HAPPENING
Ce texte de Kaprow publié en 1958 résonne comme un manifeste du concept de Happening qu’il met en œuvre lui-même à partir de cette date.
Extrait de "L’héritage de Jackson Pollock", 1958, L’Art et la vie confondus, Ed. Centre Pompidou, coll. Supplémentaires, Paris, 1996, pp.38-39.


[…] Pollock, comme je le vois, nous a laissés au point où nous devons nous préoccuper, et même être éblouis par l’espace et les objets de notre vie quotidienne, que ce soit nos corps, nos vêtements, les pièces où l’on vit, ou si le besoin s’en fait sentir, par le caractère grandiose de la 42e rue. Insatisfaits de la suggestion opérée à travers la peinture sur nos autres sens, nous utiliserons les spécificités de la vue, du son, des mouvements, des gens, des odeurs, du toucher. Des objets de toute sorte peuvent être des matériaux pour le nouvel art : peinture, chaises, nourriture, néons et lampes électriques, fumée, eau, vieilles chaussettes, chien, films, et mille autres choses qui seront découvertes par la génération actuelle d’artistes. Non seulement ces créateurs audacieux vont nous montrer, comme si c’était pour la première fois, le monde que nous avons eu toujours autour de nous, et que nous avons ignoré, mais ils vont découvrir des happenings et des événements entièrement inconnus, trouvés dans des poubelles, des classeurs de police, des couloirs d’hôtel, vus dans les vitrines de magasins et dans les rues, et éprouvés dans des rêves et des accidents horribles. Une odeur de fraises écrasées, la lettre d’un ami, une affiche pour vendre une marque de lessive ; trois petits coups sur la porte d’entrée, une griffure, un soupir, ou une voix lisant sans fin, une vision saccadée aveuglante, un chapeau melon – tout deviendra matière première à ce nouvel art.
Les jeunes artistes d’aujourd’hui n’ont plus besoin de dire "je suis peintre" ou "poète" ou "danseur". Ils sont simplement "artistes". Tout de la vie leur sera ouvert. Ils découvriront à travers des choses ordinaires le sens de l’ordinaire. Ils ne tenteront pas de les rendre extraordinaires, mais ne feront que constater leur sens réel. Et à partir de rien, ils imagineront l’extraordinaire, et peut-être aussi bien le néant. Les gens seront enchantés ou horrifiés, les critiques seront dans la confusion ou amusés mais cela, j’en suis certain, ce sera les alchimies des années 60."

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