Danse contemporaine - Pour une chorégraphie des regards
Un bouleversement des codes
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2. ET LE CORPS DEVINT SCÈNE

 
 
The Moebius Strip, chorégraphie Gilles Jobin. Photo Bertrand Prévost © Centre Pompidou

 

Des années 80 où les corps dansants s’élancent comme des effigies s’adressant au monde, aux années 2000, ce n’est plus la scène comme territoire d’un espace libéré et sensuel que nous propose la danse mais comme prolongement du questionnement de l’intériorité des corps.

Un dernier souffle libertaire
Les années 70 voulurent changer le monde. Elles s’alimentèrent à une dévoration de la chose écrite, une frénésie des discours d’autorité et de contre-autorité. Vibrant encore d’un dernier souffle libertaire, mais plutôt féminine et optimiste, la danse des années 80 vient assurer une prise de relais plus sensuelle. Requinquée par les moyens considérables débloqués par les pouvoirs publics, ce mouvement projette alors des corps juvéniles et prolixes, pleins d’allant et d’histoires à raconter. Sur les scènes leurs courses impétueuses entendent finir de balayer les raideurs de l’héritage classique en danse, tout autant que les dernières entraves du vieil ordre moral en société.
Ce mouvement foisonnant de la Nouvelle danse vient parachever une visée de libération des corps, en même temps qu’il laisse cadrer ses avancées dans les nouveaux outils institutionnels mis à son service (essentiellement le maillage du territoire par les Centres chorégraphiques nationaux).

L’altération des identités féminin et masculin
02 Mais déjà les enjeux sont en train de se déplacer.
La diffusion durable des acquis du féminisme altère en profondeur les identités de genres féminin et masculin. Elle modifie les topographies du désir. La libération sexuelle, particulièrement homosexuelle, heurte dramatiquement l’écueil du sida. L’exacerbation des enjeux économiques et l’accentuation des tensions politiques dans un contexte de mondialisation dessinent une nouvelle perception de l’espace-monde. Celui-ci est plus que jamais traversé de migrations, et sillonné d’expéditions guerrières, humanitaires, mais aussi touristiques. La globalisation médiatique provoque une réduction des espaces, une accélération des temporalités, en même temps qu’une griserie de la submersion par les flux continus d’informations. Les innovations technologiques suggèrent des mises en réseau immatériels, éclatés et décentrés, ouvrant l’imaginaire sur les horizons extraordinaires de la virtualité.
Dispositif 3.1, chorégraphie Alain Buffard. Photo © Marc Domage

Traiter du bouleversement de la relation espace-temps
Certains s’accordent à penser que ce bouleversement global (géopolitique, économique et culturel) est d’une intensité comparable à celui qui vit advenir les Temps modernes voici un demi-millénaire. C’est une vision du monde, une perception désirante de la relation espace-temps qui s’en trouverait radicalement bousculée. La danse n’a d’autre objet que de traiter de cette relation espace-temps. Au travers du plus proche et du mieux partagé des médiums – le corps – ne se retrouve-t-elle pas aux avant-postes sensibles de cette mutation? Quitte à s’en trouver en partie déboussolée.

La "problématisation" des corps
03-1-2 Assez tardivement, du reste, cet art épouse brusquement la pensée post-moderne, qui fait le deuil des grandes lignes d’utopie pour s’infiltrer dans des arborescences mouvantes de recyclages, de décodages et de détournements. Dès lors, les corps dansants n’ont plus pour souci premier de s’élancer comme des effigies s’adressant au monde. Nouvellement problématisés, ils s’ouvrent autant au questionnement de leur intériorité. Et leur complexité neuve abolit en partie la coupure qui les sépare de la scène-territoire. Ils s’y conçoivent en interfaces propices à des branchements sur de multiples plans mouvants de significations, en quoi ils se construisent. Ils sont eux-mêmes devenus scène.

Skull* Cult, une proposition Rachid Ouramdane et Chistian Rizzo.
L’attention est focalisée sur le corps du danseur qui développe
une gestuelle lente et minimale. Le corps devient scène.
© Fin Novembre XX Solenn Camus

 

 

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© Centre Pompidou 2004