Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Un mouvement, une période

 


Art cinétique


 

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Joël Stein, Neuf trièdres ou Trièdre à 9 cellules, 1963
Aluminium poli, liège peint à l'acrylique blanc, bois, mélaminé, inox poli, 160x95x20 cm

Éloge de l’instabilité
Une histoire d’appellation
Les origines
Caractéristiques communes et divergences

Les artistes et leurs œuvres
Victor Vasarely, Bi-forme, 1962
Yacoov Agam, Double métamorphose III - Contrepoint et enchaînement, 1968-1969
Carlos Cruz-Diez, Physichromie n° 506, 1970
Jésus Raphael Soto, Gran doble escritura (Grande écriture double), 1977
François Morellet, Néon bilingue et aléatoire, 1971
Julio Le Parc, Multiple, 1970
Joël Stein, Neuf trièdres ou Trièdre à 9 cellules, 1963
Francisco Sobrino, Sculpture permutationnelle, 1967-1968
Vassilakis Takis, Musicale, 1977
Piotr Kowalski, Identité (n°2), 1973

Textes de référence

Chronologie

Bibliographie

 

 

Éloge de L’InstabilitÉ retour sommaire

Une histoire d’appellation

L’expression Art cinétique est pour la première fois employée par une institution muséale, le Kunstgewerbemuseum, actuel Museum für Gestaltung de Zürich, en 1960. L’exposition MAT-Kinetische Kunst — Multiple Art Transformable-Art cinétique, que l’artiste Daniel Spoerri y organise, présente « des œuvres d’art de Paris qui se meuvent ou sont mues », où se côtoient les réalisations de Jacoov Agam, Josef Albers, Pol Bury, Marcel Duchamp, Bo Ek, Karl Gerstner, Heinz Mack, Frank Malina, Enzo Mari, Bruno Munari, Man Ray, Dieter Roth, Jésus Rafael Soto, Jean Tinguely et Victor Vasarely. Ces œuvres sont alors dites multiples, non seulement parce qu’elles sont produites en série mais aussi du fait qu’elles bougent et se transforment à vue.

Outre les expositions d’Art cinétique qui s’organisent de par l’Europe au début des années 1960, des groupes d’artistes se forment avec cette volonté de faire du mouvement un médium à part entière et de libérer la création en touchant un public jusqu’alors exclu par une tradition jugée trop intellectuelle.
C’est ainsi qu’en 1961 naît à Paris le G.R.A.V., Groupe de Recherche d’Art Visuel et, dans les années 60, le Groupe N à Padou, le Groupe T à Milan, à Düsseldorf le Groupe Zéro, en Hollande le Groupe Nul, à Moscou le Groupe Dvizhenie [1], aux États-Unis le Groupe Anonima de Cleveland, dans l’Ohio… La plupart de ces groupes témoignent d’un intérêt commun pour l’organisation d’expositions et de manifestations hors du circuit officiel des galeries et des musées. Ils veulent incarner des modes de production collectifs, allant jusqu’à remettre en cause la figure sacralisée de l’artiste.

Mais si les années 1960 connaissent un développement spectaculaire de pratiques fondées sur le mouvement, si de nombreux groupes s’agrègent autour des idées libératrices qu’il synthétise, que des expositions lui sont consacrées à travers toute l’Europe, souvent sous la bannière de la Nouvelle Tendance, et que les jeunes artistes du continent américain s’y adonneront très vite, l’histoire de l’Art cinétique s’inscrit dans le prolongement d’expériences antérieures.

Œuvres de Jacobsen, Soto, Tinguely, Duchamp, Calder et Agam
dans l’exposition Le Mouvement, galerie Denise René, avril 1955

Avant d’en venir à ses origines, rappelons que l’épopée de l’Art cinétique débute en 1955, date à laquelle la galerie Denise René ouvre au public la retentissante exposition Le Mouvement, sur une proposition de Victor Vasarely. Considéré comme l’un des précurseurs les plus influents de la mouvance cinétique, Vasarely y présente ses premières pièces abstraites en noir et blanc, aux côtés de figures tutélaires telles que Marcel Duchamp [2] et Alexander Calder et de réalisations de jeunes artistes : Agam, Bury, Jacobsen, Soto et Tinguely.

La galerie Denise René avait ouvert ses portes à Paris en 1945 quelques mois avant la Libération, avec l’exposition des travaux figuratifs de Vasarely réalisés à la fin des années 1930. Dès 1946, la galerie se consacrait à l’abstraction, puis à l’abstraction géométrique. Son rôle allait être central dans la diffusion de ce qui serait désigné sous les termes « d’art cinétique » et plus tard « d’Op’art ».

L’expression Art cinétique recoupe alors des pratiques très diverses, aussi bien des œuvres motorisées que des œuvres modifiées par l’intervention des spectateurs ou par celle d’éléments naturels tels que le vent ou l’eau. Elle inclut également toute œuvre qui a pour caractéristique de se mouvoir dans l’œil du spectateur au cours de son déplacement, sans que celle-ci soit en elle-même mobile.

L'appellation Op’art, qui s’impose en Europe à partir de 1965 et concurrence celle d’Art cinétique, est importée des États-Unis, générant alors un débat sur les distinctions à établir ou non entre les deux formes d’art. L’appellation trouve son origine dans l’abréviation de l’expression Optical art qui a cours en Angleterre pour désigner des travaux axés sur des jeux d’optiques, comme ceux que présente la galerie One [3] à Londres. En 1962, celle-ci programme la première exposition personnelle de Bridget Riley, jeune graphiste marquée par les travaux de Vasarely [4]. L’artiste remporte un rapide succès. L’Optical art se répand à Londres comme traînée de poudre.

Le terme Op’art apparaît pour la première fois dans le Time’s Magazine en 1964 et se généralise aux États-Unis l’année suivante, suite à l’ouverture au MoMA de New York de l’exposition considérée comme fondatrice de l’Op’art, The Responsive Eye. Organisée par son directeur, William C. Seitz, cette exposition est montée en collaboration avec la galerie Denise René, qui propose près de la moitié des œuvres présentes [5]. Mêlant productions parisiennes et américaines, elle tend ainsi à légitimer une nouvelle forme d’art qui renouerait avec l’abstraction tout en offrant une alternative au Pop’art, récemment promulgué dans le pays. Comme le Pop'art mais de manière moins frontale, l’Op’art instaure un dialogue avec la société technique et industrielle, employant le plus souvent des matériaux industriels et faisant appel aux compositions géométriques, aux aplats impeccables de l’abstraction froide [6]. Accessible à un large public par son caractère spectaculaire, l'exposition est globalement accueillie par la presse avec un enthousiasme qui n’a d’égal que celui du public. [7]

Que l’on parle donc d’Op’art ou d’Art cinétique, l’histoire de la nouvelle tendance qui émerge dans les années 1960 semble immanquablement liée à celle de la galerie Denise René et de l’École dite alors de Paris. Mais, force est d’admettre que le mouvement en art n’était pas une nouveauté en 1955. Interrogée sur l’exposition Le Mouvement, Denise René ne s’en défend d’ailleurs pas : il était simplement « dans l’air », elle s’en était saisie. Les origines de l’implication du mouvement dans les arts plastiques nécessitent de remonter plus avant dans l’histoire du vingtième siècle.

 

les Origines

Dans un texte que Pontus Hulten consacre en 1955 à l’œuvre du jeune Jean Tinguely, le futur directeur du Musée national d‘art moderne dresse un bref historique des pratiques artistiques liées au mouvement dans l’art du vingtième siècle. [8] En remontant aux sources de l’Art cinétique, il met en évidence l’écart idéologique qui s’est creusé entre les œuvres du début du siècle et celles des années 1960-1970. Une bonne partie des productions récentes réinvestissent les recherches entreprises par les aînés mais en en perdant leur dimension révolutionnaire.

Ayant fait de la défense de l’Abstraction géométrique puis de l’Art cinétique une ligne de conduite, la galerie Denise René développe également ce travail de mise en perspective historique, avec notamment l’exposition d’œuvres de Malévitch en 1957, alors que celui-ci est totalement oublié en Europe et qu’aucun musée français ne souhaite accueillir cette rétrospective.

Futuristes, cubistes, suprématistes

Kasimir Malévitch, Dessin suprématiste, [1915]
Crayon sur papier ligné, 16,5x10,8 cm

Aux origines de l’Art cinétique, les intentions qui conduisent les artistes à introduire le mouvement dans leurs œuvres sont déjà divergentes. Les Futuristes italiens de la première génération [9] font de la vitesse et du mouvement mécanique un idéal esthétique et moral. Certains d’entre eux se réfèrent aux recherches pointillistes et aux valeurs anarchistes que colportent leurs images, en ce qu’elles mettent en branle une réalité jusqu’alors tenue pour stable et immuable, la soumettent aux secousses de la subjectivité, démolissant les représentations de l’ancien monde. Les Cubistes et les Orphistes, dans un même temps, s’intéressent au caractère mouvant de la perception, à la simultanéité des points de vue qui se conjuguent au sein de représentations mentales : assemblages précaires pour les uns, sublimations pour les autres. Ils développent ainsi la vision d’un réel multiple et insaisissable. Le Suprématisme, dont Kasimir Malévitch [10] rédige le manifeste en 1915, se réfère quant à lui à un mouvement cosmique, suprasensible, donnant à expérimenter, au travers ses compositions, la vibration universelle, l’excitation de la matière telle qu’elle se manifeste en chacune de ses particules, jusque dans le mouvement des planètes.

Les constructivistes

Viennent ensuite des réalisations auxquelles les œuvres cinétiques renvoient plus directement. Le Manifeste Réaliste, publié en Russie par les frères Naum Gabo et Anton Pevsner en 1920, inaugure le Constructivisme en faisant du mouvement un médium à part entière. L’idée de concevoir des objets qui conjuguent le mouvement, l’espace et la lumière y est présentée comme porteuse de l’esprit moderne. Au-delà des théories qui lui sont liées, l’emploi du mouvement dans les arts trouve déjà sa mise en œuvre dans le projet de Monument à la troisième internationale que Vladimir Tatline conçoit au cours de cette même année. Importées au Bauhaus de Weimar entre 1921 et 1924 avec l’arrivée de nouveaux enseignants, notamment Paul Klee, Vassily Kandinsky puis Laszlo Moholy-Nagy, les idées du Constructivisme sont par la suite diffusées à travers toute l’Europe et les États-Unis [11].

Naum Gabo, Anton Pevsner, Lazar Lissitzky, Alexander Rodtchenko, mettent leurs idées en application au travers de réalisations picturales et volumétriques ; le mouvement est parfois signifié par des rapports de formes, de couleurs et de matériaux, parfois généré par des vibrations optiques et même concrètement mis en œuvre par Naum Gabo. Dès 1920, Gabo réalise l’une des premières sculptures motorisées, composée d’une boule et d’un fil tournant rapidement sur lui-même de telle manière, qu’avec la rotation du fil, un volume virtuel apparaît.

Autres travaux précurseurs

i Laszlo Moholy-Nagy, Ein Lichtspiel schwarz-weiss-grau (Jeu de lumière noir-blanc-gris), 1930
Film cinématographique 35 mm noir et blanc, silencieux, durée: 5'15"

En 1922, un an avant d’enseigner au Bauhaus, Moholy-Nagy projette de réaliser une pièce qui ne repose ni sur le travail du volume, ni sur la lumière, ni même sur le mouvement, mais sur celui de l’espace-lumière-mouvement. Pour ce faire, il entreprend l’élaboration de la Lichtrequisit, ou Modulateur Espace-Lumière, une machine rotative dont les plaques de métal et de plexiglas permettent de projeter ombres et lumières sur les parois du caisson qui l’abrite, dans un mouvement hallucinatoire propre à évoquer le spectacle des villes modernes. Lorsqu’en 1930, la Lichtrequisit est terminée, il réalise le film Ein Lichtspiel schwarz-weiss-grau, à partir des compositions que celle-ci produit sans discontinuer. Le montage ajoute à la confusion des jeux de reflets en rotation : la pellicule est parfois retournée, elle passe du positif au négatif, tandis que la bobine, elle aussi, tourne.

Il faut aussi faire mention, parmi ces travaux précurseurs, de l’orgue lumineux réalisé par Thomas Wilfred et Alexandre Laszlo à l’Art Institute de New York en 1922 car, en dehors du champ de l’art stricto sensu, à partir des années 1920, nombreuses sont les expériences qui tentent de faire correspondre sensations visuelles et auditives au moyen d’un défilement de stimuli capable de plonger le spectateur dans des états quasi extatiques ou visant à développer des facultés perceptives enfouies. L’Optophone, dont Raoul Hausmann forme l’idée en 1922 et dont le brevet sera perdu au cours de la Seconde Guerre, est de ces inventions.
Des filiations peuvent ainsi être établies entre les recherches des artistes cinétiques et d’autres expériences, menées hors de tout cadre identifiable. C’est par exemple le cas de la Dream Machine que le poète Brion Gysin réalise en 1960 avec un ami ingénieur, Ian Sommerville. Cette machine propose à ceux qui s’en emparent de vivre des expériences semblables à celles qu’on peut avoir en consommant des narcotiques. Reproductible par tout un chacun au moyen d‘une feuille de papier, d’une paire de ciseaux, d’un tube de colle, d’un tourne-disque et d’une ampoule, la présentation de cette machine en 1962 se résume à la publication de son plan de construction dans un magazine [12].

Sur un autre terrain, les Lumidynes de l’artiste ingénieur Frank Malina réalisées dès 1954 sont également considérées comme des œuvres qui anticipent l’avènement de l’Art cinétique. Ces dernières, sous la forme d’écrans lumineux où les couleurs  s’animent, font de l’association des mouvements mécaniques et lumineux un médium à part entière. Le procédé sera breveté, pouvant être utilisé dans les hôpitaux psychiatriques pour calmer les patients.

Mouvement et images cinématographiques

i Hans Richter, Rhythmus 21, 1921-1924
Film cinématographique 35 mm noir et blanc, sonore, durée: 3'34"

Viking Eggeling , Diagonal Symphony, 1921
Film cinématographique 35 mm noir et blanc, silencieux, durée : 8'04"

L’intérêt pour l’image en mouvement peut être rattaché aux premières expériences d’abstractions cinématographiques. À juste titre, les films géométriques abstraits − Rhythmus 21 qu’Hans Richter [13] réalise en 1921 et Diagonal Symphony que Viking Eggeling commence la même année et achève en 1924 − peuvent être considérés comme des travaux précurseurs de l’Art cinétique. Le Ballet mécanique de Fernand Léger, achevé la même année, pourrait l’être aussi pour d’autres raisons. S’en suit toute une série d’expériences faisant du cinématographe un terrain d’exploration plastique et, avec lui, toutes formes de projection d’images lumineuses et mobiles.

Marcel Duchamp, Rotoreliefs n° 1, 3, 6, 10, 1935
Disque en carton, imprimé en lithographie offset
Diamètre : 20 cm

L’intérêt que Marcel Duchamp porte au cinématographe et au mouvement comme ouvrant les portes de la perception à une « quatrième dimension » fait également de ce dernier un référent incontournable. Son Nu descendant l’escalier, synthèse provocante du Cubisme et du Futurisme, son Jeune homme triste dans un train, ainsi que le Passage de la vierge à la mariée, tous réalisés en 1912, témoignent d’un intérêt pour la représentation d’un mouvement qui fait correspondre déplacement physique et changement d’état psychologique. En 1913, il renverse une roue de bicyclette et la fixe sur un tabouret [14]. Lorsque l’on fait tourner la roue, comme Bouddha la sienne en accédant au Nirvana, le caractère hallucinatoire du mouvement nous renvoie l’image d’un réel insaisissable dans son mouvement et nous invite au lâcher prise.

En 1920 Rotary Glass Plates prend la forme d’une hélice à trois plaques qui, une fois mise en mouvement, semble n’en faire plus qu’une. En ajoutant une dimension temporelle au dispositif en trois dimensions, apparaît un motif en spirale qui n’en présente plus que deux.
En 1925, le film Anémic Cinéma, réalisé avec la collaboration de Man Ray, propose un triple mouvement de rotation : celui de la pellicule, celui des disques filmés, celui de mots qui, inscrits en spirale sur les disques tournants, forment des contrepèteries qui font tourner les sons et leurs sens au sein des phrases.
Les Rotoreliefs, de 1935, constituent une œuvre cinétique exemplaire en ce qu’elle répond à bien des critères qui seront ceux des années 1960. Pensés comme multiples, les Rotoreliefs présentent des motifs en deux dimensions réalisés à partir de cercles excentriques : une fois mis en mouvement sur un tourne-disque, ils apparaissent en trois dimensions. Resserrant les liens entre art et science, ces œuvres sont montrées par Duchamp sur un stand du concours Lépine, où elles ne remportent aucun succès.

Premières sculptures mobiles

Man Ray, Obstruction, 1920
Epreuve gélatino-argentique, 4,9x7,3 cm

Enfin, concernant les premières formes de sculptures mobiles sans moteurs, Abat-Jour et Obstruction réalisées par Man Ray, en 1920, représentent les deux premières sculptures mobiles abstraites qui font appel à un mouvement aléatoire. Abat-Jour est une feuille de tôle spiralée qui, suspendue devant une fenêtre, fonctionne au courant d’air. Obstruction constitue une arborescence de cintres suspendus les uns aux autres, assemblage en perpétuel mouvement et potentiellement extensible à l’infini.

Vient ensuite Alexander Calder qui présente en 1932 des sculptures géométriques abstraites motorisées, avant que ces dernières ne se libèrent de la répétition mécanique pour devenir ces objets fragiles aux déplacements imprévisibles que Marcel Duchamp appellera les Mobiles. À peine deux ans plus tard, l’artiste milanais Bruno Munari réalise ses premières sculptures mues par l’action de l’air, amorçant la série de ses Machines inutiles.

 

caractÉristiques communes et Divergences

Si les intérêts des précurseurs de l’Art cinétique pour le mouvement sont multiples, il en va de même pour ceux qui leur succèdent. En dehors du fait que les artistes emploient tantôt des moteurs, tantôt les éléments naturels, ou qu’ils font appel à de simples déplacements perceptifs, leurs visées différent aussi. Alors que certains travaillent le mouvement en rapport avec l’espace et la lumière afin de rendre compte d’une sensibilité moderne déterminée par l’univers urbain, d’autres axent leurs recherches sur le mouvement pour libérer l’œuvre, tant physiquement que symboliquement, d’autres encore cherchent, au moyen de phénomènes optiques et lumineux, à restituer le caractère instable, changeant d’un monde que l’on donnait autrefois pour fixe et immuable.

Toutefois, sans que l’appellation d’Art cinétique recoupe l’ensemble des œuvres en mouvement, elle regroupe  des réalisations présentant des caractéristiques communes : mettre en avant une démarche expérimentale, parfois même en rapport avec les découvertes techniques et industrielles, placer la perception du spectateur au centre de l’œuvre, présenter un aspect ludique et spectaculaire qui permet de toucher un large public et, éventuellement, remettre en question la fonction et le statut d’une œuvre d’art.

Adhérer ou mettre en péril une idéologie rationaliste

Jean Tinguely, Tricycle, vers 1960
Assemblage. Fer, métaux de récupération, 48x85x46 cm

Pontus Hulten organise en 1961 l’exposition Rorelse i Konsten [15] au Moderna Museet de Stockholm. En 1968, il programme The Machine as Seen at the End of the Mechanical Age, au MoMA de New York. Dès 1955, il distingue deux postures qui, loin d’être assimilables sous prétexte qu’elles font appel au mouvement, lui semblent fondamentalement opposées. Dans la majeure partie des réalisations que recoupent les labels d’Art cinétique et d’Op’art, il discerne comme une adhésion implicite à l’idéologie rationaliste qui domine les sociétés occidentales. L’aspect lisse et clinquant des matériaux industriels, les aplats de couleur impeccables, le mouvement parfaitement maîtrisé des rouages… A l’inverse, Tinguely [16] accouche de machines qui n’ont rien de lisse, s’intéresse au métal à condition qu’il soit rouillé, emploie des rouages pour qu’ils ne tournent pas rond… Les machines qu’il met au monde bringuebalent de tous côtés, dans l’idée, sans doute désespérée, de mettre en péril le mouvement même du rationalisme historique. Il s’agit bien de fabriquer des machines qui, si elles sont tournées vers le futur, le sont vers leur devenir de carcasse. Ce sont des machines qui s’insurgent contre les machines.

L’enthousiasme des artistes du début des années 1960, qui attribuent volontiers au mouvement le pouvoir de libérer l’art de ses carcans, ne tarde pas à se ternir. Le marché de l’art, s’internationalisant et devenant objet de spéculation, réduit considérablement les possibilités d’action des groupes d’artistes, qui se décomposent. L’emploi du mouvement en art n’est plus synonyme d’une libération des pratiques. Les œuvres les plus concernées par l’invention du futur apparaîtront dans les années 1980 comme étant déjà datées. En revanche, les productions d’artistes comme Tinguely ou Robert Rauschenberg, échappant à la seule mouvance cinétique, revêtent un continuel caractère d’actualité.

S’inscrire dans une tradition ou penser l’œuvre ouverte

Lors de l’exposition Le Mouvement, les débats sont animés au sein de la galerie Denise René. Au sortir du vernissage, les jeunes artistes s’insurgent contre l’appropriation de leurs démarches qui réduit la portée de chacune d’elles à la seule utilisation du mouvement. Au-delà des questions d’orgueil, un véritable débat de fond se met en place : là où la galerie, avec Vasarely, cherche à inscrire l’utilisation du mouvement dans la tradition de l’art géométrique, ces jeunes artistes rêvent d’œuvres ouvertes qui intègrent les constituants sensibles de leur univers jusque dans sa dimension sociale. [17]

Les divergences qui distinguent les démarches affiliées à l’Art cinétique se retrouvent dans les œuvres des générations suivantes. À la fin des années 1970, la fusion de tous les arts laisse libre court à toutes formes d’hybridations. Les expériences de l’Art cinétique débouchent sur des pratiques extrêmement variées, allant de l’usage de la vidéo, à la construction de machines interactives, en passant par l’emploi des néons ou des lasers dans l’élaboration d’espaces immersifs.
Mais, plus que les moyens, l’influence exercée par l’Art cinétique est davantage à chercher du côté de questionnements liés à la perception. Aussi, peut-on constater que de nombreuses productions continueront de conjuguer mouvement, espace et lumière dans le seul but de mettre en jeu des phénomènes perceptifs, tout en introduisant une dimension ludique et spectaculaire. Ces œuvres, souvent détachées du contexte social dans lequel elles ont été produites, s’inscrivent davantage dans un jeu de références à l’histoire de l’Abstraction géométrique et plus généralement à l’histoire de l’art.

i Olafur Eliasson, Your Concentric Welcome, 2004
Œuvre en 3 dimensions. Installation avec de la lumière
Dimensions variables (surface au sol minimale 16m²)

Pour ce qui est des images lumineuses, il est possible de placer dans la filiation de l’Art cinétique les glyphes lumineuses de Nam June Paik obtenues à partir d’écrans cathodiques aimantés, au début des années 1960 ; ou les compositions, qu’à sa suite, de nombreux artistes produisent au moyen de synthétiseurs vidéo, puis d’outils numériques… Pour les œuvres qui déploient des figures géométriques dans l’espace, il faut citer les sculptures lumineuses réalisées par Robert Irwin au début des années 1970, les rectangles irradiants de James Turrell, les environnements d’Olafur Eliasson, les cubes de Jeppe Heine réalisés à partir du feu, de l’eau, de l’air, de la lumière, de jeux de miroirs ; ou encore les jeux d’optiques conçus par Felice Varini à l’échelle du paysage, en compositions géométriques pour littéralement le transfigurer…

 

 

Les artistes et leurs Œuvres retour sommaire

Victor Vasarely (Vasarhelyi) retour sommaire

1906, Pècs (Hongrie)  –  1997, Paris (France)

iVictor Vasarely, Bi-forme, 1962
Panneaux de verre gravé et socle en métal
Verre Saint-Gobin, métal, 200x120x20 cm
Plaques de verre : 200 x 120 cm
Socle : 28 x 120 x 47 cm

Cette œuvre, réalisée sur deux plaques de verre, s’inscrit dans le prolongement des premières compositions abstraites en noir et blanc réalisées par Vasarely dès la fin des années 1940. Elle présente toutefois la particularité de se moduler suivant les déplacements du spectateur. Elle témoigne de l’intérêt de l’artiste pour la notion de multiple sous l’impulsion des éditions MAT de Daniel Spoerri : non seulement les formes de l’œuvre se démultiplient en fonction des points de vue adoptés, mais les figures géométriques qui la composent sont employées au sein des autres pièces de la série, selon des agencements à chaque fois différents, comme pour en épuiser les combinaisons.

Les jeux de contrastes entre noir et blanc, opacité et transparence, témoignent de l’enseignement de graphiste qu’à reçu Vasarely. Que l’on pense à un agrandissement des trames parallèles de la gravure au burin ou aux écarts de défonce dans l’imprimerie [18], ces lignes contrastées relèvent d’une esthétique qui appartient pleinement à l’ère de la reproductibilité technique.

Les trois formes géométriques, le triangle, le rond et le carré, font quant à elles directement référence aux trois éléments fondamentaux du vocabulaire du langage graphique, tel que Kandinsky en définit les fondements dans les cours qu’il donne au Bauhaus dès 1922 ainsi que dans l’essai Point ligne plan, publié en 1927. Vasarely rend ainsi hommage à l’un des fondateurs de l’art géométrique abstrait et s’inscrit volontairement dans la filiation des peintres modernes.

Biographie

Victor Vasarely, né en Hongrie en 1906, sera considéré comme l’un des premiers représentants de l’Art cinétique et fondateur de l’Op’art. Formé au Muhëly, annexe hongroise du Bauhaus, il se spécialise dans le graphisme. Il obtient sa première exposition personnelle à Budapest en 1930, année où il s’installe à Paris pour travailler dans l’agence publicitaire Havas puis chez Devambez. L’artiste nourrit alors le projet de créer un alphabet plastique combinable à l’infini.
En 1939, il rencontre Denise René et la fréquente régulièrement. Il abandonne les arts appliqués pour s’adonner entièrement à la peinture. En juillet 1944, Denise René transforme son atelier de confection de tissus en galerie d’art et consacre à Vasarely sa première exposition.

Jusqu’en 1947 ses recherches relèvent d’une figuration épurée où les jeux de contrastes dominent. Il abandonne ce qu’il désignera par la suite comme « ses fausses routes » pour s’orienter vers l’abstraction. Débute alors la période dite « de Belle-Isle », initiée par un voyage à Gordes et Belle-Isle durant lequel il entreprend de dégager les structures géométriques qu’il perçoit dans la nature. Il commence en 1948 la série Cristal, présentant des jeux de contrastes tranchés ; puis, en 1951, débute la période Denfert, inspirée par les craquelages du carrelage blanc qu’il observe sur les parois de la station de métro éponyme.
Durant la période Noir-Blanc qui s’étend de 1954 à 1960, Vasarely réalise des peintures composées en réseaux de lignes ondulantes. Il réalise parallèlement ses photographismes, faisant appel à la photographie pour agrandir ou réduire des œuvres qu’il réalise à la main, superposant parfois le négatif et le positif en associant deux plaques de verre.

En 1955, il organise avec Denise René l’exposition Le Mouvement pour laquelle il rédige le Manifeste jaune consacré à l’Art cinétique. Il débute alors ses travaux en lien avec l'architecture, cherchant à définir un « art social » [19] , à la portée de tous et capable de mettre en valeur les lieux les plus défavorisés.
En 1964, il entame différentes séries d’« œuvres permutationnelles », puis ses « Déformations » en 1965, date à laquelle il participe à l’exposition Responsive Eye du MoMA de New York, qui constitue l’avènement de l’Op’art. Il devient l’un des artistes européens les plus vendus.
En 1976, il crée sa fondation à Aix-en-Provence dont il conçoit entièrement le bâtiment.

 

Agam retour sommaire

1928, Rishon le-Zion (Palestine sous mandat britannique)

Yacoov Agam, Double métamorphose III - Contrepoint et enchaînement, 1968 – 1969
Œuvre en 3 dimensions. Installation mixte
Huile sur relief d'aluminium, 124x186 cm

Cette pièce est l’un des « tableaux transformables » qui ont valu à leur auteur d’obtenir, à vingt-cinq ans, sa première exposition personnelle à Paris. La surface de ces panneaux, constituée d’une succession de prismes triangulaires met le spectateur en face d’une série d’arêtes verticales, l’invitant à quitter sa position habituelle pour en appréhender les côtés. Mais lorsque l’un des deux se découvre, c’est en recouvrant l’autre, de sorte qu’il ne peut à aucun moment, ou aucun endroit, en avoir une vision complète.

L’effet est accru du fait que les deux côtés de chaque prisme sont eux-mêmes divisés en deux parties, dans le sens de la hauteur. De face, chaque prisme présente donc quatre bandes verticales dont la disparition ajoute à la confusion lorsque, vus de profil, les petits rectangles noirs qui rythmaient la surface se rejoignent dans un effet de perspective pour former des bandes horizontales équidistantes. Nous pouvons ici reconnaître l’un des motifs qui constituent la marque de fabrique de l’artiste. Toujours vu de profil, mais de l’autre côté, le tableau devient quasiment monochrome, posant comme une peau sur le cœur coloré, qui se découvre lorsqu’on lui fait face.

Appartenant au spectre de la lumière blanche, les couleurs de cette pièce, bien que majoritairement primaires ou secondaires, déploient une multitude de nuances au cours du déplacement du spectateur. L’artiste parle au sujet de ses compostions de « polyphonies colorées » qui se déploient dans le temps et l’espace dévolus à son observation.

Biographie

Artiste israélien né en 1928, Yaacov Agam étudie à l'Académie d'art Bezalel de Jérusalem puis va à Zürich pour suivre les cours d’un ancien enseignant du Bauhaus, Johannes Itten. Il se forme par la suite en histoire de l’art, en architecture et en composition musicale. Il travaille alors comme graphiste pour des agences de publicité et rencontre Max Bill, fondateur de l’Art concret, futur soutien de la galerie Denise René. L’éventail des disciplines abordées au cours de ses études, profondément marquées par l’enseignement du Constructivisme, l’amène à réfléchir sur les rapports entre espace et couleurs.

Installé à Paris en 1951, il s’inscrit à l’atelier de Jean Dewasne, artiste représenté par la galerie Denise René, rencontre Auguste Herbin ainsi que Fernand Léger. En 1953, il obtient sa première exposition personnelle, Tableaux transformables, à la galerie Craven et, en 1955, participe à l’exposition d’Art cinétique, Le Mouvement, à la galerie Denise René. Il expose l’année suivante au Festival d’art d’avant-garde de Marseille et, en 1965, à l’exposition The Responsive Eye au MoMA de New York.

Son rapide succès lui apporte de nombreuses commandes pour concevoir des œuvres monumentales. A partir des années 1970, il se consacre à la réalisation d’œuvres liées à l’architecture sans pour autant cesser de produire ses peintures modulaires, ses sculptures. Il compte également parmi les premiers en France à employer la vidéo comme médium.

Son travail se caractérise par la sollicitation d’un mouvement qui se produit dans l’œil du spectateur au cours de ses déplacements, mouvement « idiomoteur », pour reprendre le terme de Marcel Duchamp, par lequel il désignait certains effets optiques qui déplacent notre perception dans le temps, nous donnant l’idée d’une « quatrième dimension ». Ses réalisations d’envergure cherchent à faire la synthèse de l’espace et de la lumière par l’interaction harmonique, quasi musicale, des couleurs de l’arc-en-ciel.
En 1971, l’État lui commande la réalisation du salon de l’Elysée, constituant comme la consécration de son œuvre en France.

 

Carlos Cruz-Diez retour sommaire

1923, Caracas (Venezuela)

Carlos Cruz-Diez, Physichromie n° 506, 1970
Peinture acrylique sur lamelles de PVC collé sur contre-plaqué,
lamelles de plexiglas, cadre en aluminium, 180x180 cm

Ce panneau appartient à la série des Physichromies dont le principe moteur est purement optique. De face, le spectateur perçoit une composition de lignes de couleurs serrées qui sont en réalité constituées par les tranches d’une multitude de plaques de plexiglas posées sur des aplats de couleur. L’œuvre fonctionne par projection de la composition dans l'espace sur le mode d’un bas-relief.

Au sein des assemblages géométriques de Cruz-Diez, l’entremêlement des couleurs primaires fait surgir d’autres couleurs qui ne s’y trouvent pas. Cet assemblage de couleurs varie en fonction des points de vue adoptés par le spectateur et de l’angle d’incidence de la lumière. Les nuances, changeant suivant ces deux facteurs, inscrivent ainsi le spectateur dans l’espace de la composition, de même que la composition se trouve inscrite dans l’espace du spectateur.
Pour Carlos Cruz-Diez, la couleur est une réalité qui agit sur l’être humain, comme le froid ou le chaud, et affecte diversement son humeur en fonction de son tempérament.

Biographie

Artiste vénézuélien né en 1923, Carlos Cruz-Diez fait ses études avec Jésus Rafael Soto aux Beaux-arts de Caracas. De 1944 à 1945, il est concepteur graphique des publications de la Creole Petroleum Corporation puis, jusqu’en 1951, directeur artistique de l'agence McCann-Erickson Advertising du Venezuela.
En 1955, au cours d’un séjour en France, il visite l’exposition Le Mouvement à la galerie Denise René. Après avoir enseigné l’histoire des arts appliqués aux Beaux-arts de Caracas, il part pour un an à Barcelone en 1956 et vient régulièrement sur Paris. En 1957, de retour au Venezuela, il enseigne les arts graphiques et la typographie et devient, l’année suivante, directeur-adjoint des Beaux-arts de Caracas.

S’attachant au travail de la couleur, il utilise des matériaux industriels et notamment le plexiglas. Vers la fin des années 1950, il réalise des pièces qui, à partir de bandes de couleurs primaires, d'intersections minces, produisent des gammes de couleurs étendues, qui varient suivant les mouvements du spectateur. C’est ainsi qu’il conçoit différentes séries de dispositifs, chacune tournée vers des phénomènes perceptifs ou physiques particuliers, telles que les Couleurs additives, les Physichromies, les Inductions chromatiques, les Chromo-interférences, les Transchromies, les Chromo-saturations et les Couleurs à l’espace. Certaines fonctionnent par addition des couleurs, d’autres opèrent une soustraction dans l’absorption d’un rayonnement coloré par son opposé chromatique. Parmi ses œuvres, celles qui sont actionnées par des moyens mécaniques opèrent par glissement de plaques parallèles ou par rotation, accentuant le mélange optique des couleurs.
Son travail se tourne également vers l’architecture et l’espace urbain pour offrir au public le plus large ce qu’il désigne comme étant des « œuvres partagées et manipulables ». Dans les années 2000, il réalise des environnements lumineux.

Installé à Paris depuis 1960, il retourne régulièrement au Venezuela et enseigne l’art dans les deux pays. En 2002, après avoir reçu de nombreux prix, titres d’honneur et décorations tant au Venezuela qu’en France, il est promu au titre de Commandeur des Arts et des Lettres.

 

JÉsus Raphael Soto retour sommaire

1923, Ciudad Bolivar (Venezuela), 2005, Paris (France)

Jésus Raphael Soto, Gran doble escritura (Grande écriture double), 1977
Bois peint et métal, 253,5x380x30 cm

Dans cette composition Soto réunit deux formes de mouvements explorées par les artistes cinétiques : il joint au mouvement aléatoire de tiges de fer suspendues, le mouvement optique produit par leur interférence avec les plans de fond.
Marquée par les idées des constructivistes, son œuvre s’intéresse aux transformations de l’espace perçu dans le mouvement. Pour ce faire, ses compositions mettent en jeu l’ambiguïté traditionnelle des rapports entre fond et forme. Son geste se démarque ici par le parti-pris de faire littéralement sortir la forme du fond, en opposant un volume à une surface plane, pour précisément les confondre. Les tiges de métal suspendues face au plan se fondent dans celui-ci et semblent perdre leur volume.

Les vibrations spectaculaires que provoque l’entremêlement des lignes soulignent le pouvoir qu’elles ont de faire ou de défaire les figures. Les effets de résille qu’elles produisent sont renforcés par un jeu d’inversion : les deux panneaux de mêmes dimensions, disposés l’un au-dessus de l’autre, opposent des vibrations de lignes blanches sur fond banc et de lignes noires sur fond noir. Mais, comme dans le symbole du Yin et du Yang qui intéressait tout particulièrement son camarade Vasarely, pour que la vibration ait lieu, il faut que le fond noir présente des lignes blanches là où le fond blanc présente des lignes noires.

Cette opposition de contrastes s’accompagne d’une autre opposition que le titre souligne : celle des lignes parallèles, régulières et de l’écriture courbe presque lyrique que dessinent les torsions du métal suspendu. L’opposition est comparable aux envolées d’une signature sur les lignes d’un cahier.

Biographie

Né en 1923 à Ciudad Bolivar, Jésus-Rafael Soto se forme aux Beaux-arts de Caracas avec Carlos Cruz-Diez et Alejandro Otero, se spécialisant dans la typographie et le graphisme.
Après avoir enseigné à Maracaïbo entre 1947 et 1950 − il démissionne avec l’arrivée au pouvoir du dictateur Marcos Pérez-Jimenéz − il s'installe à Paris. Il assiste alors aux conférences de l'atelier d’art abstrait de Jean Dewasne et rejoint le cercle des artistes liés au Salon des Réalités Nouvelles.
En 1952, il se rapproche de Fernand Léger, Alexander Calder, Antoine Pevsner, Hans Arp et Henri Laurens, avec lesquels il collaborera.

En 1955, il participe à l'exposition Le Mouvement, organisée par la galerie Denise René. Suite à cette expérience, il s’intéresse tout particulièrement à l’œuvre de Marcel Duchamp, à la question des multiples et à celle de la modification possible de l’espace à travers le mouvement optique. Au travers de dispositifs relevant à la fois de la peinture et de la sculpture, les constructions géométriques qu’il réalise cherchent à engendrer des espaces vacillants.

En 1964, il reçoit le deuxième Prix David Bright à la Biennale de Venise.
En 1967, l’idée d’inclure le spectateur dans la conception de ses œuvres entraine l’invention des Pénétrables. Pour Soto, la matière, le temps et le mouvement constituent une « trinité » qui définit tout rapport esthétique. Pour appréhender pleinement leur interaction, l’expérience visuelle doit s’accompagner du toucher et de l’ouïe, constituer un véritable environnement.

En 1974, le Musée Guggenheim de New York lui consacre une vaste rétrospective. En 1995, il reçoit le Grand Prix national de la Sculpture en France. Soto meurt en 2005 à Paris.

 

François Morellet retour sommaire

1926, Cholet (France)

i François Morellet, Néon bilingue et aléatoire, 1971
Œuvre en 3 dimensions. Installation avec de la lumière
Néon, verre, isorel, pédale, boitier électronique,
transformateur de néons, 215,5x238x104,5 cm

En 1963, François Morellet réalise ses premières œuvres avec des tubes de néon, en même temps que l'artiste américain Dan Flavin. Ce dispositif, réalisé en 1971, offre la particularité de disposer d’un programme d’allumage aléatoire.
Comme dans la plupart des œuvres de Morellet, le jeu tient à une équation qui, à la manière de l’énigme du sphinx, appelle une réponse qui n’indique rien quant à sa raison d’être. L’œuvre présente ainsi l’opération : deux langues, pour trois lettres, chacune formée par sept néons qui s’allument aléatoirement.

Les deux langues confondues rassemblent un total de trente-deux mots de trois lettres. Ajoutons à cela que les néons ne forment pas nécessairement des lettres. Résultat : face à l’infinité des combinaisons possibles il y a peu de probabilité – une chance sur 70 000 a pu calculer Morellet − pour que l’allumage aléatoire des néons forme un mot. L’effet déceptif est quasi immédiat.
Car il n’est précisément pas question de médiation dans cette œuvre : l’œuvre n’a rien à dire, elle ne véhicule ni message, ni consigne. Elle ne propose rien en dehors de ce qu’elle est. Et si par hasard un mot se forme, le fait de le savoir apparu par accident le donne à considérer en tant que signe, dans tout son caractère arbitraire.

Seule présente, la lumière de néons blancs sur une cimaise blanche donne à apprécier la consistance du silence qui l’entoure.

Biographie

Né en 1926, à Cholet, François Morellet est considéré comme l’un des précurseurs du minimalisme new-yorkais. Sa peinture s'efforce d'évacuer la subjectivité individuelle en se tournant vers des préoccupations exclusivement perceptives. 

Après une courte période figurative allant de 1947 à 1950, il s’oriente vers un art délivré de tout romantisme et réalise ses premières toiles abstraites. Il adopte alors un langage géométrique dépouillé qui renvoie aux travaux de l’abstraction constructiviste et plus particulièrement à ceux de Josef Albers. Ses recherches sont marquées par l’art concret [20] et l’œuvre de Max Bill qu’il découvre lors d’un voyage au Brésil, en 1951.

Ses travaux, jusqu’en 1960, sont composés sur des arrangements de formes simples telles que lignes, carrés et triangles. Les modes d’interventions le sont tout autant : superposition, fragmentation, juxtaposition, interférences. Enfin, il emploie un nombre limité de couleurs. Ses choix formels sont d’autant plus simples qu’ils cherchent à mettre en évidence la complexité des phénomènes perceptifs ainsi que le caractère infini des possibilités qu’offre la combinaison d’un nombre restreint d’éléments répétés ; à générer du brouillage, des accidents imprévisibles à partir de données entièrement paramétrées.

A la manière de Josef Albers qui indique les références de ses couleurs au dos des toiles, Morellet expose les éléments qu’il met en œuvre dans ses titres. Marqué par les travaux de Mondrian, exposés en France en 1957 par la galerie Denise René mais dont il connaissait déjà l’existence, il développe une série de pièces autour du motif de la grille, mais pour mieux brouiller les repères orthonormés que celle-ci donne à l’œil pour conforter les positions du cerveau.

Il est, en 1961, l’un des membres fondateurs du G.R.A.V., Groupe de Recherche en Art Visuel [21] dont le mort d’ordre est : le mouvement et l’art à la portée de tous, ce qui le conduira à exposer dans les rues de Paris en 1966, avant que le groupe ne se dissolve en 1968.
Après 1970, débute une troisième période marquée par la création d'œuvres en rapport avec leur support et leur environnement direct. Il réalise alors ses intégrations architecturales, œuvres in situ qui, réagissant aux dispositions géométriques d’un lieu, en biaisent la perception.

 

Julio Le Parc retour sommaire

1928, Mendoza (Argentine)

Julio Le Parc, Multiple, 1970
Carton, papier peint, lames d'aluminium convexes sur contreplaqué, le tout dans une boîte en plexiglas, 30,5x44x4 cm
Exemplaire n°45/175

Cette pièce de Julio Le Parc est l’un des multiples que l’artiste réalise depuis le début des années 1960. De petite dimension et incluant un boîtier de plexiglas, celui-ci est aisément transportable.

Réalisée en 175 exemplaires, cette œuvre, par les matériaux qu’elle agence − du papier peint rouge et blanc et des lamelles d’aluminium —, souligne un parti-pris de conception industrielle. Chacun de ses éléments fait écho à cette esthétique : aplats de couleur, motifs rectilignes parallèles, répétition de la courbure des lamelles toutes équidistantes. L’opposition formelle est binaire : lignes droites et lignes courbes s’interfèrent.

Mais les reflets sur les lames d’aluminium ainsi que la lumière qu’elles projettent sur le papier peint engendrent des accidents visuels qui troublent l’ordre premier de la composition. Les bandes rectilignes se courbent et se déforment. Sous l’éclairage plus aucune bande n’est identique. L’entropie est à l’œuvre.

Biographie

Né en 1928, Julio Le Parc fait ses études à l’École nationale des Beaux-arts de Buenos Aires. En 1958, année où il s’installe à Paris, la galerie Denise René consacre une exposition au mouvement latino-américain MADI, présentant notamment les œuvres de son initiateur, l’artiste brésilien Carmelo Arden Quin Alves Oyarzun qui réalise ses premières sculptures cinétiques entre 1949 et 1950. Installé à Buenos Aires en 1938 et, à travers l’action qu’il mène en Amérique latine, l’influence d’Arden Quin est décisive pour la jeune génération à laquelle Le Parc appartient.

Marqué par les travaux de Vasarely, Julio Le Parc abandonne les matériaux traditionnels de l’art pour se tourner vers l’usage de la lumière et, notamment, de la lumière réfléchie conjuguée au mouvement.
Membre fondateur du G.R.A.V. il cherche à produire un art en lien avec son environnement, tant perceptif que social. Sa manière de concevoir ses compositions de lumières, livrées aux aléas de mouvements partiellement maîtrisés, entre en résonance avec le mot d’ordre de l’exposition que monte le groupe en 1963, « l’Instabilité ».

En 1962, il participe à l’exposition L'Art latino-américain au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Il réalise ses premiers Multiples, des objets qui peuvent être manœuvrés et qui mettent en scène l’environnement dans lequel ils s’inscrivent, en modifiant leur perception à l’aide, par exemple, de lunettes à porter ou de réflecteurs qui projettent des méduses de lumière sur les cimaises.
En 1966, il remporte le Grand Prix international de Peinture à la Biennale de Venise et obtient une exposition personnelle à la galerie Denise René ainsi qu’à la galerie Howard Wise de New York.

Expulsé de France pour avoir participé activement aux ateliers de conception d’affiches lors des événements de Mai 1968, il y revient cinq mois plus tard et s’installe à Cachan, où il réside encore aujourd’hui. En 1972, la Kunsthalle de Düsseldorf lui offre sa première exposition rétrospective.

 

Joël Stein retour sommaire

1926, Saint-Martin-Boulogne (France)

Joël Stein, Neuf trièdres ou Trièdre à 9 cellules, 1963
Aluminium poli, liège peint à l'acrylique blanc, bois,
mélaminé, inox poli, 160x95x20 cm

Au sein du G.R.A.V., chaque artiste présente une spécialité. Celle de Stein repose sur l’emploi de miroirs qui, comme dans cette pièce, donne naissance à des espaces illusoires tout en mettant cette illusion en évidence.
Le titre met en jeu une opposition binaire : la désignation des neuf trièdres renvoie au monde épuré des mathématiques et celle des neuf cellules à celui de la prolifération organique. L’opposition des formes en présence va dans le même sens : des boules nichées dans des angles semblent en constituer le noyau.

Cette pièce est composée de neuf cellules en forme de trièdre, figure géométrique à trois plans. Les trois carrés d’inox poli qui constituent chacun de ces trièdres, en se reflétant, renvoient l’image de six miroirs carrés, c’est-à-dire d’un cube. La boule suspendue en leur centre se multiplie par huit. Enfin, le tout se multiplie par neuf. Si l’on fait correspondre, en adaptant son point de vue, la boule et l’angle en creux du trièdre, l’illusion d’un cube en perspective, en effet, s’impose. L’aspect de l’œuvre se multiplie donc aussi par le nombre de points de vue possibles. L’œuvre constitue comme un organisme rationnellement constitué pour se métamorphoser à l’infini.

Ici encore, l’idée de l’équation opère sur le mode d’une réduction des moyens, réduction qui doit proportionnellement augmenter l’attention que le spectateur accorde à ce qu’il perçoit. La simplicité du dispositif décuple ainsi sa capacité à saisir la complexité de l’effet produit et, avec elle, le met en face de son incapacité à cerner le réel.

Biographie

Né en 1926, Joël Stein étudie aux Beaux-arts de Paris et fréquente l'atelier de Fernand Léger, qui promeut un art libéré de tout lyrisme et « doit s’élever à l’échelle industrielle de son époque ».
Depuis 1956, son travail s’articule autour d’assemblages de miroirs où des formes géométriques simples s’interfèrent, ouvrant sur des espaces virtuels constitués de purs reflets. Parallèlement, il réalise ses premiers tableaux géométriques programmés sur la base d’équations mathématiques. À partir de 1958, il explore l'idée du labyrinthe qu’il développera avec ses confrères du G.R.A.V. pour l’exposition Labyrinthe (organisée en1963).

En 1959 il réalise ses premiers reliefs manipulables et s’intéresse tout particulièrement à la production d’effets moirés, ondulant avec le déplacement du spectateur. En 1962, ses recherches sur la polarisation chromatique de la lumière donnent forme aux premières boites lumineuses, les Polascopes. Du mouvement dû au simple déplacement du champ visuel, Stein passe au mouvement réel et interactif. En 1967, il participe aux côtés d’Yvaral à la création des décors cinétiques de la Prisonnière de Clouzot.
En 1968 Stein introduit le laser et continue ses recherches sur la couleur. Progressivement, de l’espace virtuel des reflets et moirures qu’il mettait en scène, il passe à celui de l’image électronique.

Il enseigne à l'École nationale supèrieure des Beaux-arts de Paris, à la Faculté d’Arts plastiques de Saint-Charles. Son travail fera de plus en plus appel aux nouvelles technologies.

 

Francisco Sobrino retour sommaire

1932, Guadalajara (Espagne)

Francisco Sobrino, Sculpture permutationnelle, 1967-1968
Acier inox "poli miroir", 170x58x58 cm

Cette sculpture permutationnelle représente le point culminant de la volonté d’épure de Francisco Sobrino. Soucieux d’évacuer toute dimension personnelle, il conçoit ici une structure qui cumule différentes réductions du geste créateur.

D’une part l’œuvre résulte de la combinaison d’un seul élément. D’autre part, cet élément, le carré, est parmi les plus réguliers de ceux que compte la géométrie euclidienne. Ensuite son mode d’assemblage est toujours identique, les carrés d’inox s’emboîtent en leur angle, perpendiculairement. Enfin, l’assemblage est variable et n’implique, de fait, aucun savoir-faire en matière de composition.

L’intérêt de la proposition résulte également de son identité ambiguë quant aux catégories traditionnelles : il s’agit d’une œuvre en volume réalisée à partir d’éléments plats.

Biographie

Né en Espagne en 1932, Francisco Sobrino part pour l'Argentine à treize ans. C’est à l’École des Beaux-arts de Buenos Aires, où il fait ses études, qu’il rencontre Demarco, Garcia Rossi et Le Parc.
1958, il réalise ses premières œuvres à partir de combinaisons de carrés et de cercles avec l’idée de dépouiller l’œuvre de toute forme d’affect et de savoir-faire, ce qui l’amène à évacuer l’idée même de composition lorsqu’il entame, en 1959, ses assemblages de formes libres, entièrement modulables.

Au sein du G.R.A.V., il réalise des reliefs à l’aide de formes géométriques simples qui, assemblées, donnent naissance à d’autres formes. Dès 1962, il travaille sur ses structures permutationnelles à partir de formes plates dont il systématise les modes d’assemblage. Ses matériaux privilégiés sont le métal brossé, le plexiglas, tantôt blanc et noir, tantôt en couleur, tantôt transparent. Employant l’inox poli, comme Joël Stein, il s’intéresse en 1963 aux formes virtuelles que produisent différents jeux de miroirs. L’idée de la participation directe du spectateur et l’intervention du mouvement mécanique s’imposent à lui en 1965.

Peu avant la séparation des membres du G.R.A.V., ses recherches le portent à faire interagir ses œuvres avec leur environnement, englobant le vivant et les éléments naturels. C’est ainsi qu’il conçoit en 1981 l’une des premières œuvres fonctionnant à l’énergie solaire.

 

Vassilakis Takis retour sommaire

1925, Athènes (Grèce)

Vassilakis Takis, Musicale, 1977
Haut-parleur, cordes de violon, archer, 250x100 cm

Lorsque Vassilakis Takis rencontre Marcel Duchamp en 1961, ce dernier fréquente régulièrement John Cage et l’avant-garde musicale new-yorkaise qui gravite autour de lui. C’est alors qu’il intègre dans ses pièces non seulement l’usage de haut-parleurs mais aussi les nouvelles idées que colporte le musicien.
Marqué par la pensée Zen et la volonté d’évacuer de ses œuvres toute forme de message, de discours, John Cage compose, en 1952, son œuvre en trois mouvements, 4’33’’ de Silence, s’inspirant lui-même d’un triptyque de monochromes blancs réalisé peu avant par son ami Rauschenberg. En concevant ses Musicales, qui font correspondre surface monochrome et son monotone, Takis s’inscrit consciemment dans cette filiation d’idées.

Le seul son que diffuse cette œuvre n’impose, de fait, aucune mélodie. Le battement qu’elle fait retentir n’est pas exactement régulier. Le visiteur reste libre de respirer à son rythme. Aucun message, ni intellectuel ni affectif, ne l’invite à s’extraire du monde, au contraire, il y est rappelé par tous les sens. 
Suspendue à un câble, comme un fil à plomb d’architecte ou un pendule de médium, une baguette de métal se balance et vient inexorablement se cogner contre la corde de métal tendue, qui l’attire à elle dès que le courant la traverse. La corde est ainsi à la fois l’instrument de ce son et son propre instrumentiste.

Ces Musicales donnent ainsi à voir le son et à entendre les matériaux. Le son donne à entendre l’objet qui l’a produit, il est en quelque sorte son « âme déployée dans l’espace », pour reprendre les termes de Cage.

Biographie

Né à Athènes en 1925, Vassilakis Takis fait ses études d’art en Grèce. En 1954, il décide de s’installer à Paris. Il vit aujourd’hui entre Paris et Athènes.

En 1955, il s’intéresse à l’invention du radar et, en 1958, aux champs électromagnétiques. En faisant danser des boules géantes suspendues sous l’action d’un électroaimant ou tenir en suspension les formes géométriques de ses compositions en hommage aux tableaux de Malévitch − qui cherchait lui aussi à rendre sensibles les forces invisibles qui régissent notre monde par le seul recours à la peinture −, il met en place ce qui deviendra sa marque de fabrique : rendre perceptibles les tensions qui sont à l’œuvre.

Ses premiers Signaux, constitués de tiges métalliques flexibles, clignotent de manière aléatoire. D’aspect  monumental, ces sculptures, pensées pour interagir avec l’espace, insufflent aux paysages un caractère d’étrangeté. Evoquant à la fois des signaux ferroviaires futuristes et des figures totémiques d’un autre âge, elles semblent appartenir à un temps suspendu, hors de l’histoire.

En 1961, il rencontre Marcel Duchamp, alors installé à New York, et son nom est plusieurs fois cité dans les journaux américains, aux côtés de ceux de Iannis Xenaxis et Jonh Cage, comme un des « musiciens » les plus prometteurs du siècle.
Au cours des expériences qu’il mène alors, il conçoit d’introduire des amplificateurs au sein de ses sculptures avec l’idée de les faire résonner dans l’espace qu’elles occupent, produisant une musique hiératique.

 

Piotr Kowalski retour sommaire

1927, Lwow (Pologne) – 2004, Paris (France)

Piotr Kowalski, Identité (n°2), 1973
Œuvre en 3 dimensions. Installation avec de la lumière
Néon, acier, miroir, bois laqué, 85x300x200 cm

Piotr Kowalski, comme beaucoup d’artistes associés à la mouvance cinétique, s’intéresse aux rapports entre arts et sciences. Mais, pour lui, ces deux champs de pratique appartiennent à une même culture et l’un se doit d’interroger l’autre.

Avec Identité (n°2), le spectateur aperçoit trois cubes de néons, de trois tailles différentes, alignés du plus grand au plus petit. Il s’aperçoit en même temps que les trois miroirs ronds qui font face à chacun de ces trois cubes, renvoient de ces derniers une image de même dimension. L’effet est dû à un jeu d’anamorphoses élémentaires : le grand cube se reflète dans un miroir convexe, le moyen dans un miroir plat et le petit dans un miroir concave. La confrontation de l’objet et de son image déformée en évoque une autre, celle de deux visions du monde, l’une objective, l’autre imaginaire. Cette confrontation fait elle-même écho à l’opposition formelle du carré et du rond, et aux symboles qu’ils représentent dans l’imaginaire collectif : le carré, figure du monde rationnel, et le cercle, figure du monde spirituel.

Kowalski met en vis-à-vis deux modes d’appréhension du réel qui, bien qu’opposés, ne s’excluent pas. Le raisonnement le plus carré n’évacue pas pour autant la perception déformée que l’on peut avoir de son objet d’étude ; les esprits les plus rationnels n’échappent pas au régime des illusions ; l’appréhension des idées les plus abstraites ne nous dégage pas de l’emprise des reflets. En ce sens, Identité (n°2) constitue comme une vanité moderne qui nous met en garde contre l’idéalisation des sciences dures et les esprits purement géométriques.

Au sein de chaque miroir, apparaît un effet de perspective différent : dans le miroir convexe, les arêtes du cube se courbent vers le point de fuite ; dans le miroir plat, elles tendent droit vers lui, comme dans une construction renaissante ; dans le miroir concave, c’est vers nous qu’elles tendent, formant une perspective inversée semblable à celles que l’on peut retrouver dans certaines peintures mystiques du moyen-âge.

Depuis la Renaissance, la perspective linéaire met en scène le point de vue de l’individu qui observe le monde ; le monde s’organise autour de lui. Soulignant la relativité des trois points de vue, le jeu d’optique que présente cette pièce interroge la position du sujet placé au centre du monde. Identité (n°2) nous invite à considérer les reflets qu’elle agence comme, à la Renaissance, dans les cabinets de curiosités, on pouvait considérer ceux des anamorphoses.

Biographie

Né en 1927 en Pologne, Piotr Kowalski quitte à dix-huit ans son pays et voyage en Europe et en Amérique du Sud. De 1947 à 1952 il étudie la biophysique, les mathématiques puis l’architecture au MIT (le Massachusetts Institute of Technology) à Cambridge. Refusant de s’engager dans des recherches scientifiques subordonnées aux impératifs de l'armement nucléaire, il développe un travail qui interroge la place prépondérante occupée par les sciences et les chiffres dans nos sociétés contemporaines.

Au cours des années cinquante, il travaille en collaboration avec les architectes Ieoh Ming Pei, Marcel Breuer et Jean Prouvé.
En 1957, il s'installe en France à Montrouge et se consacre à ses activités artistiques, employant notamment la lumière, l'énergie magnétique, et plus tard les hologrammes ainsi que l’image de synthèse afin de remettre en question le « vecteur » historique que constitue l’idéologie du progrès technique. C’est en lien avec l’action citoyenne et la psychologie que Kowalski s’intéresse aux représentations scientifiques.

Sa première grande exposition a lieu à Berne en 1963. À partir de 1967, il conçoit pour des éditeurs des livres-objets, dont deux avec le poète surréaliste Ghérasim Luca. En 1968, il représente la France à la Biennale de Venise. De 1978 à 1985, il enseigne au MIT de Cambridge, où il avait précédemment été étudiant.

En 1981, le Centre Pompidou présente sa Time Machine mettant en scène les représentations de l’histoire et du temps que peuvent déterminer de simples motifs géométriques comme la flèche et le point [22]… Par la suite ses expositions se multiplient ; aux États-Unis, en Allemagne, en Hollande, dans les Pays scandinaves et au Japon. En 1987, il est nommé professeur à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris. A partit de 1988, Kowalski se consacre à des œuvres qui prennent place dans l'espace public, comme à La Défense.
En 1992, avec le soutien de Pontus Hulten, il expose au Centre Pompidou et à la Kunsthalle de Bonn son Cube de la population, qui donne à voir la croissance de la population mondiale en temps réel au moyen de petites billes de verre qui tombent dans un cube transparent à raison de 4,1 par seconde.
Piotr Kowalski meurt le 7 janvier 2004

 

 

TEXTES DE RÉFÉRENCE retour sommaire

Naum Gabo et Anton Pevsner, extrait du Manifeste rÉaliste

Manifeste publié sous forme d’affiche à l’occasion d’une exposition de sculptures des deux frères sur le boulevard Tverkoïé à Moscou, le 5 aôut 1920. Traduit par Nathalie Brunet dans le catalogue de l’exposition Qu’est-ce que la sculpture moderne ?, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris, 1986

« Ni le futurisme, ni le cubisme n’ont donné ce que notre époque attendait d’eux. […] Nous disons : Aucun des systèmes artistiques nouveaux ne résistera à la poussée de la demande de la nouvelle culture en formation tant que les bases mêmes de l’art ne seront pas assises sur le sol ferme des lois réelles de la vie. Tant que les artistes ne diront pas avec nous : tout est mensonge – seules sont véritables la vie et ses lois. Et dans la vie, seul celui qui agit est beau et fort et sage et juste. Car la vie ne reconnaît pas la beauté comme critère esthétique. La Réalité est la beauté la plus élevée. La vie ne reconnaît ni le bien ni le mal ni la justice comme critères moraux. La Nécessité est la plus élevée et la plus juste des morales. La vie ne reconnaît pas la vérité rendue abstraite par l’intellect comme critère de reconnaissance. L’Action est la vérité la plus élevée et la plus exacte. […] Nous disons : L’Espace et le Temps sont nés pour nous aujourd’hui. L’Espace et le Temps sont les seules formes dans lesquelles se construit la vie et dans lesquelles par conséquent il faudrait construire l’art. L’Etat, les systèmes politiques et économiques périssent sous la poussée des siècles. Les idées s’émiettent mais la vie est forte et elle avance et les corps ne peuvent être arrachés à l’espace et le temps est continu dans sa durée réelle […] Avec un fil à plomb dans les mains, avec les yeux aussi précis qu’une règle, l’esprit tendu comme un compas, nous construirons notre œuvre comme l’univers construit la sienne, l’ingénieur un pont, le mathématicien ses calculs d’orbites. […]

1. Nous rejetons dans la peinture la couleur comme élément pictural. […] Nous affirmons que le TON du corps, c’est-à-dire sa capacité matérielle à absorber la lumière est la seule réalité picturale.

2. Nous rejetons dans la ligne sa valeur graphique. Dans la vie réelle des corps il n’y a pas de lignes graphiques. […] Le tracé est un élément graphique, illustratif, décoratif. […] Nous n’affirmons la LIGNE que comme DIRECTION des forces statiques et de leurs rythmes cachés dans le corps.

3. Nous rejetons le volume comme forme plastique de l’espace. Il ne faut pas mesurer l’espace en volumes comme il ne faut pas mesurer le liquide en archines.  Regardez notre espace réel, qu’est-il sinon une profondeur continue ? Nous affirmons la PROFONDEUR comme seule forme plastique de l’espace.

4. Nous rejetons dans la sculpture la masse en tant qu’élément sculptural. Tout ingénieur sait depuis longtemps que la force statique des corps, leur résistance matérielle, ne dépend pas de leur masse. Par exemple, le rail, le contrefort, la poutre, etc. […] Ainsi nous restituons à la sculpture la ligne en tant que direction, ligne qui lui avait été ravie par un préjugé séculaire. Ainsi nous affirmons en elle la PROFONDEUR comme forme unique de l’espace.

5. […] Nous affirmons dans l’art plastique un nouvel élément : les RYTHMES CINÉTIQUES comme formes essentielles de nos perceptions du temps réel. 

Tels sont les cinq principes immuables de notre création et de notre technique de construction. »

 

Victor Vasarely, extrait de Notes pour un manifeste  ou Manifeste Jaune

Publié en couverture du fascicule qui constituait le catalogue de l’exposition Le Mouvement, galerie Denise René, 1955

« Dès le début, l’abstraction dépouille et agrandit ses éléments de composition. Bientôt, la forme-couleur envahit toute la surface bidimensionnelle, le tableau-objet s’offre à cette métamorphose qui le conduit, par les voies de l’architecture, à l’univers spatial de la polychromie. […] LA COMPOSITION PURE est encore une plastique plane où de rigoureux éléments abstraits, peu nombreux et exprimés en peu de couleurs (mates ou brillantes à plat) possèdent, sur toute la surface la même qualité plastique complète : POSITIVE-NÉGATIVE. Mais, par l’effet de perspectives opposées, ces éléments font naître et s’évanouir tour à tour un « sentiment spatial » et donc, l’illusion du mouvement et de la durée. / FORME ET COULEUR NE FONT QU’UN. La forme ne peut exister qu’une fois signalée par une qualité colorée. La couleur n’est qualité qu’une fois délimitée par la forme. Le trait (dessin, contour) est une fiction qui n’appartient pas à une, mais à deux formes-couleurs à la fois. Il n’engendre pas les formes-couleurs, il résulte de leur rencontre. / Deux formes-couleurs nécessairement contrastées, constituent l’UNITÉ PLASTIQUE, donc l’UNITÉ de la création : éternelle dualité de toutes choses, reconnues enfin pour inséparables. C’est l’accouplement de l’affirmation et de la négation. Mesurable et non mesurable, l’unité est à la fois physique et métaphysique. C’est la compréhension de la structure matérielle, mathématique, de l’Univers, tout comme de sa superstructure spirituelle. L’unité, c’est l’essence abstraite du BEAU, la première forme de sensibilité. […] L’ÉCRAN EST PLAN MAIS, PERMETTANT LE MOUVEMENT, IL EST AUSSI ESPACE. Il n’a donc pas deux mais quatre dimensions. Le « mouvement-temps » illusoire de la composition pure, dans la nouvelle dimension offerte par l’écran, et grâce à l’unité, devient mouvement réel. […] Nous possédons, et l’outil et la technique, et enfin la science pour tenter l’aventure plastique-cinétique. […] L’animation de la Plastique se développe de nos jours de trois manières distinctes : 1) Mouvement dans  une synthèse architecturale, où une œuvre plastique spatiale et monumentale est conçue de telle sorte que des métamorphoses s’y opèrent par la suite du déplacement du point de vue du spectateur. 2) Objets plastiques automatiques qui − tout en possédant une qualité intrinsèque − servent surtout comme moyen d’animation au moment du filmage. Enfin, 3) L’investissement méthodique du DOMAINE CINÉMATOGRAPHIQUE par la discipline abstraite. Nous sommes à l’aube d’une haute époque. L’ÈRE DES PROJECTIONS PLASTIQUES SUR ÉCRANS PLANS ET PROFONDS, DANS LE JOUR OU L’OBSCURITÈ, COMMENCE. […] Puisque seules les entités de l’art du passé sont intelligibles, puisqu’il n’est pas permis à tout le monde d’étudier profondément l’Art contemporain, à la place de sa « compréhension » nous préconisons sa « présence ». La sensibilité étant une faculté propre à l’humain, nos messages atteindront certainement le commun des mortels par la voie naturelle de sa réceptivité émotive. En effet, nous ne pouvons laisser indéfiniment la jouissance de l’œuvre d’art à la seule élite des connaisseurs. L’art présent s’achemine vers des formes généreuses, à souhait recréables ; l’art de demain sera trésor commun ou ne sera pas. […] Si l’idée de l’œuvre plastique résidait jusqu’ici dans une démarche artisanale  et dans le mythe de la « pièce unique », elle se retrouve aujourd’hui dans  la conception d’une possibilité de RECRÉATION, de MULTIPLICATION et d’EXPANSION. […] L’avenir nous réserve le bonheur en la nouvelle beauté plastique mouvante et émouvante.»

 

Pontus Hulten, extrait de « MOUVEMENT-TEMPS ou les quatre dimensions de la PLASTIQUE CINÉTIQUE »

Publié dans le fascicule qui constituait le catalogue de l’exposition Le Mouvement, galerie Denise René, 1955

« L’une des grandes inventions de notre siècle, c’est que l’art a fait sien et utilise le facteur temps, nommément la quatrième dimension. […] Le mouvement est une étincelle de vie qui rend l’art humain et véritablement réaliste. Une œuvre d’art douée d’un rythme cinétique qui ne se répète jamais est un des êtres les plus libres que l’on puisse imaginer. Une création qui, échappant à tous les systèmes, vit de beauté. A l’aide du mouvement, l’assertion que l’on fait en créant ne risque pas de faire figure de vérité définitive. Le problème qui se pose à l’art abstrait constructif semble bien être celui-ci […] C’est un art moral, et même si c’est là une morale anarchique et uniquement subjective, elle englobe tous les problèmes qu’implique toute position morale. L’artiste constructeur affirme, sans autre aspect que celui qu’il trouve en lui, cette opinion morale que la sincérité personnelle consciemment réfléchie a une valeur propre en tant que force constructive. […] Lorsque la tâche de l’artiste cesse d’être explicative, au sein d’un système établi, la vision statique de l’image se trouve nécessairement en recul. […] Lorsqu’il veut se réaliser dans son art, pourquoi lui faudrait-il restreindre la richesse merveilleuse de ses possibilités ? Il ne peut plus se contenter d’une perspective ou de toute autre méthode déjà inventée. Ses images, sa réalité, ne peuvent pas rester toujours liées à un lieu fixe, dans le temps et dans l’espace. Ces symboles de sa liberté doivent être plus libres encore qu’il n’a la force de l’être lui-même. »

 

 

Chronologie retour sommaire

1909
- Publication du Manifeste du Futurisme de Filippo Tommaso Marinetti dans Le Figaro (suivi en 1910 du Manifeste des peintres futuristes dans La Comedia qui met l’accent sur les découvertes du Divisionnisme).

1911 
- Les Cubistes désarticulent les notions d’espace-temps en inventant de nouveaux modes de représentation.

1913 
- Marcel Duchamp réalise Roue de bicyclette, première œuvre mobile.

1914 
- Percy Wyndham Lewis, fondateur du Vorticisme en Angleterre, publie « Notre Vortex » dans le premier numéro de la revue Blast affiliée au mouvement.

1915 
- À Pétrograde, Kasimir Malévitch présente ses premières œuvres suprématistes à l’occasion de la dernière exposition futuriste, « 0.10 », qu’il organise ; Vladimir Tatline y expose Contre-Relief d’angle, première sculpture géométrique abstraite suspendue qui annonce les réalisations constructivistes. Les deux artistes se disputent publiquement. Les deux mouvements seront par la suite en opposition. Le terme « constructivisme » sera d’ailleurs employé pour la première fois en 1917 par Malévitch pour désigner ironiquement les œuvres d’Alexander Rodtchenko.

1920 
- Vladimir Tatline réalise son projet de Monument à la Troisième Internationale.
- Naum Gabo et Anton Pevsner publient le Manifeste réaliste qui marque l’avènement du constructivisme en Russie.
- Naum Gabo réalise une petite sculpture cinétique avec un fil d’acier mis en mouvement par un moteur.
- Marcel Duchamp réalise Rotary Glass Plates, première sculpture cinétique à moteur.
- Man Ray crée ses premiers mobiles, non motorisés, Abat-Jour et Obstruction.

1921 
- À Berlin, Viking Eggeling commence son film abstrait Diagonal Symphony.

1922 
- Publication du Manifeste sur le système dynamico-constructif des forces par Laszlo Moholy-Nagy et Alfred Kemeny.
- Laszlo Moholy-Nagy commence l’élaboration de sa Licht Machine, qu’il achèvera en 1930.

1925 
- Réalisation du film Anémic Cinéma par Marcel Duchamp avec la collaboration de Man Ray.

1932 
- Alexander Calder réalise ses premiers Mobiles, ainsi baptisés par Marcel Duchamp.

1934
- À Milan, Bruno Munari réalise ses premiers mobiles à air et autres Machines inutiles (il en projetait déjà la réalisation dans ses dessins de 1930).

1935 
- Marcel Duchamp conçoit ses Rotoreliefs pour tourne-disques et les présente au concours Lépine.

1944 
- En juillet, ouverture de la galerie Denise René, 124 rue de la Boétie, avec la première exposition de Victor Vasarely.
- Richard Mortensen expose à Copenhague une vaste composition picturale avec éléments mobiles.

1948 
- Premières recherches sur la « spatio-dynamique » de Nicolas Schöffer, collaboration avec Pierre Henry, Henri Pousseur et Pierre Schaeffer.

1949 
- Carmelo Arden Quin Alves Oyarzun fonde le mouvement MADI pour le rassemblement des artistes d’avant-garde dans les pays de l’Amérique latine et commence la série des Reliefs amovibles, annonçant les Méta-mécaniques de Jean Tinguely ou les Plans mobiles de Pol Bury.

1951 
- L’architecte, artiste et critique André Bloc, proche de la galerie Denise René, fonde le Groupe Espace à Paris et projette la réalisation de ses premières œuvres cinétiques.

1953 
- Première exposition de tableaux transformables de Yaacov Agam à la galerie Craven.

1954 
- Exposition des automates de Tinguely à la galerie Arnaud, Paris.
- L’artiste et ingénieur en aéronautique Frank Malina réalise ses premiers Lumidynes.

1955 
- Exposition Le Mouvement, à la galerie Denise René. Y exposent Agam, Bury, Calder, Duchamp, Jacobsen, Soto, Tinguely et Vasarely, lequel, à l’initiative de l’événement, publie le Manifeste jaune dans le catalogue (le titre étant dû à la couleur du papier). Les idées formulées dans le manifeste sont en grande partie reprises des articles publiés par l’artiste dans la revue Cimaises, l’année précédente.
- Publication de l’article de Karl Gerstner sur « L’art transformable » dans la revue d’Art concret Spirale, à Bern (alors dirigée par Marcel Wyss et Eugen Gomringer).

1956 
- Pour le Festival d’art d’avant-garde de Marseille organisé par Jacques Polieri dans la Cité Radieuse de Le Corbusier, Michel Ragon expose des œuvres de Nicolas Schöffer, Jésus Raphaël Soto, Yaacov Agam, Jean Tinguely, Yves Klein et Victor Vasarely.
- Entrée de Nicolas Schöffer à la galerie Denise René après s’être distingué au festival de Marseille.

1957 
- La galerie Denise René organise une exposition d’André Bloc, Mortensen, Pillet, Vasarely et Rijeka à Zagreb.

1958 
- La galerie Denise René organise une exposition du groupe argentin MADI.

1959
- Première exposition à la galerie Loeb de Paris des éditions MAT (Multiplication d'Art Transformable), dirigées par Daniel Spoerri ; éditions d’œuvres d’art sous forme de multiples, dont chaque exemplaire a lui-même pour propriété de revêtir des formes multiples.
- Exposition itinérante de Vasarely, en Amérique latine.
- Exposition des jeunes artistes yougoslaves Bakic, Picelj et Srnec à la galerie Denise René, Paris.

1960 
- Editions MAT, œuvres d’art de Paris qui se meuvent ou sont mues au Kunstgewerbemuseum de Zürich, il s’agit de la première exposition organisée dans un musée pour laquelle le terme « cinétique » est employé.
- Exposition des sculptures hydrauliques et lumineuses de Gyula Kosice à la galerie Denise René.
- Ballets lumineux d’Otto Piene, galerie Schmela, Düsseldorf.
- Exposition personnelle de Takis, L’homme dans l’espace, galerie Iris Clert, Paris.
- Section Art cinétique au IIIe Festival de l’art d’avant-garde à Paris, avec Agam, Piene, Soto, Bury, Malina, Tinguely, Dieter Roth…
- Exposition L’art animé et multiplié de Bruno Munari à la galerie One en Angleterre.
- Brion Gysin et Ian Sommerville publient les plans de leur Dream Machine.

1961 
- Formation du G.R.A.V., Groupe de Recherche d’Art Visuel, réunissant François Morellet, Julio le Parc, Yvaral, Francisco Sobrino, Joël Stein et Horacio Garcia Rossi qui exposent la même année à la galerie Denise René.
- Hugo Demarco, Olle Baertling, Geneviève Claisse et Paul Morisson entrent à la galerie Denise René.
- Exposition Nouvelle Tendance à la galerie d’art contemporain de Zagreb organisée par Ivan Mestrovic et Almir Mavignier.
- Daniel Spoërri organise l’exposition Bewogen Beweging (Émouvant mouvement) au Stedelijk Museum  dAmsterdam.
- En reprenant l’exposition Bewogen Beweging, Pontus Hulten organise l’exposition Rorelse i Konsten (Le mouvement dans l’art), dans le Musée d’art moderne de Stockholm et fait du mouvement « un mouvement » comme l’écrit Hans Richter, enthousiasmé par l’initiative.
- Exposition de Vasarely à la galerie Hanover en Angleterre (marque les débuts de la pratique de Bridget Riley).

1962
- Exposition Instabilité du G.R.A.V., à la Maison des Beaux-arts de Paris en avril.
- Luigi Tomasello, Karl Gertsner exposent ensemble à la galerie Denise René.
- Nouvelle exposition intitulée Nouvelle Tendance à Anvers.
- Succès de l’Optical Art à Londres avec notamment l’exposition de Bridget Riley à la galerie One.

1963
- Exposition Nicolas Schöffer, organisée par la galerie Denise René au Musée des arts décoratifs de Paris.
- Carlos Cruz-Diez entre à la galerie Denise René.
- Nouvelle exposition intitulée Nouvelle Tendance à Venise.
- Au Jewish Museum de New York, Alan Solomon et le collectionneur Ben Heller organisent l’exposition Vers une nouvelle abstraction.

1964
- Exposition Mouvement 2 en décembre à la galerie Denise René, Martha Boto et Gregorio Vardanega entrent alors à la galerie Denise René.

1965
- Au MoMA de New York, l’exposition The Responsive Eye, considérée comme l’exposition fondatrice de l’Op’art, est organisée par William C. Seitz avec la collaboration de Denise René ; elle mêle des œuvres parisiennes et américaines de manière avantageuse (Bridget Riley, Josef Albers, Victor Vasarely, Agam, Richard Anuszkiewicz, Karl Gerstner, Julio Le Parc…).
- Ouverture de l’(Op)Art Galerie par Hans Meyer à Esslingen.
- Exposition Art et Mouvement au Musée de Tel-Aviv, organisée par son conservateur, Haim Gamzu.
- L’exposition Lumière et Mouvement, organisée par Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne, puis à Baden-Baden, présente une section Op’art.
- Expositions d’Art cinétique un peu partout en Europe : Glasgow, Edimbourg, Manchester, Stuttgart, Karlsruhe, Tel-Aviv, La Haye, Eindhoven…

1966
- Julio Le Parc obtient le Grand Prix de Peinture de la Biennale de Venise et sa première exposition personnelle à la galerie Denise René.
- Première exposition personnelle d’Yvaral à l’(Op)Art Galerie de Hans Mayer, à Esslingen, en Allemagne.
- Exposition Kunst Licht Kunst sur le lumino-cinétisme, au Stedelijk Van Abbemuseum d’Eindhoven, en Hollande ; organisée par son conservateur Jan Leering et l’historien de l’art optique et cinétique Frank Popper.
- Exposition du G.R.A.V. dans les rues de Paris, Une journée dans la rue, le 19 avril.
- Robert Rauschenberg et l’ingénieur Billy Klüver créent l’association Experiments in Art and Technology, le E.A.T., qui comptera près de 3 000 membres à la fin des années 1970.

1967
- Ouverture de la galerie Denise René-Hans Meyer à Krefeld avec l’exposition Von Konstruktivismus zur Kinetik, 1917 bis 1967.
- Exposition Lumière et Mouvement au Musée d’art moderne de la Ville de Paris : Bernadette Contensou, Henri Cazaumayou, conservateurs du MamVP, invitent Frank Popper à proposer une sélection d’artistes.
- Exposition Structure, Lumière, Mouvement à la galerie Denise René.
- Exposition personnelle de François Morellet à la galerie Denise René, Morellet. Multiples. Soto y présente ses Pénétrables.
- Création du département d’art multimédias au MIT, le Massachusetts Institute of Technology de Cambridge, par Gyorgy Kepes.

1968
- L’Op’art et l’Art cinétique occupent une place importante à la Documenta 4 de Kassel.
- Pontus Hulten organise l’exposition The Machine as Seen at the End of the Machanical Age au MoMA, New York.
- Première exposition personnelle à la galerie Denise René de Francisco Sobrino.

1969
- Ouverture de la galerie Denise René-Hans Meyer für Grafik und Objekte à Düsseldorf.
- Première exposition personnelle d’Yvaral et de Carlos Cruz-Diez en France à la galerie Denise René.

1970
- Publication de Plasti-cité de Victor Vasarely.

1971
- Ouverture de la galerie Denise René à New York, ouverture d’une seconde galerie Denise René à Düsseldorf, galerie Denise René-Hans Meyer Grabbeplatz.
- Commande à Agam du Salon de l’Elysée.

1975
- Exposition Le Mouvement 1955, Anniversary Exhibition à la galerie Denise René à NewYork.

1977
- La galerie Denise René s’installe face au Centre Pompidou, 113 rue Saint-Martin pour devenir la galerie Denise René Beaubourg.

1983
- Exposition Electra de Frank Popper au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.

2001
- Exposition rétrospective Denise René, l’intrépide au Centre Georges Pompidou.

2005
- Exposition rétrospective L'œil moteur, art optique et cinétique de 1960 à 1975, Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.

2006
- Exposition rétrospective The Expanded Eye au Kunsthaus de Zürich.

 

 

Bibliographie sÉlective retour sommaire

ESSAIS 

Stephen WILSON, Art + Science, trad. Gilles Berton, éditions Thames & Hudson, Paris, 2010
Océane DELLEAUX, Le Multiple d’artiste, histoire d’une mutation artistique, l’Harmattan, Paris, 2010
Pierre ARNAULD, Cruz-Diez, La Différence, Paris, 2008
Pierre ARNAULD, Calder : mouvement et réalité, Hazan, 2009
Joe HUSTON, Optic Nerve : perceptual art of the 1960s, éditions Merrell/Columbus Museum of Art, 2007
Robert MORGAN, Vasarely, éditions Georges Braziller, New York, 2004
Pontus HULTEN, « La liberté substitutive », texte de 1955, in Tinguely, éditions Centre Georges Pompidou, 1989
Cyril BARRETT, Op'art, éditions Studio Vista, Londres, 1970
Frank POPPER, L’Art cinétique : l’image du mouvement dans les arts plastiques depuis 1860, Gauthier-Villars, Paris, 1970
Nicolas SCHÖFFER, Le nouvel esprit artistique, Denoël, Paris, 1970
René PAROLA, Optical Art Theory and Practice, éditions Van Nostrand, Reinhold Company, New York, 1969
Frank POPPER, Naissance de l'art cinétique, Gauthier-Villars, Paris, 1967

 

CATALOGUES

• Bridget Riley ; rétrospective, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, éditions Paris-Musées, 2008
• L’œil moteur : art optique et cinétique, 1950-1975, sous la direction d’Emmanuel Guigon, éditions Musées de Strasbourg, 2005
Denise René, L’intrépide : une galerie dans l’aventure de l’art abstrait, 1944-1978, éditions Centre Pompidou, 2001
• Light pieces, éditions Casino Luxembourg, Forum d'art contemporain, Luxembourg, 2000
• G.R.A.V.  : Groupe de recherche d’art visuel, 1960-1968, Magasin-Centre national d’art contemporain, Grenoble, 1998
• Zero International, éditions Gilbert Perlein et Musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice, 1998
• Piotr Kowalski : time machine + projects, éditions Centre Georges Pompidou, 1981, Paris
Kinetic art : theory and practice, sous la direction de Frank J. Malina, éditions Dover, 1974
• The Responsive Eye, sous la direction de William C. Seitz, éditions MoMA, New York, 1965

 

REVUES

Dossier : « L’Op’art hier et aujourd'hui : rétrospective à Strasbourg », in Art Press n°314, juillet 2005
La Sculpture en mouvement, Artstudio n°22, 1992

 

LIENS

Le site de la galerie Denise René

Le site de la Fondation Vasarely

Le site de Carlos Cruz-Diez

Le site de Julio Le Parc

Le site officiel sur Piotr Kowalski

Le site officiel sur Soto

Le site de Joël Stein

Voir Anémic Cinéma de Marcel Duchamp, sur You Tube

Ce dossier a été réalisé à l’occasion de l’accrochage des Collections modernes présenté au Musée national d’art moderne, en 2010. Pour vous renseigner sur la présentation actuelle des œuvres

 

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© Centre Pompidou, Direction des publics, novembre 2010
Texte : Norbert Godon
Pour les œuvres : Adagp, Paris 2010
Design graphique : Michel Fernandez
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques

 

 

[1] Littéralement traduit par « Mouvement ».

[2] A noter que Duchamp, ayant immigré aux États-Unis, était alors bien connu des milieux artistiques américains mais presque oublié en France. 

[3] La galerie One, créée par le poète Victor Musgrave, sera l’une des premières à représenter l’art optique à Londres.

[4] Bridget Riley découvre les travaux de Vasarely à Londres lors de son exposition à la galerie Hanover en ­1961. Avec Peter Sedgley et Jeffrey Steele, elle représente l’une des figures de proue de l’Optical art anglais.

[5] Y exposent notamment Victor Vasarely, Jaacov Agam, Karl Gerstner, Julio Le Parc, Richard Anuszkiewicz et Josef Albers, artiste allemand, ancien professeur du Bauhaus, émigré aux Etats-Unis avant la Seconde Guerre. Albers permet de faire un pont, d’une part entre les deux continents, d’autre part entre ces nouvelles formes et la tradition moderne de l’abstraction géométrique.

[6] Expression employée aux États-Unis pour désigner l’abstraction géométrique. Cette filiation était assurée, dans l’exposition, par la présence des travaux de Josef Albers.

[7] Notons cependant que le conservateur William C. Seitz sera accusé d’avoir servi, à travers cette exposition, les intérêts de quelques collectionneurs d’abstraction géométrique et l’art européen. Il sera contraint de donner sa démission suite aux débats virulents qu’elle provoque.

[8] Pontus HULTEN, « La liberté substitutive », texte de 1955, in Tinguely, éditions Centre Georges Pompidou, 1989.

[9] Et à leur suite, les Vorticistes anglais, sous l’impulsion de Wyndham Lewis.

[10] Parmi ses premiers travaux, Jean Tinguely réalise ses Méta-Malévitch, réactualisant la démarche de Malévitch par l’introduction d’un mouvement réel dans ses compositions. Pour ce faire, il conçoit des mécanismes dont le fonctionnement vise à libérer le temps des mouvements de l’horloge auxquels sa perception est soumise, de le rendre à son caractère aléatoire, plutôt que de le mesurer.

[11] Theo van Doesburg en colporte les idées dès 1921 ; les enseignants du Bauhaus, émigrant pour fuir le régime nazi, en transmettront les valeurs outre-Atlantique.

[12] Les plans de la Dream Machine  sont aujourd’hui accessibles sur le web afin que tout un chacun puisse la réaliser gratuitement.

[13] Avant cette réalisation sur pellicule, Hans Richter commença à peindre sur des rouleaux qui suggèrent une animation de formes abstraites : Preludium, en 1919 et Fugue 20, en 1920.

[14] Voir le dossier Marcel Duchamp dans les collections du Mnam.

[15] L’exposition Rorelse i Konsten  organisée en 1961 par Pontus Hulten, au Moderna Museet de Stockholm, reprend l’exposition Bewogen Beweging que Daniel Spoerri avait organisée au Stedelijk Museum d'Amsterdam, la même année. Bewogen Beweging se traduit par « Émouvant mouvement » et Rorelse i Konsten par « Le mouvement dans l’art ».

[16] Voir le dossier Le Nouveau Réalisme dans les collections du Mnam.

[17] Tinguely quitte la galerie en 1956 pour rejoindre celle d’Iris Clert en 1958. Même s’il revient par la suite, Soto s’en va également. Nicolas Schöffer, le concepteur de sculptures « spatiodynamiques » et « cybernétiques », après s’être distingué au Festival d’art d’avant-garde de Marseille, entre à la galerie en 1956, mais il s’en éloignera quelques temps. François Morellet, futur membre du G.R.A.V., sollicite Denise René dès 1956 sans obtenir satisfaction. Il ne présentera ses œuvres dans son espace qu’à l’occasion des événements que le groupe y organisera peu après sa création, et n’y aura sa première exposition personnelle que dix ans plus tard.

[18] La défonce est une technique d’imprimerie qui consiste à éviter la superposition des couches de couleur en laissant des réserves afin qu’elles ne se mélangent pas. Les écarts de défonce constituent un défaut d’impression qui se caractérise par un fin liseré apparaissant autour d’une forme, une lettre par exemple, lorsque les zones d’impression ne sont pas bien alignées.

[19] Publication de l’ouvrage Plasti-cité en écho à ses travaux.

[20] La notion « d’art concret », désignant une forme d’art géométrique qui vise à évacuer « toute expression subjective », est posée par l’artiste néerlandais Theo Van Doesburg dans le Manifeste de l’art concret publié à Paris, en 1930. Ce manifeste accompagne la fondation du groupe d’artistes éponyme. Cette appellation s’oppose à la notion « d’art abstrait » défendue par Michel Seuphor qui, un an auparavant, avait fondé le groupe  d’abstraction géométrique Cercle et Carré, à Paris également. En 1936, l’artiste suisse Max Bill reprend les thèses principales du manifeste de Van Doesburg, prônant notamment l'utilisation des sciences exactes et des mathématiques dans la construction des œuvres d'art.

[21] Les membres fondateurs du G.R.A.V. sont Julio Le Parc, François Morellet, Yvaral, Francisco Sobrino, Horacio Garcia Rossi, Joël Stein

[22] En savoir plus sur la Time Machine de Piotr Kowalski.