Parcours et matérialité de l'oeuvre

De la création à l’acquisition de l’œuvre : historique d’un parcours
Les problèmes de restauration et de manipulation de Movie House
La technique du moulage mise au point par Segal


De la création à l’acquisition de l’œuvre : historique d’un parcours

George Segal a travaillé pendant trois mois à la conception de Movie House. Produite dans l’atelier de South Brunswick, l’œuvre est exposée pour la première fois en France de mars à avril 1969 dans une jeune galerie qui présente la création contemporaine américaine :
la galerie Darthea Speyer. George Segal est alors peu connu en France, bien qu’il ait été exposé en 1963 à Paris à la galerie Sonnabend. L’exposition de la galerie Darthea Speyer présentant quatre environnements - Femme assise aux mains jointes, Couple sous un escalier, 1964, Le tunnel en construction, 1968 et Entrée de cinéma (Movie House), 1966-1967 (dans la vitrine de la galerie) - eut un certain retentissement dans le quartier des Beaux-Arts dans lequel elle est située. En effet, les passants, plus familiers aux tableaux exposés dans les galeries, découvrent pour la première fois des œuvres en trois dimensions transposant la vie quotidienne américaine.


Extraits d’articles de presse parus à l’occasion de l’exposition George Segal à la galerie Darthea Speyer :

[…] A l’intention de l’actuelle exposition, la vitrine de la galerie Darthea Speyer a été transformée en "entrée de salle de cinéma" avec le plafond strié de "spots" lumineux et rythmés et la silhouette d’une caissière dans son attitude quêteuse dans sa guérite vitrée. Pour mieux ressentir le climat on vous invite à pénétrer dans le couloir sombre et noir qui prolonge la mise en scène. L’illusion est recréée. On ne se sent plus tout à fait présent à soi mais plutôt participant d’un dialogue qui prend pour thème unique "l’homme en situation", que ce soit cet homme perdu derrière les barreaux d’un échafaudage, ou ce couple à l’ombre d’un escalier, ou cette femme assise aux mains jointes dans une attitude d’attente résignée. […]
Sabine Marchand, Le Figaro, 20/03/1969

[…] Ce qui est assez curieux, ici, c’est le côté pompéien de l’entreprise. On peut imaginer qu’une éruption a figé pour l’éternité des humains au quotidien. Nous sommes dans un vaste musée du monde du XXe siècle, mais où figurent, transformées, les essences humaines. […]
Jean Bouret, Les Lettres françaises, 24/03/1969

[…] Segal ne se contente pas de choisir une réalité : il la modifie accentuant son poids même, faisant ressortir la tristesse et la désolation qui accablent les hommes. Ses figures immobiles en plâtre blanc laissé à l’état brut donnent une dimension nouvelle de l’humain : elles n’évoquent pas la mort, mais la vie insipide et son déroulement tragique. C’est la solitude angoissante de l’homme livré à l’absurdité de la banalité quotidienne qu’il exprime dans ces œuvres fortes desquelles émane une atmosphère lourde, oppressante, terriblement vraie, de drame concentré.
Les mises en scène de Segal sont plus que le simple constat objectif d’une réalité sociologique : elles traduisent la difficulté d’être et possèdent par là-même une évidente signification métaphysique. En ce sens, Segal échappe à la définition étroite du Pop Art pour atteindre l’universel. […]
Bernard Borgaud, Pariscope, 26/03/1969

L’acquisition de Movie House par l’Etat français
Movie House a été achetée par l’état en 1969 à la galerie Darthea Speyer. Acquise deux ans seulement après sa réalisation, cette unique pièce de Segal au Musée est l’une des premières œuvres américaines entrées dans les collections nationales. En 1976, le Musée national d’art moderne en a demandé l’attribution à l’occasion de l’ouverture du Centre Pompidou.

Les problèmes de restauration et de manipulation de Movie House

Le problème de la restauration des œuvres d’art contemporain
La restauration des œuvres contemporaines est souvent beaucoup plus complexe et délicate que celle des œuvres anciennes. Cet état de fait est dû à la composition des œuvres souvent hétérogène : objets, textiles, matières organiques, etc. La mise en œuvre des techniques s’est énormément diversifiée. Enfin, les œuvres contemporaines, de par leur concept, sont souvent vues comme des canulars ou des provocations, ce qui entraîne des agressions de la part du public.

Movie House
La sculpture de Segal est constituée de bandes de plâtre modelées directement sur un modèle vivant dans la position choisie par l’artiste. La surface du moulage de la Caissière est hétérogène : elle comporte des traces de coulures, des empreintes de doigts de l’artiste sur le plâtre liquide, du tissu imprégné, du jute et de la filasse. Il s’agit d’une structure creuse qui à l’origine était fixée à la chaise uniquement par les pieds (cf. photos).

Constat
Lorsque Movie House a été exposée les premières fois au Musée, le public pouvait pénétrer à l’intérieur de l’environnement. ce qui n’est plus possible aujourd’hui, étant donné les dégradations subies par la Caissière.
Dans le mode de présentation original elle est assise derrière sa caisse. Seul son bras droit dépasse et repose sur le comptoir. Cette position peu stable a entraîné plusieurs fois la chute de la sculpture. En effet, le public attiré par sa présence, ne peut s’empêcher de toucher la main qui dépasse. C’est la raison pour laquelle le plâtre est devenu gris à force d’être touché.
Enfin, la couleur blanche s’est altérée de par la nature même du plâtre qui absorbe la poussière et résiste mal au contact des mains.

Interventions : Plusieurs interventions ont donc dû être réalisées.
Elle se résume à trois opérations : la consolidation du bras, la fixation du corps à la chaise et le nettoyage des zones salies.
1/ Consolidation du bras droit :
Le bras a été brisé à trois reprises. Le Service de restauration a pris la décision d’effectuer une opération de consolidation définitive. Cette partie, creuse à l’origine, a été renforcée à l’intérieur par un tasseau de bois noyé dans du plâtre et de la filasse.
Les fissures au niveau du genou ont été bouchées à la résine.
2/ Fixation du personnage au niveau de l’assise :
Le corps de la caissière a été fixé sur la chaise au moyen d’une colle et de 2 chevilles.
3/ Nettoyage :
L’absorption de la poussière et les salissures produites par les traces de doigts (constituées de dépôts de graisses : sueur, aliments, etc) forment des zones grisâtres, en particulier au niveau du bras en appui.
Le nettoyage du plâtre est extrêmement délicat car c’est un matériau poreux qui empêche l’utilisation de l’eau risquant de solubiliser le plâtre et d’entraîner les salissures à l’intérieur de la matière. Il se raye également facilement ce qui limite la possibilité de tout nettoyage mécanique (brosse et papier de verre par exemple)
Seul un nettoyage à la poudre de gomme a été effectué sur les zones les plus sales.
A ce jour, il paraît difficile d’envisager de retrouver l’aspect original du plâtre. Des recherches se poursuivent pour l’amélioration des solutions de nettoyage.

Le transport et l’emballage
Toute manipulation de cette œuvre doit se faire avec des gants spéciaux.
Le transport de cette sculpture se fait dans une caisse adaptée à sa forme avec des renforts intérieurs. Ces calages en bois garnis de mousse chimiquement neutre sont gainés de tissu non tissé (Tyvek) pour éviter tout frottement avec la sculpture. Le reste de l’environnement est démontable et mis sous caisse.


La technique du moulage mise au point par Segal

La séance de moulage dure environ 40 mn. Elle est relativement contraignante pour le modèle vivant. Le visage et les parties du corps découvertes (mains) sont protégés par de la crème (vaseline ou nivéa). Des orifices sont faits au niveau des narines pour permettre la respiration. Les yeux sont fermés et protégés par une bande. Les cheveux sont recouverts d’un film plastique. Cette opération se déroule en plusieurs phases : la tête, le torse, le bassin, les jambes, les pieds. Cela dépend de la position du modèle. Celui-ci porte de vieux vêtements. Une fois que les bandes de plâtre sont sèches, chaque partie est découpée sur les côtés puis recousue pour reconstituer la coque en son entier. L’assemblage des différentes parties de la sculpture peut prendre plusieurs semaines. La face interne est souvent renforcée par l’artiste (épaules, dos, bras, bassins, tête, oreilles). Une attention particulière est portée sur certains plis.

George Segal évoque ces séances de travail et la déception de ses modèles vivants face au résultat : ils ne se reconnaissent pas dans cette représentation dans laquelle leurs traits sont souvent grossis (parfois de 1 à 3 cm).

Segal témoigne :

En ce qui concerne le moulage, croyez-moi, il se passe un mystère auquel je ne m’attendais pas du tout et qui, à chaque fois, est différent. Le seul fait de demander à quelqu’un de prendre la pose, de lui coller des morceaux de tissus imprégnés de plâtre et de l’obliger à ne pas bouger tant que les sections de plâtre n’ont pas pris, a eu des effets secondaires inattendus. […] Et d’abord l’humidité fait apparaître les muscles et les os, sous les vêtements. Elle imprègne les vêtements au point qu’on peut voir la structure du squelette qui se trouve en dessous. Le modèle est tellement mal à l’aise qu’il ne peut pas faire semblant avec moi ; il est obligé de se laisser aller. Mes modèles se montrent tout aussi stoïques et courageux, ou aussi grincheux et colériques, qu’ils sont tout au fond d’eux-mêmes. […] Quand j’ai fini le moulage, je me retrouve avec une pile de morceaux entassés, tous mous, poisseux, craquelés et brisés. Il faut reconstruire la forme et souder les morceaux en rajoutant du plâtre. Construire le personnage me prend environ dix fois plus de temps que le moulage à proprement parler, qui constitue, lui, un moment agréable, où l’on est en compagnie. Le travail intensif est celui de la reconstruction. Si j’ai une idée bien nette de ce que je veux, si la personne qui posait pour moi a été correcte, si j’arrive à bien intégrer le personnage reconstruit à l’espace que j’avais prévu, alors tout va bien. Mais d’habitude ça n’est pas si simple. En général, je suis obligé de faire des modifications, et elles sont de toutes les sortes possibles et imaginables, aussi bien plastiques que psychologiques.
(Extrait du catalogue Onnash galerie, Cologne, 1971 in Cnacarchives n°5, pp.33-34)

Une utilisation inverse de la sculpture

Le matériau utilisé par Segal est ce qui, habituellement, sert au moulage d’une forme dans lequel est coulé un autre matériau. L’artiste a donc une utilisation inverse du procédé de la sculpture. La coque en plâtre est une sorte de négatif du volume, analogie que l’on peut faire avec la photographie, où les reliefs sont noirs et les fonds sont clairs.

 

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