par exemple, ou l’église Santa Maria Annunciata de Milan, dont l’aménagement a été achevé après sa mort en 1997.
* Maquette du Monument à la Troisième Internationale de Tatline dans les collections du Musée national d’art moderne : voir l’œuvre dans la collection en ligne, numéro d'inventaire AM 1979-413
Pour en savoir plus sur Dan Flavin : voir le site de la rétrospective présentée à Washington DC en 2005
Donald Judd, « De quelques
objets spécifiques »
Art Yearbook,
1965
« La moitié, ou peut-être davantage,
des meilleures œuvres réalisées ces dernières
années ne relèvent ni de la peinture ni de la
sculpture. Jusqu’à présent ces œuvres étaient,
de façon plus ou moins lointaine, liées à l’un
ou l’autre de ces arts. Le travail a changé, et
la plupart des œuvres qu’on ne peut classer parmi
les peintures ni parmi les sculptures sont également
très différentes entre elles. Elles possèdent
cependant quelques traits communs.
Les nouvelles œuvres tridimensionnelles ne constituent
ni un mouvement, ni une école, ni un style. Leurs
caractéristiques communes sont à la fois trop
générales et trop peu partagées pour que l’on
puisse parler de mouvement. Les différences entre
les œuvres sont plus importantes que leurs traits
communs. Leurs ressemblances apparaissant entre
les œuvres achevées, elles ne naissent ni de principes
premiers ni de règles d’un mouvement structuré.
La tridimensionnalité ne peut guère prétendre
au simple rôle de contenant, comme la peinture
ou la sculpture, mais elle y tend. Aujourd’hui,
peinture et sculpture ne sont plus aussi neutres,
ne sont plus de simples « contenants » ;
elles sont mieux définies et ne sont incontestables
ni inévitables. Après tout, il existe des formes
spécifiques et bien définies qui produisent des
effets relativement précis. La motivation sous-jacente
à ces œuvres nouvelles tend surtout à s’en éloigner.
L’utilisation des trois dimensions est une solution
évidente. Elle ouvre vers tous les possibles.
Les raisons de cet emploi de la tridimensionnalité
sont négatives, elles viennent en réaction contre
la peinture et la sculpture et, dans la mesure
où ces sources sont communes, ces raisons négatives
sont des plus ordinaires. « La cause d’un
changement est toujours le malaise : rien
ne nous incite davantage à changer d’état, ni
à entreprendre quelque chose qu’une sensation
de malaise ». Les raisons positives de cet
emploi des trois dimensions sont plus spécifiques.
Une autre raison qui justifie que l’on commence
par énumérer les insuffisances de la peinture
et de la sculpture vient de ce que l’une et l’autre
nous sont familières, et que leurs composantes
et leurs caractéristiques sont plus faciles à
distinguer. »
Donald Judd, déclaration
parue dans « ABC Art » de Barbara Rose
Art in America,
octobre-novembre 1965
« L’un des aspects importants de toute forme d’art est son niveau de généralisation et de spécificité ; un autre aspect important est la façon qu’a l’artiste d’atteindre à ces qualités. Les conditions de leur apparition et de leur portée doivent être crédibles. J’aimerais que mon travail soit un peu plus spécifique que l’art ne l’a été jusqu’à présent, et aussi qu’il soit plus spécifique et plus général d’une façon différente. C’est sans doute aussi l’intention d’autres artistes. Bien que j’admire le travail de quelques-uns des artistes qui m’ont précédé, je ne peux totalement croire à la généralisation qu’ils proposent. L’art antérieur est moins crédible. Au fond, en dernière analyse, je ne crois qu’en mon propre travail. Il est nécessaire de prendre des positions d’ordre général, mais il est impossible, et il n’est même pas souhaitable de croire en la plupart des déclarations d’ordre général. Personne ne possède les connaissances nécessaires pour concevoir un système global auquel on puisse croire. Il est idiot d’avoir des opinions sur beaucoup de choses à propos desquelles on est censé avoir des opinions. Quant à celle sur lesquelles il est nécessaire d’avoir une opinion, cela relève surtout de la devinette. Quelques-unes de mes généralisations, comme celles que je viens d’exprimer, concernent cette situation. D’autres généralisations, et une grande partie de ma spécificité, sont une façon d’affirmer des intérêts qui me sont propres ou qui relèvent du domaine public. »
Carl Andre, entretien avec
Irmeline Lebeer (1974)
In L'art, c'est une
meilleure idée
Editions Jacqueline Chambon, 1997, pp.42-55
(extraits)
Depuis 1965-1966, vous travaillez presque exclusivement au niveau même du sol. N’avez-vous plus jamais réalisé de sculptures debout dans l’espace ?
Non, presque jamais, même pas avant 1965. De 1960 à 1964, je n’ai pratiquement pas réalisé de sculptures. Je n’avais pas la possibilité de vendre ou d’exposer. J’ai été obligé, ainsi, de travailler aux chemins de fer.
J’ai lu, à votre propos, qu’en faisant du kayak avec un ami vous aviez eu l’idée d’une sculpture qui ressemblerait à la surface de l’eau ? Cela fait-il partie de votre légende ?
Non. L’anecdote est vraie. Elle se situe, je crois, en 1965 ou 1966. Je vivais dans le New Hampshire et je faisais souvent du kayak avec un ami. Lorsque j’étais couché au fond de l’embarcation, j’avais vraiment l’impression de glisser sur l’eau. À cette époque, je pensais déjà à exposer une sculpture très basse, en briques, et je me demandais s’il fallait que ces briques aient un, deux, trois ou plusieurs niveaux. La réponse me vint finalement de ces promenades en canot : la sculpture, comme la surface de l’eau devait avoir le même niveau et il eût été ridicule que des briques fussent plus hautes que d’autres. Tout se passa très bien par la suite : je fis plusieurs pièces, disséminées sur le sol, ayant le même nombre d’éléments, mais de configurations différentes. En circulant entre les pièces, on avait l’impression de marcher sur l’eau.
[…]
Lorsque vos maintenez vos sculptures au niveau du sol, deviennent-elles bidimensionnelles ? Restent-elles des sculptures à vos yeux, ou changent-elles de nature ?
Elles deviennent, pour moi, plus plastiques encore. J’ai toujours évité dans mon travail le danger architectural. Je pense qu’une sculpture devient très facilement architectonique et que la sculpture dite minimaliste est, en grande partie, de la sculpture architecturale. Ce qui est très peu satisfaisant pour la sculpture. Mon problème a été (et est presque toujours) de faire un genre de sculpture dans laquelle on puisse entrer, mais qui n’est pas architecturale, comme un jardin japonais, par exemple, ou tout autre jardin. Mes sculptures sur le sol ne sont pas toujours destinées à être foulées par les spectateurs, parce que certaines d’entre elles – celles qui sont réalisées en briques ou en plastique – sont trop fragiles. Sur les dalles en métal, par contre, il faut marcher pour bien comprendre.
[…]
Vos sculptures sont-elles construites pour intégrer l’espace dans lequel elles sont situées ?
Pas au sens d’un environnement. Si je tiens à ce que la sculpture ne soit pas architectonique, je n’aime pas non plus qu’elle devienne un simple décor. À un certain moment, l’accumulation plastique cesse d’être sculpturale ; elle perd sa spécificité et devient purement décorative, comme un papier peint ou un tapis.
Entre ces deux extrêmes, il existe un point où l’œuvre fonctionne pour soi tout en étant située dans l’espace. C’est ce point-là que j’ambitionne d’atteindre.
[…]
Dans quelle mesure êtes vous lié à l’art minimal ?
J’ai toujours été entraîné à faire de la sculpture en opposition disons à la peinture. Je n’ai jamais été profondément motivé par la peinture. Je pouvais me mettre en face d’une toile et y poser de la couleur mais je n’y croyais pas. Ce n’était pas un acte assez signifiant.
Mais tailler et découper des matériaux, voire transporter des blocs de bois d’une pièce à l’autre, avait pour moi une dimension réelle dans le monde qui échappait toujours à la peinture. Toutefois, j’ai subi longtemps le fardeau de cette conception linguistico-métaphorique du monde dont je vous ai parlé. Ce fut Frank Stella qui attira mon attention sur ce problème. Il avait réussi à réduire en lui cette prédominance linguistique. Quand je le rencontrai en 1958, il me dit : « N’imite pas mon travail. Supprime le langage en toi et travaille directement avec le matériau concret tel qu’il se présente dans la réalité ! »
C’est ainsi que j’ai commencé à découvrir la réalité de l’art et à me libérer progressivement de ses fausses apparences. En 1959-1960, j’ai réalisé un certain nombre de pièces, qui seraient certainement considérées comme du minimal aujourd’hui, mais qui sortaient directement de Brancusi et, en un certain sens, des constructivistes russes. Personne n’y prit garde et, de 1960 à 1964, je fus contraint de travailler aux chemins de fer, période durant laquelle des artistes comme Don Judd, Bob Morris et Dan Flavin commencèrent à montrer leurs œuvres. Je ne les connaissais pas et ils ne me connaissaient pas et lorsque leurs œuvres furent exposées, certaines personnes se dirent : ce sont des travaux intéressants… mais il y avait déjà cet autre gars qui avait travaillé dans le même esprit ! Voyons un peu ce qu’il avait fait alors ! Et c’est ainsi que le succès du minimal classique de Judd et de Morris me permit d’exposer à mon tour.
[…]
Votre travail actuel résulte-t-il d’un processus progressif de réduction ?
Je n’y pense pas en ces termes… Je me suis toujours intéressé à la masse du matériau et à mes yeux une plaque de métal est plus solide, plus massive, par exemple, qu’un cube métallique creux. Mes sculptures peuvent apparaître au spectateur comme le résultat d’une réduction ou comme de simples surfaces mais, pour moi qui soulève et dépose ces plaques, elles sont très lourdes et très denses. Je n’ai jamais travaillé avec des boîtes ou des cubes – l’objet classique du minimal – parce que mon tempérament me porte vers le solide et le pesant et parce qu’un cube de 30 x 30 cm en acier solide serait beaucoup trop lourd pour être soulevé par une seule personne. J’utilise des plaques en métal, non dans un souci réducteur, mais parce qu’elles constituent pour moi la seule manière de conserver une haute densité à l’œuvre.
Et c’est aussi la raison pour laquelle vous choisissez habituellement des formes très simples : la ligne, le carré, etc. ?
Oui. Pour des raisons pratiques. Non théoriques. Il y a un principe quasi mécanique de mon travail qui veut que les unités de base soient d’un format que je puisse manipuler moi-même. C’est une des raisons pour lesquelles mes sculptures sont composées d’éléments détachés. Si elles étaient faites d’une seule pièce, j’aurais besoin de toute une machinerie pour les déplacer. J’ajoute que l’acte physique même de la manipulation fait partie, pour moi, du plaisir de faire une sculpture.
1958
Frank Stella découvre l’œuvre de Jasper Johns
et en particulier les Cibles et les Drapeaux,
des peintures qui réduisent l’iconographie à quelques
signes reconnaissables par tous. Cette découverte
motive sa recherche et le conduit à la réalisation
de ses Black Paintings.
Il partage son atelier avec Carl Andre.
1959
Les Black Paintings de Stella sont
exposées au MoMA, New York. À
propos de ces pièces, Carl Andre écrit :
« l’art exclut l’inutile ». Les bases
de l’Art minimal sont posées.
1962
Donald Judd abandonne la peinture pour réaliser
des œuvres en trois dimensions.
1963
Dan Flavin, dans son atelier, accroche un
néon en diagonale et en fait une œuvre pensée
comme la conséquence de la Colonne sans fin
de Brancusi.
Première exposition personnelle de Judd à la Green
Gallery, New York.
1965
Publication du réquisitoire de Judd pour un
art nouveau, « Specific Objects » dans
la revue new-yorkaise Art Yearbook.
La critique d’art Barbara Rose publie, dans la
revue Art in America, un article sur la
tendance commune qu’elle perçoit chez Judd, Flavin
et Carl Andre, sous le titre de « ABC Art ».
Elle propose ainsi une appellation pour les regrouper,
mais qui ne sera pas retenue.
Le terme de Minimalisme apparaît cette
année-là, dans l’article d’un philosophe, professeur
à l’University College de Londres, Richard Wolheim,
où il analyse la spécificité de l’esthétique
de son époque.
1966
Judd expose sa première Stack chez
Leo Castelli.
L’exposition Primary Structures organisée
au Jewish Museum, New York, rassemble pour la
première fois Judd, Flavin, Carl Andre ainsi que
Sol Lewitt et Robert Morris.
1967
Sol Lewitt publie Paragraphs on Conceptual
Art, un texte qui le sépare des minimalistes
en ce qu’il annonce un travail purement intellectuel
qui ne requiert pas de réalisation matérielle.
1968
Robert Morris publie, dans Art forum,
« Anti Form », texte qui le sépare à
son tour de la problématique minimaliste.
Donald Judd acquiert un immeuble à New York pour
y installer une partie de ses œuvres et de sa
collection. Démarche qu’il renouvellera plus tard
en achetant une suite de bâtiments dans la petite
ville de Marfa, au Texas.
1971
Dan Flavin illumine le Musée Guggenheim de
New York à l’occasion de l’exposition Sixth
Guggenheim International, une manifestation
qui rassemble les artistes minimalistes. Daniel
Buren est convié à y participer, mais suite à
une querelle avec Judd et Flavin, il se retire.
1988
Exposition des œuvres d’Art minimal
de la collection Panza, à Genève puis à Paris.
1994
Mort de Donald Judd.
1996
Mort de Dan Flavin.
1997
Rétrospective de l’œuvre de Carl Andre aux
Etats-Unis et en France.
2004
Rétrospective de l’œuvre de Donald Judd à
Londres, Düsseldorf et Bâle.
2005
Rétrospective de l’œuvre de Dan Flavin aux
Etats-Unis.
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