Dossiers pédagogiques
Parcours exposition
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Du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010, Galerie 1, niveau 6
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Peinture 202x452 cm, 29 juin 1979 |
Peindre et non dépeindre
Un peintre français dans le nouveau monde
La peinture sans lyrisme
Les trois voies du noir
Ne rien imposer à la matière
L’art du bricolage
Des valeurs primitives
Peinture et ascèse
La place du spectateur
Bibliographie
Autour de l’exposition
Pierre Soulages, « peintre du noir et de la lumière », est reconnu comme l'une des figures majeures de l'abstraction et le plus grand peintre de la scène française actuelle. Pour cette rétrospective, l’exposition rassemble plus d’une centaine d'œuvres, créées de 1946 à aujourd'hui, des étonnants brous de noix des années 1947-1949 aux peintures des dernières années.
En 1979, Pierre Soulages, qui peint déjà depuis plus de trente ans, aborde une
nouvelle phase de son travail qu'il qualifie d'Outrenoir. En se concentrant sur une couleur, le noir, et sur sa
relation à la lumière, il conçoit un espace pictural qui, en dépit de l'emploi de
cette couleur unique, se situe à l'opposé du monochrome dans la trajectoire de
l'art moderne. L'exposition met clairement en évidence cette « peinture autre »
dans toute sa diversité.
La dernière partie du parcours présente de grands polyptyques
récents, installés en suspension dans l'espace.
Ce dossier propose d’aborder l’œuvre de Soulages à partir des thèmes (ou arguments esthétiques) par lesquels elle s’est imposée, et tente de rendre compte des différentes interprétations auxquelles elle a pu se prêter.
Brou de noix et huile sur papier, 74x47,5 cm, 1947
Lorsqu’en 1947, pour sa première exposition, Pierre Soulages
présente ses brous de noix au salon des Surindépendants, ses compositions
charpentées de larges tracés bruns sont aussitôt remarquées, tant elles
diffèrent de la peinture néo-fauviste d'après-guerre qu’on y voit. Elles lui
valent l’admiration de la femme de Hans Hartung et la rencontre de ce dernier,
avec lequel il entretiendra une amitié durable. Elles n’échappent
pas non plus au regard aiguisé de Francis Picabia qui, le rencontrant un peu
plus tard à la galerie Drouin, lui redit ce que Pissarro avait dit à son propre
sujet : « Avec l’âge que vous avez et avec ce que vous faites, vous
n’allez pas tarder à avoir beaucoup d’ennemis ! ». En soi, l’utilisation
d’un médium peu coûteux comme le brou de noix fait sens dans un contexte social
encore marqué par la pénurie. Mais, au-delà des matériaux employés, le
dépouillement même de ses constructions, la sobriété radicale de son geste, le
caractère contenu de l’énergie qui s’y déploie suscitent les éloges. Sa
peinture reste jusqu’à ce jour fidèle à cette même réduction de moyens, parfois
perçue comme l’expression d’une sereine gravité, parfois comme celle d’une
force vitale dénuée de sentimentalisme.
Une peinture qui ne représente rien
Les peintures de Pierre Soulages ne représentent rien. Comme de nombreux peintres abstraits de sa génération, il aime à dire « qu’il ne dépeint pas » mais « qu’il peint ». « Il ne représente pas, il présente. »[1] Ses toiles s’inscrivent pleinement dans les débats qui animent alors le champ de l’art, autour des liens qu’entretient l’abstraction avec le réel. Les bases de ce débat étaient déjà posées bien en amont quand Vassily Kandinsky, dès les années 1920, inventoriait des photographies, gravures et dessins de motifs abstraits présents dans la nature : images de bactéries vues au microscope, de constellations vues à la jumelle, de tissu animal vu à la loupe, de structures minérales, mais aussi de réseaux urbains, d’ossatures de navires en construction, de coupes de chantiers… Quand Jean Bazaine, membre du groupe « Jeune France », organise, sous l'Occupation, l'exposition Vingt jeunes peintres de tradition française, rassemblant des peintres non figuratifs comme Estève, Lapicque, Le Moal, Manessier, Pignon, Singier, il s’oppose aussi à l’idée d'un art abstrait. Selon lui, la peinture figurative est abstraite et inversement. Car la réalité sensible n’est jamais perçue qu’au travers du filtre humain.[2]
La figure de l’arbre
Brou de Noix, 1959
Lavis de brou
de noix sur papier, 76x54 cm
Pierre Soulages dit avoir commencé à peindre les arbres et leurs branches dénudées dès l’âge de sept ans, et s’être s’intéressé aux entrecroisements abstraits de bandes verticales et horizontales en partant de la figure de l’arbre. Ce fut aussi le cas de Piet Mondrian ou Jean Bazaine plus tard. De cette figure, Mondrian tira sa grille orthogonale ; Bazaine une grille souple où viennent percer comme des éclats de lumière filtrés par les branchages. Soulages, quant à lui, ne représentera jamais la silhouette de l’arbre. Il en gardera l’énergie structurelle et la manière dont la structure végétale occupe l’espace environnant.
Un tronc vertical, s’étirant en hauteur, est solidaire de ses branches, qui s’allongent horizontalement. Leurs jonctions, jamais identiques, ne forment non plus jamais d’angles droits, la force de pesanteur qui s’exerce sur elles déterminant leur formation. Dans les rapports abstraits qu’entretiennent entre elles les bandes du Brou de Noix de 1959, nous retrouvons un caractère organique emprunté à cette figure de l’arbre. Leurs inclinaisons engendrent des intersections souples malgré le motif sous-jacent de la grille géométrique. Interagissant avec les bords de la feuille sans jamais en déborder, s’adaptant au format défini, elles investissent l’espace comme les branches d’un arbre se déploient sur la plus large surface possible afin de s’offrir pleinement à la lumière nourricière. Les deux bandes verticales qui portent la composition divergent, quant à elles, au cours de leur élévation pour s’évaser en hauteur, produisant une impression d’élasticité. Le fait que la bande de gauche soit interrompue empêche l’effet de symétrie de prendre le dessus.
Ainsi, l’ensemble des bandes fait corps avec le support. « Un arbre noir en hiver », dit Soulages, « c’est une sorte de sculpture abstraite ». « Ce qui m’intéressait était le tracé des branches, leur mouvement dans l'espace... »[3]
La présence de l’œuvre
Un ensemble de lignes faisant corps entre elles, au sein d’une page blanche, évoque immanquablement la calligraphie. Soulages écrit à propos de ses premiers brous de noix : « J’ai fait des combinaisons de lignes qui se présentent aux yeux du spectateur comme une grande forme, un grand signe que l’on pouvait voir d’un seul coup et je me suis aperçu un beau jour que les dessins que je faisais pouvaient rappeler les signes chinois ».[4] Mais sa peinture ne se réfère pas plus à l’image figurative de l’arbre qu’à un idéogramme. Voir ses brous de noix comme des signes chinois en appauvrirait la perception. Ce ne sont ni figures, ni signes, ni symboles que nous retrouvons dans sa peinture, mais une tentative d’ouverture totale aux significations, une mise en lumière des principes d’équilibre qui régissent le monde. « Ni signe, ni chose, répondre le monde », écrit Henri Meschonnic dans un essai qu’il consacre au peintre.[5] Non pas répondre « au » monde, mais lui retourner l’image de sa structure même, sans intermédiaire : répondre à la présence par la présence.
La peinture de Pierre Soulages est sans parole. Et si l’artiste s’est prêté à de nombreux entretiens, il a, en fait, très peu écrit sur son travail. Car les mots ne peuvent rendre compte de la matérialité de son œuvre, qui est l’objet même de sa pratique : l’enjeu se trouve dans le face-à-face du spectateur avec la toile, dans sa confrontation avec la matière, dans l’expérience de sa présence. « La peinture est l’état d’absence de mot. »[6] A ce titre, ses peintures qui ne représentent rien ne sauraient être décrites avec des images littéraires. On ne saurait parler des grandes bandes sombres qui parcourent ses toiles en évoquant des « stèles de silence », des « charpentes écroulées », des « architectures nocturnes » ou des « aires de luttes entre l’ombre de la cendre et la lumière du renouveau ». Ce serait imposer une lecture et s’adonner à une « poétisation, qui mêle […] la sentimentalité à la peinture [et ramène] l’abstrait à du figuratif ».[7] Pour cette même raison, chacune de ses œuvres ne présente aucun titre, n’étant identifiée que par ses dimensions et la date de sa réalisation. Pour Soulages, « une peinture est une organisation, un ensemble de relations entre les formes, lignes, surfaces colorées, sur lequel vient se faire et se défaire le sens qu’on lui prête ». [8]
Un peintre français dans le nouveau monde
L’abstraction : un enjeu politique
Force est de constater que l’œuvre de Soulages a été très tôt montrée à l’étranger, notamment en Allemagne − en 1948, une de ses peintures est utilisée pour l’affiche de l’exposition Französische abstrakte Malerei − et plus encore aux États-Unis, avant d’obtenir la notoriété qu’elle connaîtra en France. Du point de vue américain, défendre un peintre comme Soulages, c’est défendre la jeune peinture abstraite en Europe contre la tradition figurative qui prévaut en France dans l’immédiat après-guerre.
Mais ce point de vue recoupe un enjeu politique primordial. Né à New York au milieu des années 1940, l’expressionnisme abstrait, avec des artistes phares comme Jackson Pollock ou Willem de Kooning, est activement soutenu par le gouvernement américain pendant la guerre − et ce jusqu’à la fin des années 1950 −, comme modèle d’une idéologie extensible à tout l’Occident, contre le réalisme communiste et les valeurs qui lui sont rattachées. L’implication du MoMA dans la politique étrangère américaine est également importante au cours de cette période. En 1952, celui-ci met en place un programme pour la diffusion internationale de l'expressionnisme abstrait, indirectement financé par la CIA avec intervention de ses agents dans le commissariat des expositions à l’étranger.[9]
Défendre des artistes comme Pierre Soulages,
c’est aussi imposer la nouvelle génération d’artistes américains sur le
marché national et international, en lui attribuant le crédit encore accordé
aux artistes européens et plus particulièrement français. La volonté d’établir
cette filiation est présente dès les premières expositions du peintre aux États-Unis, comme celle
qu’organise Betty Parson, la galeriste new-yorkaise de Pollock, Painted in 1949, European and American
Painters.
De nombreux critiques, à l’instar de Clement Greenberg, défendant
une vision nationaliste de l’art, n’hésitent
d’ailleurs pas à présenter les peintres américains comme précurseurs de leurs
homologues européens, moins énergiques, entravés par une tradition trop
pesante. Les grands formats exaltant les espaces ouverts du nouveau monde − que l’on pense aux déserts
pour Jackson Pollock ou aux paysages urbains pour Franz Kline − seraient l’apanage de cette
peinture.
En dehors des galeries, Soulages est notamment soutenu par James Johnson Sweeney, conservateur au MoMA de 1935 à 1946 puis au Guggenheim de New York de 1952 à 1960. En 1951, il prend part à l’exposition itinérante Advancing French art, en 1953 à l’exposition Younger European artists au Guggenheim Museum, en 1954 à The new Decade au Museum of Modern Art. Sans pour autant dénier les spécificités nationales, Sweeney note très tôt l’originalité de sa démarche et ne cesse de défendre son travail pour la vision libérée qu’il donne de l’abstraction géométrique. En effet, sa peinture n’est pas à juger à l’aune de l’expressionnisme abstrait, ni même de l’abstraction gestuelle qu’elle soit ou non américaine : Soulages ne peint pas le mouvement, il agence des contrastes pour mettre en œuvre des forces.
« Ôter à la ligne le signe de mouvement. »
Au premier abord, l’œuvre de Pierre Soulages s’impose sur un mode frontal. L’idée est importante dans ce contexte artistique qui voit l’émergence de l’abstraction gestuelle : sa peinture n’a rien de lyrique. Elle se distingue des démarches adoptées par ses collègues et amis de l’abstraction française, Hans Hartung, Georges Mathieu, Gérard Schneider, des premiers travaux de Jean Degottex ou de l’expressionnisme abstrait américain. James Johnson Sweeney emploie cette heureuse formule à son sujet : une peinture de Soulages, ça n’est pas une mélodie, « c’est l’accord plaqué sur le clavier et tenu ».[10] En effet, Soulages cherche à « ôter à la ligne le signe de mouvement ».[11]
Peinture 200x266 cm,
juillet-août 1956
Huile sur toile
Comme nous pouvons le voir dans Peinture 200x266 cm, juillet-août 1956, l’espace de la toile est organisé pour être perçu d’un bloc, pour appeler une vision d’ensemble sur l’instant. Les traces laissées par les gestes du peintre ne composent pas un parcours à suivre. Elles n’invitent pas le spectateur à retracer le geste du peintre en action, essayant de traduire quelque impulsion émotive. Chaque geste est posé, en tant que geste nécessaire, structurant, destiné à charpenter une composition. Aucun sentier, aucun chemin à suivre, aucun fil conducteur, aucun récit n’est à retracer dans cette peinture. Les touches s’étagent en bandes courtes qui se jouxtent et se superposent. Le temps de l’observation de la toile ne suit donc aucun cours, il est surface. « C’est le temps qui me paraît être au centre de ma démarche de peintre », affirme Soulages. « Je préfère les peintures où le temps est là, immobile, suspendu dans le tableau, aussi immobile que le châssis et la toile ! C'est-à-dire une forme de temps suspendu dans la durée. » [12]
Entre abstraction gestuelle et abstraction géométrique
Dans cette toile de juillet-août 1956, les courtes bandes de peinture correspondent à la recherche d’un équilibre entre abstraction gestuelle et géométrique : tracées au moyen d’une spatule souple, les touches constituent des sortes de parallélogrammes irréguliers. Les éléments sont géométriques mais les contours aléatoires. Ainsi, la peinture de Soulages n’incarne ni l’empreinte chaleureuse de l’abstraction gestuelle, car elle intègre la géométrie, ni la froideur de l’abstraction géométrique, car elle intègre le geste. Ni chaude ni froide, ni rigide, ni molle, ni trop lisible, ni illisible : elle se situe à la jonction des deux, en équilibre constant. Suivant ce même principe, ces bandes sont réparties sur deux rangées distinctes, tout en étant rassemblées en petits groupes. Leur façon de s’encastrer met le spectateur en face d’un assemblage qui tient de l’équilibre entre ordre et désordre. « On est toujours guetté par deux choses aussi dangereuses l’une que l’autre : l’ordre et le désordre »,[13] précise Soulages.
Peinture 260x202 cm, 19
juin 1963
Huile sur toile
C’est encore le refus de lyrisme qui pousse Pierre Soulages à utiliser des outils qui ne marquent pas les pleins et les déliés du geste : de larges pinceaux à poils ras et carrés, des brosses de peintres en bâtiment. Peinture 260x202, juin 1963 est ainsi composée de larges bandes de peinture noire, déposées tantôt avec une raclette souple, tantôt avec ce type de pinceau. La lisibilité de la composition, la simplicité des éléments, la verticalité et la taille du format, confèrent d’emblée à l’œuvre un aspect monumental. Des rapports de contrastes tranchés s’imposent, articulant des zones recouvertes de noirs intenses et d’autres où le blanc de l’enduit préparatoire est laissé apparent. Les couches de peinture les plus claires, pourtant recouvertes par les plus sombres, semblent situées sur un même plan. Apparaît alors une impression d’équilibre : bien que la surface occupée par les noirs soit plus importante que celle impartie à la couleur blanche, le rayonnement du blanc est si intense que l’espace de chacun semble équitablement réparti.
Le fait que toute l’attention du peintre se porte sur la structure d’ensemble et non sur la dimension expressive de l’empreinte gestuelle est lisible jusque dans les détails. À observer certaines des petites bandes verticales qui jonchent la toile, on s’aperçoit que le pinceau y est revenu à plusieurs reprises. Ces touches ajoutées indiquent que sa recherche se trouvait moins dans la volonté d’exprimer l’énergie contenue dans un geste, que d’obtenir un noir intense et un certain état d’équilibre graphique.
« Le noir n’existe jamais dans l’absolu. »
Sur plus de soixante-cinq ans, l’œuvre de Soulages décline tous les usages possibles de la couleur noire. Et, depuis une trentaine d’années, le noir en est même venu à recouvrir entièrement ses toiles. Mais la couleur noire, explique-t-il, « n’existe jamais dans l’absolu », son intensité change en fonction des dimensions du support, de sa forme et de sa texture. Soulages a identifié rétrospectivement les différents usages du noir qui jalonnent son œuvre et qui constituent ce qu’il appelle les « trois voies du noir ».
« Dans ma peinture où [le noir] domine, depuis l’enfance jusqu’à maintenant, je distingue objectivement trois voies du noir, trois différents champs d’action : Le noir sur fond, contraste plus actif que celui de toute autre couleur pour illuminer les clairs du fond ; [Le noir associé à] des couleurs, d’abord occultées par le noir, venant par endroits sourdre de la toile, exaltées par ce noir qui les entoure ; La texture du noir (avec ou sans directivité, dynamisant ou non la surface) : matière matrice de reflets changeants. »[14] Mais ces trois voies ne correspondent pas véritablement à trois périodes précises de son parcours. Soulages les explore alternativement ici et là, et parfois simultanément, en accordant plus ou moins d’importance à l’une ou l’autre selon les périodes.
Ainsi, les noirs sur fond sont l’objet privilégié des recherches qu’il mène dans les années 1960 et 1970. Les noirs de texture concernent tout particulièrement la série des Outrenoirs, amorcée en 1979 lorsqu’il commence à recouvrir entièrement la surface de ses toiles d’une épaisse couche de peinture noire. Cette série confère à la matière de ses toiles une dimension sculpturale que l’on trouve toutefois dans les œuvres antérieures. De même, ses noirs avec couleurs, développés dans les premiers travaux, sont à nouveau explorés dans les œuvres tardives lorsqu’il unit ses noirs au bleu outremer.
Peinture 222x137 cm, 3
février 1990
Huile sur toile
Dans Peinture 200x162 cm, 14
mars 1960, nous pouvons voir à quel point l’usage du noir associé à une seconde couleur, diluée ou raclée, en souligne la clarté,
produisant comme un effet de vitrail dont il représenterait le cerclage
de plomb. La lumière passe à travers la fine membrane de peinture colorée pour
réfléchir le blanc de la toile et rejaillir à travers elle. Les noirs
environnants s’en trouvent comme densifiés. L’effet de contraste est tout aussi
saisissant dans Peinture 222x137 cm, 3
février 1990, avec ses teintes de bleus qui font reculer la zone colorée
dans un cadre rectangulaire évoquant une fenêtre. Dans Peinture 202x143 cm, 22 novembre 1967, le noir n’est plus de
l’ordre du cadre, il occulte la quasi-totalité de la surface, étouffant une
zone de brun d’autant rétrécie qu’elle s’en trouve mise en évidence.
Peinture 300x235 cm, 9 juillet 2000
Huile sur toile
Peinture 300x235 cm, 9 juillet 2000 présente, en vis-à-vis, des équivalences entre différentes voies du noir. D’un côté, des sillons sont ménagés dans la matière même de la peinture pour générer, dans les noirs de texture, des nuances de gris sous la seule action de la lumière. Ces gris trouvent leurs correspondants en contrastes de noir sur fond de l’autre côté. La toile est ici presque didactique et l’intension rétrospective très claire : l’artiste établit une passerelle, ou à l’inverse une frontière, entre deux aspects de son œuvre.
Les pièces de Soulages présentent de nombreux paradoxes visuels : du noir naît la lumière, ce qui se retire est mis en avant, le rétrécissement d’une forme la rend plus visible, de l’envers naît l’endroit, du vide naît le plein… Ainsi se trouvent réunies et confondues des réalités matérielles que les mots opposent. En cela, il est possible de rapprocher sa pratique picturale des principes fondamentaux du Tao-tö King.[15] Car son œuvre parle du silence du monde, ce qu’elle dit est juste en ce qu’elle ne dit rien. Et nous entendons comme en écho à sa peinture, les préceptes du légendaire Lao Tseu évoquant le principe du Tao : « Être et Non-être sortant d’un fond unique / ne se différencient que par leurs noms. / Ce fond unique s’appelle Obscurité. / Obscurcir cette obscurité, / voilà la porte de toute merveille. »[16]
L’acte de peindre enraciné dans la matière
L’intérêt de Soulages pour la pensée taoïste n’est certes corroborée par aucune déclaration de l’artiste. Outre son intérêt régulièrement affirmé pour les cultures ancestrales et sa participation ponctuelle aux activités du groupe allemand Zen 49, matérialisée par l’exposition éponyme de la Kunsthalle de Baden-Baden, en 1986, la proximité de sa démarche avec la culture orientale tient essentiellement à ce qu’il revendique lorsqu’il décrit son geste pictural.[17]
A la nécessité qu’exprime le Tao de ne jamais imposer sa volonté au monde correspond celle que Soulages voit dans le fait de ne jamais imposer sa volonté à la matière. Soulages n’impose rien à la matière, il accompagne son mouvement. Se vider de soi pour se remplir du mouvement continu du monde, tel qu’il se manifeste au cours de l’acte de peindre. De là, cette impression souvent évoquée par lui d’obéir, lorsqu’il peint, à ce que lui dictent simultanément le médium, la toile et les outils choisis. L’empathie avec les matériaux employés serait telle que l’artiste chercherait uniquement à faire advenir ce que les matériaux, en eux-mêmes, supposent de lui.
Peinture 55x46 cm,
janvier 1960
Huile sur toile
Dans Peinture 55x46 cm, 8 janvier 1960 par exemple, le corps gras de la peinture a déterminé son mode d’application. Des bourrelets se sont formés autour de la spatule souple utilisée par le peintre, formant un rebord autour de chaque bande. Telle est l’idée : travailler en anticipant les réactions des matériaux, en respectant leurs propriétés plastiques afin de pouvoir aller dans leur sens. Ne jamais contraindre les désirs de la matière. Soulages déclare à ce sujet : « J’aime l’acte de peindre enraciné dans la matière ». « C’est ce que je fais qui m’apprend ce je que cherche. » « Quand j’ai commencé à faire de la peinture, je pensais qu’il fallait avoir son tableau dans la tête avant de le réaliser. Mais j’ai bien compris que peindre dans sa tête, c’est très mauvais. […] La peinture est l’exercice d’une liberté. »[18] Cette liberté, ce sentiment de plénitude sont ceux auxquels conduisent les préceptes du Tao : « Agir sans rien projeter / guider sans contraindre, c’est la vertu suprême. » « Connais le blanc. / Adhère au noir. / Sois la norme du monde. / Quiconque est la norme du monde retrouve l’illimité […] [Le sage] retrouve le bloc de bois brut. / Le bloc de bois, débité selon son fil, forme des ustensiles.»[19]
Peinture 200x162 cm, 14
mars 1960
Huile sur toile
Pour parvenir à cette liberté, la peinture doit s’extraire de toute projection imaginaire, car « la figuration est projection d’idéogrammes, de choses mentales, imaginaires et donc réductrices »[20] face à l’infini richesse des détails offerts par la matière même de l’œuvre. L’espace d’une toile n’est pas la représentation d’un espace figuré, elle est son propre espace, avec son propre centre de gravité. Puisque la toile est plate, elle doit le rester pour s’ouvrir à sa propre matérialité.
Et dans le but de faire exister ses toiles en surface, Soulages évacue tout signe pouvant évoquer une ligne d’horizon. Certaines de ses toiles, comme Peinture 200×162 cm, 14 mars 1960, présentent les surfaces de noir les plus larges dans la partie supérieure et les plus graphiquement dégagées dans la partie inférieure, comme si le ciel et la terre étaient inversés, empêchant ainsi toute projection. La construction en diagonale va dans le même sens. Le regard est amené à se déplacer latéralement au lieu d’investir les profondeurs d’un arrière-plan imaginaire. Tout repose alors dans la gestion des équilibres internes. C’est ainsi que des bandes de peinture colorées sont déportées sur le côté droit pour contrebalancer, de leur clarté saillante, la masse des noirs agglutinés dans la partie gauche. Dans cette composition qui place le lourd en haut et le léger en bas, l’artiste compense le déséquilibre en insistant sur le mouvement directionnel des grandes bandes verticales qui s’étirent vers le bas comme des lests. D’autre part, la grande parcelle de blanc de l’angle inférieur gauche trouve un répondant dans le petit espace blanc de l’angle supérieur droit, allégeant les surfaces de noir en surplomb. L’espace doit devenir tangible dans les tensions qui s’y exercent.
Hors de la maladresse et de l’habileté
Soulages dit rejeter l’élégance, la préciosité, la fluidité du geste
et le savoir-faire au profit de l’hésitation et d’un exercice de curiosité
perpétuellement renouvelé. Il recherche le brut et non le raffiné. « Me
touche ce qui se situe en dehors de la maladresse et de l’habileté ».[21]
À ce propos, la vue
d’une vitre brisée dans la Gare de Lyon lui revient souvent en mémoire, comme
l’image fondatrice de travaux ultérieurs. Cette vitre brisée avait été recollée
au goudron par des ouvriers, avant tout soucieux de la solidité de
l’assemblage. Elle avait retenu son attention car, partiellement opaque, elle
n’était plus ouverte sur le monde, comme la fenêtre renaissante, et pouvait
être observée comme la toile d’un peintre moderne, en surface. Cette vitre
constituait comme un vitrail maladroitement cerclé, dénué de mignardise. Les
traînées de goudron suivaient les lignes des brisures, s’y superposaient,
surlignant les motifs déjà dessinés dans le verre par son éclatement. Le
« coup de brosse rudimentaire »[22] des
ouvriers lui plut beaucoup. À
l’image de ce souvenir, si les quelques goudrons sur verre qu’il réalise
après-guerre ont pu évoquer l’état d’une Europe en reconstruction, certains
étant réalisés sur verre brisé[23], ils
constituent aussi et surtout un éloge aux forces tangibles que les matériaux
mettent en jeu dans leurs oppositions. Le goudron opaque et rugueux, le verre lisse et transparent se joignent
pour mettre en lumière leurs différends.
À chaque outil son programme
Lorsque Soulages débute avec ses brous de noix, l’idée d’employer un matériau pauvre destiné à la teinture du bois et non aux beaux-arts l’intéresse tout particulièrement. L’usage du goudron va dans le même sens. Soulages se tourne vers les « matériaux robustes et non conditionnés ».[24] De la même façon, du point de vue des outils, aux pinceaux graciles des marchands de couleurs, il préfère le pinceau du peintre en bâtiment. Pour lui, « chaque outil apporte une autre nature de formes et une autre modulation de couleur », « chaque outil a son programme ».[25]
Un pinceau taillé en biseau sous-tend un usage calligraphique avec jeux de pleins et de déliés : il porte en lui une fonction qui prédétermine son usage et réduit la liberté du peintre. Lorsqu’il se rend à Tokyo en 1957, à l’occasion d’une exposition de ses œuvres, Soulages prend connaissance des divers pinceaux traditionnels japonais. Sur la totalité, les seuls à retenir son attention portent l’appellation d’« herbe coupée », pour ce qu’ils ont précisément le poil ras et carré. Les pinceaux en question ne sont pas « calibrés pour l’élégance et la fluidité » car adaptés à la copie de textes bouddhiques et à l’esprit de réserve propre aux préceptes à calligraphier.
Peinture 220x366 cm, 14
mai 1968
Huile et acrylique sur toile
Outre la récupération de pinceaux d’ouvriers, c’est en fabriquant ses propres outils que Soulages se libère de tout usage conditionné. C’est ainsi qu’il conçoit ses couteaux à peindre avec des morceaux de semelle de cuir, des raclettes de caoutchouc, de vieux pinceaux rigidifiés par la peinture, des tiges de bois, des planches brisées, toutes échardes dehors, d’autres encore entourées de chiffons,... « La pratique est inséparable de l'art qui se fait jour avec elle. Autrement dit, le fond et la forme ne font qu'un. Je n'ai cessé d'inventer des instruments, le plus souvent dans l'urgence. N'arrivant plus à produire quelque chose, je m'empare de ce que j'ai sous la main. »[26]
Dans Peinture 220x336 cm, 14 mai 1968, l’importante surface qu’occupent les cinq aplats de noir met en valeur l’aspect aléatoire de leurs contours, laissant apparaître entre leurs masses opulentes comme des lignes blanches en pointillés. La tension qui réside entre les zones noires et blanches repose essentiellement sur l’irrégularité de ces bords. Elle rend compte de toute la fragilité des survivances de blanc : si la pression exercée sur l’outil lors de l’application des noirs avait été à peine plus forte, ils auraient totalement disparu.
Peinture 202x452 cm, 29 juin 1979
Diptyque
Huile sur toile
Les Outrenoirs réalisés à partir de 1979 sont issus d’une journée de travail infructueuse au terme de laquelle l’artiste abandonne la peinture sur laquelle il s’est acharné tout un jour. Par recouvrement d’échecs successifs la totalité de sa toile est saturée de noir. Le lendemain matin, considérant le résultat avec sa femme, celle-ci lui fait remarquer qu’il vient d’ouvrir une nouvelle voie. Peinture 202x452 cm, 29 juin 1979 nous montre de quelle manière il s’y engage : non seulement il n’y a plus qu’une couleur mais, de surcroît, il n’y a qu’un outil employé, un type de geste et une consistance de peinture.
Ce polyptyque, composé de deux toiles de largeur différente réunies en une seule, joue sur le seul rythme généré par la variation des formats et les inclinaisons des coups de brosse. Soulages peigne la matière plus qu’il ne peint. De son pinceau, il a effectué de grands gestes horizontaux qu’il a arrêtés avec exactitude aux bords de la toile ou à la frontière de lignes verticales préalablement tracées au crayon. Les différentes profondeurs des sillons creusés par l’outil sont sources de variations infinies. Plus que l’artiste, c’est ici le pinceau qui s’exprime. Cette toile témoigne d’une curiosité de chaque instant opposée au savoir-faire de l’artisan ou au « truc » de l’artiste.
Cet aspect essentiel de l’œuvre de Soulages semble en appeler au célèbre passage qu’au tout début des années 1960 l’anthropologue Lévi-Strauss consacre à la notion de bricolage dans La Pensée Sauvage. Il y compare deux figures, deux démarches possibles en matière de création : celle de l’ingénieur et celle du bricoleur. Là où l’ingénieur projette une idée arrêtée de son œuvre et va partir à la recherche des outils et matériaux pour la réaliser, le bricoleur n’a aucun projet en tête. A l’inverse, ce sont les outils et matériaux dont il dispose qui déterminent ce qu’il va faire : il crée à partir de ce qu’il a sous la main. A mesure que l’œuvre se concrétise, l’idée du résultat final se précise, elle ne sera fixée qu’une fois le processus de création terminé.
« Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d'elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos et la règle de son enjeu est de toujours s'arranger avec les « moyens du bord », c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l'ensemble n'est pas en rapport avec le projet du moment, ni d'ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L'ensemble des moyens du bricoleur n'est donc pas définissable par un projet. »[27]
Peinture 146x114 cm, 1950
Huile sur toile
Lorsque Soulages se rend à Paris en 1938 pour devenir enseignant de dessin, ses connaissances en histoire de l’art sont limitées à celles acquises dans son lycée de Rodez : il admire les œuvres du Lorrain et de Rembrandt pour le rendu des lumières et, concernant le second, pour le traitement matiériste des corps. On lui conseille alors de tenter le concours national des Beaux-arts. Il y est admis mais n’en suivra jamais les cours. Pendant son séjour à Paris, il a découvert Picasso et Cézanne et fréquenté assidûment le musée du Louvre. Mobilisé en 1940, démobilisé un an plus tard, il étudie la peinture aux Beaux-arts de Montpellier.
A cette époque, Soulages connaît peu de choses de l’abstraction qui n’est ni enseignée, ni véritablement exposée en France. Les valeurs de l’art français reposent alors sur les travaux figuratifs d’un Dunoyer de Segonzac, d’un Fougeron ou d’un Pignon. Et c’est pendant la guerre, chez son coiffeur, dans un numéro de la revue Signal consacré à l’art dégénéré qu’il découvre l’abstraction. Il voit pour la première fois les reproductions de Mondrian et de Kandinsky.
Une histoire de l’art personnelle
En dehors de cette rencontre fortuite, mais déterminante, l’artiste n’a de cesse de se référer à des sources d’inspiration qui dépassent de loin les cadres de l’histoire du vingtième siècle. Son histoire de l’art personnelle s’étend sur cent-soixante siècles. Son noir, ses ocres et ses rouges, dit-il, sont ceux des peintures pariétales des grottes de Pech-Merle, de Font-de-Gaume, d’Altamira, puis de Lascaux, découverte en 1940. Certes, depuis son plus jeune âge, il s’intéresse à l’art pariétal de sa région natale, mais cette vision anhistorique de l’art s’inscrit aussi dans un contexte culturel marqué par le primitivisme des avant-gardes du début du siècle, dont les voix se font encore entendre. En somme, lorsque Soulages revient à Paris en 1946 pour se consacrer à la peinture et qu’il rencontre le peintre algérien Atlan, avec lequel il se lie d’amitié, ce n’est pas un hasard si les deux peintres trouvent des référents communs à leurs travaux.
Jean-Michel Atlan, sorti depuis peu de l’hôpital Sainte-Anne où il s’était fait interner pour échapper à la déportation, se rapprochera du mouvement Cobra, rattachant ostensiblement sa pratique aux arts premiers comme manière de s’opposer à la culture rationaliste d’Occident. L’œuvre de Soulages, quant à elle, ne présente pas de rapport direct avec la statuaire africaine. Mais, par sa recherche d’universalité, que traduit la réduction des moyens plastiques et des signifiants symboliques, elle peut être perçue comme habitée par l’esprit dynamique et matérialiste du nouveau monde américain, ou porteuse de préceptes orientaux, ou encore des valeurs de la négritude.
« Forme et fond ne font qu’un »
C’est cette identification possible de l’œuvre de Soulages aux valeurs de la négritude qui amène Léopold Sédar Senghor à lui consacrer, en 1974, une exposition rétrospective dans le tout nouveau Musée d’art contemporain de Dakar, le Musée Dynamique. Cette importante exposition voyagera de Dakar à Caracas, en passant par Madrid, Lisbonne, Montpellier, Mexico, Rio et São Paulo.
En effet, l’utilisation du brun, de l’ocre, du rouge et du noir, des couleurs chaudes et sombres de la terre, correspondent aussi aux couleurs de l’Afrique, à ses bois brûlés, à son artisanat de terres cuites. Soulages explique : « Les matières [que j’utilise] sont proches de ce qui m’est fraternel : la terre, les pierres, les vieux bois, le goudron, le fer rouillé […] Je les ai toujours préférées aux matières lisses, unies, pures et sans vie. […] Cette rudesse contient aussi de grandes subtilités ».
Soulages partage également avec Senghor cette idée suivant laquelle fond et forme sont liés comme le corps et l’esprit : l’homme pense avec son corps et non, comme en Occident, en s’en détachant. Ainsi, la seule image de ces matériaux en appelle à la méditation, mais une méditation sensuelle. L’homme confronté à pareille peinture y retrouve instantanément les expériences esthétiques qui l’attachent à la terre. Le caractère aléatoire des agencements formels, le fait que Soulages sculpte la peinture dans la masse en y creusant des sillons, toutes les indications perceptives vont dans ce sens. Ainsi, chaque forme est pensée, « forme et fond ne font qu’un », « les relations entre les formes sont un transfert des relations de l’univers à d’autres significations ».[28] En ce sens les impressions physiques produites par ses toiles, leur manière d’agencer les formes, de se structurer petit à petit, l’attitude que le peintre adopte pour qu’aboutissent ses compositions, tout cela est communicatif et constitue un modèle structurant pour la pensée.
L’art du dépouillement
La continuité du parcours artistique de Soulages, la constance de ses recherches visant à faire jaillir la lumière du noir, et ce jusque dans l’épaisseur de la matière, vaut à sa démarche d’être décrite comme une quête obstinée dans le travail de la lumière[29]. Et le mythe qu’il construit autour de sa vocation, dans ses nombreux entretiens, corrobore cette idée. Car si Soulages donne pour origine de son noir le charbon des dessins pariétaux, il se réfère également à l’architecture romane qu’il découvre à douze ans, lorsqu’il visite l’abbatiale de Conques au cours d’une sortie scolaire. Soulages évoque cet épisode du passé comme l’instant d’une révélation. Son œuvre ultérieure tendra vers la lumière et la sobriété des espaces que lui dévoile cette architecture.
L’art du dépouillement, de la juste proportion dans l’articulation des plans quadrangulaires le fascine et constitue ses premières émotions esthétiques. Le dépouillement décoratif revendiqué par la tradition cistercienne est également de première importance. Les abbayes cisterciennes, qu’elles soient de style gothique ou roman, présentent des parois vierges de toute décoration, de toute figure statuaire, afin de laisser place aux seules variations que la lumière engendre en pénétrant les espaces de recueillement. Les vitraux y sont sans couleur afin de ne pas altérer la lumière zénithale, variant à chaque heure du jour lorsqu’elle vient décliner ses reflets sur le dallage ciré des sols. Nous retrouvons le principe central de l’art de Soulages : en montrer peu pour mettre en évidence la richesse de ce qui est à voir.
Peinture 202x327 cm, 17
janvier 1970
Huile sur toile
Dans Peinture 202x327 cm, 17
janvier 1970, un
même motif est répété sept fois dans la longueur, mettant en avant les variations
de sa forme De la gauche vers la droite, il semble s’étirer, ou se tendre dans son
ascension vers le bord supérieur. Sa succession évoque une évolution linéaire
où la partie graphique la plus chargée tend à disparaître littéralement
dans les hauteurs. Il faut toutefois préciser que la répétition fréquente des
gestes dans les toiles de Soulages ne vise pas tant à générer un rythme, au sens d’un déploiement dans le temps, qu’à
poser le caractère unique de chaque élément dans leur succession et leur
apparente similitude. L’extrême simplicité des motifs répétés renforce cet
effet : pointer du doigt la richesse infinie du réel, par-delà les
automatismes d’un regard déterminé par la pensée rationnelle.
Des gestes toujours plus simples
Poursuivant ce principe de dépouillement, l’évolution de sa peinture témoigne d’une recherche toujours plus poussée pour réduire les moyens mis en œuvre. C’est ainsi qu’au cours des années 1960-1970, le nombre et la diversité des gestes effectués par le peintre sur une même toile diminuent à mesure que ces gestes gagnent en ampleur. L’image de ses premières compositions, fermement structurées, cède le pas à des gestes plus simples qui structurent d’eux-mêmes l’espace dans lequel ils se déploient. Les compositions perdent ainsi de leur caractère centripète et semblent gagner en liberté d’exécution. Au cours de ces mêmes années, de plus en plus de toiles présentent un élargissement de surfaces noires et un amenuisement proportionnel des espaces blancs. Nous retrouvons alors souvent l’image lointaine des ouvertures de lumière perçant la pénombre des espaces de méditation cisterciens.
L’aspect des deux ateliers de l’artiste est souvent évoqué pour les similarités qu’ils présentent avec son œuvre ; ces derniers constituent des espaces toujours bien rangés, majoritairement vides, où pénètre une lumière directionnelle propre à la contemplation. La maison qu’il fait construire d’après ses dessins sur les hauteurs de Sète, par la simplicité des lignes et la faible élévation du bâtiment, tend à s’effacer dans le paysage pour ne pas s’imposer à celui-ci. L’atelier qu’il y installe en contrebas recueille la lumière du jour sans pour autant présenter les immenses baies vitrées que l’on trouve dans de nombreux ateliers d’artiste : la lumière y entre avec parcimonie, elle y est filtrée pour y être visible en tant que telle.
Abbaye de Conques, Vitrail, 1987-1994
L’abbatiale de Conques, lieu où naquit la vocation de Soulages, est aussi le lieu de consécration de sa carrière. Les vitraux que l’Etat lui commande en 1986 y prennent place en 1994, au terme de huit ans de recherches. Souhaitant que cette œuvre s’inscrive dans la pleine continuité de son parcours pictural, sans pour autant faire du vitrail une extension de sa peinture, il décide de ne réaliser aucun dessin préparatoire avant d’avoir déterminé son matériau ou, plus exactement, d’avoir été déterminé par lui. Ce matériau sera un verre sans couleur dont le degré de translucidité peut être modulé. Ce verre n’existe pas encore, il le fera réaliser pour l’occasion.
Destinés aux cent quatre baies de l’abbaye, les vitraux de Soulages sont ainsi constitués de grandes bandes de verre non teinté. Ces bandes présentent dans leur épaisseur même des variations d’opacité qui évoluent en dégradé. Grâce à leur matière, translucide et non transparente, les baies s’imposent comme des surfaces qui semblent produire leur propre lumière. Les bandes, parallèles et de même largeur, sont regroupées en compartiments horizontaux. Leur degré d’inclinaison et leur courbure varient selon leur position dans le vitrail, afin de produire, le plus souvent, un effet de tension ascensionnel. Le soir, vus de l’intérieur de l’abbaye, les vitraux peuvent se teinter simultanément de camaïeux rouges et jaunes d’un côté, bleus et verts de l’autre. Vus de l’extérieur, ils réfléchissent la lumière du ciel comme autant de miroirs opaques, devenant aussi impénétrables que la façade en pierre. C’est un facteur qui intéresse fortement Soulages, car ses vitraux sont faits pour êtres vus des deux côtés : ainsi le jaune de l’intérieur peut, de l’extérieur, apparaître bleu en reflétant le ciel. C’est encore une fois en réduisant les moyens mis en œuvre et en laissant agir l’environnement qu’il révèle la richesse infinie de la lumière.
Le rapport artiste-œuvre-spectateur
Pour ceux qui souhaitent en avoir une lecture religieuse, cette richesse apparaît comme une preuve de la prodigalité divine. Mais, tout comme lorsqu’il s’agissait d’identifier l’œuvre de Soulages aux valeurs du Nouveau Monde, à celle de la Négritude ou du Tao, lui prêter une affinité avec les valeurs de la religion chrétienne est pure affaire d’interprétation. Cela n’appartient pas à l’œuvre. Pour Soulages, le sens de l’œuvre se construit dans la trinité du rapport artiste-œuvre-spectateur. Ce n’est pas l’artiste qui fait l’œuvre, l’œuvre se conçoit dans un dialogue avec l’artiste, et le sens de l’œuvre dans son dialogue avec le spectateur. Et, au-delà, ces trois instances se construisent réciproquement : l’artiste est construit par son œuvre et le spectateur qui construit le sens de l’œuvre, est construit par elle en retour.
Comme « à l’intérieur de l’espace qu’il crée »
Que ce soit dans la transparence des vitraux ou les reflets de la matière noire qu’il modèle à la surface de ses toiles, Soulages en vient progressivement à peindre directement avec la lumière. Dans ses Outrenoirs, il obtient des gris et des éclats de blanc à partir des seuls effets de brillance que produisent les reliefs prononcés de l’huile et plus tard de l’acrylique. Il ne s’agit pas d’impressionner le spectateur par une multitude de reflets éblouissants mais, précisément, d’attirer l’attention sur des phénomènes discrets, contenus. Il ne s’agit plus de faire jaillir les contrastes de la confrontation du noir au blanc de la toile, mais de présenter des contrastes qui se déplacent avec le spectateur.
Peinture 324x362 cm, 1985
Polyptyque C (4 éléments de 81x362 cm, superposés)
Huile sur toile
Dans ce polyptyque constitué de panneaux allongés, solidaires dans le sens de la hauteur, la peinture met en relief une suite de gestes répétés dans un ordre précis. D’abord de grandes traînées horizontales sont produites, à l’aide d’une brosse ou des fibres irrégulières d’une planche de bois brisée. Par la suite, avec une raclette lisse, les reliefs obtenus sont rabattus dans une série de mouvements verticaux, parallèles et plus ou moins inclinés selon les panneaux. Produisant comme une vannerie de peinture, cette œuvre joue sur la répétition et le rythme qu’engendrent les écarts discrets entre chaque motif.
Les gris que génère la lumière scandent la composition. Mais, suivant la position du spectateur, ce qui constituait une ligne claire sur une surface sombre peut s’inverser, et devenir une ligne sombre sur une surface claire. Les peintures de Soulages « suivent » en quelque sorte le spectateur dans ses déplacements. C’est le regardeur qui se sent regardé : la toile et le spectateur font partie du même espace, il est inclus dans l’espace de la toile, elle intériorise sa position.
Commentant la Vierge en Majesté de Cimabue à des amis qui visitent le Louvre avec lui, Soulages explique les ressorts de cet effet. Cette œuvre présente un ciel d’or, « ce qui veut dire que, plus qu’une couleur, c’est un reflet, une lumière qui va du tableau vers moi qui la regarde ». Le spectateur est ainsi « à l’intérieur de l’espace qu’il crée », la toile n’est pas dans l’ailleurs de l’image, elle est de plain-pied dans le réel.
[1] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, Lausanne, éditions La
Bibliothèque des arts, 2002
[2] Jean BAZAINE, Notes
sur la peinture d'aujourd'hui, Ides et Calandes, 1948
[3] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[4] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[5] Henri MESCHONNIC, Le rythme et la lumière avec Pierre Soulages, Odile
Jacob, 2000
[6] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[7] Henri MESCHONNIC, Le rythme et la lumière avec Pierre Soulages, op. cit.
[8] Pierre SOULAGES,
Catalogue de l’exposition Grosse Französischer
abstrakter Malerei Ausstellung, 1948
[9] Voir Frances Stonor
SAUNDERS, Qui mène la danse ? La CIA
et la guerre froide culturelle (Who
Paid the Piper), éditions Denoël, Paris, 2003 et Serge GUILBAUT, Comment New York vola l’idée d’art moderne,
éditions Jacqueline Chambon, Nîmes, 1996
[10] James JOHNSON SWEENEY, Soulages, éditions Ides Et
Calendes, 1972
[11] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[12] Pierre SOULAGES, cité par Henri MESCHONNIC , op. cit.
[13] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[14] Henri MESCHONNIC, Le rythme et la lumière avec Pierre Soulages, op. cit.
[15] Le Tao-tö King fut écrit selon la légende entre -600 et -400 et plus vraisemblablement
entre 206 et 220, à l’époque Han.
[16] LAO-TSEU,Tao-tö King, trad. Liou Kia-hway, Paris, Ed.
Gallimard, 1967, pp. 26 et 11
[17] Notons que le Tao est
présent dès les origines de l’abstraction, dans un court passage cité par
Malevitch comme étant à l’origine de son carré noir, auquel il souhaite attribuer
un caractère organique : « Le Tao est un grand carré sans angles, un
grand son qui ne peut être entendu, une grande image qui n’a pas de forme. »
(Kasimir MALEVITCH, Ecrits sur l'art, tome 4 : La Lumière et la
Couleur, textes inédits de 1918 à 1928, L'Âge d'Homme, 1993)
[18] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[19] LAO-TSEU,Tao-tö King, op. cit, pp. 21 et 44
[20] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[21] Pierre SOULAGES,
entretien avec Pierre DUMAYET, Le Figaro
Littéraire, 30 mars 1967
[22] Bernard
CEYSSON, Pierre Soulages, éditions
Flammarion. Paris, 1979
[23] Voir Serge GUILBAUT,
« Pierre Soulages, l’Américain à Paris », Soulages, éditions Centre Pompidou, Paris, 2009
[24] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[25] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[26] Pierre
SOULAGES, « Entretien avec
Pierre Soulages », Le Point, 31 mars 2003, n° 1585
[27] Claude LÉVI-STRAUSS, La Pensée sauvage, Paris, Ed. Plon,
1960, p.27
[28] Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, op. cit.
[29] Eric de CHASSEY, « Conques, une abstraction épiphanique », Soulages, éditions Centre Pompidou, Paris, 2009
OUVRAGES
Sous la direction d'Alfred PACQUEMENT et de Pierre ENCREVÉ, Soulages, catalogue de l'exposition, éditions du Centre Pompidou, 2009
Pierre ENCREVÉ,
> Soulages. L'Œuvre complet, 3 vol. (1946-1958, 1959-1978, 1979-1997),
Paris, éditions du Seuil, 1998 (catalogue
raisonné de 1 174 œuvres)
> Soulages. Les Peintures. 1946-2006, Paris, éditions du Seuil, 2007
> Soulages : 90
peintures sur papier,
Paris, éditions Gallimard, 2007
> Soulages, l'œuvre imprimé, Catalogue
raisonné, éditions Bnf, Paris, 2003
Bernard CEYSSON , Pierre Soulages, éditions Flammarion, Paris, 1979
Pierre DAIX , Pierre Soulages, éditions Ides et Calendes, 1991
Henri MESCHONNIC, Le rythme et la lumière avec Pierre Soulages, Odile Jacob, 2000
Françoise JAUNIN, Noir lumière, entretiens avec Pierre Soulages, Lausanne, éditions La Bibliothèque des arts, 2002
Hubert JUIN, Soulages, le musée de poche, Paris, éditions Georges Fall, 1958
Jean-Michel LE LANNOU, La Forme souveraine. Soulages, Valéry et la puissance de l'abstraction, Paris, éditions Hermann, 2008
Michel RAGON,
> Soulages, les peintures sur papier, Paris, éditions Hazan, 1962
> Les Ateliers
de Pierre Soulages, Paris,
Albin Michel, 1990
Nathalie REYMOND, Soulages, la lumière et l’espace, Paris, éditions Adam Biro, 1999
Connor RUSSELL, Pierre Soulages : au-delà du Noir, trad. par Stéphanie Molinard, Paris, éditions Alvik, 2003
James JOHNSON SWEENEY, Soulages, éditions Ides et Calendes, 1972
James JOHNSON SWEENEY / Pierre DAIX, Pierre Soulages, L'œuvre 1947-1990, éditions Ides et Calendes, 1990
ARTICLES
Harry Bellet, « Au Centre Pompidou, la lumière noire de Soulages », Le Monde, 16 Octobre 2009
Hors-série : Pierre Soulages. La rétrospective, Connaissance des Arts, octobre 2009
Christophe DONNER, « Entretien avec Pierre Soulages », Le Monde 2/3 février 2007
Françoise JAUNIN, « Pierre Soulages, lumières d'outrenoir », site officiel du ministère français des Affaires étrangères
Pierre DUMAYET, « Entretien avec Pierre Soulages », Le Figaro Littéraire, 30 mars 1967
Jean PIERRARD, « Entretien avec Pierre Soulages », Le Point, 31 mars 2003, n°1585
Pierre SOULAGES, « Réalisme et réalité », enquête de Camille BOURNIQUEL, Esprit, n°168, juin 1950
LIENS INTERNET
• Sur le site
du Centre Pompidou : rubrique Vidéo
- Un
dimanche, une œuvre, Pierre Soulages, 30 mars 2008. Peinture, 324x362 cm, Polyptyque C, 1985
- Colloque Pierre Soulages. Introduction : Roland Recht (Collège de France), 21 janvier 2010
- Colloque Pierre Soulages. Soulages en France. Intervention de Giuseppe Di Natale : « Pierre Soulages et le mouvement. Phases, œuvres et contexte », Natalie Adamson : « Pierre Soulages et l'Ecole de Paris » et Julie Verlaine : « Présence-absence de Pierre Soulages dans les galeries d'art parisiennes », le 21 janvier 2010
- Colloque Pierre Soulages. Lire Soulages, le 21 janvier 2010
- Colloque Pierre Soulages Exposer Soulages, le 21 janvier 2010
- Colloque Pierre Soulages. Soulages vu d’ailleurs I. Intervention d’Anne Bariteaud « Ab initio : Soulages au prisme de Zéro », Christophe Singler « La Peinture Noire de Guido Llinas et Pierre Soulages » et Myriam Métayer « Pierre Soulages et Emilio Vedova, une confrontation critique », le 22 janvier 2010.
- Colloque Pierre Soulages. Soulages vu d’ailleurs II. Intervention de John Klein : « Soulages et l'exceptionnalisme américain » et Erich Franz : « Soulages en Allemagne », le 22 janvier 2010.
- Colloque Pierre Soulages. Techniques de Soulages. Intervention de Pauline de la Grandière : « Restaurer les tableaux de Soulages de la fin des années 50 », Estelle Pietrzyk : « Soulages graveur » et Benoit Decron : « Pierre Soulages dessine-t-il ? », le 22 janvier 2010.
- Colloque Pierre Soulages. L’effet Soulages. Intervention de Julien Fronsacq « Pierre Soulages : l'espace de la peinture » et Briony Fer « Soulages, le transparent », le 22 janvier 2010.
- Colloque Pierre Soulages. Entretien entre Pierre Soulages et Laurence Bertrand-Dorléac (Sciences Po., Paris), le 22 janvier 2010.
• Site Public handicapé
-
Écouter voir : Soulages. Goudrons sur verre, Peintures. Par Isabelle Bonzom. (Textes et fichiers sonores)
- Exploration d’une œuvre : Pierre Soulages.
- Vidéo en langue des signes : Pierre Soulages.
• Le
site documentaire sur Pierre Soulages
• « Lumière
en noir et lumière tangible - Le ‘goût’ du paradoxe », par Marie Renoue
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© Centre Pompidou,
Direction de l’action éducative et des publics, octobre
2009
Texte : Norbert Godon
Œuvres de Pierre Soulages © Adagp, Paris 2010
Photographies de Jean-Louis Losi
et François Walch © Adagp, Paris 2010
Maquette : Michel Fernandez
Mise à jour : Florence Thireau, 2010
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education
rubrique
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Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers
pédagogiques