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exposition
Une exposition pluridisciplinaire
Inquiétude et nostalgie métaphysiques
Sentiment cosmique et recherche d’absolu
Nouvelles perceptions et sagesses orientales
Une exposition PLURIDISCIPLINAIRE
L’exposition Traces du Sacré. Relations entre art occidental et spiritualité au XXe siècle regroupe 350 œuvres et 200 artistes. Agencée selon une vingtaine de sous-parties, l’exposition, organisée par le commissaire Jean de Loisy et la co-commissaire Angela Lampe, s’intéresse au sens du sacré et de la spiritualité dans l’art, du Romantisme (XIXe siècle) jusqu’à nos jours. Présentés de manière chronologique, les thèmes (cf. plan de l'exposition) sont l’occasion de confronter des œuvres romantiques et modernes à des œuvres contemporaines, de façon à mettre en valeur la rémanence de la thématique dans le questionnement artistique actuel.
L’exposition se situe à la croisée de l’histoire de l’art, de la philosophie, de la théologie, de l’ethnologie, de l’anthropologie, de la psychanalyse et de la politique. La notion de sacré n’est en effet pas le monopole de la religion et c’est d’ailleurs moins l’art sacré qui est ici envisagé que les traces d’une théologie dans l’art, une fois constatés par Friedrich Nietzsche la « mort de Dieu » (Gai savoir, 1882) et ce que Max Weber a appelé en 1919 « le désenchantement du monde » (Le Savant et le Politique). Comment les artistes entretiennent-ils une relation au Divin, dès lors que celui-ci s’estompe de notre monde sécularisé et ressurgit à la faveur de nouvelles formes, toutes intérieures et subjectives, de croyances et de spiritualités ? Telle est la grille de lecture originale que propose cette exposition.
Une telle thématique n’est pas anodine au regard des multiples résurgences du religieux dans la sphère publique et politique de notre monde contemporain. Mais il s’agit surtout, par cette exposition, d’opérer une autre lecture de la modernité artistique laquelle consiste, depuis le milieu des années 1960, en une étude formaliste et positiviste placée sous l’augure laïque de l’Impressionnisme. Cette lecture, aussi pertinente soit-elle, pêche par excès de rationalisation formelle et néglige, à la façon d’un refoulé, ce qui fut une des préoccupations majeures des artistes : une réflexion sur le monde dans sa tradition judéo-chrétienne et sur son devenir lorsque la société perd sa structure religieuse et que le sentiment qui reliait les hommes aux Dieux se délie.
Autour de l’exposition, le Centre Pompidou affirme sa vocation pluridisciplinaire et propose un large programme de films, vidéos, concerts, un spectacle de danse, un cycle de conférences.
Le déclin de Dieu à l’âge romantique coïncide avec une inquiétude métaphysique sur laquelle débute le parcours de l’exposition. En 1796, le penseur Jean Paul décrit un rêve ou plutôt un cauchemar, intitulé « Discours du Christ mort ». Un cimetière la nuit dans lequel les tombes sont ouvertes. Les morts se rassemblent près de l’autel d’une Église vacillante et le Christ annonce qu’il n’est point de Dieu : "Nous sommes tous des orphelins, vous et moi, nous sommes sans père." Alors, les sons discords se firent plus stridents - les murs du temple s’écartèrent en tremblant - le temple et les enfants disparurent - toute la terre et les soleils s’abîmèrent à leur suite - l’édifice du monde s’écroula devant nous, dans son immensité » (Jean Paul, Choix de rêves, Paris, éd. José Corti, 2001, p. 146). Cette vision d’horreur ou ce rêve athée que traduira en 1813 Mme de Staël dans De l’Allemagne en occultant la fin de l’histoire - réveil du narrateur et élan joyeux vers Dieu et la Nature - associe modernité et destruction, absence, néant ou désillusion, ce que reprendront en héritage Nerval, Gautier et Baudelaire, Hugo et Mallarmé.
Cette même terreur se retrouve dans une gravure célèbre de Francisco de Goya, Nada. Ello dirả [Rien. On verra bien], planche 69 des Désastres de la Guerre, (1810-14). Un cadavre tient dans sa main un message adressé des ténèbres : « Nada », il n’y a rien. Le défunt revenu de la mort annonce l’absence d’au-delà et de transcendance et pour conséquence ultime le transfert de la responsabilité du Mal aux hommes seuls. C’est pourquoi devant les figures grotesques grimaçantes - qu’on pourra rapprocher des masques carnavalesques de James Ensor - surgit une balance, celle du Bien et du Mal, horloge du destin, privée de loi divine.
Caspar David Friedrich, Ruinen in der Abenddämmerung (Kirchenruine im Wald) [Ruines au crépuscule (Ruine d’église dans la forêt)], vers 1831
Huile sur toile, 70,5 x 49,7 cm
Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Neue Pinakothek, Munich
Contemporain de Goya, Caspar David Friedrich décline le thème de la mort de Dieu de façon différente. L’horreur et le néant cèdent la place à une simple mélancolie de la disparition et à une métaphysique du paysage rempli de présence divine, de sublime et de transcendance. Ruinen in der Abenddämmerung (Kirchenruine im Wald) (1831) présente une Église en ruines et c’est moins la mort de Dieu qui est ici de mise qu’une nouvelle vision de la religion renouant avec le panthéisme. L’Église gagne une nouvelle force lorsqu’elle redevient nature. Elle est ce point où culture et nature s’unissent et fusionnent dans une foi en une résurrection du Divin intégré dans la nature elle-même.
La nostalgie de l’infini des artistes romantiques se prolonge au XXe siècle. Ainsi Giorgio de Chirico est-il obsédé par les architectures du vide dans lesquelles se lisent un appel à la transcendance, un désir d’au-delà ou de hauteur, comme en témoigne l’œuvre La nostalgie de l’infini (1912-1913). Ici, une tour située au milieu d’un espace énigmatique renvoie à une architecture de l’infini où la métaphysique ne se situe pas dans un « arrière-monde » mais à l’intérieur des choses elles-mêmes. Ainsi chaque réalité est-elle susceptible d’appartenir à la transcendance, à la condition d’atteindre un seuil d’illumination auquel seuls quelques élus peuvent accéder.
A partir du milieu du XIXe siècle la notion d’énergie spirituelle fait fortune : croyance en l’aura, sorte d’émanation nébuleuse des corps et de la pensée. La photographie devient l’emblème d’une manifestation concrète de traces invisibles et intangibles. Ces empreintes sont la preuve d’une activité médiumnique - évoquant le saint suaire - et de l’existence d’un fluide vital. La croyance du théosophe autrichien Rudolph Steiner envers un monde invisible situé derrière le monde visible inspire les artistes, les scientifiques et les intellectuels au début du XXe siècle.
František Kupka, Der Traum (Le Rêve), c.1906/9Ce mysticisme se rencontre dans l’œuvre de František Kupka confortée par les expériences de la physiologie, de la biologie et de l’astronomie. L’art est envisagé en termes de télépathie électromagnétique, d’émission et de réception d’ondes. Le tableau Le rêve (1906-1909) manifeste ainsi un champ d’extériorisation qui renvoie à l’existence d’un rayonnement invisible émis par le corps humain.
Lorsque Vassily Kandinsky publie Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier (1910), il montre que, quittant la sphère du religieux, l’art n’a pas pour autant renoncer à sa dimension spirituelle. L’art relève de la communication spirituelle pour l’artiste dont le travail se nourrit lui aussi des découvertes occultes de l’anthroposophie. L’aspect psychophysique des couleurs et des lignes abstraites confère à ses tableaux ce qu’il appelle une vibration psychique. Les formes abstraites de Dame in Moskau (1912) renvoient à une cosmogonie où se marient atmosphère spirituelle (soleil) et forme noire symbolisant le néant ou le silence sans avenir et espoir. Le cercle rose aux côtés du personnage féminin évoque les formes-pensées d’affection.
La démarche de Kasimir Malevitch va dans ce sens lorsqu’il décrit son entreprise d’extraction du noumène au sein du phénomène afin de développer un état de conscience supérieure où s’affirme la suprématie d’une sensation pure. Proche d’une connaissance intuitive théorisée par le philosophe allemand Schopenhauer dans le Monde comme volonté et comme représentation (1818), Plan en dissolution (1917) suggère une impression de flottement menant le spectateur à aller au-delà de la matérialité du tableau et à accéder par le biais d’une expérience extatique à un espace immatériel.
Franck Scurti, De l’origine du monde jusqu’à nos jours, 2005-2007
Techniques mixtes, 24 dessins, 47 x 36 cm (chaque)
Courtesy Franck Scurti et galerie Anne de Villepoix, Paris
Une œuvre contemporaine de Franck Scurti actualise ces recherches imprégnées de spiritisme. De l’origine du monde jusqu’à nos jours (2007) juxtapose des publicités et des unes de journaux traitant de religion et de science. Le collage associe donc transcendance et raison dans des noces médiatiques, les médias étant considérés comme des devenirs des médiums et spirits du XIXe siècle.
Barnett Newman, The Gate [La Porte], 1954
Huile sur toile, 192 x 236 cm
Stedelijk Museum, Amsterdam
Systématisé au sein de la notion de sublime - théorisée au XVIIIe siècle dans les écrits des philosophes Edmund Burke et Emmanuel Kant - l’absolu devient recherche de sublimité en l’homme dans la toile de Barnett Newman The Gate (1954). Le sublime est caractéristique d’une esthétique négative, niant le contenu de représentation au profit du Rien ou d’une concentration sur le médium pictural. Aucune figuration réaliste n’est à même d’atteindre le sublime, sentiment de la raison pure. Les toiles auront alors pour tâche de convoquer ce sentiment extatique et métaphysique, cet « il y a » qui échappe à la représentation. Comment figurer l’infigurable ou donner une image de l’inimaginable ? Par l’expérience temporelle d’un dessaisissement du monde sensible permettant de voir ce qui advient et surgit (l’éternité et la sensation d’infini) dans l’instant, l’ici et le maintenant.
Lyonel Feininger, Kathedrale [Cathédrale]
De cette recherche de sublimité naît aussi de nouvelles formes d’architectures assemblant le cosmique et le terrestre. Les architectures imaginaires de l’artiste américain Corey Mc Corkle, de Hermann Finsterlin, Pierre Huyghe, Hermann Obrist ont pour objectif d’utiliser des éléments de la nature (comme les cristaux) pour procurer les sensations cosmiques qui furent celles des cathédrales gothiques.
Associer l’esprit gothique à une mystique moderne dans un esprit communautaire caractérisant les révolutions politiques de la fin de la première guerre mondiale sera le propre de l’École du Bauhaus préposant artistes et artisans dans la construction d’une nouvelle humanité socialiste. La gravure de Lionel Feininger Kathedralz des Socialismus. Titelblatt für : Manifest und Programm des Staatlichen Bauhauses (1919) deviendra le symbole de cette idéologie.
Si l’exposition s’intéresse aux traces du sacré dans l’art et non à l’art sacré ou religieux, il demeure important de signaler les tentatives de certains artistes d’ancrer leur travail dans l’espace symbolique de l’Église sans pour autant renoncer à la laïcité qui les caractérise. Matisse, Braque et Léger orientent, dans le contexte de l’après guerre, leurs pratiques du côté de l’art religieux. Les pères dominicains Régamey et Couturier avait, dès 1937, initié l’idée que de la vitalité de l’art profane puisse surgir un nouvel art chrétien. Les œuvres de Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau d’Assy (1938-1950) permirent ce renouveau de l’art sacré en France (créations de Germaine Richier, Georges Braque, Henri Matisse, Fernand Léger, Jean Lurçat, Jacques Lipchitz et Georges Rouault).
La chapelle du Rosaire à Vence (1948-1951) fut entièrement réalisée par Matisse. L’Eglise Notre-Dame-du-Haut à Audincourt (1949-1951) est le fruit du travail conjoint de Léger et Bazaine. L’Eglise du Sacré-Cœur à Ronchamp (1954-1955) celui de Le Corbusier. La chapelle d’Houston (1964-1971) est conçue par Rothko comme un espace de méditation. Beuys conçoit quant à lui en 1958 une porte et une crucifixion pour le monument aux morts de Büderich (près de Düsseldorf).
De nombreux vitraux (Pierre Soulages, Jean-Pierre Raynaud, Claude Viallat, Jean-Michel Alberola, Markus Lüpertz, Dan Flavin, Aurélie Nemours) soulignent la volonté de renouveler l’art sacré à l’aune du profane. L’engagement des artistes n’y est pas - à quelques exceptions près - religieux, mais spirituel et personnel.
Ernst Ludwig Kirchner, Die Negertänzerin [La Danseuse nègre], 1909
Huile sur toile, 81 x 95,5 cm
Collection E.W.K., Berne/Davos
Le Romantisme met en place l’utopie d’un Homme nouveau, calquée sur le modèle de Zarathoustra, l’homme des nouvelles valeurs (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, 1883-1885). La création du nouvel homme coïncide avec celle d’une nouvelle humanité résolvant la crise de l’homme européen asphyxié par la morale traditionnelle issue de la religion judéo-chrétienne. Nombre de créateurs sont habités par le culte de la Volonté du surhomme nietzschéen dépassant les idéaux chrétiens au profit d’un renouement avec les forces obscures et souterraines de la nature, présentes dans le mythe et la tragédie grecque (Nietzsche, La naissance de la tragédie, 1872), à la fois ivresse et vie, proches de l’inconscient freudien. Dionysos symbolise cet esprit de liberté, de subversion, de transgression, d’érotisme et d’émancipation de la clarté des formes apolliniennes.
Barnett Newman, Adolph Gottlieb et Mark Rothko perçoivent ainsi dans la mythologie une façon de réviser l’art au travers d’un imaginaire archaïque présent dans la conscience humaine et corroboré par les recherches et les expéditions ethnologiques. Les artistes s’orientent vers l’exotisme et l’ailleurs pour accéder à de nouvelles formes du sacré. Le père de cette tendance est Paul Gauguin qui gagne Tahiti puis les îles Marquises dans l’objectif de renouer avec un primitivisme, mélange de messianisme catholique, de religion maori et de bouddhisme.
Ce nouvel Eden et ce syncrétisme religieux mènent Jackson Pollock, également influencé par la lecture de Jung, à se rapprocher de la culture des Indiens du sud-ouest des Etats-Unis (Hans Namuth, 1950) et Beuys à s’identifier au chaman pour mieux réconcilier la société avec ses racines archaïques (I like America and America likes me, 1974).
Les avant-gardes artistiques se passionnent pour les arts premiers et les masques primitifs. Le masque renvoie au caractère cérémoniel et sacré de la danse tribale. Pablo Picasso confie aimer dans l’art « nègre » la logique et la pureté de ses formes mais aussi sa valeur magique et sa religiosité. Cette fonction magique du masque se rencontre aussi chez Dada lorsque Marcel Janco confectionne, à l’aide de bouts de carton et de ficelle, des masques utilisés lors des manifestations au Cabaret Voltaire de Zurich où se réunissent les artistes Dada. L’artiste contemporain Cameron Jamie réutilisera cette puissance du masque dans des films questionnant les rituels sociaux des sociétés germaniques (Kranky Klaus, 2003) et les fêtes d’Halloween aux Etats-Unis (Spookhouse, 2003).
La danse est aussi l’occasion de renouer avec les origines primitives d’un art proprement vivant. La danse, célébrée par Nietzsche, permet d’atteindre des niveaux de conscience proches de la transe et de l’extase. Vaslav Nijinsky, qualifié de « clown de Dieu », n’aura de cesse d’utiliser le corps pour parvenir à l’absolu. L’Après-midi d’un faune (1912) en sera l’emblème. Révéler la dimension métaphysique de la chair, communier avec le divin est aussi ce que l’historien d’art Aby Warburg perçoit en 1896 dans les danses rituelles des Indiens Hopis du Nouveau-Mexique et ce que Kirchner (Danses de négresses, 1910-1911) et Nolde (Danseuses aux bougies, 1912) perçoivent dans les danses des peuples d’Afrique noire et du Pacifique.
Les surréalistes sont marqués par la lecture de Nietzsche et la psychanalyse. La revue Acéphale fondée en 1937 et dirigée par Georges Bataille, George Ambrosino et Pierre Klossowski, est emblématique de cette influence puisqu’elle explore l’extase mystique associée à l’érotisme et aux pulsions de jouissance et d’autodestruction que Freud a désignées sous les termes d’Eros et de Thanatos.
L’érotisme, l’inconscient mais aussi la transgression sont au cœur de l’œuvre littéraire de Bataille. Le blasphème y est compris comme une façon efficace de vider la religion de sa charge autoritaire et dogmatique. Mêlant érotisme et religion, La prière (1930) du surréaliste Man Ray va dans ce sens. La beauté et la pudeur de la photographie des fesses du modèle Lee Miller n’ont pour égal que l’offense qu’elles représentent pour la foi religieuse.
Max Ernst, La Vierge corrigeant l’Enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre, 1926
Huile sur toile, 196 x 130 cm
Museum Ludwig, Cologne
Souvenir d’enfance réveillé lors de séances d’hypnose, la scène peinte par Max Ernst La Vierge corrigeant l’Enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre (1926), témoigne également de l’athéisme et de l’anticléricalisme érotiques des surréalistes. Comme l’indique le titre, l’enfant Jésus reçoit ici une fessée sous l’œil ravi et voyeur des amis du peintre. Celui par qui le scandale arrive ne peut qu’être scandalisé à son tour lorsque l’ironie et la critique l’emportent sur le dogme religieux.
C’est dans cette lignée que l’on peut aussi inscrire la violence d’Antonin Artaud envers la religion. Pour en finir avec le jugement de Dieu (1947) est une œuvre exorciste, à la puissance d’extase qui pourrait être celle de l’Antéchrist.
Au-delà de l’offense, le sacrifice permet aussi d’atteindre le spirituel et la rédemption par la maltraitance du corps. En témoignent les performances de Michel Journiac, Marina Abramovic et celles de l’actionniste viennois Hermann Nitsch, à connotation souvent sexuelles. Chez ce dernier, les scènes orgiaques jouent avec la souffrance du corps, la cruauté, l’horreur, tout en cherchant l’accès à l’extase, la joie, la beauté et le rite sacré. Seul le sacrifice permettrait d’accéder, selon ses propres dires, à la libération, la guérison et l’exaltation de la vie.
A un niveau politique et social, la première guerre mondiale est perçue par de nombreux artistes comme l’occasion de purifier l’humanité et de construire un homme nouveau et une nouvelle vie spirituelle basée sur le sacrifice de la vie biologique. Renouant avec la figure de l’Apocalypse du Nouveau Testament - images sur lesquelles s’ouvre le film de Murnau en Faust (1926) -, la guerre est perçue comme une fin du monde désirée par de nombreux artistes.
Cet élan caractérise l’état d’esprit d’Otto Dix, Franz Marc, Paul Klee, Apollinaire, Léger, Beckmann mais aussi du futuriste Marinetti pour lequel la guerre, « seule hygiène du monde », va être une épreuve nécessaire pour une nouvelle société spirituelle (Marinetti, Manifeste du Futurisme, Figaro, 20 février 1919, in Marinetti et le Futurisme, Lausanne, éd. L’Age d’Homme, 1977, p. 71).
Si l’attitude des artistes demeure ambivalente envers la première guerre mondiale, leur rejet envers la seconde guerre mondiale sera sans appel. La catastrophe de la seconde guerre déshumanise le monde et le prive de toute spiritualité. Elle amène à redéfinir l’idée même d’humanité et laisse place à une culpabilité dont le monde n’arrivera pas à se défaire. La shoah et les milliers de morts de la seconde guerre mondiale se répercutent dans le travail des artistes. L’art se fait doloriste et s’oriente vers une esthétique de la chair souffrante. L’incarnation était le devenir chair du divin, elle caractérise désormais la chute irrémédiable de l’humain dans la chair, la souffrance et le cri.
Francis Bacon, Head I [Tête I], 1948
Photographie noir et blanc rehaussée de peinture, 20,4 x 15,2 cm
Courtesy Faggionato Fine Arts, Londres et Tony Shafrazi Gallery, New York
Les œuvres de Francis Bacon sont emblématiques ici. Il s’agit de peindre le cri et le devenir-animal et viande de l’humain, comme le dira Gilles Deleuze dans Logique de la sensation. Tête I (1948) donne à voir une chair sans visage, forme à vague tête humaine, gueule ouverte qui hurle. Cette chair souffrante réduite à l’animalité évoque le Christ, sa passion et sa chair de souffrance.
La pièce de Maurizio Cattelan Him (lui) (2001) interroge la définition de l’homme à l’aune de la douleur absolue. Cinquante ans après la seconde guerre mondiale, l’artiste présente un petit garçon à genoux qui semble se recueillir. Son visage est celui d’Adolf Hitler. En dehors de l’effet de surprise occasionné chez le spectateur, cette image confronte de façon traumatisante le monde réconfortant de l’enfance à la psychose de l’irréparable, l’après Auschwitz.
Cherchant à échapper à l’horreur passée, la génération Beatnik expérimente de nouveaux modes d’être au monde pour percevoir son invisible spirituel. Exercices de méditation, séances de transcendantalisme pour une meilleure connaissance de soi et épanouissement personnel sont les leitmotivs de la Beat Generation placée sous les auspices littéraires de Jack Kerouac, Allen Ginsberg et William Burroughs. Le Clochard céleste de Kerouac renoue avec les figures de l’errance, du dépouillement et l’illumination, telles celles de Rimbaud, Blake et Artaud. Pratiques spirituelles, soufisme, introspection, psychotropes et drogues permettent d’atteindre l’état de connaissance.
Robert Filliou, Eins, Un, One..., 1984La pratique du zen trouve une application artistique privilégiée dans les œuvres du groupe Fluxus fondé en 1962 par George Maciunas. Robert Filliou en est adepte, lui qui terminera sa vie dans un monastère tibétain aux Eyzies (Dordogne). La pièce Eins. Un. One (1984) présente une constellation de cinq mille dès de couleurs et de tailles différentes. Les dès se fixent toujours sur le un, comme si le jeu abolissait le hasard en se fondant sur une totalité idéale, celle de l’Un au sens mystique du terme. Filliou mise ici sur le principe à la fois logique et cosmique de l’un et du multiple. La multiplicité n’est pas antinomique d’une recherche de perfection spirituelle.
John Cage est également un des représentants de cette répercussion du zen dans la sphère artistique lorsqu’il réalise son œuvre 4’33’’ : pour n’importe quel instrument ou combinaison d’instruments (1952-1960). Le silence est une façon de mettre en scène le rien, le vide qui est encore, selon le bouddhisme zen, quelque chose. La sagesse orientale oriente l’art vers le non-art ou la pratique d’un art qui fait et ne fait pas de l’art, un art qui est comme la vie. Le silence a ainsi pour mérite d’intégrer dans l’art les sons et les bruits de la vie elle-même. C’est pourquoi le vide est ici une façon toute spirituelle de réconcilier l’art et la vie et de faire de l’art ce qu’il était à l’origine, une pratique de vie et un exercice de spiritualité.
Qu’en est-il du spirituel dans nos sociétés post industrielles saturées de matérialisme et de consumérisme ? C’est sur cette question que se termine l’exposition. Les artistes contemporains ne semblent plus assurer le rôle de guide spirituel qui fut le leur durant le Romantisme, sauf à titre d’ironie comme en témoigne la pièce, située en introduction, de Bruce Nauman. Ici un néon semblable à un clignotement publicitaire annonce « l’artiste authentique vient en aide au monde en révélant les vérités mystiques » (The True Artist Helps the World by Revealing Mystic Truths, 1967).
Paul Chan, 1st Light,
2005
Installation avec vidéo projection numérique, 14’, dimensions variables
Astrup Fearnley Collection, Oslo
Plusieurs artistes contredisent pourtant la fin de toute quête de spiritualité dans l’art (Jonathan Monk, Jean-Michel Alberola, Paul Chan). L’œuvre de Paul Chan Ist Light (2005) confronte ainsi la nuit aux lumières de la ville. Le trop de lumière de la ville contraste avec l’obscurité comprise comme lumière métaphorique, celle de l’esprit qui surpasse les choses du monde. Référence semble être faite ici à Saint Jean de la Croix pour lequel la nuit est le symbole de l’aspiration de l’homme vers Dieu, à la fois ce qui recouvre le divin et ce qui le manifeste, malgré elle (voir la salle intitulée Malgré la nuit). Deux types de lumières entrent donc en conflit, lumière de l’esprit et lumière des choses.
Le poteau télégraphique peut évoquer la croix de Golgotha et sous sa présence, des marchandises de notre monde contemporain s’élèvent : I-pods, téléphones, scooters, trains. Tout ceci monte au ciel alors que des ombres d’hommes chutent et descendent dans l’abîme - images rappelant les corps tombant du World Trade Center - comme en écho à l’Apocalypse chrétien.
1. Trace des dieux enfuis / 2. Nostalgie de l’infini / 3. Les grands initiés / 4. Au-delà du visible
5. Absolu / 6. Révélations cosmiques / 7. Élévation / 8. Homo Novus / 9. Éden / 10. Eschatologie
11. Apocalypse I / 12. Danses sacrées / 13. Spiritualités païennes / 14. Éros et Thanatos
15. Offenses / 16. Apocalypse II / 17. Homo homini lupus / 18. Art sacré / 19. Malgré la nuit
20. Résonances de l’archaïque / 21. The Doors of perception / 22. Sacrifice / 23. Sagesses orientales
24. L’ombre de Dieu
Le site Traces du Sacré
Le Centre Pompidou vous invite à découvrir le site-événement Traces du Sacré, réunissant plus d’une centaine de médias inédits autour de cette grande exposition pluridisciplinaire : reportages vidéo, interviews d’artistes, conférences, extraits des spectacles, œuvres commentées...
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Visites commentées
les samedis / 15h30 / en français
les dimanches / 12h / en anglais
4,50€ / tarif réduit et laissez-passer 3,50€ / + billet musée & expositions 9€/ rdv à l’entrée de l’exposition muni des billets
Visites pour public sourd et malentendant
samedi 14 juin / 11h / en lecture labiale
samedi 14 juin / 14h30 / en LSF
4,50€ par personne / gratuit pour un accompagnateur / réservation obligatoire / télécopie 01 44 78 16 73 / nicole.fournier@centrepompidou.fr / rdv au niveau 0
Dimanche 13 avril à 11h30, Petite salle, niveau -1
Audioguide
Parcours par les commissaires de l’exposition enrichi par des commentaires de personnalités du monde de l’art et des lettres. En complément, certains appareils permettent d’enregistrer ses propres commentaires.
5€ / tarif réduit 4€ / gratuit –13 ans accompagné / familles : 3 personnes 12€ ; 4 personnes 15€ / disponible en français, anglais, espagnol, japonais / production Centre Pompidou – Antenna Audio
Dispositif d'annotation collaborative
Pour enrichir l'expérience de la visite, un nouveau type de dispositif multimédia est disponible pour écouter les propos des commissaires et de personnalités du monde de la culture, et enregistrer ses propres observations à partir d'un guide multimédia ou de son téléphone portable. Chaque visiteur peut ensuite retrouver via Internet ses commentaires audio et les enrichir à son gré, notamment à l'aide du logiciel Lignes de temps, avant de les publier sur un site collaboratif développé à cette occasion.
Consultez les enregistrements et participez au débat autour de l'exposition
Conférence Un dimanche, une oeuvre
Mark Rothko, Untitled (black, red over black on red), 1964, par Éric de Chassey / dimanche 18 mai / 11h30 / petite salle / 4,50€ / tarif réduit 3,50€ / gratuit avec le laissez-passer
Revues parlées & Forums de société
Marcel Gauchet : L’art et l'inquiétude sur le sacré / jeudi 24 avril / 19h30
René Girard : Le sens de l’histoire / mercredi 7 mai / 20h
Jean-Claude Schmitt : Mots et figures du sacré / jeudi 15 mai / 19h30
Maurice Godelier : Est sacré ce que l’on ne peut ni vendre ni donner / jeudi 22 mai / 19h30
Marie-José Mondzain : Carnaval et blasphème / mercredi 28 mai / 19h30
Franck Hammoutène : Architecture et sacré / jeudi 29 mai / 19h30
Barbara Cassin : Impressions païennes / jeudi 5 juin / 19h30
Gérard Mordillat et Jérôme Prieur : Résurrection / jeudi 19 juin / 19h30
Hans-Ulrich Obrist / samedi 5 juillet / 17h
petite salle / sauf le 7 mai, cinéma 1 / entrée libre
Rencontres de la Bpi
La littérature contemporaine et le sacré / samedi 17 mai / 14h30-19h30 / grande salle / entrée libre
Paroles de scientifiques : La science et le sacré / lundi 16 juin / 19h / petite salle / entrée libre
Danse
Herman Diephuis : D’après J.-C. / mercredi 14, jeudi 15 et vendredi 16 mai / grande salle / 20h30 / durée 50’ environ / 14€ / tarif réduit et laissez-passer 10€ / www.centrepompidou.fr/billetterie
Concerts Festival Agora
Franchir : Grisey, Maresz, Robin / samedi 7 juin / 21h / grande salle / 17€ / tarif réduit, laissez-passer 12€ / vente en ligne sur www.centrepompidou.fr/billetterie et www.ircam.fr
Promenade urbaine
In situ, sur les traces du sacré en Rhône-Alpes / jeudi 8 et vendredi 9 mai (nuit au couvent de la Tourette) / inscriptions : par courriel, 9€, à promenadesurbaines@yahoo.fr / par courrier, 10€, à : Association « Les promenades urbaines », 39 rue de Clignancourt, 75018 Paris
Catalogue
Traces du sacré
Éditions du Centre Pompidou
440 p. / 23,50 x 30 cm / 326 ill. coul. / 49,90€
En savoir plus
Recueil d'essais
Visitations, visite commentée de l’exposition
140 p., 16 x 16,50 cm, 19,90€
Itinérance
Haus der Kunst à Munich (Allemagne)
19 septembre 2008 – 11 janvier 2009
Pour consulter les autres dossiers :
En français
En anglais
Contacts
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Contacter : centre.ressources@centrepompidou.fr
© Centre Pompidou, Direction de l’action éducative
et des publics, mai 2008
Texte : Agnès Lontrade, maître de conférences en Philosophie de l'art à l'Université de Paris I - Sorbonne
Maquette: Michel Fernandez, Coralie Pachaud
Dossier en ligne sur www.centrepompidou.fr/education rubrique
’Dossiers pédagogiques’
Coordination : Marie-José Rodriguez