Dossiers
pédagogiques - Collections du Musée
Designers
contemporains
De septembre 2008 à fin mars 2009
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Pilastro, 1969 (détail) |
L’expérience fondatrice chez Olivetti
Anti-design et mouvements radicaux
Naviguant entre architecture, design industriel et design expérimental (1), Ettore Sottsass occupe à partir des années 50 une place de choix sur la scène de la création italienne. Intellectuel engagé, esprit libre et non conformiste, il a su être au cœur des mouvements culturels de son temps, en assurant une continuité depuis son expérience fondatrice chez Olivetti dans les années 50 jusqu’à la création de Memphis en 1981. Sa démarche et son engagement s’inscrivent dans une réflexion qu’il a menée au cœur de l’avant-garde italienne des années 60 jusqu’au Nuovo Design (2) des années 80 où une nouvelle génération de designers revendique son héritage spirituel. Tour à tour designer, architecte, céramiste, dessinateur ou photographe, il a exploré les champs de la création avec une grande liberté.
Plusieurs fois récompensé par le Compasso d’Oro (3), il fait partie des figures incontournables de la création qui ébranla les certitudes des adeptes du fonctionnalisme (4).
Le Musée national d’art moderne qui possède la plus importante collection européenne de Sottsass (420 œuvres acquises depuis 1992 par achats et donations) lui rend hommage jusqu’à fin mars 2009. Présentée dans les salles contemporaines du Musée (niveau 4), une centaine d’entre elles reflète l’éventail de ses créations : céramiques, bijoux, art de la table, dessins, meubles ou objets industriels.
Ettore Sottsass(1) Design industriel et design expérimental : s’il n’existe pas de définition figée du design, étant donné l’évolution de son rôle et de son action dans le temps, il est néanmoins possible d’en décrire les fondamentaux. Signifiant à la fois dessin et dessein, le design (mot d’origine anglaise) relève de la conception graphique comme du projet. Cette discipline à caractère artistique vise à déterminer les qualités formelles, fonctionnelles, esthétiques et techniques d’un produit : objet, environnement, espace, vêtement, textile ou bien encore œuvres graphiques comme le logo, l’emballage ou l’affiche.
Le design industriel, d’une part, est soumis aux impératifs de l’univers industriel et doit tenir compte de contraintes diverses telles que le cahier des charges, le marketing, les coûts de production, la faisabilité, la rentabilité, etc. La profession de designer industriel prend véritablement son essor à partir de 1945. En France, le terme d’esthétique industrielle, proposé par Jacques Viénot, supplante pour un moment le mot design, et définit un art au service de l’industrie et de la société moderne.
Le design expérimental, d’autre part, est un terrain de recherche tournée notamment vers l’exploration de techniques, de formes, de typologies et d’usages en dehors de toutes contraintes de production. Il s’agit davantage d’une attitude donnant la priorité à la recherche prospective sur le rôle de l’objet, sa fonction dans la société ou les nouveaux modes de consommation encourageant les usagers à reconsidérer leurs comportements. Hors du circuit de la production, le design expérimental se manifeste sous la forme de prototype ou de série limitée, ce qui lui ouvre aujourd’hui, indépendamment de sa volonté, une place sur le marché de l’art.
Identiques du point de vue de la démarche, c’est avant tout les objectifs et le résultat qui délimitent la frontière entre design industriel et design expérimental.(2) Nuovo design (nouveau design) : sans représenter un mouvement précis, le Nuovo design regroupe, dans les années 80, une jeune génération de designers, tous héritiers de l’école sottsassienne et des remous de l’Anti-design. Ayant pour la plupart reçu une formation d’architecte comme Sottsass, ils ont en commun l’approche intellectuelle qui associe science et vision humaniste. Partisans de l’interaction entre design et industrie, leurs champs d’action est sans limite faisant du design une discipline centrale. On compte parmi les créateurs les plus représentatifs, Aldo Cibic, Marco Zanini, Antonio Cittério, Denis Santachiarra ou Michele de Lucchi.
(3) Le Compasso d’Oro, compas d’or, est une récompense attribuée à un produit pour « ses qualités esthétiques et la perfection technique de sa production ». Il fut créé en 1954 par La Rinascente - grande chaîne de magasins spécialisés dans les secteurs de l’habillement et de l’équipement de la maison -, et demeure encore aujourd’hui un prix convoité dans le monde du design.
(4) Fonctionnalisme : issu de théories rationalistes de la fin du 19e siècle, le fonctionnalisme se cristallise autour de la pensée de Louis Sullivan, architecte américain qui déclare en 1892 : « La forme suit la fonction ». Cette réflexion coïncide avec le combat qu’Adolf Loos mène à partir de 1908 contre l’ornement au profit de la lisibilité de la fonction. Ainsi, le fonctionnalisme se définit comme un principe selon lequel la forme n’est que l’expression de l’usage. La plupart des architectes d’avant-garde, au début du 20e siècle, se réclameront du fonctionnalisme, chacun amenant sa pierre à l’édifice : Walter Gropius prône une architecture moderne pour une société industrielle par l’emploi de formes pures et de nouveaux matériaux ; Le Corbusier développe le concept de la « machine à habiter » ; Mies Van der Rohe retient la rigueur et l’exigence d’efficacité. Le fonctionnalisme se prolonge dans le Style international conduisant à son dépassement et à sa critique à partir des années 60.
Né en 1917 en Autriche d’un père italien et d’une mère autrichienne, Ettore Sottsass rejoint dès le plus jeune âge l’Italie, berceau familial. Encouragé par son père architecte, qui fut lui-même l’élève d’Otto Wagner (5), il entreprend des études d’architecture au Politecnico de Turin où il obtient son diplôme en 1939. Il se positionne très tôt dans un rapport intellectuel et métaphysique à la création, influencé par Luigi Spazzapan, artiste et ami, qui apporte un contrepoint à sa formation académique.
Après le traumatisme de la guerre, Ettore Sottsass s’installe à Milan et participe à l’aventure de la reconstruction ainsi qu’aux programmes de logements sociaux. Mais il se heurte rapidement aux contraintes matérielles et aux orientations politiques de l’époque, préoccupée d’efficacité. Persuadé que l’architecture ne peut se décréter d’en haut, il arrête pour un temps de l’exercer. Il confiera plus tard que pour être architecte, il faut être calme, avoir de la maturité et une sensibilité à la vie. À défaut de réaliser l’architecture dont il rêve, il préfère concevoir des objets architecturés. Il fonde alors en 1947 son agence de design à Milan, ville qu’il ne quittera plus. Grâce à sa curiosité, ce touche à tout infatigable et doué s’oriente tant vers la peinture que le graphisme, la création de meubles, de bijoux et de céramiques ; ces pratiques se nourrissant l’une l’autre selon le principe d’une « fertilisation croisée ». Cette époque est, pour lui, celle des premières expérimentations où il va définir sa polyvalence.
En 1956, sa rencontre avec Adriano Olivetti est providentielle et marque le début d’une relation paisible et durable avec l’entreprise italienne pour laquelle il devient designer-consultant (jusqu’en 1980). A ce titre il participe à la création d’Elea 9003, premier ordinateur italien qu’il traite comme un « paysage électronique » et pour lequel il reçoit le Compasso d’Oro en 1959. Puis il conçoit, entre autres, les machines à écrire Tekne 3, Praxis 48 et Valentine ainsi qu’un système de mobilier de bureau, Synthesis 45 (voir chapitre L’expérience fondatrice chez Olivetti). Au début des années 60, il collabore en tant que directeur artistique avec Poltronova, éditeur de mobilier contemporain (6).
Durant cette période, deux voyages sont décisifs et fondateurs pour la suite de son travail. En 1961, il découvre l’Inde où les couleurs, les modes de vie et le rapport à la mort bouleversent sa vision du monde. En 1962, il se rend aux États-Unis pour se faire soigner d’une grave maladie : installé en Californie, il y découvre le Pop Art (7) qui interroge la société de consommation et ses objets et, grâce à sa femme Fernanda Pivano (Nanda), traductrice des auteurs de la « contre-culture » américaine, il rencontre les poètes et écrivains rebelles de la beat generation en quête d’une nouvelle spiritualité.
De ces expériences, tant mentales que physiques − son « voyage matriciel » en Inde et sa guérison − naissent notamment les séries des Céramiques des ténèbres (1963) et des Céramiques des lumières (1964). De ces chocs culturels simultanés, il en vient à reconsidérer l’aspect social et politique de la production des objets et du design, ce qui le place dans une complicité naturelle avec l’avant-garde italienne, véritable creuset de revendications. Actif au sein des mouvements radicaux de l’Anti-design (voir chapitre Anti-design et mouvements radicaux), il participe en 1972 à l’exposition qui fera date, Italy : The New Domestic Landscape, organisée par le Musée d’Art Moderne de New York (MoMA).
Après une brève collaboration en 1979 avec le groupe Alchimia et son fondateur Alessandro Mendini, il fonde en 1981, à l’âge de 64 ans, le groupe Memphis et la société Sottsass Associati.
(5) Otto Wagner : architecte autrichien (1841-1918), auteur du manifeste L’architecture moderne. S’il se consacre à ses débuts à la construction d’édifices classiques, il s’écarte du style historiciste ouvrant la voix à l’architecture moderne et fonctionnelle. Co-fondateur avec Klimt et Hoffmann de la Sécession viennoise et architecte de la transition, il se voit confier la gestion urbaine de Vienne, grand projet destiné à donner à cette ville l’allure d’une métropole. Le bâtiment de la Caisse d’Épargne de la Poste est considéré comme le plus représentatif de sa carrière. Il est également l’auteur d’un mobilier élégant fabriqué par Thonet.
(6) Poltronova : fondée en 1957, la société Poltronova est née de la rencontre enthousiaste entre Ettore Sottsass et Sergio Cammilli. Issu du milieu de l’art, ce dernier souhaite rénover la conception de l’habitat et trouve en Sottsass un allié idéal qui devient, dès l’origine, son directeur artistique. Poltronova se définit avant tout comme un lieu de recherche et d’expérimentation sur les matériaux, les formes et les nouveaux langages. Réceptacle des tendances radicales, elle rassemble l’âme du design italien dans ses contradictions et sa vitalité et présente lors de l’exposition au MoMA, Italy : The New Domestic Landscape, onze objets sélectionnés dont le dénominateur commun demeure innovation, originalité et critique sociale. Cette société visionnaire devient rapidement un point de repère important dans le paysage de la création italienne, collaborant même avec des artistes comme Max Ernst. Le manque d’unité apparent de son catalogue anticipe en réalité sur la fragmentation des goûts et du marché de la création.
(7) Pour en savoir plus sur le Pop Art, consulter le dossier pédagogique
Malgré la main mise du fascisme, le design italien réussit à se distinguer au milieu des années 30 avec quelques productions remarquables. La Triennale de Milan, apparue en 1933, représente alors un îlot de résistance et d’expérimentation pour les arts décoratifs, l’architecture et le design. Le courant des architectes « rationalistes » qui s’oppose aux aspirations du régime mussolinien est notamment relayé par une presse active comme Domus, créée en 1928 par Gio Ponti (8), ou Casabella.
Après la guerre, le design et l’architecture s’inscrivent dans la continuité du Bauhaus (9) et du fonctionnalisme (voir note 4) dont l’idéal est de contribuer à l’émergence d’un homme nouveau. Mais cette illusion moderniste cède rapidement le pas aux exigences politiques et économiques. L’Italie doit se relever des désastres de la guerre et du fascisme. Bénéficiant du plan Marshall, son industrie connaît un développement sans précédent. En s’alliant aux forces industrielles, le design (la conception de l’objet qui prend en compte esthétique, fonction et matériau, exemple : la Vespa créée en 1946) apparaît comme l’outil à même de relancer la production. À partir de 1954, ce partenariat efficace entre designers et industriels sera récompensé par le Compasso d’Oro (voir note 3). Le design italien est en marche sous l’influence du modèle américain, et des entreprises souvent familiales se développent grâce aux stratégies industrielles. Pionnier dans l’application des matières plastiques pour l’habitat et le mobilier, la société Kartell, toujours active aujourd’hui, est fondée en 1949. Elle fait partie des premières entreprises à s’allier à des artistes et des architectes afin de défendre le design italien, ouvrant la voie à d’autres sociétés comme Poltronova.
(8) Gio Ponti (1891-1979) : architecte de formation, son activité s’étend aux domaines de la céramique, du luminaire, des arts de la table et du mobilier. Il lance en 1928 la prestigieuse revue Domus qu’il dirige jusqu’en 1979. On compte parmi ses réalisations les plus prestigieuses la cafetière La Pavoni (1948), symbole de la Dolce Vita, la tour Pirelli (1956) ou la légendaire chaise Superleggera (1957).
(9) Le Bauhaus : cette école, fondée en 1919 à Weimar (Allemagne), est dirigée et animée par des architectes et des artistes d’avant-garde comme Gropuis, Meyer, Mies Van der Rohe, Kandinsky, Klee ou Moholy-Nagy. Basé sur le principe d’ateliers qui couvrent la plupart des domaines artistiques (peinture, mobilier, architecture, typographie, photographie, costume, danse…) son enseignement novateur est placé sous la responsabilité conjointe d’un maître de forme et d’un maître artisan. Sous l’impulsion de Walter Gropuis, l’école s’oriente en 1923 vers une esthétique industrielle et tente d’établir une coopération avec l’industrie. Représentatif des préceptes du fonctionnalisme, le Bauhaus est à l’origine d’une esthétique nouvelle dont l’influence dépasse les œuvres réalisées en marquant durablement les générations suivantes. Violemment critiquée par le régime nazi, l’école ferme ses portes en 1933.
L’expÉrience fondatrice chez Olivetti
Depuis sa fondation en 1908, l’entreprise Olivetti a su s’entourer de créateurs capables de façonner son image et de renouveler ses produits : Alexander Schawinski issu du Bauhaus, les architectes Figini et Pollini ou bien encore Marcello Nizzoli, auteur de l’élégante machine à écrire Lettera 22. Lorsqu’Adriano Olivetti fait appel à Sottsass en 1956, c’est pour lui proposer de devenir le designer du tout nouveau département d’électronique. À l’époque, la découverte de l’électronique, domaine émergent, est un grand saut dans l’inconnu pour Sottsass qui considère les ordinateurs comme des sortes de divinités étranges et impénétrables.
Chargé de concevoir le design de l’ordinateur Elea 9003, il l’aborde sous l’angle de l’architecture et définit un système d’habillage modulaire de la machine qu’il traite sous forme de « paysage électronique ». D’énormes plaques d’aluminium composent les armoires dont la hauteur (un mètre cinquante) facilite la communication entre les techniciens-opérateurs. Un système chromatique en rend perceptible l’organisation interne. Mais ces systèmes deviennent vite obsolètes avec la miniaturisation de l’outil informatique. Il dira avec humour et philosophie qu’ils ne sont pas viables à long terme, puisque « l’histoire les digère ». Il n’en suivra pas moins l’évolution des micro-ordinateurs tout en travaillant sur les premières machines à écrire électroniques, des calculateurs et du mobilier de bureau.
Ayant débuté en tant que free-lance, il se voit rapidement proposer un salaire élevé et un poste fixe de designer intégré à l’entreprise. Ce qu’il refuse catégoriquement. Bénéficiant de la confiance et de l’amitié de Roberto Olivetti qui succède à son père, il propose que l’entreprise ouvre un bureau d’études indépendant : il en sera le directeur artistique tout en conservant son autonomie et sa disponibilité intellectuelle. Dès l’ouverture de ce bureau d’études Sottsass s’entoure de collaborateurs et le Studio Olivetti devient en peu de temps un des centres internationaux les plus innovants en matière de design associant recherches, créations et stratégie industrielle. Au moment où, partout ailleurs, des designers intégrés à l’industrie deviennent des membres assujettis aux desiderata des firmes et du marketing, Sottsass est à l’origine d’un modèle qui repose sur de nouveaux rapports professionnels.
A l’inverse des lignes rondes et sculpturales qu’affichaient les machines à écrire jusqu’alors, celles de Sottsass vont se caractériser par des angles droits, comme des extensions de cube. Partant du principe qu’elles ne restituent que des lignes parallèles, il décide que ce parallélisme doit se manifester dans la forme. Il en va ainsi de la Tekne 3 ou de la Praxis 48 qui se présentent sous des lignes austères, compactes et sobres. Pour Sottsass, ce principe d’alignement doit se poursuivre au-delà de l’objet, dans l’environnement du bureau. La machine apparaît alors comme un élément constitutif de cet ensemble.
Assisté de Perry A. King, Ettore Sottsass dessine en 1969 Valentine, une machine à écrire portative en ABS (Acrylonitrile Butadiène Styrène : thermoplastique employé par l’industrie pour des produits rigides, légers et moulés par injection). Sa couleur rouge vif, ponctuée par le jaune des capuchons du ruban d’encre, tranche considérablement avec la monotonie jusqu’alors de mise dans l’univers du bureau. Légère de conception, Valentine ne cache rien ; son mécanisme reste visible.
Pratique et transportable, sa mallette rigide, qui peut servir également de support, en fait un des premiers outils de travail nomade pour une société en mutation. Son caractère ludique, son allure et sa couleur attestent de l’influence du Pop Art et en font une icône du design à l’irrésistible pouvoir de séduction. Les campagnes publicitaires de l’époque affirment sa singularité dans un esprit résolument Pop comme en témoignent ces séries d’affiches ou bien encore l’insolite poster thermoformé en ABS rouge imaginé par Sottsass.
Bureau Synthesis 45, 1973Dans les années 70, persuadé qu’il faut travailler sur un « profil de bureau », Ettore Sottsass tente de requalifier la physionomie du lieu de travail. Considérant comme archaïques les signes distinctifs ou hiérarchiques, les différences doivent, selon lui, provenir de l’espace et des outils dont a besoin celui qui travaille. Il met au point un principe modulaire d’éléments simples, qui peuvent varier dans leurs dimensions, leurs nombres et leurs couleurs. Synthesis 45 s’apparente étrangement au principe des « profils d’habitat » imaginés un an plus tôt dans le cadre de l’exposition Italy : The New Domestic Landscape (voir chapitre Anti-design et mouvements radicaux).
Anti-design et mouvements radicaux
Au milieu des années 60 prend forme, en Italie, le mouvement de l’Anti-design, voisinant avec les théories d’Archigram (10) en Angleterre ou encore Haus-Rucker-Co en Allemagne. Simultanément à l’Arte Povera (11), de jeunes groupes de designers et architectes contestataires florentins et turinois ébranlent le compromis idyllique entre industrie et design, né dans les années 50, en dénonçant les perversions de la société de consommation. Les groupes Archizoom, Superstudio, Strum et Ufo deviennent les protagonistes de ce mouvement où se rejoignent critiques de la société, anti-capitalisme, ironie, utopie sociale, nomadisme ou encore hyper-technologie.
Ce vaste mouvement de contestations représente alors l’espoir
d’une voie alternative. En dépassant la problématique du style (séduire pour
faire consommer), en reconsidérant le lien entre design, architecture et
urbanisme, l’Anti-design se veut une manière d’agir sur le monde et
sur l’univers artificiel qui le compose.
Essentiellement théoriques, ces mouvements radicaux entrent
dans l’histoire avec l’exposition de 1972 au MOMA, Italy : The New
Domestic Lanscape, qui présente les recherches d’un nouvel environnement
quotidien pour une nouvelle société.
Dès son retour des États-Unis, Ettore Sottsass, naturellement réceptif à ces revendications, fonde avec sa femme la revue Pianeta fresco, lieu de réflexion ouvert à tous les débats où s’établissent des liens avec ces groupes. Son expérience américaine et ses réflexions sur la naissance d’un nouveau monde le poussent à analyser le rôle du designer dans la société qui, au lieu d’aliéner l’homme à l’objet, doit au contraire le déconditionner de ce rapport fétichiste en vue de « faire coïncider culture et libre créativité individuelle ». En tant que designer, il se sent à la fois responsable et impuissant. Il éprouve le sentiment d’être limité par un système qui vise l’obsolescence de l’objet et son perpétuel renouvellement.
C’est dans ce contexte qu’il alimente, par ses créations, les théories radicales de l’Anti-design en participant à l’exposition emblématique de New York et en imaginant un an plus tard Il pianeta come festival, une série de dessins posant les bases d’une société utopique.
Meubles Containers, 1972(10) Archigram : ce mouvement anglais développe dans les années 60 une architecture théorique qui se concrétise sous la forme d’une revue éponyme. En réaction à la société de consommation et largement inspirées du Pop Art, les recherches prospectives d’Archigram prennent corps au travers de textes critiques, de dessins, de collages et de slogans qui inaugurent une nouvelle façon de penser l’architecture. Sous forme de structures continues qui se « plugent » (se branchent les unes aux autres), l’habitat y devient cellulaire, jetable, ludique, consommable, hyper technologique, évolutif, mobile ou gonflable. À l’origine d’un nouvel imaginaire architectural, Archigram fut une source d’inspiration pour le mouvement high-tech et rendit possible des projets comme le Centre Pompidou.
(11) Pour en savoir plus sur l’Arte Povera, consulter le dossier pédagogique
Afin de rompre avec les schémas traditionnels, Sottsass
conçoit des « profils d’habitat », sortes de containers
uniformes. Ni coûteux, ni attrayants, ces éléments en plastique sont combinables,
connectés entre eux et montés sur roulettes. Ouverts ou fermés, ils s’adaptent
aux usages et aux fonctions en évoluant dans l’espace au gré des besoins.
Ils témoignent de la volonté de faire et défaire son
« habitat » comme on s’habille. Ils doivent avant tout être
perçus comme des objets capables de générer une nouvelle façon d’habiter
par un principe d’élément modulaire.
Tiraillé entre son activité de créateur industriel et son engagement dans les mouvements radicaux, inquiet par le développement consumériste de la société, Sottsass entreprend une introspection de son propre travail. C’est à ce moment qu’apparaît ce projet, à mi-chemin entre illustration et BD de science fiction. Partant du principe énoncé par la société de consommation où la technologie apparaît synonyme de progrès social, il s’interroge sur ce que serait la société si l’on poussait le raisonnement aux confins de ses limites. Cette société utopique serait un monde « oisif » dégagé du travail et des contingences, où vivre serait exister en toute liberté. Dans ses dessins, il propose, avec beaucoup d’humour, des radeaux pour écouter de la musique, des stades pour regarder les étoiles ou bien des temples pour expérience érotique.
Cet exercice tend à montrer avant tout, dit-il, « l’inconsistance d’une théorie de l’architecture développée en dehors du rapport entre architecture et activité de la société ». Sous forme d’utopie et d’ironie grinçante, ces dessins manifestes font face à l’impossibilité de changer le monde.
Tandis qu’au milieu des années 70 la plupart des mouvements radicaux européens reculent, les bases du post-modernisme (12) sont jetées en Italie, prenant corps dans les groupes Alchimia puis Memphis.
Alchimia : un laboratoire pour une iconographie nouvelle
Riche d’un parcours atypique, Ettore Sottsass rejoint en 1979 le groupe Alchimia, fondé à Milan en 1976 par Alessandro Mendini et Adriana Guerriero. Ce groupe propose une vision renouvelée du design où la métamorphose des objets du quotidien en objets imaginaires s’opère par l’alchimie des surfaces, des couleurs, des matériaux. Ce « laboratoire pour une iconographie nouvelle », comme le définit Mendini, présente en 1979 une collection d’objets intitulée Bau-haus où, de manière ironique, maquettes et prototypes s’attachent à déconstruire l’héritage fonctionnaliste. Sottsass crée une table ironiquement baptisée Les structures aussi tremblent, un plateau de verre reposant sur un piétement en zigzag. Cette collection marque la création de pièces uniques ou de séries limitées volontairement extérieures au circuit de la production de masse et annonce à la fois la naissance de Memphis et les débuts de ce que l’on appellera bientôt le Nuovo Design.
Le groupe Alchimia éclate l’année même où il reçoit le Compasso d’Oro. Mendini poursuit en solitaire son action en opérant un travail de re-design (13) sur les objets du quotidien tout en soulignant leur banalité. Il illustre dans la foulée l’impossibilité de renouveler le monde des objets.
Memphis : la prÉsence de l’objet
Moins pessimiste et fort de son expérience pluridisciplinaire, Ettore Sottsass fonde en 1981 le groupe Memphis. « À force de marcher dans des zones d’incertitude, à force de dialoguer avec la métaphore et l’utopie, à force de rester à part, nous avons accumulé aujourd’hui une certaine expérience. Nous sommes devenus de bons explorateurs. » (Ettore Sottsass, in Le Nouveau design italien, Nally Bellati, édition Terrail, 1991.)
Tandis que l’expérience d’Alchimia restait confidentielle, Memphis allait donner une résonance internationale au Nouveau design italien. Inspiré d’une chanson de Bob Dylan, le nom est apparu un soir où le groupe définissait ses orientations. Évoquant également la capitale de l’empire égyptien, Memphis représentait à la fois le raffinement de grandes civilisations passées et la culture américaine.
En obtenant l’appui financier d’Ernesto Gismondi, patron d’Artémide, société italienne d’art de la table et de luminaires (14), l’assistance commerciale du magasin Godani et l’aide technique de l’ébéniste Renzo Brugola, Sottsass réunit dès le début les conditions de la réussite. Il s’entoure également de jeunes designers comme Matteo Thun, Aldo Cibic ou Michele De Lucchi et de Barbara Radice, journaliste et critique d’art qui prend la direction artistique du groupe. Ensemble, ils définissent le langage formel et coloré de Memphis, donnant la priorité à la présence de l’objet.
La présentation de leur collection de pièces uniques au Salon international du mobilier à Milan est un choc. Loin du sage compromis du design industriel, les objets Memphis (mobilier, luminaires, orfèvrerie, tapis, céramiques) sont, selon Sottsass, « plus colorés, plus joyeux, plus optimistes, plus humoristiques ». Ils s’affichent dans une polychromie affirmée, des revêtements insolites et des associations contradictoires de matériaux. Les laminés décoratifs de la société Abet Laminati, matériau idéal puisque sans culture, permettent de créer des objets expressifs. Couramment utilisée dans les cuisines et les salles de bain, la texture de ces stratifiés donne un caractère volontairement kitch et ironique aux meubles. Ils deviennent le revêtement essentiel et le support de motifs excentriques comme le Rete, le Serpente ou le Bacterio, motif fourmillant lui-même issu du Spugnato, sorte de tâche organique que Sottsass imagine dès 1979.
Memphis fait du design un phénomène médiatique tourné vers une communication visuelle spectaculaire. Suivi avec intérêt depuis l’étranger le mouvement s’internationalise par l’intermédiaire de plusieurs designers : Nathalie Du Pasquier en France, Javier Mariscal en Espagne, Hans Hollein en Autriche, Shiro Kuramata au Japon, Mickeal Graves et Peter Shire aux Etats-Unis.
Sans jamais s’orienter vers une véritable production industrielle, les objets Memphis, produits en séries limitées, cherchent à fuir la banalité du quotidien. Ils deviennent rapidement le symbole visible d’un nouveau style de vie cependant réservé à une élite. Fer de lance du Nuovo design, ce groupe marque durablement les esprits et l’univers de la mode, du graphisme et de la publicité.
Meuble de rangement Beverly, 1981(12) Post-modernisme : courant majeur de la pensée architecturale et du design dont les origines remontent aux années 60 avec l’émergence des mouvements radicaux et qui atteint son apogée dans les années 80 notamment avec le groupe Memphis.
Dans Langage de l’architecture post-moderne, premier livre manifeste du mouvement, l’architecte Charles Jencks incite à l’éclectisme. Contrairement au modernisme qui fait table rase de l’histoire, les tenants du post-modernisme juxtaposent présent et passé en revendiquant la citation, l’emprunt et souvent l’hommage ironique aux styles. Antithèse de la modernité dont ils critiquent l’aspect déshumanisant et aliénant, le courant post-moderne prône le retour au symbolique. Parmi les créateurs les plus représentatifs figurent Ricardo Bofill, Mickeal Graves, Ettore Sottsass, Alessandro Mendini, Hans Hollein, Andrea Branzi, Matteo Thun, Mario Botta, etc. Toutes leurs créations ont été relayées par des sociétés comme Alessi, Poltronova, Cleto Munari, Cassina, Artémide, véritables vecteurs de diffusion internationale.(13) Re-design : imaginé par Alessandro Mendini, théoricien, designer et architecte, le re-design est une critique esthétique qui tente de démystifier les prétentions du modernisme en s’attaquant à ses icônes. Les classiques du design sont détournés par ajouts d’ornements et de couleurs. Mendini débute ce travail avec le célèbre fauteuil Wassily de Marcel Breuer représentatif du Bauhaus qu’il habille en treillis militaire.
(14) Artemide : fondée en 1959 en Italie, cette société spécialisée dans le luminaire vise à couvrir tous les besoins de la sphère publique et privée. Ses compétences technologiques et productives sont la preuve d’une grande capacité d’innovation qui va de la valorisation des savoir-faire traditionnels jusqu’aux techniques les plus novatrices.
Comme l’étagère Carlton ou le meuble totem Casablanca, le meuble de rangement Beverly fait partie des créations incontournables de Memphis pour qui la référence décalée est de mise. La plupart des meubles répondent en effet à des noms qui suscitent en chacun de nous l’imaginaire. À cela s’ajoute l’effet de surprise résidant essentiellement dans la forme et les matériaux utilisés.
Le meuble Beverly, d’apparence déstructurée, n’en est pas moins savamment équilibré. Reprenant les caractéristiques d’un buffet bas, l’ensemble dévie vers l’extérieur par l’effet asymétrique donné à l’étagère, contrariant ainsi l’axe vertical. L’association de matériaux volontairement opposés est manifeste ; les vantaux au décor moucheté sur fond vert se trouvent visuellement raccordés, par un tube de métal chromé, au laminé de l’étagère imitant le bois de loupe. Une ampoule rouge à l’angle de la structure métallique semble orienter le tout dans la voie opposée à ce mouvement.
Sottsass Associati
Fondée au même moment que Memphis avec Marco Zanini et Aldo Cibic, l’agence de création Sottsass Associati répond à des questions plus fonctionnelles et techniques liées aux contraintes du marché, et se consacre à des travaux de design industriel et d’architecture. Cette « boutique de la renaissance florentine du XXe siècle » comme la définit Marco Zanini, travaille pour une clientèle internationale et prestigieuse (Apple, Phillips, Siemens, Alessi, Zanotta, Fiat) et crée au début des années 80 toute l’image de marque et l’aménagement intérieur des boutiques de prêt à porter Esprit. Une façon pour Sottsass de poursuivre et mener de front deux directions dans la création, sans jamais renoncer à sa philosophie. (Voir texte de référence : « Que veut dire être designer ? ».)
L’aventure Memphis ainsi que la collaboration avec Olivetti se termine au milieu des années 80, mais cela n’empêche pas Sottsass de poursuivre son activité avec la création de bijoux, de verrerie ou de céramiques et d’accomplir enfin, à l’âge de 70 ans, l’aventure de sa vie : faire de l’architecture. La maison Wolf (Colorado, Etats-Unis, 1987-89), la maison Cei (Florence, Italie, 1989-92) ou la maison Yuko (Tokyo, Japon, 1992) illustrent parfaitement la façon dont il a travaillé toute sa vie.
« Toutes mes créations ressemblent à des petites architectures. » (E. S.)
Une cohÉrence jamais démentie
Bien que ses productions soient d’une grande variété et couvrent le domaine du design industriel jusqu’au monde de l’artisanat, le dénominateur commun de son travail réside dans un langage formel qu’il élabore peu à peu dans une cohérence jamais démentie.
Ses formes sont simples, limpides, totémiques et géométriques. Il travaille à partir de signes graphiques élémentaires. Cercles, cylindres, carrés, lignes, points sont jugés suffisants pour s’exprimer. Il cherche cependant à les utiliser « pour tenter d’arracher les formes géométriques aux mathématiques, à la rigueur intellectuelle, pour revenir à d’éventuels archétypes mythiques », car « points et cercles renvoient aux grandes révolutions cosmiques dont la vie humaine est un fragment » (E.S.).
La couleur qu’il considère comme l’expression de la vie est un vocabulaire indispensable qu’il met au service de ses créations. Leur juxtaposition est un moyen de « libérer des énergies positives, des énergies vitales, voire thérapeutiques ».
Cultivant le plaisir du geste, il montre toute sa vie une parfaite maîtrise du dessin, outil essentiel de son expression. Ses croquis comme ses créations sont des variations subtiles et méthodiques où il met en place des assemblages infinis à la recherche de la tension la plus juste entre les éléments. En témoignent également ses créations de bijoux, céramiques et verrerie, ses petits objets et ses grandes architectures.
Bijoux, cÉramiques et verrerie
À partir des années 60, la conception de bijoux occupe une place importante dans le travail de Sottsass. Toutes ces créations sont destinées à sa première femme Nanda pour qui il imagine ces bijoux uniques. « Ils étaient conçus, a-t-il pu dire, pour des reines et des vestales plus que pour des femmes de notre société. »
Véritables « exercices formels », ils s’inspirent des parures antiques ou ethniques sans concessions figuratives. Sans être luxueux, ils sont essentiellement composés d’ivoire, de corail, de quartz, d’ébène, de lapis-lazuli et même de plexiglas. Mais c’est surtout l’or qu’il utilise pour sa couleur émouvante et son lien ininterrompu avec l’histoire de l’humanité. Dans ces bijoux où le langage du créateur se déploie avec délicatesse et raffinement, on est saisi par la composition abstraite : rythme, alternance de couleurs et de matières, juxtaposition et superposition de volumes géométriques.
En 1987, il crée une collection de « bijoux d’architectes » pour Cleto Munari, maison d’édition italienne. De dimensions importantes, la plupart de ces bijoux s’imposent aussi par leur présence. Il poursuit ce travail jusqu’en 2001 avec une collection de trente-deux bijoux en or et en pierre précieuse intitulée « La seduzione » (la séduction) (14). Il déclare alors : « Je voudrais dessiner des bijoux en hommage à une femme intelligente, généreuse, elle-même une reine. »
Ceramiche delle Tenebre, 1963
Suite à la grave maladie dont il a été soigné aux États-Unis,
Sottsass crée en 1963 une série de céramiques évoquant son expérience proche
de la mort (Céramiques des Ténèbres) ainsi que son retour à la
vie (Céramiques des Lumières). Dans ces créations qu’il souhaite
dégagées de tout « usage établi », on retrouve, dès les croquis
de recherche, la simplicité de son vocabulaire formel : cercle, ligne,
cylindre. La culture orientale qui lui sert de modèle, dans son attitude
face à l’existence et sa relation magique aux objets usuels, lui permet d’imaginer
des céramiques non plus comme des objets de décoration que l’on regarde à distance
mais comme des supports de méditation.
Présentée en 1969 au Musée national de Stockholm lors de l’exposition « Miljö för
en my planet », Paysage pour une nouvelle planète, cette pièce
unique en céramique est une œuvre singulière, tant par son volume que sa
conception, et fait partie d’une série d’autels, de colonnes et de temples
auxquels Sottsass attribua des noms hautement symboliques : Temple
lunaire pour invoquer la fin de la peste, Autel pour le sacrifice de ma solitude ou
bien encore Pilastre à
installer à la frontière du pays de la non-violence.
Suggérant une structure totémique, cette œuvre aux dimensions monumentales (deux mètres de haut) est composée de plusieurs disques de céramique superposés selon un principe de juxtaposition que Sottsass qualifie de « parataxique », principe qu’il déclinera tout au long de sa vie. Sans référent figuratif, cette œuvre, à la fonction apparemment dérisoire, demeure essentielle pour lui, comme le reste de ses céramiques qui, directement liées à son expérience de la culture hindouiste, révèlent son intérêt pour le Tantrisme, culte centré sur la méditation transcendantale. Sottsass tente en effet à travers ses créations d’atteindre la portée symbolique des objets de méditation qui servent à régler le « rituel de la vie ».
Il poursuivra toute sa vie ses recherches dans la céramique, notamment avec ses derniers travaux pour la Manufacture de Sèvres entre 1994 et 2006. Les céramiques qu’il réalise alors, toutes remarquables, peuvent être considérées comme la synthèse de son talent. On y retrouve le goût pour le jeu des matières et des couleurs associées aux savoir-faire traditionnels et à l’artisanat d’art. Ces « petites architectures de table concentrent la force et la préciosité de savoir-faire hérités du XVIIIe siècle ». (Intramuros n°135.)
Vase Saffo, 1986Fasciné
par les souffleurs de verre à Murano, Sottsass se livre, comme pour les bijoux
et les céramiques, à des exercices formels dont le caractère totémique se
dégage clairement. Il dessine en 1986, pour Memphis, une collection
de verreries où il explore la transparence et l’opacité de ce matériau
ancestral avec des couleurs éclatantes qui remettent à jour des techniques
oubliées.
Sottsass n’hésite pas à innover et propose des vases composés de
plusieurs parties assemblées par de la colle, quitte à contrarier les puristes
de Murano. Il va même jusqu’à suspendre des éléments en verre dont la couleur
et la texture tranchent avec la structure porteuse, comme ici dans le vase Saffo dont
le verre blanc se trouve habillé de disques noir et jaune.
Objet, mobilier, architecture
Bien que son travail se soit prolongé au-delà de Memphis, cette période apparaît comme l’aboutissement de son langage. Sottsass y pratique alors, sans complexe, le mélange des genres et les associations de matières artificielles et naturelles. Ce rapprochement de matériaux, jusqu’alors incompatibles, fait naître « l’électricité » et la vibration contenues en chacun d’eux. En appliquant des stratifiés aux couleurs et aux motifs exubérants, il raille le bon goût et réhabilite ainsi l’ornement banni depuis Adolf Loos (15). Ses créations de mobiliers s’imposent par leur présence unique et leur force séductrice.
À l’évidence pour Sottsass, il n’y a pas de différence entre petits objets ou grandes architectures car il les traite de la même manière, avec les mêmes formes fondamentales. Contrairement aux apparences, il ne revendique aucune rhétorique stylistique. Considérant par exemple ses meubles comme des « exercices d’architecture », on y discerne effectivement la mémoire d’éléments architecturaux. Ce constat est plus évident encore après la période Memphis, moment où il reprend avec sérénité son activité d’architecte. Il rassemble alors, dans ses meubles, son expérience des formes et des volumes au service de créations qu’il baptise sans équivoque de tours, Torre di Babele, Torre di Nefertiti, Torre di Madras, etc. On ne peut qu’y admirer la filiation directe avec les cabinets de curiosité de la Renaissance, meubles dont la structure et le décor étaient de véritables concentrés d’éléments architecturaux. Comme le souligne si justement Aldo Rossi, ses projets sont simultanément « modernes et porteurs d’antiques souvenirs, qu’ils paraissent réactiver ».
(15) Adolf Loos : architecte autrichien qui dresse en 1908 un réquisitoire contre l’ornement dans son célèbre texte Ornement et Crime. En quête de pureté, il encourage une approche rationnelle du produit industriel et de l’architecture. Ses écrits influenceront les fonctionnalistes comme Le Corbusier.
Les citations d’Ettore Sottsass (sauf précision) sont extraites de deux ouvrages publiés auxÉditions du Centre Pompidou : Ettore Sottsass, 1994 et Ettore Sottsass jr. De l’objet fini à la fin de l’objet, 1976.
« Que veut dire être designer ?». In Ettore Sottsass jr. De l’objet fini à la fin de l’objet, 1976, pages 18 et 19.
Dans ce texte intitulé « Que veut dire être designer ?», Sottsass revient sur les conditions dans lesquelles il a débuté sa profession après la guerre. Pris entre les résidus de l’inculture fasciste et les théories optimistes du développement, il explique comment il a développé sa propre vision du métier.
« J’estimais que le rôle de l’architecte ou du designer, à ce moment-là, était d’instaurer une méthodologie du doute, de la souplesse, de la construction/destruction, de la gravité/ironie, de l’optimisme/pessimisme, de la forme/non forme, etc.
On peut soutenir qu’un projet n’a pas de solution qui ne puisse légitimement supposer « une autre » solution. Quoi qu’il en soit, c’était alors l’occasion de mettre en œuvre une méthode d’approche qui ne conduise pas tant à chercher la « forme parfaite », la forme idéale ou l’idée de la forme, qu’à chercher « la méthode pour chercher la forme ». Bref, une méthode permettant au designer d’être à l’écoute de la nécessité « historique » de son temps et de pouvoir y répondre par une forme, par le design, cette nécessité « historique » étant déterminée par l’évolution de l’espace et la marche du temps, c’est-à-dire par les conflits politiques et culturels…
C’est dans ce contexte de sensations, d’émotions, d’incertitudes et d’intuition et non pas d’idéologies ou de philosophies, que j’ai travaillé pendant de nombreuses années, menant des recherches très banales si l’on veut, simples en tout cas, et peut-être même audacieuses dans leur apparente simplicité. »
Ouvrages
- Intramuros
n°135. Mars / Avril 2008.
-
La collection design du Musée national d’art moderne/Centre de création
industrielle. Un siècle de design.
Marie-Laure Jousset, Martine Moinot. Coll. Jalons. 2001
- Chronologie
du design. Collection Tout l’art Encyclopédie. Stéphane Laurent. Édition
Flammarion. 1999
- Histoire
du Design.1940-2000. Raymond Guidot. Édition Hazan. 1994
- Ettore
Sottsass. Édition du Centre Pompidou,1994
- Le
Design depuis 1945. Peter Dormer. L’univers de l’art. Édition Thames & Hudson.
1993
- Le
design de meuble au XXe siècle. Sembach. Leuthäuser.
Gössel. Édition Taschen. 1991
- Le
nouveau design Italien. Nally Bellati. Édition Terrail,1991
- Design.
Les années 80. Albert Bangert, Karl Michael Armer. Préface d’Ettore
Sottsass. Édition Chêne, 1990
- Ettore
Sottsass jr. De l’objet fini à la fin de l’objet. Édition Centre Georges
Pompidou - CCI, 1976
Liens
- Le site de Sottsass Associati
-
Ettore Sottsass au Centre Pompidou,
20 ans de design pour Olivetti, avril-juin 2003
-
Sottsass à la Manufacture de Sèvres, 1994
- Memphis au Design
Museum de Londres
- Ettore
Sottsass sur Tribu-design
-
Toutes les créations de Memphis sur MDBA
- Placeaudesign.com, une
introduction au design
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Crédits
© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative
et des publics, novembre 2008
Texte : Emmanuelle Marquez
Maquette : Michel Fernandez
Mise à jour : Florence Thireau, 2010
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education
rubrique
’Dossiers pédagogiques’
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers
pédagogiques