Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Un mouvement, une période

 


L’Antiforme

 
 

Robert Morris, Wall Hanging, 1969-1970 © Adagp, Paris 2006

 

Valoriser la matière

Les artistes et leurs œuvres

Robert Morris
• Wall Hanging
, 1969-1970
• Wall Hanging, 1971-1973

Eva Hesse
Seven Poles, 1970
Maquette pour Seven Poles, 1970

Bruce Nauman
Untitled, 1965
Smoke Rings (Model for Underground Tunnels), 1979

Barry Flanagan
Casb 1'67, 1967

Sarkis
Les trois rouleaux qui ... (jour), 1970
I love my Lulu, 1984

Textes de référence

Chronologie

Bibliographie sélective

Contacts

 

valoriser la matiÈre

Dans l’histoire de la sculpture contemporaine, une volonté de contester le caractère solide et durable des réalisations apparaît à la fin des années 60, à l’initiative de Robert Morris. Cet artiste a d’abord participé au Minimalisme (1), une tendance née au début des années 60 qui proposait des formes aux volumes essentiellement orthogonaux, aux contours découpés et aux matières rigides. Dans un article publié en 1968 (2) qu’il intitule « Anti Form », Robert Morris s’oppose aux choix du Minimalisme et fait part au public d’un changement d’orientation de son travail en proposant une sculpture littéralement souple, parfois à la limite du périssable.

Dans ce texte, après une brève analyse de l’histoire de la sculpture, de la Grèce antique à l’époque contemporaine, il observe un point aveugle qui n’a jamais été pris en compte : on a toujours pratiqué la sculpture sans s’interroger sur le rôle de la matière dans la détermination de la forme finale. Dans le sillage de Georges Bataille qui, au début des années 30, avait défendu la notion d’informe et son pouvoir de rébellion contre la volonté d’imposer un ordre aux choses (3), Robert Morris critique la sculpture occidentale qui, selon lui, a toujours soumis la matière à un ordre qui lui est extérieur, sans jamais la laisser s’organiser elle-même. En somme, on a toujours conçu le travail de la matière comme moulage, ou comme élaboration d’une forme plaquée de l’extérieur.

Robert Morris propose, au contraire, de valoriser la matière, de la montrer pour ce qu’elle est, de profiter de ses imperfections, et même de suivre sa tendance à l’entropie, à la dégradation et à l’autodestruction. Son travail, en montrant la matière à un moment donnée de sa chute, réalise l’ambition paradoxale de pérenniser l’éphémère.

Il crée ainsi des sculptures molles, inspirées de celles de Claes Oldenburg (4), qui influencent à leur tour d’autres artistes comme Eva Hesse, Bruce Nauman, Barry Flanagan ou encore Sarkis. Chacun d’eux développe à sa manière un aspect de l’Antiforme. Ainsi, Eva Hesse porte à son comble la revalorisation de la matière et de ses qualités, tandis que Bruce Nauman profite d’un travail occasionnel pour se laisser guider par les hasards des contingences. Flanagan joue avec le potentiel autodestructeur de la matière dans un sens ironique, alors que Sarkis s’intéresse à la symbolique de matériaux tels que le goudron ou les bandes magnétiques.

Aujourd’hui encore, cette réflexion sur la matière trouve des échos dans des œuvres contemporaines comme celles d’Ernesto Neto, notamment We stopped just here at the time, 2002 (5), une œuvre en tissu et épices qui fait partie des collections du Musée, entièrement gouvernée par le poids, la texture et le parfum de la matière utilisée.

(1) Voir le dossier Le Minimalisme
(2) Voir les textes de référence
(3) Ib.
(4) Voir le dossier Le Pop Art
(5) Ernesto Neto, We stopped just here at the time, 2002 : voir l’oeuvre

 

Les artistes et leurs œuvres

Robert Morris

Kansas City (États-Unis), 1931

Robert Morris, Wall Hanging, 1969-1970
(Tenture), de la série Felt Piece
Feutre découpé, 250 x 372 x 30 cm

Cette pièce de 1969-1970 fait partie de la série des Felt Pieces (pièces en feutre) réalisée par Robert Morris à la suite de la publication de son article intitulé « Anti Form ».

Elle est constituée de plaques de feutre industriel, lacérées, puis suspendues au mur pour que les formes naissent du poids de la matière. Ainsi, contrairement à toute l’histoire de la sculpture, la matière détermine la forme, ce qui conduit l’artiste à accepter l’imprévu, les courbes plus ou moins régulières, le relâchement du tissu, l’asymétrie.

L’artiste accepte de s’effacer derrière la matière, de suivre ses exigences, pour lui permettre de révéler ses richesses. De ce point de vue, Robert Morris poursuit la démarche de Jackson Pollock qui, selon lui, est le premier artiste à s’être donné les moyens de laisser libre cours à la matière picturale. Tout, chez Pollock, privilégie le dégoulinement de la peinture, la toile à plat, les bâtons pour diriger le jet plutôt que les pinceaux. De même Robert Morris attache son feutre et le découpe de manière à favoriser ses retombées, dans une sculpture qui, avec seulement trente centimètres d’épaisseur, rappelle à bien des égards la peinture.

Robert Morris, Wall Hanging, 1971-1973
(Tenture) de la série Felt Piece
Feutre découpé, 247 x 355 x 120 cm

Cette seconde pièce en feutre, moins large que la première, avec une partie centrale et des bandes de tissu qui retombent sur les côtés, témoigne de l’évolution du travail de Robert Morris. Les plis, plus amples et plus sophistiqués, procurent à l’œuvre une dimension monumentale. Si la pièce précédente conservait un caractère expérimental, celle-ci produit un effet solennel et devient presque grandiose malgré les retombées du tissu qui renvoient à la chute et à la dégradation.

Dans ses œuvres ultérieures, Robert Morris accentue cette ambivalence, entre grandeur et décadence, en utilisant des feutres de couleurs vives associées à des teintes marron, et en recherchant des plissés de plus en plus complexes qui évoquent des formes biologiques.

Biographie

Après des études aux beaux-arts, Robert Morris commence sa carrière artistique dans les années 50 en tant que peintre, pratiquant un style inspiré de Pollock. Il restera toujours fidèle à cet artiste qui a, selon lui, su jouer avec les qualités de la matière et inventer un type de tableau adapté à la fluidité de la peinture.

Au début des années 60, il réalise des objets qui interrogent la perception des formes dans l’espace, dans un sens très proche de ce qu’on appellera l’Art minimal. Il participe aussi à des performances, s’intéresse à la musique et à la danse, et reprend des études en histoire de l’art qui le conduisent à la rédaction d’une thèse sur Brancusi en 1966. A cette époque, il réalise, par exemple, ses Trois poutres en L (1965, reconstruite en 69), une œuvre qui révèle les différentes manières de percevoir une forme selon le point de vue que l’on a sur elle.

Mais c’est précisément ce type de démarche qu’il dénigre dans son article intitulé « Anti Form » de 1968, voyant dans ces formes créées par lui-même les derniers avatars d’une pensée idéaliste et rationnelle, héritière de Platon. A partir de sa théorie, il crée des œuvres molles, faites de grandes pièces de feutre suspendues, qui manifestent le sentiment d’entropie : l’intuition d’une autodestruction imminente.

 

Eva Hesse

Hambourg (Allemagne), 1936 – New York (États-Unis), 1970

Eva Hesse, Seven Poles, 1970
L'œuvre, réalisée entre le début du mois de mars et la mi-mai, a été présentée pour la première fois à New York au Owens-Corning Fiber Glass Center le 14 mai 1970
7 éléments suspendus au plafond et dont la base repose sur le sol
Résine, fibre de verre, fils d'aluminium, polyéthylène, 272 x 240 cm
Hauteur de chaque élément : de 188 cm à 282 cm
Circonférence de chaque élément : de 25,5 cm à 45,5 cm
L'espace au sol occupé par l'installation est variable
Achat 1986
AM 1986-248

Seven Poles est la dernière œuvre d’Eva Hesse. Elle n’a dirigé sa fabrication qu’à distance et n’en a vu le résultat qu’au travers des photographies. La pièce a été terminée par ses assistants d’après ses dessins et maquettes et en fonction de ses indications. Du fait des conditions de réalisation matérielle de l’objet, des questions sont restées sans réponse.

La pièce est composée de sept mâts, aujourd’hui indépendants. La matière est travaillée avec un grand soin, couche par couche. Car, contrairement à Robert Morris qui laisse la matière diriger l’œuvre mais à partir d’un matériau industriel (le feutre), Eva Hesse invente elle-même sa matière, qu’elle travaille finement pour tirer au maximum profit de ses qualités.

Dans Seven Poles, les éléments sont constitués d’une armature de fil métallique, entourée de feuilles de polyéthylène, elles-mêmes recouvertes de morceaux de fibre de verre et de résine. Une qualité translucide est ainsi obtenue, ni trop ni trop peu transparente, qui ressemble à une sorte de peau, une peau à vif. Ce travail de la matière procure à l’œuvre une vibration qui donne l’illusion d’un être vivant, repoussant par son aspect primitif, mais émouvant par sa fragilité. De la répulsion naît une sorte de beauté.

Eva Hesse, Sans titre, 1970
Maquette pour Seven Poles
Gaze enduite de plâtre sur fil de fer, fil de cuivre noyé dans de la ficelle
17 x 12 x 13 cm
Don de la Georges Pompidou Art and Culture Foundation, 1993
AM 1993-24

Comme le montre la maquette de l’œuvre, les éléments étaient à l’origine fixés sur un socle et attachés les uns aux autres par des fils de fer, ce qui procurait une plus grande unité à la pièce. Mais, en cours de réalisation, Eva Hesse y renonça pour des raisons de poids et de transport, laissant la question de leur disposition en suspend. Faut-il les resserrer sur eux-mêmes ? Ou, au contraire, les disperser ? Aujourd’hui, les historiens de l’art les juxtaposent, le plus souvent sans ordre, car Eva Hesse avait choisi de les délier pour les disposer de manière aléatoire dans l’espace, et de les maintenir debout en les suspendant au plafond.

 

Biographie

Eva Hesse commence à peindre au début des années 60. Ses toiles tourmentées semblent refléter son histoire personnelle : fille d’un couple allemand immigré aux États-Unis pendant le Deuxième Guerre mondiale, elle partage l’inquiétude des déracinés. Hésitant entre l’abstraction et la figuration, elle trouve son style dans la répétition d’un même motif, aboutissant au thème de la prolifération qui parcourt toute son œuvre.

En 1966, après un séjour d’un an en Allemagne où elle procède à toutes sortes d’expérimentation, elle se tourne doucement vers la sculpture en réalisant des tableaux en reliefs qui incluent toutes sortes de matériaux ou des rebus, comme la ficelle, le plâtre ou le fil de fer. A partir de 1967, ce sont le latex et la fibre de verre qui sont privilégiés.

Naissent alors une série de pièces à suspendre, biomorphiques, qui évoquent le relâchement du corps, la lascivité parfois, ou encore l’entropie comme chez Robert Morris. Mais chez Eva Hesse, la tendance entropique de la matière est contrôlée. Son travail, entre pitié et dérision, vise à sauver ce qui tend à disparaître, ce qui, sans elle, aurait été perdu. Elle préserve la fragilité même de la matière et fait durer ce qui est périssable.

Les dernières œuvres parviennent à transformer cette fragilité en un jeu décoratif d’une grande finesse, par exemple en faisant proliférer des lames de fibre de verre suspendues. Une tumeur au cerveau, en 1970, met fin à sa carrière intense.

 

Bruce Nauman

Fort Wayne (États-Unis), 1941

Bruce Nauman, Untitled, 1965
Sculpture
Fibre de verre, résine polyester, 129 x 241 x 25 cm

Avec cette pièce, parmi les premières qu’il ait réalisées, Bruce Nauman procède à une expérimentation sur des matériaux jusqu’alors inusités en sculpture : la fibre de verre et la résine. Il en teste les jeux de transparence et d’opacité, annonçant ainsi les recherches d’Eva Hesse. Mais, contrairement à cette artiste dont le travail plastique systématise l’usage de matériaux nouveaux, Bruce Nauman les emploie ici à titre expérimental, avec la curiosité qui caractérise sa démarche. Comme le souligne Jean-Pierre Criqui, les « procédures » de Nauman sont « sans égard pour une quelconque spécificité des matériaux auxquels il recourt » ; il serait plutôt « le partisan d’un jusqu’au-boutisme expérimental ». (« Pour un Nauman », Cahiers du MNAM n°62).

L’année suivante, en 1966, il réutilise la fibre de verre et la résine pour réaliser une œuvre d’apparence semblable, Six Inches of My Knee Extended to Six Feet, de la taille d’un homme debout. Mais, créée à partir de l’agrandissement d’une empreinte de l’un de ses genoux, cette pièce laisse entrevoir le thème, omniprésent chez cet artiste, de la réflexivité.

Plus tard, il utilisera des matières comme le gel de moulages, la cire, le plâtre, ou encore les néons.

Bruce Nauman, Smoke Rings (Model for Underground Tunnels), 1979
(Ronds de fumée (Modèle de tunnels souterrains))
Ensemble comprenant 2 sculptures
Plâtre blanc, plâtre vert, fibre, bois
diamètre : 340 cm

Plus tardives, ces deux pièces en plâtre, l’une verte, l’autre blanche, superposent deux représentations, comme le suggèrent le titre et le sous-titre de l’œuvre, Smoke Rings, et Model for Underground Tunnels. Les deux éléments semblent matérialiser, considérablement agrandis, des ronds de fumée, ou évoquer des tunnels souterrains, tels qu’on en voit dans les circuits pour trains électriques. Dans les deux cas est suggérée une impression d’instabilité, la fumée qui se dissout dans l’air, le jouet fragile qui peut être cassé.

Ces deux pièces incarnent surtout une propriété essentielle de l’œuvre de Nauman, la circularité, au propre comme au figuré. Elle se manifeste, ici, matériellement ; mais elle peut prendre des aspects plus abstraits, se retrouver dans des jeux de langages - on peut lire, par exemple, dans une lithographie de 1974 le palindrome Sore Eros -, ou dans l’utilisation du feed back en vidéo – comme dans l’installation Raw Material de 1990.

 

Biographie

Après des études d’art, de mathématiques et de physique à l’université du Wisconsin, Bruce Nauman poursuit ses études d’art à l’Université de Davis, en Californie. Très vite il s’intéresse à la sculpture, à la performance et à la vidéo. Sa première exposition personnelle a lieu en 1968 à New York, à la galerie Leo Castelli. Parmi ses premières œuvres, des sculptures aux matériaux inédits sont à rapprocher des recherches de Robert Morris sur l’Antiforme. A la même époque, il découvre le travail de John Cage, Merce Cunningham, et collabore avec la chorégraphe, compositrice et artiste Meredith Monk.

A partir des années 70, il réalise des installations vidéo qui interrogent la relation du corps à l’espace, comme dans Going around the Corner Piece, 1970, où, sur le principe des circuits fermés dits de surveillance, quatre caméras filment le visiteur dans un couloir longeant une construction rectangulaire. Aux quatre angles du parcours, quatre moniteurs lui restituent son image en léger différé, déstabilisant ses points de repères.

Dans le prolongement de ce travail, Bruce Nauman conçoit des dispositifs vidéo avec pour but de pérenniser, en les isolant, des activités quotidiennes. Son œuvre, dit-il lui-même, consiste à « structurer ces activités de sorte qu’elles soient de l’art, ou qu’elles aient la cohésion nécessaire pour devenir accessibles aux gens». Comme dans la période de l’Antiforme, il sauve des détails de l’insignifiance et de la disparition. Il réalise notamment en 2001 une série de vidéo, Office Edit, où une caméra surveille son bureau, la nuit, pendant qu’il dort.

--> Bruce Nauman, Going around the Corner Piece, 1970 : voir l’oeuvre

 

Barry Flanagan

Prestatyn (Royaume-Uni), 1941

Barry Flanagan, Casb 1'67, 1967
Sac tronconique rempli de sable et érigé sur une base circulaire
Toile et fil de coton, sable, bois
Hauteur : 260 cm, diamètre : 52 cm

Dans cette œuvre Barry Flanagan montre sa volonté de prendre au piège le spectateur. En effet, son titre apparemment énigmatique, CASB 1’ 67, n’est que l’acronyme de « Canvass And Sand Bag », toile et sac de sable - les éléments constitutifs de l’œuvre -, 1’ 67 signifiant 1967.

Au-delà du trait d’humour, le sculpteur s’attaque ici à la sculpture anglaise des années 60 et plus particulièrement aux œuvres d’Henry Moore dont les formes souples et voluptueuses sont exécutées dans des matériaux comme la pierre ou le bronze. Flanagan propose ici une sculpture réellement molle qui obéit à la nature du matériau, du sable à l’intérieur d’une toile.

Vacillante et incertaine, cette pièce, au-delà de la provocation, peut être rattachée à la problématique de l’Antiforme et de sa mise en valeur de la matière.

Biographie

Barry Flanagan étudie l’architecture, le dessin, la sculpture, dans différentes écoles, dont la prestigieuse Saint-Martin’s School of Art de Londres, où il reçoit l’enseignement du sculpteur anglais Anthony Caro. Dès 1965, dans le cadre de ses études, il réalise des sculptures molles avec de la toile de jute ou du lin qu’il coud et rembourre, créant des œuvres aux formes souvent biomorphiques. Cette pratique l’amène à participer aux grandes manifestations d’avant-garde de l’époque, telle l’exposition When Attitudes become Form en 1969.

Au début des années 70, il s’initie à des techniques plus traditionnelles, comme la taille de la pierre et le moulage du bronze. C’est dans ce dernier médium qu’il réalise, à partir de 1980, les sculptures qui sont devenues aujourd’hui ses emblèmes, des lièvres représentés dans des attitudes dynamiques et ironiques à la fois, portant des gants de boxes ou un casque, et rappelant l’univers du dessin animé.

 

Sarkis

Istanbul (Turquie), 1938

Sarkis, Les trois rouleaux qui... (jour), 1970
Installation avec de la lumière
Bitume-feutre, métal, néon, aluminium, transformateur, bande adhésive
200 x 101 x 50,5 cm

Les trois rouleaux qui… (jour) est la troisième œuvre d’une série d’assemblages où l’on retrouve les matériaux chers à l’artiste, bitume, feutre, métal, néon, aluminium.

Entreposés sur une étagère, les rouleaux sont, semble-t-il, dans l’attente d’être utilisés. Ici, Sarkis ne travaille pas le goudron, mais en suggère une utilisation future, voire une transformation, révélant l’énergie potentielle de la matière.

Dans cette œuvre, Sarkis est plus proche de Joseph Beuys et de son utilisation symbolique de la matière que d’Eva Hesse qui en explore réellement les qualités.

Sarkis, I love my Lulu, 1984
Bandes magnétiques, métal, bois, peinture, projecteurs
199 x 70 x 60 cm

I love my Lulu fait référence à l’opéra Lulu d’Alban Berg et à son personnage de femme fatale, repris au cinéma par Georg Wilhelm Pabst avec Louise Brooks dans le rôle titre du film.

Plus précisément, cette œuvre évoque l’interprétation de l’opéra de Berg par l’orchestre de l’Opéra de Paris sous la direction de Pierre Boulez avec, pour interprète, Teresa Stratas. Cette version de 3h20 a été enregistrée sur bande magnétique, dont une copie a été donnée à Sarkis.

La silhouette du personnage est composée de cette bande, matière souple et fragile, trace aussi de cette interprétation. Sarkis insiste ici sur le caractère périssable de cette mémoire. La fragilité de la matière est une métaphore pour le caractère évanescent de la performance musicale. Cette œuvre relève du désir de sauver l’éphémère, de conserver encore un peu ce qui s’achemine vers la disparition.

 

Biographie

Originaire d’Istanbul, Sarkis y étudie l’architecture intérieure et la peinture. En 1964, il s’installe à Paris, pratique une peinture politiquement engagée, qui le fait remarquer. Il obtient notamment le premier prix de peinture de la Biennale de Paris en 1967.

Fin des années 60, dans le sillage de Joseph Beuys dont il contribue à diffuser le travail en France, il conçoit des œuvres proches de la performance et de la mise en scène, souvent en référence à la musique.

A la fois enseignant et artiste, Sarkis organise aujourd’hui de nombreuses expositions, dont il interroge le sens et les modalités. Ainsi l’exposition Le monde est illisible, mon cœur si, organisée au Musée d’art contemporain de Lyon, en 2002, transformait un étage complet du musée en un vaste salon de musique. Dans l’espace éclairé par une lumière tamisée, des tapis et des coussins invitaient les visiteurs à se prélasser.

 

Chronologie

1963
- Robert Morris commence à introduire des matériaux fluides, comme la corde, dans ses œuvres.

1964
- Première exposition personnelle de Robert Morris à la Green Gallery, New York.

1965
- Bruce Nauman utilise la fibre de verre et la résine.

1966
- L’exposition Primary Structures au Jewish Museum de New York consacrée au Minimalisme suscite de vives critiques. En réaction, la critique d’art Lucy Lippard organise, à la Fischbach Gallery, une exposition intitulée Excentric abstraction avec, notamment, des œuvres d’Eva Hesse et Bruce Nauman en matière molle.
- Robert Morris publie « Notes on sculpture » en février et en octobre, dans la revue Artforum.

1967
- Robert Morris commence à utiliser le feutre.
- Eva Hesse utilise le latex, exploitant le potentiel chromatique de cette matière lorsqu’elle vieillit.
- Barry Flanagan, qui travaille à partir de tissus qu’il coud et rembourre, présente sa première exposition à la Rowan Gallery de Londres.

1968
-
Robert Morris publie, dans la revue Artforum, « Anti Form », texte qui le sépare du Minimalisme.
- En écho à cet article la John Gibson Gallery de New York organise une exposition, également intitulée Anti Form, qui rassemble des sculptures de Hesse, Panamarenko, Serra… Robert Morris n’y participe pas.
- Le mois suivant, en décembre, il organise à son tour une exposition, Nine at Leo Castelli, avec des œuvres appartenant à la tendance qu’il défend. Anselmo, Hesse, Nauman, entre autres, sont représentés. Le critique Max Kozloff souligne à propos de cette exposition qu’on y voit des œuvres « intimes, mobiles, jetables même… L’idée d’objet est engloutie par la volatilité, la liquidité, la malléabilité, et la mollesse ».
- Sarkis commence à organiser des installations et à utiliser différents matériaux.

1969
-
L’exposition When Attitudes become Form organisée par Harald Szeeman à Berne montre des œuvres de Flanagan, Morris et Nauman.
- Hesse et Morris participent à l’exposition Anti-illusion : Procedures/Materials présentée au Whitney Museum, New York. Insistant sur le processus de fabrication, toutes les œuvres sont réalisées sur place avec des matériaux aux riches qualités physiques.
- De son côté, Flanagan s’initie à la technique du bronze ; il s’éloignera peu à peu de l’Antiforme.

1970
-
Décès d’Eva Hesse.

1993
-
Rétrospective Eva Hesse à la Galerie nationale du Jeu de Paume.

1996
-
Rétrospective Robert Morris au Centre Pompidou.

 

Textes de références

Georges Bataille

« Dictionnaire critique », article « Informe », revue Document, 1929

« Informe n’est pas seulement un adjectif ayant tel sens mais un terme servant à déclasser, exigeant généralement que chaque chose ait sa forme. Ce qu’il désigne n’a ses droits dans un aucun sens et se fait écraser partout comme une araignée ou un ver de terre. Il faudrait en effet, pour que les hommes académiques soient contents, que l’univers prenne forme. La philosophie entière n’a pas d’autre but : il s’agit de donner une redingote à ce qui est, une redingote mathématique ».

 

Robert Morris

“Anti Form”, Artforum, 1968, repris dans Robert Morris, Continuous project altered daily (the writings of Robert Morris) Cambridge Massachusetts MIT Press, New York, Solomon R. Guggenheim Museum, 1993.

Max Kozloff, compte rendu de l’exposition « Nine at Leo Castelli » organisée par Robert Morris à la galerie Leo Castelli de New York, publié dans Artforum en février 1969. Etaient présents, entre autres, Eva Hesse et Bruce Nauman. Texte reproduit dans le catalogue Arte Povera, Antiform - sculptures, 1966-1969, CAPC, Bordeaux, 1982 (non paginé).

« (…) Les nouveaux travaux sont peut-être à une aussi grande échelle qu’auparavant, mais plutôt que monumentaux ou publics, ils sont aujourd’hui intimes, mobiles, jetables même. La structure, également, n’a plus de prétentions - c’est-à-dire pas plus que les barrières contre les cyclones ; coulée de plomb, mousseline, latex caoutchouteux ou nappes de coton peuvent s’y prêter. En bref, l’idée de l’objet s’est engloutie par la volatilité, la liquidité, la malléabilité, la mollesse - toutes caractéristiques instables - de la substance qui la concrétise. Ce qui veut dire que l’objet devient en grande partie une référence à l’état de la matière, ou, de façon exceptionnelle, le symbole d’un processus (d’une action) sur le point de commencer ou déjà achevé (…) ».

 

Bibliographie sÉlective


Essais sur les artistes de l’Antiforme
- Robert Morris à Maguelone, Paris, Ereme, 2003
- Eble Bruno, Le miroir sans reflet : considérations autour de l'œuvre de Bruce Nauman, Paris, L'Harmattan, 2001
- Passages : une histoire de la sculpture de Rodin à Smithson, Paris, Macula, 1997
- Rosalind Krauss, Eva Hesse 1936-1970, London, Whitechapel Art Gallery, 1979

Catalogues d’exposition
- Sarkis : le monde est illisible, mon coeur si, Lyon, Musée d'art contemporain de Lyon, 2002
- Sarkis : ikones, Paris, Ecole nationale supérieure des beaux-arts, 2002
- Bruce Nauman : image/texte, 1966-1996, Centre Pompidou, 1997
- L'informe, mode d'emploi, Centre Pompidou, 1996
- Robert Morris, Centre Pompidou, 1995
- De l'Attitude à la Sculpture, CAPC, Bordeaux, 1995
- Eva Hesse, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1993
- Barry Flanagan : sculptures, Centre Pompidou, 1983
- Arte Povera, Antiform - sculptures 1966-1969, CAPC Bordeaux, 1982

 

Contacts

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Ce dossier s’inscrit dans une série : « Un mouvement, une période ».

• Ces dossiers sont réalisés autour d’une sélection d’œuvres des principaux mouvements ou tendances représentés dans les collections du Musée national d’art moderne,

• S’adressant en particulier aux enseignants ou responsables de groupe, ils ont pour objectif de proposer des points de repères et une base de travail pour faciliter l’approche et la compréhension de la création moderne et contemporaine, ou pour préparer une visite au Musée.

A NOTER
Les collections du Musée comportent plus de 59 000 œuvres. Régulièrement, le Musée renouvelle les œuvres présentées dans ses espaces situés aux 4e et 5e niveaux du Centre Pompidou. Les dossiers pédagogiques sont réalisés en lien avec ces accrochages.
Pour en savoir plus sur les collections du Musée : www.centrepompidou.fr/musee

Crédits
© Centre Pompidou, Direction de l'action éducative et des publics, août 2006
Mise à jour : août 2007
Conception : Florence Morat
Documentation, rédaction : Vanessa Morisset
Design graphique : Michel Fernandez
Coordination : Marie-José Rodriguez