Dossiers pédagogiques - Collections du Musée
Un mouvement, une période

Tendances
de la Photographie
Contemporaine

 


Jeff Wall, Picture for women, 1979

Introduction

Les artistes et leurs œuvres
Bernd et Hilla Becher, Hochöfer,1980
Jeff Wall, Picture for women, 1979
• Jean-Marc Bustamante, T 21 A.79, Tableau n° 21, version A, 1979
Cindy Sherman, Untitled # 141, 1985
Sophie Calle, Les poissons me fascinent et Le beau j'en ai fait mon deuil (série les Aveugles), 1986
Suzanne Lafont, Marcheur, 1995-1998, Balayeur, 1997, Gardien, 1997, Dormeur, 1997
Andreas Gursky, Madonna I, 2001
Thomas Ruff, Portrait (Andrea Knobloch), 1990

Texte de référence

Bibliographie sélective

Contact

Ce dossier s’inscrit dans une série Un mouvement, une période, qui est régulièrement augmentée dans cette partie du site.
• Ces dossiers sont réalisés autour d’une sélection d’œuvres des principaux mouvements ou tendances représentés dans les collections du Musée national d’art moderne.
• S’adressant en particulier aux enseignants et aux responsables de groupe, ils ont pour objectif de proposer des points de repère et une base de travail pour faciliter l'approche et la compréhension de la création du 20e siècle ou pour préparer une visite au Musée.

Ce dossier comporte :
- une présentation générale,
- une sélection des œuvres des collections du Musée les plus représentatives, traitées par fiches comportant une notice d’œuvre, une reproduction et une biographie de l’artiste,
- un texte de référence,
- une bibliographie sélective.

A NOTER
Les collections du Musée comportent plus de 59 000 œuvres. Régulièrement, le Musée renouvelle les œuvres présentées dans ses espaces situés aux 4e et 5e niveaux du Centre Pompidou. Les dossiers pédagogiques sont réalisés en lien avec ces accrochages.
Pour en savoir plus sur les collections du Musée : www.centrepompidou.fr/musee

 

 

Introduction

La pratique de la photographie, depuis une trentaine d’années, s’est rapprochée du milieu des arts plastiques, au point de devenir l’un des domaines où sont abordées les problématiques artistiques les plus pertinentes par rapport au monde actuel.
La photographie contemporaine se distingue d’une pratique de la photographie classique par de nombreux aspects.
En particulier, elle a su se libérer des « deux alibis » que dénonçait Roland Barthes dans un article de 1977 : « tantôt on sublime [la photographie] sous les espèces de la "photographie d’art" qui dénie précisément la photographie comme art ; tantôt on la virilise sous les espèces de la photo de reportage, qui tire son prestige de l’objet qu’elle a capturé ». La photographie intéressait pour des qualités issues de l’ingéniosité du photographe ou en tant que témoignage héroïque. A partir de la fin des années 70, elle commence à être utilisée pour ses caractéristiques propres.

Tout d’abord, elle est pensée comme un outil conceptuel plutôt que technique.
C'est le cas chez Bernd et Hilla Becher, souvent apparentés à l’art conceptuel. Ils photographient de manière systématique des bâtiments industriels avec une technique traditionnelle, desquels ils dégagent une approche esthétique et documentaire. Leur enseignement à Düsseldorf influence toute une génération d’artistes, Thomas Ruff et Andreas Gursky, entre autres, dont les photographies monumentales, retravaillées par la technique numérique, explorent les limites du réalisme.
Cindy Sherman, quant à elle, interroge les effets de la multiplication des images, due aux mass media, sur notre interprétation du réel et nos comportements.

Certains artistes, comme Sophie Calle, revendiquent même le fait d’ignorer les subtilités des manipulations techniques. Ils font appel, le cas échéant, à des photographes professionnels pour réaliser leurs clichés. Car l’essentiel de leur travail est ailleurs, la photographie ne représentant qu’un des éléments visuels de leur projet.
Ce dédain pour la technique et le métier se manifeste aussi par l’utilisation d’appareils autofocus et, surtout, de la pellicule couleur qui renvoie à une pratique grand public. Ainsi, certains photographes s’appuient sur le modèle de l’album de famille, multipliant les clichés pour dérouler une narration, souvent intime et autobiographique, comme c'est le cas pour Nan Goldin.

Mais la photographie couleur peut aussi être utilisée pour ses qualités purement plastiques et jouer avec les composantes de l’image comme dans une œuvre picturale. Car, en dernier lieu, un grand nombre de photographes utilise ce médium pour créer des images autonomes, de même que les peintres se servent des couleurs pour réaliser leur tableau.
Pour Jeff Wall, par exemple, si la photographie est un moyen « up to date » pour créer des images qui s’inscrivent sans anachronisme dans notre monde moderne, il la conçoit aussi dans le prolongement des problématiques picturales classiques.
De même, Jean-Marc Bustamante cherche à « faire des photographies qui aient valeur de tableau » et qui proposent des représentations plutôt que des reproductions.

Trois orientations majeures marquent donc la pratique de la photographie contemporaine : celle du document qui contrarie ou sublime la réalité, celle de la narration qui se rapproche du cinéma et celle de la tradition picturale qui donne à voir des tableaux. Une artiste comme Suzanne Lafont parvient toutefois à interroger ces aspects en pratiquant la photographie non pas pour « cataloguer le monde » mais pour « trouver une nouvelle relation entre le monde et [cet] instrument ».

 

Les artistes et leurs œuvres

Bernd et Hilla Becher
Bernd, Siegen (Allemagne), 1931 - Hilla, Potsdam (Allemagne), 1934

Bernd et Hilla Becher, Hochöfer, 1980 (Sans titre),
de la série « Têtes de Hauts-fourneaux », 1979-1991

Homecourt, Lorraine
Epreuve gélatino-argentique
59 x 49 x 2 cm
(hors marge : 39,6 x 30,4 cm)

Les hauts-fourneaux appartiennent à une série de photographies intitulées Typologie des monuments industriels. Cette série a été développée sur une période de 30 ans pendant laquelle Bernd et Hilla Becher ont recensé et photographié des bâtiments industriels : châteaux d’eau, tours de refroidissement, puits de mine, silos et hauts-fourneaux.

Avec une technique invariable et rigoureuse, ils procèdent de manière systématique en plaçant le bâtiment ou la structure photographié au centre de l’image, l’isolant autant que possible de son environnement et bannissant du cliché toute source de distraction (individus, nuages, ou fumée).
Ces images montrent que l’intention esthétique précède le projet documentaire. Présentées dans un accrochage dense, sous forme de tableau de 9, 12 ou 15 photographies, sur plusieurs rangées, leur sens de lecture peut être horizontal, vertical ou diagonal.

Les typologies font également l’objet de publications regroupant en général un seul type fonctionnel d’édifice, comme les Hochöfer (hauts-fourneaux) qui ont donné lieu à un livre en 1990. Comme dans la plupart de leurs ouvrages, Bernd et Hilla Becher y décrivent les qualités plastiques des bâtiments :
« Si les atouts ou les habillages esthétiques restent possibles jusqu’à un certain degré pour les autres constructions industrielles massives, la chaleur, la pression et le dégagement de gaz des hauts-fourneaux les excluent. Leurs différents éléments restent visibles de l’extérieur. D’un point de vue anatomique, le haut-fourneau est donc semblable à un écorché. La forme est donnée par les organes internes, les vaisseaux, le squelette… Les paysages urbains de Pittsburgh, Birmingham, Charleroi, Longwy et Duisburg sont dominés par leurs hauts-fourneaux tout comme les cités médiévales l’étaient par leurs cathédrales.»

Biographie

Bernd Becher est né en 1931 à Siegen dans une région minière. Après un apprentissage de peintre décorateur, il étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts de Stuttgart. Il peint les paysages de sa région natale avant de recourir pour la première fois à la photographie en 1957 pour faire le portrait d’une mine en cours de démolition.

Née en 1934 à Potsdam, Hilla Becher, photographe de formation, quitte Berlin Est pour suivre sa carrière professionnelle en Allemagne de l’Ouest. Elle devient responsable du laboratoire photographique de l’Académie Düsseldorf.

Bernd et Hilla Becher se rencontrent en 1959, l’année où débute leur collaboration avec une série de photographies de mines et maisons ouvrières de la zone industrielle de Siegen. Leur travail est tout d’abord estimé par les ingénieurs et théoriciens de l’architecture.
En 1969, l’exposition « Sculptures anonymes », de Bernd et Hilla Becher, est organisée simultanément avec une rétrospective de l’art minimal américain. De nombreux commentaires soulignent des affinités entre les deux projets, notamment la sobriété des formes et la présentation en série. Reconnus depuis par le milieu de l’art, les photographes sont souvent apparentés aux artistes conceptuels.

Bernd Becher ouvre la première classe de photographie artistique en 1976 qu’il dirige jusqu’en 1996. Candida Höfer, Thomas Ruff, Thomas Struth et Andreas Gursky comptent parmi ses élèves.
Inclassable, l’œuvre de Bernd et Hilla Becher s’inscrit à la fois dans l’histoire de la photographie documentaire des années 20 et l’art conceptuel des années 70. C’est précisément cette tension entre recherches formelles et préoccupations documentaires qui explique, en partie, une reconnaissance tardive.

• En savoir plus sur Bernd et Hilla Becher  : une page du site de la collection Guggenheim

 

Jeff Wall
Vancouver (Canada), 1946

Jeff Wall, Picture for women, 1979
Epreuve cibachrome, caisson lumineux
161,5 x 223,5 x 28,5 cm

Picture for women est l’une des premières œuvres de Jeff Wall. Si son titre fait allusion au contexte du militantisme féministe des années 70 et aux théories de la différence entre homme et femme qui ont particulièrement marqué les intellectuels anglo-saxons, son thème est plus précisément celui de la séduction et du croisement des regards, en référence à un tableau d’Edouard Manet, Un Bar aux Folies-Bergères.
Dans cette peinture de 1881-1882, une serveuse se tient devant une table de service. Son regard mystérieux se pose on ne sait où. Seule la construction spatiale, très élaborée, du tableau permet d’en expliquer le trouble. Derrière la jeune femme, un miroir reflète la salle du bar, la table où elle s’appuie, sa silhouette de dos, ainsi que l’homme qui s’adresse à elle et avec lequel le point de vue du peintre se confond. C’est cet homme qu’elle regarde de biais.

Dans la photographie de Jeff Wall, le thème est transposé dans le cadre contemporain d’une séance de prise de vue. La jeune femme au premier plan ne regarde pas un éventuel spectateur en face d’elle. Ses yeux se fixent ailleurs. Pour comprendre leur trajectoire il faut recomposer la prise de vue de l’image. La scène a été captée dans un miroir et non photographiée frontalement. Ainsi, l’effet de perspective, naturellement induit par la photographie, s’annule et l’attention du spectateur est reconduite à la surface de l’image. On comprend alors que les yeux de la jeune femme croisent ceux du photographe qui la regarde lui aussi, mais indirectement, dans le reflet du miroir.

Manet, en réalisant sa toile à la fin du XIXe siècle, inventait une nouvelle construction de l’espace où l’illusionnisme propre à la création picturale était démultiplié. Jeff Wall prolonge cette recherche en l’appliquant à l’outil photographique, comme il le fait aussi dans Le Conteur, 1986 (Musée d’art moderne de Francfort), où il cite une œuvre majeure de Manet, fondatrice de la pratique picturale moderne, Le Déjeuner sur l’herbe.

Biographie

Jeff Wall est né à Vancouver, où il vit encore aujourd’hui. Dans les années 60, il étudie l’histoire de l’art à l’Université de Columbia, tout en participant à des mouvements d’art conceptuel et en s’initiant à la photographie en autodidacte. A partir de 1974, après l’obtention de son doctorat, il enseigne dans une école d’art à Halifax, puis à l’Université de Vancouver.

A l’occasion d’un voyage en Europe, en 1977, il découvre la peinture de Vélasquez et la réflexion sur la représentation qu’elle implique. Mais, prenant conscience que la matière picturale provoque un effet anachronique chez le spectateur d’aujourd’hui, tant la peinture est désormais absente du quotidien, il décide de reprendre et de traiter les grands problèmes picturaux traditionnels par des moyens en adéquation avec notre époque, « up-to-date », projet qu’il commencera à réaliser l’année suivante.

Ainsi ses photographies font-elles souvent référence à des toiles célèbres de Manet mais aussi de Delacroix, Géricault, Watteau… Les tirant d’abord sur papier transparent de grand format, puis les posant sur un tissu blanc pour accentuer leur luminosité, il les place ensuite dans un caisson à éclairage électrique.
Ce dispositif procure à son travail un caractère spectaculaire. Il restitue, selon lui, à la photographie la prestance et le rayonnement que la peinture a perdus, et permet à ses images de rivaliser avec l’efficacité visuelle de la publicité omniprésente.
Ainsi, la photographie lui fournit un moyen d’être « le peintre de la vie moderne », comme il y insiste en citant Baudelaire.

• En savoir plus sur Jeff Wall, le site de la galerie Marian Goodman, son représentant en France

 

Jean-Marc Bustamante
Toulouse, 1952

Jean-Marc Bustamante, T.21A.79
1/1
Epreuve cibachrome
103 x 130 cm

Le titre apparemment énigmatique attribué à cette œuvre par Jean-Marc Bustamante, comme à la plupart de ses travaux, indique la nature du projet. Le « T » renvoie à « tableau », le numéro « 21 » correspond à l’ordre de la photographie au sein d’une série, le « A » mentionne la version et « 79 » est sa date de réalisation.

Bustamante entend produire des tableaux photographiques, l’équivalent de peintures avec l’outil photographique, comme en témoignent leur grand format et l’utilisation de négatifs en couleur.
Mais il les organise en série, comme s’il s’agissait d’enquêtes topographiques, ce qui procure à son travail un caractère de neutralité. Pour éviter tout effet de dramatisation, il intervient notamment quand le soleil est au zénith. Ce qui explique, dans ce tableau, l’éclatante blancheur de la maison et l’absence d’ombres portées. Heure inhabituelle pour un photographe, ce moment permet à l’artiste de gommer la matérialité des objets, comme si les paysages qu’il photographie étaient d’ores et déjà aussi minces que du papier.

Ici la maison, qui semble à peine terminée, s’élève sur la pente d’un terrain sablonneux en friche dont la couleur ocre contraste avec le bleu du ciel.
Elle se situe dans une banlieue de Barcelone, lieu apparemment sans particularité, entre ville et campagne. Mais si rien ne semble y advenir, c’est là que la ville se développe et que se joue son avenir social, la banlieue étant ce territoire que se disputent les plus aisés et les plus défavorisés.

Bustamante utilise pour réaliser ses clichés une chambre de très grand format. Un matériel qui lui permet de capter une vue presque panoramique des lieux photographiés, mais dont le poids, proche des trente kilos, limite sa mobilité. Ainsi, une fois choisi son point de vue, tout changement devenant impossible, il est contraint d’accepter toutes les variations qui peuvent survenir dans son champ de vision. C’est pourquoi il appelle ses photographies des « instantanés lents » : des instantanés car il n’y a aucune manipulation de l’image ni arrangement des lieux, mais lents car, contrairement aux « images à la sauvette » que sont les instantanés, Bustamante prend le temps de la contemplation et ne vise aucun événement.

A l’opposé d’un regard mobile, qui se fixe tour à tour sur des objets précis et les isolent, le regard photographique qu’invente Bustamante enregistre, sans la hiérarchiser, la totalité de éléments qui se donnent à lui.

Biographie

Né à Toulouse en 1952, Jean-Marc Bustamante entreprend tout d’abord des études d’économie, avant de s’initier à la photographie, notamment auprès de Denis Brihat, photographe de natures mortes, puis de William Klein dont il devient l’assistant au milieu des années 70. Formé dans le milieu de la photographie traditionnelle, il restera toujours attentif à la qualité technique de ses images, tout en introduisant ce médium au cœur de l’art contemporain.
A partir de 1978, il réalise des photographies couleur, de grand format, qu’il intitule Tableaux. Ce sont principalement des paysages, genre traditionnel descriptif, des images de sites sans qualités particulières, à la lisière des villes, dans le sillage des impressionnistes qui travaillaient à Argenteuil ou à Saint-Ouen.

En 1983 il rencontre le sculpteur Bernard Bazile avec lequel il collabore pendant trois ans, sous le nom de BAZILEBUSTAMANTE, pour produire des objets relevant du champ artistique contemporain.
Cette expérience le conduit à associer la photographie à la sculpture sous forme d’installations. Ainsi, certaines photographies de la série des Stationnaires (1990-91) sont présentées dans des caissons de bois, interrogeant le conditionnement de notre regard sur l’image.

Il travaille aussi sur la matière des supports d’impression photographique en jouant, par exemple, sur la transparence avec la série des Lumières, 1989-1990, composée de sérigraphies sur plexiglas.
De même, pour la Biennale de Venise 2003, où il représentait la France, il transforme l’espace du pavillon français en remplaçant les vitres des fenêtres par des glaces teintées. Il en fait ainsi une sorte de « boîte lumineuse » qui attire le spectateur par son mystère et l’amène à porter un regard neuf sur les photographies accrochées à l’intérieur.
Jean-Marc Bustamante enseigne actuellement à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans le département multimédia.

• En savoir plus sur Denis Brihat : une page du site de la Maison européenne de la photographie

 

Cindy Sherman
Glen Ridge (Etats-Unis), 1954

Cindy Sherman, Untitled # 141, 1985
Tirage limité à 10 exemplaires
Epreuve cibachrome
184,2 x 122,8 cm

Untitled # 141 fait partie d’une série de photographies réalisée pour le magazine américain grand public Vanity Fair sur le thème des contes de fée (série des Fairy Tales).

Dans le prolongement de ses premières photographies réalisées fin des années 70, qui traitaient de l’image de la femme dans le cinéma des années 50, l’artiste, par le biais de mises en scènes soignées, devient son propre modèle et s’investit d’un rôle.

Comme dans ces premières séries sur le cinéma, les déguisements qu’elle choisit ici ne renvoient pas à des personnages ou à des histoires en particulier. Ils évoquent plutôt des figures génériques, comme si l’artiste cherchait un équivalent à la culture populaire du passé, le carnaval ou la Commedia dell’arte. Cependant, si dans ses premiers travaux son sujet nécessitait le noir et blanc pour évoquer un cinéma suranné, ici elle passe à la couleur, utilisant même des tons et des contrastes violents qui renvoient à l’univers fantastique des contes de fée, notamment tels qu’ils sont adaptés à l’écran pour les enfants.

Cindy Sherman explore, dans la culture populaire d’aujourd’hui, principalement véhiculée par les mass media, le catalogue des clichés qui façonnent notre identité, et notamment celle qui lui tient le plus à cœur, l’identité féminine.

Biographie

Cindy Sherman a tout d’abord étudié la peinture à l’Université de Buffalo où elle réalisait des toiles à partir de photographies. C’est à travers une initiation à l’art conceptuel, autour de 1975, qu’elle commence à pratiquer une photographie qui privilégie la réflexion sur l’image. A cette époque, elle rencontre son compagnon Robert Longo (1) dont le travail est proche du sien.

Dès ses premières photographies, avec la série aujourd’hui célèbre des Film Stills, où elle se met en scène comme dans des films de série B, elle s’intéresse aux figures qui façonnent l’identité féminine.
Dans les séries sur la mode (Fashion, 1983-84 et 1993-94) ou les Sex Pictures de 1992, elle révèle les modèles que proposent les media modernes tels que les magazines et la télévision.
Avec les History Portraits de 1989-90, elle recourt à une imagerie issue de l’histoire de l’art, se déguisant en personnages dignes de la porcelaine de Limoges, de gravures populaires de la Révolution française ou de tableaux de Raphaël ou Le Caravage.

Mais de manière récurrente, elle revient au thème du grotesque et de l’horreur : après les Fairy Tales, 1985, et les Disasters, 1986-89, les Horrors and Surrealist Pictures, 1994-96, s’inspirent directement des films d’horreur où les bons sentiments sont toujours contrebalancés par une terreur sourde et indéracinable.

(1) Une œuvre de Robert Longo, Men in the cities, 1980-99, dans les collections du Mnam

 

Sophie Calle
Paris, 1953

Sophie Calle,
à gauche, Le beau j'en ai fait mon deuil, 1986 (série Les Aveugles)
à droite, Les poissons me fascinent, 1986 (série Les Aveugles)
Installation

Marquée par la description qu'un aveugle fait du miroir dans la Lettre sur les Aveugles de Diderot, Sophie Calle décide d'interroger des non-voyants de naissance sur l'image qu'ils se font de la beauté. Recueillant dix-huit témoignages, elle photographie en noir et blanc le visage de chacune des personnes interrogées, présente en regard de chaque portrait la réponse fournie, et accompagne ce dispositif d'une photographie en couleurs illustrant cette réponse. Si la plupart des non-voyants proposent une image de la beauté, leurs réponses sont assombries par celui qui déclare, en écho au géomètre aveugle de Diderot : « le beau, j'en ai fait mon deuil ». L'image de la beauté perd toute consistance.

On comprend dès lors la violence de ce travail : Sophie Calle exhibe l’image de personnes qui ignorent leur propre apparence. Elle porte la question de l’identité à son paroxysme : ses modèles sont soumis à une image qu’ils ne contrôlent pas puisqu’ils l’ignorent. Mais cette situation d’ignorance n’est-elle pas propre à chacun ? N’y a-t-il pas un irrémédiable décalage entre la conscience de soi et l’image que les autres s’en forment ? L’autre, par son regard, son affection, son intérêt, n’est-il pas dépositaire d’une partie de notre identité ?
Cette œuvre de Sophie Calle rejoint, par les réflexions auxquelles elle conduit, les préoccupations d’une autre artiste photographe, Nan Goldin, dont l’ensemble du travail révèle que l’on n’existe que par les relations d’altérité, dans la fragmentation.

Biographie

Après une enfance parisienne, puis de nombreux voyages, Sophie Calle commence à suivre des inconnus dans la rue. De retour à Paris après sept ans d’absence, pour renouer, dit-elle, avec cette ville devenue étrangère, elle a recourt à ces filatures improvisées qui la déchargent de toute décision quant à son emploi du temps et ses itinéraires. Ainsi prennent forme une série d’œuvres, constituée de textes et de photographies qui relate ses aventures.
La Suite vénitienne, réalisée en 1980, rassemble des documents qui retracent l’itinéraire d’un inconnu qu’elle suit jusqu’à Venise. Sans jamais le rencontrer, elle photographie les lieux qu’il visite et interroge ses interlocuteurs. En 1981, elle se fait engager comme femme de chambre dans un hôtel de Venise afin d’accéder aux effets personnels des clients, sacs, valises, objets intimes qu’elle photographie et commente en toute indiscrétion. Cette série d’enquêtes, qui transforme des anonymes en héros romanesques, la conduit à organiser sa propre filature qu’elle commande à un détective par l’intermédiaire de sa mère.

Avec L’Homme au carnet, 1983, série de rapports publiée en feuilleton dans le quotidien Libération, la démarche de Sophie Calle se précise. S’étant approprié le carnet d’adresse d’un homme, elle tente de reconstituer sa personnalité grâce aux témoignages de ceux dont il a noté les coordonnées. L’enquête devient un moyen de s’interroger sur le décalage qui opère entre la réalité accessible et l’intériorité, éternelle absente qu’on ne peut que supposer, problématique qu’elle porte à son paroxysme avec la série des Aveugles de 1986.
L’absence est aussi abordée par la série des Tombes, commencée en 1977-78 et reprise dix ans plus tard dans un cimetière de Californie, où elle photographie des pierres tombales anonymes qui répètent ces mots ordinaires et pourtant chargés de sens : « mother », « father », « son »…

Au début des années 90, Sophie Calle présente une exposition intitulée Absence. Le projet a pour origine un fait divers : un vol de tableaux au musée Isabella Stewart Garden de Boston, dont la donatrice avait précisé qu’ils ne pouvaient être déplacés. Sophie Calle photographie le cartel et l’emplacement des objets dérobés, puis recueille le témoignage du personnel du musée invité à décrire le tableau manquant. Ici encore, il s’agit d’une tentative pour combler l’absence par la parole. Dans une démarche proche, en 2003, elle effectue un travail d’enquête autour d’une jeune femme, employée au Centre Pompidou, soudainement disparue en février 2000.

Depuis quelques années, Sophie Calle accompagne ses expositions de livres. C’est le cas des sept livres des Doubles-Jeux publiés en 1998, fruit de sa collaboration avec le romancier américain Paul Auster. Celui-ci s’étant inspiré de la personnalité de Sophie Calle pour écrire son Léviathan en 1992, l’artiste, en retour, s’est proposée de vivre des scénarios écrits pour elle par Paul Auster, expériences à la base de nouvelles œuvres. Plus récemment, elle a publié Souvenirs de Berlin-Est, corollaire d’une exposition sur la disparition des monuments célébrant le communisme dans la capitale allemande.

• Nan Goldin : le site de l’exposition présentée au Centre Pompidou en 2001
• Sophie Calle : le parcours de l’exposition présentée au Centre Pompidou en 2003

 

Suzanne Lafont
Nîmes, 1949

Suzanne Lafont
Vue de l'accrochage du Musée, 2004

Cette série de photographies, dont l’une, plus imposante, est tirée sur papier affiche, se déploie sur le thème du travail. Plus précisément, il s’agit de revaloriser, ici, ceux qui sont assujettis à des emplois précaires ou clandestins en les imaginant recouvrer un peu de leur liberté.
Ces photographies ont été réalisées dans le prolongement d’un plus vaste ensemble regroupé sous le titre de Trauerspiel et présenté en 1997 à la Documenta X de Kassel dans un passage piétonnier souterrain de la ville.

Trauerspiel est une œuvre « qui retrace la route de migration qui relie l’Europe orientale du sud à l’Europe occidentale du nord » (1). Elle mêle, selon différentes combinaisons, des photographies d’immeubles modernes et des images de personnages occupés à des tâches précaires. Ils portent des cartons, des échelles, balayent. Ils sont « à l’échelle de la société industrielle, ce que sont les domestiques à l’échelle de l’économie de la maison » (2).

Dans cette série conservée par le Mnam, l’un de ces personnages s’est installé de manière provisoire, mais tout de même confortable, pour faire une sieste. Le sourire qu’affiche son visage témoigne de son bien-être et laisse entrevoir le sommeil comme un moyen d’échapper à l’aliénation. Le sommeil, domaine du rêve et de l’illusion, semble ici constituer l’amorce d’une libération.

Biographie

Suzanne Lafont s’intéresse aux arts plastiques et à la photographie à la suite d’études littéraires et philosophiques. En particulier un travail universitaire sur les conventions chez Flaubert l’amène à une réflexion sur les citations dans le Pop art et le caractère de poncifs qu’acquièrent certaines images, fondant une culture populaire.
C’est pourquoi l’appareil photographique chez elle ne sert pas à enregistrer des faits, dans un idéal scientifique d’objectivité, mais révèle les images comme issues d’un processus de fabrication et d’élaboration culturelle. Son travail procède par séries pour donner à voir ce processus.

Dans sa première série, réalisée en 1984 sur un site industriel abandonné, l’artiste photographe joue sur l’organisation structurelle de l’image grâce à des vues de charpentes en contre-plongée.
À partir de 1989, avec des amis qui posent pour elle, elle s’attache à la réalisation de portraits monumentaux qui présentent des archétypes d’action plutôt que des personnages singuliers, dans un sens proche de la tragédie grecque. Mais à la différence de celle-ci, il s’agit toujours d’actions simples ou de gestes apparemment anodins, comme souffler ou se boucher les oreilles, que ses photographies figent dans le temps pour mieux les observer.

Plus récemment, elle développe l’aspect fictionnel de son travail en proposant des mises en scène plus complexes et des confrontations d’images plus élaborées encore, comme en témoignent les photographies du Musée.
Avec l’une de ses dernières œuvres, Annonce (d'après une inscription relevée par Swift sur une baraque foraine), série d’affiches produites en 2003 pour le FRAC Ile-de-France, l’image devient le lieu d’un illusionnisme assumé. Le plaisir que procure cette œuvre - une souris géante invite à voir « le plus grand éléphant du monde à l’exception de lui-même » - naît de la reconnaissance du potentiel ludique de l’illusion.

(1) et (2) Suzanne Lafont, Appelé par son nom, Arles, Acte sud, 2003, p. 103

 

Andreas Gursky
Leipzig (Allemagne), 1955

Andreas Gursky, Madonna I, 2001
Edition 1/6 + 2 épreuves d’artiste
Epreuve cibachrome
275 x 200 cm

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre, cette photographie n’est pas un portrait de la chanteuse. Madonna n’est, en bas et à gauche dans cette immense image réalisée à l’occasion d’un concert donné en 2001 à Hollywood, qu’une silhouette minuscule.
Portant un drapeau américain, elle apparaît comme une figure messianique, tant la disproportion est grande entre elle et la foule. Isolée sur une scène qui obéit à une perspective illusionniste, elle fait face à la multitude qui se fond en un vaste graphisme abstrait, les silhouettes se mêlant à une pluie de confettis. Ce parterre uniforme recouvre la quasi-totalité de la photographie comme un motif décoratif.
Gursky s’attache ici à montrer la star comme phénomène contemporain, capable de rassembler autour d’elle une foule de milliers d’admirateurs.

Cette photographie d’un concert de Madonna illustre parfaitement le style de Gursky. Conçues comme un tout qui inclut l’ensemble des éléments d’une situation propre au monde contemporain, un tout refermé sur lui-même, ses photographies correspondent à des images mentales ou des concepts.
Des images à l’aspect irréel mais qui sont, selon lui, un moyen de décrire la réalité d’aujourd’hui : un monde qui est devenu une fiction, où les déterminations les plus concrètes de notre existence quotidienne émanent de causes immatérielles et incompréhensibles comme la bourse ou la macroéconomie.

Biographie

Une triple formation de photographe est à l’origine du travail d’Andreas Gursky. Du monde de la publicité qu’il a connu par son père et son grand-père, photographes publicitaires, il conserve une conscience aiguë de la capacité des images à s’ériger en poncifs.
De sa formation au sein d’une école de photographie de Essen, école qui formait après-guerre tous les photographes reporters à la photographie « subjective » - c’est-à-dire l’image dérobée au cours du temps -, il garde un certain goût pour l’anecdote, et, malgré la planification croissante de ses prises de vues, une ouverture à la spontanéité, au hasard.
Mais c’est surtout l’enseignement de Bernd et Hilla Becher, qu’il suit à partir de l’automne 1981 à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf, qui détermine durablement son style. Les Becher, tout en établissant des liens entre la photographie et l’histoire de l’art, et notamment l’Art minimal et conceptuel, prônent une photographie systématique qui entend cerner l’intégralité d’un phénomène. Gursky reste fidèle à cette idée d’encyclopédie. Mais contrairement aux Becher qui cherchaient à photographier une totalité au fil de séries, il s’efforce de la concentrer en une seule image. C’est ainsi qu’il travaille avec des formats de plus en plus monumentaux.

C’est en 1984, au cours d’une randonnée dans les Alpes, qu’il découvre, par hasard, l’un de ses thèmes de prédilection. Photographiant le paysage qu’il croyait désert, il s’aperçoit, au moment du développement, que la montagne est parcourue d’une multitude de petites figures humaines. Il décide d’exploiter ce point de vue panoramique qui introduit la distance et le détachement dans son travail. Téléphérique, Dolomites, 1987, est l’un de ses premiers grands formats (104 x 128 cm) où la présence humaine apparaît dérisoire mais tenace, face à la nature.

Aujourd’hui, ses images mesurent plus de 2 m x 5. A partir de négatifs classiques de plusieurs prises de vues, qu’il scanne et assemble à l’aide d’un logiciel de traitement d’image, il réalise un nouveau négatif qu’il développe sur du papier traditionnel en rouleau. Leur gigantisme lui permet de s’emparer de tous les phénomènes du monde contemporain où les individus sont noyés dans des environnements qu’ils ne maîtrisent plus, tels que les concerts, la bourse ou les supermarchés.

 

Thomas Ruff
Zell am Harmersbach (Allemagne), 1958

Thomas Ruff, Portrait (Andrea Knobloch), 1990
Epreuve couleur
210 x 165 cm
Tirage 2/4

C’est avec ce travail sur le portrait, entrepris au milieu des années 80, que Thomas Ruff émerge sur la scène internationale. Ses images attirent le regard par leur format monumental et par l’impression de froideur et de distance qui s’en dégagent.

Reprenant les codes de la photographie d’identité, il traite le portrait de manière documentaire et objective. L’éclairage est diffus éliminant les ombres, le point de vue est frontal, la composition symétrique et centrale. L’attitude du modèle est insignifiante et toute émotion y est systématiquement gommée. Ruff parvient à faire de la figure humaine un module minimal, un objet à la surface lisse comme la photographie. Ces images ne livrent rien de plus que leur propre réalité, l’image d’une image.

Ruff affirme l’incapacité de la photographie à capturer le réel. Il en souligne un des paradoxes en posant la question : Qu’y a-t-il au delà de l’image ? En effet, la photographie est considérée comme l’image analogique de la réalité qui ne parvient pas à rendre le réel. Ainsi, en choisissant ses modèles parmi ses amis de l’Académie de Düsseldorf, ici une étudiante devenue artiste, il évacue toute trace de cette relation en réalisant un portrait anonyme.

Dans un entretien donné en 1993 (Journal of Contemporary Art), il témoigne du climat des années 70 en Allemagne dans lequel il a grandi. Epoque dont il stigmatise « l’hystérie du terrorisme », où les services secrets surveillaient et arrêtaient les militants anti-nucléaires tandis que les professeurs soupçonnés de propagande gauchiste démissionnaient. Il était alors préférable de taire ses opinions et de garder une image proche de celle qui figurait sur un passeport. Face à la surveillance omniprésente de tous les lieux publics, Thomas Ruff opère ici par une forme de résistance, en réalisant des portraits non communicatifs.

Biographie

Après avoir étudié auprès de Gerhard Richter et Bernd et Hilla Becher à l’Académie de Düsseldorf, Thomas Ruff devient, dans les années 80, un des chefs de file de la nouvelle génération allemande. D’abord très influencé par le style documentaire des Becher, il réalise des clichés en noir et blanc reproduisant de grandes villes désertées. Son travail acquiert de l’autonomie avec ses portraits monumentaux de personnes anonymes, dénués d’expression, et pourtant ses amis de l’Académie de Düsseldorf. Ces portraits suggèrent alors que l’image photographique est incapable de représenter la vie intérieure d’un sujet, que la technique est toujours une manipulation.
Une autre série, Haus (Maisons), commencée en 1987, s’inscrit dans la même optique, une photographie objective et distanciée représentant des blocs d’immeubles gris de la période de l’après-guerre.

Au début des années 90, Thomas Ruff se procure des négatifs auprès de l’European  Southern Observatory montrant des constellations d’étoiles relevées dans l’hémisphère sud. Il en fait des agrandissements au format standard de 101, 5 x 73,5 cm pour réaliser une série exposée sous le titre Sterne (Etoiles). Son intention est de limiter son intervention, de se restreindre lui-même dans la sélection, la manipulation et la présentation de ses sujets et de ses images. Cette démarche est encore plus probante dans la série des Zeitungsphoto (photos de presse), images trouvées et découpées dans les journaux, agrandies sans titre, et sans explication.

Au début des années 90, son travail prend une orientation politique en s’inspirant des images de la guerre du Golf. Pour Nacht (Nuit), il photographie des paysages nocturnes et urbains baignés dans une lumière verte, rappelant les caméras de surveillance utilisées par les militaires. Il ne cesse de s’interroger sur ce que peut véhiculer une image au-delà de la perception rétinienne, recourant de plus en plus souvent à l’image numérique collectée sur l’infinie banque de données d’images fournie par Internet -  Nudes (Nus), 2000 et Substrates (Couches inférieures), 2003.

 

 

Texte de référence

Jean-François Chevrier, « Le Tableau et les modèles de l’expérience photographique », Qu’est-ce que l’art au 20e siècle ?, Fondation Cartier pour l’art contemporain, ENSBA, 1992

« Pendant longtemps et jusqu’à une date très récente – que je situerais, d’après ma propre expérience, au milieu des années 80 – l’historien de la photographie, qui ne voulait pas tourner le dos à son époque, était conduit à adopter, à l’égard de la création contemporaine une attitude très volontariste. Il voulait que des œuvres existent mais elles n’existaient pas. La photographie contemporaine était méprisée, marginalisée, sans qu’aucune œuvre ne fut assez convaincante pour briser ce préjugé négatif […]. Grâce à des artistes comme Cindy Sherman, Jeff Wall, Thomas Struth, Patrick Tosani, Jean-Marc Bustamante, John Coplans, Craigie Horsfield, Suzanne Lafont, la photographie est aujourd’hui considérée comme un outil parmi d’autres, comme un outil légitime, pour produire des images artistiques. Des photographies sont exposées sur des murs de musées et de galeries, comme des tableaux, en tant que tableaux.

On peut encore entendre des plaintes, de la part des peintres et des amateurs de photographie. Les uns comme les autres considèrent que l’image photographique n’est pas faite pour les murs mais pour la page imprimée (des livres, des magazines, des journaux) ou, sous une autre forme, plus intime, plus précieuse, pour les cartons de documentation, les albums, les boîtes d’archives. A vrai dire, cette conception de la photographie est depuis longtemps dominante. […]. Pour ma part, je peux comprendre parfaitement que l’on veuille éviter à la photographie de rentrer dans le rang des beaux-arts, mais, malheureusement, il semble que, au nom de ce bon principe, on veuille surtout la protéger de l’art moderne et de tout ce qui le distingue, précisément, dans sa négativité, dans ses refus, de la double tradition des beaux-arts et des arts appliqués. Ceux-là mêmes qui revendiquent pour la photographie une fonction sociale plus large que la production strictement artistique, semblent n’avoir retenu de l’art moderne et contemporain que les effets les plus superficiels : en bref, tout ce qui peut servir à la publicité, tout ce qui est facilement récupérable dans une économie de l’image fondée sur l’efficacité mécanique.

La photographie, appliquée à la mode, à la publicité, à l’information de choc (le fameux « choc des photos »), reste évidemment un outil privilégié de cette économie, même si la télévision a pris le dessus. Mais elle peut apparaître également comme le refuge des valeurs traditionnelles de la création artistique exaltées dans le système des beaux-arts. Le photographe peut apparaître comme l’artiste type, qui s’est donné un métier et transforme patiemment en œuvre une expérience du monde médiatisée par ce métier. Cette image n’est pas absurde, mais elle paraît aujourd’hui trop nostalgique pour être acceptable. La seule attitude convaincante se situe plutôt dans le mince écart qui sépare le refus de l’efficacité médiatique du retrait passéiste. Or, cet écart est sans doute le meilleur héritage de l’art moderne. C’est lui qui permet à un artiste d’être « contemporain » sans adhérer à l’inévitable conformisme de son époque. En d’autres termes, je dirais que la photographie, située entre les beaux-arts et les médias, permet à certains artistes de réinventer l’art moderne.

 

 

Bibliographie sélective

Ouvrages généraux
- Dominique Baqué, La photographie plasticienne : l’extrême contemporain, Paris, Editions du Regard, 2004
- Michel Poivert, La photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2003
- Dominique Baqué, La Photographie plasticienne : un art paradoxal, Paris, Editions du Regard, 1998
- Serge Tisseron, Le mystère de la chambre claire : photographie et inconscient, Belles Lettres, 1996, Flammarion, 1999
- Jean-Claude Lemagny et André Rouillé, Histoire de la photographie, Bordas, Paris, 1986

Catalogues d’expositions
- Bernd et Hilla Becher, Centre Pompidou, 2004
- Sophie Calle, Centre Pompidou, 2003
- Andreas Gursky, Centre Pompidou, 2002
- Jeff Wall, Figures and places, selected works from 1978-2000, Museum für Modern Kunst, Francfort/Main, Prestel, Munich, London, New York, 20
- Jean-Marc Bustamante - œuvres photographiques 1978-1999, Centre national de la photographie, 1999
- Cindy Sherman, Thames & Hudson, Paris, 1998
- Thomas Ruff, Centre national de la Photographie, Paris, 1997
- Suzanne Lafont, Galeries nationales du Jeu de Paume, 1992

Ouvrages de références
- Régis Durand, Le regard pensif : lieux et objets de la photographie, Ed. La différence, réédition 2002
- Hubert Damisch, La dénivelée : à l’épreuve de la photographie, Le Seuil, 2001
- Régis Durand, Le temps de l’image : essais sur les conditions d’une histoire des formes photographiques, Ed. La différence, 1995
- Rosalind Krauss, Le photographique : pour une théorie des écarts, Macula, 1990
- Roland Barthes, La Chambre claire, L’Etoile, 1980, réédition Gallimard 1989, Le Seuil 2002

Livres et écrits d’artistes
- Suzanne Lafont, Appelé par son nom, Actes Sud, Arles, 2003
- Jeff Wall, Essais et entretiens 1984-2001, ENSBA, Paris, 2001
- Les livres de Sophie Calle, publiés aux éditions Actes Sud

Liens
- Nan Goldin, site de l’exposition Feu follet, 2001, Centre Pompidou
- Sophie Calle, parcours de l’exposition Sophie Calle. M’as-tu-vue, 2003, Centre Pompidou

 

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