Arts de la scène et art contemporain
pour Une expÉrience corporelle et sensorielle de l'art
|
Le plasticien Franz West incitait les visiteurs de ses expositions à des maniements exploratoires de ses sculptures portables, les Passstücke. Le chorégraphe Ivo Dimchev et ses danseurs proposent, ici, de les introduire dans un spectacle. Ils invitent le spectateur à les manipuler, en se laissant inspirer par le rythme de l’objet et de la musique. Conception : Ivo Dimchev, en collaboration avec Franz West.
Franz West : des sculptures qui s’adressent au corps
Au début des années 1970, l’artiste autrichien Franz West (1947-2012) réalise des sculptures en plâtre et papier mâché à la matière irrégulière qu’il nomme Passstücke ou Adaptives (« pièces à adapter », « Adaptatives »). Celles-ci ont la particularité de s’adresser au corps. Manipuler par des proches de l’artiste, dans l’espace public ou lors de vernissages, ces œuvres qui semblent être des excroissances du corps sont pour Franz West des « sculptures prothèses ». Se situant dans une démarche performative − à la suite des Actionnistes viennois −, West opte pour une forme participative de l’art.
Franz West, Auditorium, 1992
Installation. 72 divans pour la Documenta : divans en fer sur
lesquels sont posés des tapis d'Orient usagés, utilisés comme siège par le
public
Métal, mousse, tapis et polochons
Dimensions de l'installation variables
90 x 220 x 80 cm : dimensions d'un divan
Achat à l'artiste en 1994 - Centre national des arts
plastiques
Dépôt au Musée national d'art moderne - AM 2001-DEP 29 (1-72)
© Franz West
Dans les années 1990, Franz West poursuit cette voie en concevant des fauteuils et divans, exposés aujourd’hui dans tous les grands musées du monde, et dont certains ont la particularité d’être recouverts de tapis. De la Documenta (Kassel) à la Biennale de Lyon en passant par le Domaine de Kerguéhennec (Bretagne) ou le Centre Pompidou, les visiteurs, qui ont eu la chance de rencontrer son travail, ont pu faire cette expérience naturelle de s’asseoir et de se coucher sur ses sculptures. L’œuvre, sans être envisagée comme un objet de design, devient un espace collectif à vivre, chose exceptionnelle et rare dans le monde de la création contemporaine.
Ivo Dimchev : saisir les états limites du corps
Ivo Dimchev, I-ON
© Ivo
Dimchev
En 2010, Franz West rencontre le performeur d’origine bulgare Ivo Dimchev (né en 1976) qui, loin d’être enfermé dans un seul mode d’expression, est aussi tout à la fois chanteur, danseur, metteur en scène, chorégraphe, photographe, plasticien et parfois vidéaste. Un tout artistique qu’il cherche à développer simultanément sur scène.
Franz West lui propose de le filmer en train de manipuler ses Adaptives. Ces vidéos, réalisées dans le but de montrer des exemples potentiels de manipulation, s’adressent avant tout aux visiteurs de ses expositions dont il trouve les gestes trop peu spontanés et convaincants. En retour, Ivo Dimchev demande à Franz West s’il peut créer un spectacle avec ses sculptures. Cette première collaboration donne lieu au solo I-ON (2010). Nu sur scène, Dimchev, dont les performances se saisissent des états limites du corps, manipule les sculptures de West, cherchant à en faire une expérience corporelle et sensorielle. Fort de ce solo, mode d’expression principal de son travail, il propose alors à West une nouvelle configuration pour un spectacle de quatre danseurs, auquel il participe.
X-ON, créé en 2011, aborde donc, non plus sur le mode du performeur unique mais de la performance collective, la question de la manipulation de l’œuvre d’art, qui n’est plus l’originale mais la copie. Ainsi, des interactions individuelles et collectives se jouent entre l’œuvre et ceux qui l’expérimentent. Si Franz West refusait la passivité du spectateur dans une exposition et devant ses œuvres, la proposition d’Ivo Dimchev, avec ses danseurs, est une invitation participative au public afin de l’engager dans une expérience de l’art hors du contexte de la galerie ou du musée.
Valérie Da Costa
Arts de la scène et art contemporain