Dossiers pédagogiques
Collections
du Musée
La peinture comme pratique
d’avant-garde
La peinture et l’art minimal : Robert Ryman
La peinture suffit-elle à l’art ? Bertrand Lavier
Peinture et
installation
La libération de la toile : Claude Viallat
La peinture comme installation : Fabrice Hyber
L’influence de modèles
narratifs populaires
L’Emprunt au polar : Jacques Monory
La mixité des références : Jean-Michel Alberola
La désacralisation
de la « Peinture »
Punir la peinture : Sigmar Polke
La peinture comme pratique séculière : Gerhard Richter
La jeune génération
et la liberté de peindre
Le retour du geste : Yan Pei-Ming
L’expansion des couleurs : Katharina Grosse
Comment la peinture est-elle pratiquée aujourd’hui ? Le nouvel accrochage des collections contemporaines du Musée (de 1960 à nos jours) offre au visiteur l’occasion de découvrir l’ampleur et la richesse des possibilités développées par les artistes voués à ce médium.
Accueilli par une vaste peinture murale de Jean-Michel Alberola qui témoigne de la vitalité de la peinture in situ, le visiteur pénètre dans la galerie centrale où sont présentées des œuvres des peintres les plus célèbres de la fin du 20e siècle, comme Gerhard Richter ou Jean-Michel Basquiat, et de personnalités représentatives de la jeune génération, comme Katharina Grosse. Puis, au fil des salles monographiques et thématiques du Musée, il peut explorer la diversité des problématiques traitées par la peinture contemporaine qui, loin de se cantonner à une dimension traditionnelle, a réussi à s’approprier toutes les formes de création nées des avant-gardes.
L’accrochage permet ainsi de mesurer à quel point la peinture contemporaine sort de ses gonds en tenant compte de l’ensemble des questionnements sur l’art. Par exemple, en interrogeant ses propres conditions d’existence, que ce soit à la manière des minimalistes avec Robert Ryman ou dans le sens du ready-made duchampien avec Bertrand Lavier, la peinture propose sur elle-même un regard réflexif proche des mouvements avant-gardistes. Avec la recherche de nouvelles formes d’accrochage, elle se rapproche de l’installation, comme c’est le cas dans les premiers travaux de Claude Viallat, jusqu’à se confondre avec elle chez Fabrice Hyber. Elle assimile aussi les nouvelles structures narratives mises en place par le cinéma et la BD par exemple avec Jacques Monory, et renaît désacralisée grâce aux peintres allemands qui, comme Sigmar Polke, autorisent la nouvelle génération à renouer avec le plaisir du geste, ainsi de la peinture de Yan Pei-Ming.
On comprend alors que le regain d’intérêt pour la peinture, apparu
il y a quelques années aussi bien chez les artistes que les critiques ou les
institutions, n’est ni un retour en arrière ni un paradoxe par rapport aux bouleversements
survenus dans l’art du 20e siècle, mais bien plutôt une reconnaissance
de sa vigueur et de son rôle moteur dans la création contemporaine.
La peinture comme pratique d'avant-garde
La succession des mouvements d’avant-gardes depuis la modernité a pu faire croire à la disparition de la peinture au profit d’autres formes de productions artistiques, par exemple le ready-made. Or, la peinture a persisté en permettant, au contraire, aux artistes d’assimiler leurs leçons les plus radicales, en les confrontant avec les données traditionnelles du tableau, comme le cadre qui limite l’œuvre ou la touche de peinture qui exprime le tempérament de l’artiste.
Par exemple, à la suite des artistes minimalistes (1) qui définissent l’œuvre d’art comme un « objet spécifique » faisant prendre conscience de la perception de l’espace, Robert Ryman produit une peinture qui interroge ses relations avec ses supports d’accrochage. Ou selon une démarche tout aussi conceptuelle mais différente dans ses modalités, et notamment par sa dimension ironique, l’œuvre de Bertrand Lavier explore, grâce à la peinture, les limites entre l’art et le non-art.
(1) Voir le dossier Le Minimalisme.
La peinture et l’art minimal
Robert Ryman, Sans titre, printemps 1974
Laque glycérophtalique sur toile marouflée sur panneaux de bois, 182 x 546
cm
Le peintre américain Robert Ryman appartient à la tradition du monochrome, initiée
au début du 20e siècle par Malevitch, en l’enrichissant d’un questionnement
issu du mouvement minimaliste américain.
A la fin des années 60, il commence à réaliser des tableaux où sont explorées
de manière systématique les variations possibles autour du carré blanc dans
ses relations avec l’espace qui l’environne. En effet, à partir de cette donnée
de base, il fait varier quelques-uns des éléments constitutifs du tableau :
la matière du support, en utilisant par exemple du tissu, la méthode
de fixation de la toile au mur, avec par exemple le recours à du papier
autocollant, la technique d’application de la peinture, plus ou
moins lisse, ou encore, comme ici, son environnement, qu’il modifie par
la production d’un polyptique.
Dans cette œuvre, Sans titre, 1974, c’est grâce au voisinage
de trois carrés blancs qu’il donne à voir la limite entre la peinture et les
cimaises du Musée, entre le peint et le non peint. Les bordures, seules parties
de la toile où le blanc a été appliqué d’une manière remarquablement lisse,
marquent une continuité entre l’œuvre et le mur.
En utilisant la peinture, il rejoint par conséquent les problématiques posées
par les mouvements d’avant-garde des années 70, comme celle de la limite
de la visibilité de l’œuvre.
La peinture suffit-elle à l’art ?
Bertrand Lavier, Lavier/Morellet, 1975-1995
Peinture acrylique sur toile, 200 x 200 cm
« Spécialisé » depuis le début des années 80 dans l’utilisation
d’objets du quotidien, et en particulier d’objets, armoire, voiture ou piano,
qu’il recouvre d’une couche de peinture acrylique d’une couleur identique, Bertrand
Lavier repeint, ici, un objet bien singulier : une peinture de son ami
François Morellet. Comme tous les autres objets, cette toile est repeinte
à coup de touches épaisses et d’empâtements qui rappellent, en la parodiant,
la manière de Van Gogh.
« La pâte et la touche de Van Gogh sont des clichés de peinture moderne
que je m’approprie pour conserver le plus grand anonymat possible », dit-il.
En utilisant cette pâte et cette touche sensées incarner la peinture en général,
l’artiste questionne le rôle de ce matériau : une couche de peinture suffit-elle
à faire d’un objet de l’art ?
Toutefois, dans cette œuvre, la question est redoublée : la couche de peinture
appliquée par Lavier recouvre un tableau déjà reconnu comme une œuvre. Ainsi,
son intervention transforme de nouveau le tableau en objet, si bien que l’on
ne saurait plus dire quel est le statut de cet objet. Ce n’est plus une
toile abstraite, mais ce n’est pas non plus une peinture de Lavier dans le sens
artistique du terme. Autrement dit, avec cette pièce l’artiste se situe,
non pas dans le domaine de la provocation et du non-art, mais plus exactement
entre l’art et le non-art.
En participant aux démarches mises en place par les avant-gardes,
la peinture s’interroge sur ses conditions de présentation et d’exposition :
elle se rapproche ainsi d’une forme artistique née au cours des années 60, l’installation.
Contemporaines des débuts de cette invention, les premières oeuvres de Claude
Viallat exploitent la mobilité de la toile débarrassée de son châssis, qui peut
ainsi échapper aux conditions d’accrochage et aux lieux habituellement dédiés
à l’art. Avec Fabrice Hyber, le terme même de peinture est utilisé
pour désigner un ensemble d’éléments hybrides assemblés de manière permanente
ou éphémère, assimilant la peinture à l’installation.
La libÉration de la toile
Claude Viallat, Blanche et bleue, 1967
Toile libre
Acrylique sur toile, 214 x 414 cm
Depuis la fin des années 60, Claude Viallat travaille sur les composantes matérielles
de la peinture - comme le support ou les procédés de coloration -, et s’intéresse
aux conditions d’exposition des œuvres. Dès 1966, il opère à partir d’un
seul motif qu’il répète sur la toile, une sorte de haricot sans
signification déterminée, qui lui permet de concentrer son attention sur les
autres composantes de la peinture. Sa démarche est proche de celle de Daniel
Buren qui, dans les mêmes années, réduit son vocabulaire pictural aux célèbres
bandes de 8.7 cm. Mais si, chez Buren, il s’agit, grâce à ce motif, d’attirer
l’attention du spectateur sur les caractéristiques d’un lieu et de remettre
en cause la mobilité de l’œuvre, chez Viallat, au contraire, la peinture
redevient une toile à déplacer, comme en témoigne Blanche et bleue.
Cette œuvre, réalisée à partir d’une toile souple non apprêtée,
recouverte d’une très fine couche d’acrylique qui laisse surgir à la surface
la couleur écrue du tissu, comporte, en effet, des marques de pliage
dues à son transport, et acceptées comme des éléments constitutifs à part entière.
Dès 1969, Claude Viallat organise des expositions insistant sur
la mobilité des oeuvres, dans des environnements inattendus pour des toiles
avant-gardistes, comme le vieux village provençal de Coaraze où celles-ci sont
montrées dispersées. Ou encore, il les présente dans la nature en les accrochant
à des arbres. Ces initiatives annoncent la création en 1970 du groupe Supports
surfaces dont il sera l’un des meneurs. De plus, elles engagent dans une
réflexion sur la peinture comme un élément parmi d’autres au sein d’un contexte,
ce qui la rapproche de la pratique de l’installation.
La peinture comme installation
Fabrice Hyber, Peinture homéopathique n° 10 (Guerre désirée),
1983-1996
Diptyque
Photographies, dessins, écriture, sur papiers et papier de soie, le tout
collé sur toile à la colle de peau de lapin, 225 x 450 cm
En refusant le principe d’autarcie qui, dès la Renaissance, a constitué la peinture
comme tableau, Fabrice Hyber, dès ses débuts dans les années 80, expérimente
la construction d’une œuvre faite de différents matériaux (on parle à ce sujet
d’œuvre « hybride ») où le dessin occupe une place de plus en plus
grande. En effet, selon lui, le « dessin a une dimension en moins
[ par rapport à la peinture ], ce qui donne à celui qui regarde un champ plus
important de glissement possible ».
Avec la multiplication de dessins auxquels peuvent s’ajouter des
photos ou des objets, il maintient l’œuvre ouverte à un dynamisme dont se privait
la toile achevée. D’un point de vue formel, il la transforme en une vaste installation
d’éléments, relevant de l’accrochage dans l’espace plus que du montage séquentiel
entre plusieurs pièces.
Fabrice Hyber donne à cette forme de peinture le titre de peinture homéopathique,
nom qui traduit l’idée d’une multiplicité active constituée d’infimes éléments
accumulés.
La Peinture homéopathique n°10 applique cette
conception à une réflexion sur la guerre, précisément ici le conflit israélo-palestinien
qui, selon Hyber, perdure à cause de récits explicatifs
trop fermés et exclusifs les uns des autres.
La Peinture homéopathique, en proposant un modèle d’hybridation
des éléments, indique la voie de l’échange, à travers des solutions qui
maintiennent une ouverture et une possibilité de dialogue.
L’influence de modÈles narratifs populaires
Depuis l’avènement du Pop Art au début des années 60, la peinture
s’inspire d’images médiatiques, de ses sujets, de
ses textures, de ses couleurs ou encore de ses compositions (1). Cette tendance
s’est poursuivie en explorant des aspects de plus en plus précis de la culture
populaire, comme les modèles narratifs du cinéma de fiction ou de la bande dessinée
(2). C’est ce qu’on appelle la Nouvelle figuration ou Figuration narrative.
Parmi les artistes de ce mouvement, Jacques Monory emprunte à l’univers du polar
ses codes et ses intrigues, Jean-Michel Alberola mêle à des références intellectuelles
tirées de l’histoire de l’art des éléments proches de la culture populaire et
de la bande dessinée.
(1)
Voir
Dossier Pop Art
(2)
Voir
Dossier Le Mouvement des images, chapitre « Le récit. La référence au cinéma
de fiction »
L’Emprunt au polar
Jacques Monory, Meurtre n° 20/1, 1968)
Huile sur toile et miroirs, 228 x 195 cm
Exposée pour la première fois en 1968, la série des 22 pièces intitulée Meurtre, à laquelle appartient cette peinture, transpose au sein du tableau le vocabulaire visuel du film noir. Tantôt Monory y utilise les techniques cinématographiques du gros plan, de la contre-plongée, tantôt il traduit les rythme et suspense de la narration par des effets de composition. Comme ici, où de part et d’autre d’une diagonale située en bas et à gauche de la toile, il juxtapose une scène d’où deux jambes anonymes s’enfuient et un miroir criblé de balles.
De même, il traduit l’ambiance étrange et pesante qui règne dans ce genre de cinéma, souvent exprimée par des images tournées en noir et blanc pour entraîner le spectateur dans l’univers fantasmatique des bas-fonds et de la pègre, par un monochromatisme, souvent un camaïeu de bleus, qui agit comme un filtre sur la réalité.
Toutefois, la distance que pourrait instaurer ce monochromatisme
est contrebalancée par la présence de miroirs, récurrente
dans les tableaux de Monory, qui nous inclut dans l’image : de spectateur
voyeurs, nous devenons témoins et complices d’un crime.
Par cette série d’innovations picturales, Monory parvient à profiter des
audaces mises en place par le cinéma et à transformer la peinture en un medium
des plus actuels.
La mixité des rÉfÉrences
Jean-Michel Alberola, Vous avez le bonjour de Marcel, 2002
Mur peint réalisé au Musée national d'art moderne 2007
Depuis le début des années 80, Jean-Michel Alberola compose des peintures où s’entremêlent des références issues de domaines hétérogènes tels que l’art conceptuel, la mythologie, l’Afrique, le Christ et le style figuratif… La peinture Vous avez le bonjour de Marcel est à la croisée de ces influences.
Avec son titre qui interpelle le visiteur, comme d’autres œuvres réalisées à la même période, par exemple J’ai l’impression de parler à un mur, 2002, cette peinture se sert des mots pour instaurer une dimension dialogique : elle nous met dans la situation de quelqu’un qui, salué, s’arrête pour dialoguer, à la manière dont pourrait le faire l’art conceptuel. Ce titre fait, par ailleurs, référence aux pionniers de la réflexion sur l’art, car le « Marcel » dont il s’agit, souvent présent dans l’œuvre d’Alberola, renvoie à la double figure de Marcel Duchamp et Marcel Broodthaers, deux artistes qui n’ont cessé de questionner la définition de l’art.
Le second message écrit, délivré par l’œuvre, « tout va bien », dont les lettres semblent s’échapper d’une bulle de bande dessinée, relève d’un optimisme et d’une gaîté qui rappellent le monde de l’enfance. Cet autre aspect est renforcé par le paysage désertique schématisé dans la partie inférieure, sur lequel se découpent des paires de bottes évoquant le western.
Ainsi, par le biais de cette œuvre, c’est comme si le peintre organisait la rencontre entre la tradition de la grande peinture murale, l’art conceptuel et Lucky Luke, une confrontation insolite mais peut-être caractéristique de l’époque contemporaine.
La Désacralisation de la «Peinture»
Lorsque l’on évoque le déclin de la peinture au profit des avant-gardes, on songe aux mouvements qui se sont opposés à la tradition pour valoriser la vie, comme le mouvement Fluxus. Mais Fluxus a-t-il vraiment condamné la peinture ? Les artistes de ce mouvement prônent surtout l’idée qu’il faudrait accorder à la vie au moins autant d’intérêt qu’à l’art.
Ce sont plutôt des peintres qui, tels que Polke, succédant à
ce mouvement, dévaluent l’art à travers sa principale forme, la peinture, pour
le vider de toute transcendance et de toute idéologie. Avec Richter à sa suite,
il rabaisse la peinture au rang de technique, ce qui a pour effet de la libérer
d’une quelconque mission supérieure pour l’ouvrir à d’autres possibilités. Chez
Polke la peinture manifeste l’expression d’une posture ironique, tandis que
chez Richter elle se présente comme un modèle d’analyse quasi scientifique.
Punir la peinture
Sigmar Polke, Pasadena, 1968
Huile et peinture acrylique sur toile, 190 x 150,5 cm
Achat, 1987
AM 1987-559
Œuvre reproduite dans le catalogue Art contemporain, la collection du Centre
Pompidou, Musée national d’art moderne, éditions Centre Pompidou, 2007
Sans doute faut-il voir, à la base de l’œuvre de Sigmar Polke, l’expérience d’une éducation dans un contexte idéologique fortement marqué : l’artiste est né en Silésie à l’époque du 3e Reich. Ce peintre s’attache, en effet, à dénoncer toute idéologie, quelle qu’elle soit, comme dangereuse, inutile et mensongère : des façades pour séduire les masses alors qu’elles servent des destins particuliers. Quant à la peinture qui, selon Polke, a chanté toutes les idéologies grâce à une prétendue supériorité artistique, elle doit être dévalorisée, ce qu’il accomplit en la rabaissant au rang d’une pratique mécanique aveugle. Comme dans ce tableau, il reproduit des images qu’il tire de diverses sources, ici la presse, en s’astreignant à les recopier patiemment, à la main. Il insiste notamment sur le motif de la trame, récurrent dans son travail, qu’il réduit à des constellations de points. Il déclare d’ailleurs avec autant d’ambiguïté que d’humour : « J’adore les points, je suis marié avec de nombreux points. Je voudrais que tous les points soient heureux. Les points sont mes frères. Je suis un point moi aussi ».
Avec Pasadena, Polke procède à cette double dévalorisation
de l’idéologie et de la peinture, en s’attaquant au thème de la conquête
de l’espace telle qu’elle a opposé Soviétiques et Américains pendant la
Guerre Froide. Le titre renvoie au département de la NASA où a été transmise
cette photo prise par l’une des premières caméras posées sur la Lune en juin
1966.
La légende de la coupure de presse est, elle aussi, recopiée en bas de l’œuvre.
La photographie est censée montrer « la surface de la lune au point d'atterrissage
de "Surveyor-1". La pierre en bas à gauche mesure 15 cm sur 30,8 cm.
Les points clairs sont des reflets du soleil ». Toutefois, dans l’image,
rien de tel n’est visible.
Le noir et blanc de la trame se perd dans un motif abstrait, tout comme le sens
de la mission américaine sur la Lune. La transposition picturale de l’image
indique sa vacuité ; de sa justification il ne reste rien, mis à part le
plaisir de réaliser une toile abstraite en peignant de multiples points.
La peinture comme pratique sÉculiÈre
Gerhard Richter, 1024 Farben N° 350-3 (1024 couleurs), 1973
Laque sur toile, 254 x 478 cm
Dans la veine cynique de Polke, Richter propose une peinture débarrassée de tout idéalisme. S’emparant de tout type de sujet - portrait, paysage, événements personnels ou historiques -, pratiquant aussi bien la figuration que l’abstraction, il vise, dit-il, à « inventer la peinture tout en la détruisant ».
Avec 1024 Farben, l’artiste s’engage dans une démarche analytique en mettant au point un nuancier de couleurs qui renvoie la peinture à ses conditions de bases. En effet, de même que dans les trois autres tableaux de l’ensemble auquel cette pièce appartient, il étudie de manière méthodique les relations entre les échantillons colorés grâce un système de répartition (système différent pour chacun des tableaux).
Ici, écrit Bernard Blistène, « quatre rectangles de couleur se dédoublent, à espace régulier, en quatre séries de multiplication successives, atteignant pratiquement l’infini, à partir de la division de trois couleurs fondamentales ». Richter se place ainsi dans la lignée d’un certain courant de l’abstraction fondé sur le ressort dynamique des couleurs qui, du Mondrian des dernières années à Ellsworth Kelly, recherche un effet vibratoire grâce à la seule juxtaposition des éléments. Mais si ces artistes sont guidés par une motivation qui reste d’ordre esthétique, Richter obéit plutôt au désir d’établir une connaissance de la peinture dans ses moindres détails. « Si j’avais peint toutes les permutations possibles, fait-il remarquer, il aurait fallu à la lumière 400 billions d’années pour aller du premier au dernier tableau », déclaration qui illustre un souci d’exhaustivité quasi scientifique.
Ainsi, avec Richter, la peinture achève son processus de désacralisation, renonçant à toute tentation irrationnelle, y compris au plaisir de peindre qui persistait encore dans l’œuvre de son compatriote Polke. Elle devient une pratique séculière, et l’artiste un acteur social parmi d’autres.
La jeune gÉnÉration et la libertÉ de peindre
Grâce aux expériences picturales développées depuis les années 60, la peinture est devenue pour la jeune génération d’artistes un médium comme les autres, que l’on peut pratiquer sans fléchir sous le poids de la tradition. Cela explique sans doute le renouveau pictural auquel on assiste partout dans le monde depuis quelques années.
Parmi les jeunes peintres, certains, comme l’artiste franco-chinois
Ming, revendiquent un plaisir du geste, renouant ainsi avec la capacité expressive
de la peinture. D’autres, telle l’artiste allemande Katharina Grosse, pratiquent
une peinture plus distanciée et plus technique mais qui ne manifeste pas moins
une grande spontanéité et une grande liberté par rapport au passé.
Le retour du geste
Yan Pei-Ming, Survivant(s), Portrait du président Mao
en gisant, 2000
Huile sur toile, 230 x 2430 cm
Un autoportrait, une tête de Bouddha, un militaire et des visages anonymes forment, avec ce Mao gisant, un ensemble de sept peintures monumentales réalisées dans le cadre d’une commande publique en 2000. Très représentatif de l’art de Ming, pour qui la peinture est le moyen le plus simple de s’exprimer, ce grand panneau a été composé à grands coups de brosse, à l’aide d’une gamme chromatique réduite au noir et blanc.
Du point de vue iconographique, cette œuvre traite un thème récurrent, celui de l’homme en général, que Ming cherche à cerner à travers de grands portraits, des visages qu’il maintient à mi-chemin entre l’anonymat et l’individualité. « Je m’intéresse à l’homme en général », dit-il, « et mon travail peut être considéré comme une sorte de portrait universel. Ce que je peins dans la permanence est au fond une idée de cette humanité ».
Ming opère une synthèse entre la conception occidentale qui
pense la vie et l’homme comme un processus d’individualisation, et la culture
chinoise dont il hérite, dans laquelle la notion d’individu est absente.
Chacun de ses portraits suggère une histoire, tout en conservant sa part d’opacité,
y compris la figure de Mao, qu’il a peinte à de nombreuses reprises dès le début
de sa carrière. Car si les traits du dirigeant chinois sont globalement reconnaissables,
son visage n’en est pas moins flou, comme effacé par les coups de pinceau :
la peinture le rend à l’anonymat. Représenté ici embaumé sur son lit de mort,
il est à la fois l’idole qui s’est imposée à la mémoire collective, et un homme
parmi d’autres, se confondant avec le reste de l’humanité dans la mort. Ainsi,
même cette œuvre confirme ce que Ming affirme des visages qu’il peint :
« Quand je fais un visage, il est tout à fait autonome et ne représente
pas un personnage précis. Je travaille sur l’anti-portrait ».
L’expansion des couleurs
Katharina Grosse, Sans titre (Tondo), 2006
Peinture acrylique sur toile, 300 cm
Achat, 2006
AM 2006-159
Artiste allemande de la génération de Ming, Katharina Grosse pratique comme lui une peinture spontanée, sans complexe par rapport à la grande tradition picturale. Elle a d’ailleurs commencé à peindre en s’inspirant plus des graffiti que de l’histoire de la peinture, qu’elle a rencontrée après coup. C’est pourquoi, aujourd’hui, elle peut jouer avec les références sans subir leur poids, par exemple lorsqu’elle réalise, comme ici, une toile au format très classique du « tondo » qui renvoie à la Renaissance italienne.
Toutefois, elle réalise surtout de grandes peintures murales car elle conçoit ses œuvres comme une expansion de couleur qui contamine l’espace, au sens figuré avec les différentes toiles, et au sens propre avec les peintures qu’elle réalise en liaison avec l’architecture, comme par exemple au Palais de Tokyo en 2005 (1). Pour elle, aucune peinture n’a ni commencement ni fin, le commencement de l’une peut être pensé comme la suite de l’autre, tandis que son achèvement est en réalité le commencement de la suivante.
Ce caractère d’expansion se manifeste grâce à la technique picturale qu’elle a choisie d’utiliser. Elle peint au pistolet, vêtue d’une combinaison et d’un masque, qui l’apparentent plus à un travailleur industriel qu’à un artiste au sens romantique du terme, mais lui procure une grande souplesse dans la réalisation. Elle peint en effet en laissant la plus grande place à l’improvisation et aux circonstances extérieures. Chaque morceau de peinture est par conséquent comme le reflet des conditions de sa réalisation, un lieu, un temps, une humeur, que l’artiste laisse parler à travers elle.
(1) Voir Constructions
à cru, œuvre réalisée au Palais de Tokyo en 2005
Pour en savoir plus, voir
le site de l’artiste
Sur la peinture dans l’art contemporain
- Voir en peinture, Le Plateau/Frac Ile-de-France, Paris, 2003
- Cher
peintre, peintures figuratives depuis l’ultime Picabia, Centre Pompidou,
Paris, 2002
- Urgent Painting, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2002
- « Où est passée la peinture », Art Press hors-série, 1995
Sur les artistes et leurs œuvres
- Art
contemporain, la collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne,
2007
- Pierre Wat, Claude Viallat : oeuvres, écrits, entretiens, Hazan, Paris,
2006
- Pascale Le Thorel, Monory, Paris musées, 2006
- Bertrand Lavier, Musée d'art moderne de la ville de Paris, 2002
- Christian Besson, Yan Pei Ming, Hazan, Paris, 2000.
- Pascal Rousseau, Fabrice Hybert*, Hazan, Paris, 1999
- Sigmar Polke, Carré d’art Musée d’art contemporain, Nîmes, 1994
- Gerhard Richter, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 1993
* l’artiste a retiré le « t » de son nom en 2004.
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mai 2007
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Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education/
rubrique 'Dossiers pédagogiques'
Coordination : Marie-José Rodriguez