Marcel Duchamp
La peinture, mÊme
Du 24 septembre 2014 au 5 janvier 2015, Galerie 2

Début du contenu du dossier

Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même


Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même
[Le Grand Verre], 1915-1923 / 1991-1992

Réplique réalisée par Ulf Linde, Henrik Samuelsson, John Stenborg, sous le contrôle d’Alexina Duchamp
Huile, feuille de plomb, fil de plomb, poussière et vernis sur plaques de verre
feuille d'aluminium, bois, acier, 321 x 204,3 x 111,7 cm
Moderna Museet, Stockholm - Schwarz n°404

en préambuleRetour haut de page
l.h.o.o.q. et la boîte-en-valise

Marcel Duchamp est surtout connu, en Europe, pour avoir, avec ses fameux readymades – objets déjà faits, choisis par l’artiste, et présentés comme œuvres –, remis en cause la peinture et la nature même de l’art. 1910-1923 : treize années, pourtant, au cours desquelles Duchamp investit le langage pictural, se dit peintre, expose dans les salons publics, tout en élaborant Le Grand Verre appelé aussi La Mariée mise à nu par ses célibataires, même.

À travers une centaine de dessins et peintures conservés pour la plupart au Philadelphia Museum of Art, auxquels s’ajoutent ses Notes autographes conservées au Centre Pompidou, l’exposition dévoile les recherches picturales de Duchamp, sa période fauve, ses emprunts symbolistes, ses explorations cubistes, mais aussi le non-sens et l’humour qui caractérisent son œuvre. Les sources livresques, picturales, scientifiques et techniques auxquelles il a puisé durant ces années cruciales – ouvrages rares de la Bibliothèque Sainte-Geneviève où il a travaillé avant son départ pour les États-Unis, objets techniques du Conservatoire national des arts et métiers, objets mathématiques de l’Institut Poincaré…– sont aussi présentées, témoignant de son intérêt pour la littérature et les mots comme pour les sciences optiques, physiques et mécaniques.

Des dessins humoristiques au thème de la Mariée dans la culture populaire, des ouvrages de perspective de Dürer aux films d’Étienne-Jules Marey ou de Georges Méliès, de Cranach l’Ancien à Édouard Manet ou Odilon Redon, de l’impressionnisme au cubisme en passant par Francis Picabia ou František Kupka, l’exposition invite à suivre, pas à pas, par des références souvent inattendues mais essentielles, la construction du Grand Verre, laissé « définitivement inachevé » en 1923.

L’œuvre peint de Duchamp s’impose à la fois par sa singularité et sa résonance avec son époque. Toutefois, précise Cécile Debray, commissaire de l’exposition, « Il ne s’agit pas ici de procéder à une réévaluation de la peinture de Duchamp, qui compte peu de tableaux, une petite cinquantaine, […] mais de révéler davantage la cohérence [de ce] parcours. »1
À la fin des années 1940, considéré comme un rénovateur de la pensée sur l’art, Marcel Duchamp a souvent été invité à donner des entretiens ou des conférences. Ce sont des témoignages auxquels sera fait, ici, référence, pour comprendre ses intentions et « la cohérence [de ce] parcours ».

En préambule, l’exposition présente deux de ses pièces emblématiques : L.H.O.O.Q., readymade de 1919, d’après La Joconde de Léonard de Vinci, et La Boîte-en-valise, conçue en 1936, dans laquelle Duchamp a lui-même rassemblé l’essentiel de son œuvre, réalisé au cours de ces treize années qui l’ont conduit au Grand Verre.

Marcel Duchamp, L.H.O.O.Q., 1919

Marcel Duchamp, L.H.O.O.Q., 1919
Readymade corrigé
Crayon sur carte postale, 19,7 x 12,4 cm
Collection particulière - Schwarz n°369

« En 1919, quand Dada battait son plein, et que nous démolissions beaucoup de choses, Mona Lisa est devenue la première victime […]. »
Marcel Duchamp. Duchamp du signe, 19942

« LHOOQ / Elle a chaud au cul comme des ciseaux ouverts / à jet continu / nage et continue. »
Marcel Duchamp, Notes autographes (1912-1968), 1919
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne - AM 1997-98(248)

Ce readymade corrigé3 transporte au cœur du processus de création chez Duchamp, où se tissent et se croisent idées, souvenirs, événements, œuvres passées ou à venir, où s’élabore toute une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle du jeu d’échecs.

En 1919, Duchamp a déjà délaissé la peinture, inventé le readymade. À New York où il s’est installé en 1915, il a, avec Francis Picabia et Man Ray, son nouvel ami américain, anticipé le mouvement dada et constitué sa section new-yorkaise4. Depuis 1912, il travaille à son projet du Grand Verre et consacre une partie de ses activités à jouer aux échecs. De retour à Paris, durant l’été 1919, il retrouve Picabia, fait la connaissance des membres français de Dada et de Tristan Tzara. L’air du temps, après quatre années de guerre, est à la provocation et à l’esprit de canular, prémices des années folles.

1919 est l’année du 400e anniversaire de la mort de Léonard, engendrant de multiples publications, reproductions et caricatures de ses œuvres.5 Huit années plus tôt, le vol de La Joconde au Louvre avait été vécu comme un drame national. Cartes postales et presse humoristique avaient alors jasé sur « la fuite » de la belle dame, évoquant même qu’elle pouvait avoir « chaud au cul ».6 En choisissant cette œuvre, sans doute la plus célèbre au monde, en tout cas à l’époque, Duchamp sait qu’il va heurter le bon goût. Et pour lui, le bon goût « n’a aucune importance. […] Qu’il soit bon ou mauvais, c’est toujours du goût », c’est-à-dire des habitudes culturelles dont il faut se déprendre.

Avec L.H.O.O.Q., Duchamp veut désacraliser l’icône en lui donnant un titre trivial et en lui collant, sur le visage, un bouc et une paire de moustaches, mais aussi, à travers ce portrait (supposé) de la belle épouse de Francesco del Giocondo, questionner l’image sage et idéale de la femme mariée. C’est sur ce thème qu’il travaille depuis plusieurs années, avec ses études préparatoires au Grand Verre. Derrière son aspect séduisant mais distant, Mona Lisa n’est-elle pas, comme sa Mariée, qu’effluves et gaz, inaccessible à ses célibataires ?

Mais les explications possibles à propos de ce readymade ne s’arrêtent pas là. Dès sa création par Vinci, certains ont imaginé que La Joconde masquait le visage d’un homme. Était-ce l’ami de Léonard ? Dans les années 1870, le soupçon fait à nouveau florès. « L’illustre Sapeck », figure éminente des Incohérents, mouvement auquel s’intéresse Duchamp depuis sa jeunesse, l’affuble d’une pipe, parfaite prothèse mâle, tandis que la presse la représente avec des moustaches, faisant d’elle un être hybride, masculin et féminin à la fois.7

Quand Duchamp choisit cette icône florentine dont il fait un « androgyne idéal »8, lui-même se cherche une autre identité, laquelle s’affirme l’année suivante avec Rrose Sélavy Éros c’est la vie –, son double au féminin. Et c’est sous ce nom qu’il va signer pour la première fois cet autre readymade, Fresh Widow(1921),une fenêtre dont le châssis est peint en bleu et dont les carreaux, au lieu d’être en verre, sont recouverts de cuir noir.
Fresh Widow est un jeu de mots sur French Window, fenêtre à battants, dite à la française aux États-Unis et qui évoque en argot une guillotine, et Fresh Widow signifiant quelque chose comme « veuve joyeuse », un titre qui rappelle celui de La Joconde revisitée, L.H.O.O.Q.
Derrière la Mona Lisa de Vinci, tout en sfumato et joliment bleuté, un magnifique paysage donne à la toile une profondeur incomparable. Les vitres opaques et cirées de Fresh Widow en sont comme l’antithèse.
Ainsi, si L.H.O.O.Q. témoigne de l’esprit de dérision Dada, l’image laisse aussi affleurer les préoccupations de Duchamp au moment de sa réalisation : la recherche d’une autre identité, la construction du Grand Verre et de ses désirs érotiques, tout en étant un relais pour une œuvre à venir, et peut-être plus radicale, Fresh Widow.
Ce readymade a donné lieu à six autres versions, dont celle, en 1930, pour Louis Aragon. Cette version confiée au Parti communiste est actuellement en dépôt dans les collections du Musée national d’art moderne.

Marcel Duchamp, Boîte-en-valise, 1935-1941 / 1958

Marcel Duchamp, Boîte-en-valise, 1935-1941 / 1958
Série C. Boîte dépliante en trois parties (photographies et documents, fac-similés)
Carton, bois, papier, plastique contenant 68 à 80 répliques en miniature selon les années d’édition
Photographies, reproductions coul. et noir et blanc de l’œuvre de Marcel Duchamp, 40 x 37,5 x 8,2 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat, 1964 - Schwarz n°484


« Tout ce que j’ai fait d’important pourrait tenir dans une petite valise »
Marcel Duchamp, 1952, Life9

« Encore une nouvelle forme d’expression. Au lieu de peindre quelque chose, il s’agissait de reproduire ces tableaux que j’aimais tellement. »
Marcel Duchamp, Duchamp du signe

Duchamp a réalisé différentes boîtes, La Boîte de 1914 qui rassemble treize plaques de verre argentiques des établissements A. Lumière & ses fils, La Boîte verte, sous-titrée « La Mariée mise à nu par ses célibataires, même » de 1934, un ensemble de 93 fac-similés de photographies, dessins et notes (1911-15). Il réalisera également La Boîte blanche en 1966. La Boîte-en-valise, de 1936, témoigne de beaucoup d’ambition.

Son intérêt pour les boîtes tient au travail qu’il a exercé, sans doute entre mai 1913 et mai 1915, à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, avant son départ pour les États-Unis. Outre les nombreuses lectures qu’il y fait et qui vont enrichir son grand projet, il s’y sensibilise au métier de bibliothécaire, aux beaux livres, à la reliure, aux notions de classement, de sauvegarde. Avec La Boîte-en-valise, Duchamp va classer ses peintures et readymades pour montrer, non pas des œuvres autonomes, mais comment il a construit un projet cohérent.

Bien qu’il ne peigne plus depuis Le Grand Verre, il confectionne lui-même les études détaillées de chaque original qui vont servir de modèles. Pour Fontaine, par exemple, il réalise une version réduite en papier mâché qu'il utilise comme prototype pour la fabrication des répliques… Brouillant les différences entre l’œuvre d’art unique et sa reproduction, il en fait vernir et encadrer certaines.
La Boîte-en-valise est conçue comme un musée portatif, l’exposition ayant lieu là où est la valise. Elle lui permettra, sous l’Occupation, de transporter son œuvre jusqu’à Marseille, et de là jusqu’à New York.

En 1935, Duchamp a donc l’idée de rassembler en un album des répliques miniatures ainsi que des photos de ses œuvres. Il adresse à ses collectionneurs un bulletin de souscription annonçant la parution de ce musée portatif pour le 1er janvier 1941 : « boîte à tirettes gainée de cuir […] contenant la reproduction fidèle en couleur, découpage, estampage ou objets réduits de verres, peintures, aquarelles, dessins, readymades, dont l’ensemble (69 items) représente l’œuvre à peu près complète de Marcel Duchamp entre 1910 et 1937 ». Il en réalise, entre 1942 et 1966, avec l’aide d’assistants, 312 exemplaires, dont 20 de luxe qui renfermeront chacun un original.

Dans la version proposée ici, on reconnaît à gauche du Grand Verre : La Mariée (1912) et Le Roi et la Reine entourés de Nus vites (1912) ; trois readymades en écho aux différentes parties du Grand Verre : en haut, l’ampoule de verre intitulée Air de Paris (1919) située à proximité de la Voie lactée de La Mariée, au milieu Pliant de voyage (1916) rangé à hauteur de ses vêtements défaits et, en bas, Urinoir ou Fontaine (1917), placé à côté des célibataires.
À droite du Grand Verre sont reproduits le Peigne (1916), une esquisse des 3 Stoppages-Étalon (1913), et les Neuf Moules Mâlic (1914-15). Au premier plan, la Broyeuse de chocolat (1913-1914) côtoie une photographie de Roue de bicyclette (1913).

Climat érotiqueRetour haut de page

« Tout est à base de climat érotique sans se donner beaucoup de peine. […] Cela remplace, si vous voulez, ce que d’autres écoles appelaient symbolisme, romantisme. Cela pourrait être, pour ainsi dire, un autre “isme”. […] L’érotisme était un thème, et même plutôt un “isme”, qui était la base de tout ce que je faisais au moment du “Grand Verre”. Cela m’évitait d’être obligé de rentrer dans les théories déjà existantes, esthétiques ou autres. »
M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu. Entretiens avec Pierre Cabanne, 1967.10

Jeu de massacre « La Noce de Nini Patte-en-l'air », vers 1900

Anonyme
Jeu de massacre « La Noce de Nini Patte-en-l’air », vers 1900
Bois peint polychrome, tissu, formats variables
Musée des Arts Forains, Paris - Collection Jean-Paul Favand
Acquisition 2001

L’exposition présente, en début de parcours, un ensemble d’objets, de photographies, de films représentatifs de la culture populaire et du climat érotique du début du 20e siècle, faisant écho au thème de la Mariée et aux propos de Duchamp.
Parmi ces objets, on découvre des poupées d'un jeu de massacre, La Noce de Nini Patte-en-l’air, telles qu’on en trouvait dans les fêtes foraines à l’époque, et dont Duchamp lui-même a suggéré l’influence sur son œuvre, des films libertins sur le motif du « Déshabillage de la mariée », des daguerréotypes érotiques, … ou encore des dessins de caricatures dont quelques-uns de Jacques Villon, son frère, et de František Kupka.

DES NUSRetour haut de page

Comme Manet et Matisse : dépasser l’anecdoteRetour haut de page

Si c’est bien un nu qui est à l’origine de la renommée de Duchamp, Nu descendant un escalier n°2 (1912) − où le corps n’est que succession de plans fixes, diagrammatiques, pour montrer le mouvement –, on connaît peu ses nus peints entre 1910 et 1911 qui le conduisent vers une peinture antinaturaliste, néo ou pro-symboliste, une peinture où l’idée prime sur la représentation rétinienne.

Duchamp doit, semble-t-il, à Manet son intérêt pour le nu, mais aussi, influences revendiquées par lui, à Matisse et à Vallotton. La découverte d’Arnold Böcklin au cours de son voyage à Munich, entrepris pour s’éloigner d’un milieu parisien réfractaire à ses recherches picturales, le confirme dans la voie qu’il s’est fixée : dépasser le visible.

Jacques Villon, Le Déjeuner sur l'herbe, d'après Édouard Manet, 1929

Jacques Villon, Le Déjeuner sur l’herbe, d’après Édouard Manet, 1929
État définitif, épreuve Bernheim,
Aquatinte en couleur, 50 × 63 cm
Bibliothèque nationale de France, Paris

En 1905, la grande rétrospective consacrée à Édouard Manet au Salon d’automne aurait décidé de sa carrière de peintre. Tout comme son frère Jacques Villon, Marcel Duchamp est fasciné par Le Déjeuner sur l’herbe (1863) et par Olympia (1865). Deux tableaux, où le corps féminin n’est plus montré comme un objet de désir, mais comme un sujet qui peut susciter ou désamorcer celui-ci. Olympia ne pose pas, elle regarde et interroge − le ruban de velours autour de son cou indique son statut de prostituée, et les fleurs les hommages d’un habitué. Le nu du Déjeuner, quant à lui, s’il laisse sans désir ceux qui l’entourent, vêtus de leurs habits de ville, invite le spectateur à devenir un voyeur.

Au cours d’entretiens avec Pierre Cabanne, Duchamp dit de Manet, en évoquant ce Salon d‘automne : « Le grand homme c’était lui »11 et non Ingres ou Cézanne. Car Manet ne se contente pas de donner à voir des corps, il change les codes, prend à témoin le spectateur. Il peint avec des idées. Toutefois, dans d’autres Entretiens, Duchamp dit aussi devoir sa vocation de peintre à la découverte du fauvisme et surtout à Matisse : « […] Oh ! C’est Matisse évidemment. Oui c’est lui qui est à l’origine. […] ses toiles du Salon d’automne m’avaient énormément touché, en particulier les grandes figures en aplats rouges ou bleus […]. »12

Deux nus, 1910

Deux nus, 1910
Huile sur toile, 73 x 92 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat, 1975 - Schwarz n°195

En 1910, Duchamp réalise une série de nus, d’abord dans un style fauve − bien que d’une grande  virtuosité, ces toiles ne sortiront du cercle familial qu’à la fin des années 1940 −, puis se dégage d’une représentation naturaliste, comme le montrent les œuvres suivantes : Deux nus et Baptême.

Il existe deux versions de Deux nus. Dans les deux toiles, Duchamp cherche à dépasser la manière fauve − ses couleurs soutenues, ses tâches en pointillé, ses contours autour des formes. Les corps, d’un blanc crayeux comme les nus de Manet, peints en aplats comme ceux de Matisse (Luxe 1 et 2, 1907), viennent illuminer un espace abstrait, un paysage schématisé. Comme Manet ou Matisse, Duchamp cherche à dépasser l’anecdote.

Représentées sans traits ni extrémités − visages, mains et pieds sont à peine esquissés ou totalement absents −, deux femmes semblent s’attirer l’une vers l’autre, se faisant face. La scène est construite selon une diagonale, méthode de composition classique qui suscite une impression de dynamisme. Dans la première version, leurs bras constituent les segments de cette ligne dynamique. Dans la seconde version, que nous voyons ici, ce geste est occulté par un feuillage. La troisième petite silhouette qui, dans la première version, suggère un déplacement et une « profondeur » à la manière dont Matisse étage ses trois nus dans Luxe, a également disparu. Le cadrage se trouve resserré sur les deux femmes − l’une est peinte de face, l’autre de dos. Ici, l’attirance n’est plus exprimée de façon naturaliste, rien n’interfère dans leur intimité. L’atmosphère énigmatique de cette œuvre n’est pas sans rappeler celle des nus de Félix Vallotton, ce que Duchamp, de son propre aveu, reconnaîtra.

Marcel Duchamp, Baptême, 1911

Marcel Duchamp, Baptême, 1911
Huile sur toile, 91,4 x 65,1 cm
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie
The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950 - Schwarz n°216

En 1910-1911, Duchamp travaille à un cycle de peintures au style dit post ou néo symboliste : Le Buisson, Paradis et Baptême.
Comme dans Deux nus, il juxtapose dans Baptême deux figures. Mais cette fois, selon une diagonale ascendante, de la gauche vers la droite, comme une élévation. Les nus ne sont plus blancs mais couleur d’or et d’ambre. Bien que le titre ait été donné, semble-t-il, a posteriori, le thème du baptême, symbole de purification, n’est pas ici fortuit.
Au bas de la toile, le bassin, dont on voit le rebord, est sans doute celui dans lequel un baptême a eu lieu ; du haut de la toile, un dais se déploie en un jardin abstrait, d’un vert profond, écrin où résonnent les couleurs épaisses des deux corps. Entre rituel et innocence sensuelle, cette scène évoque l’Âge d’or que peignent, à cette époque, André Derain et Henri Matisse. Fait-elle aussi référence à ces rites de renaissance, fondement de toute pensée ésotérique à laquelle Duchamp n’est pas insensible ?

Pour Cécile Debray, l’étagement des deux nus et leurs poses « évoquent confusément la position des deux femmes dans Le Déjeuner sur l’herbe, l’une assise au premier plan, la seconde courbée, se baignant au fond de la composition. On peut y voir là une sorte de prégnance quasi inconsciente [de l’œuvre de Manet] ».13 Parallèlement à sa réflexion sur la peinture, Duchamp laisse émerger peu à peu, dans ses toiles, le thème de la femme et de ses désirs.

Duchamp présente ce nu, en même temps que Le Buisson et Paradis, au Salon des Indépendants en avril 1911, tandis que les cubistes, pour la première fois, se réunissent dans une même salle pour exposer leurs œuvres (voir chapitre « Déthéoriser le cubisme ».)

arnold BÖcklin, peintre ironique et antirÉtinienRetour haut de page

Arnold Böcklin, Liebespaar vor Buschwerk [Amoureux devant un buisson], v. 1865

Arnold Böcklin, Liebespaar vor Buschwerk [Amoureux devant un buisson], v. 1865
Tempera sur toile, 74 x 98 cm
Kunsthaus Zürich, Zürich - Don de Otto et Mina Fleischl-Schwarzenbach, 1924

Après le refus de Gleizes et de Metzinger d’exposer au Salon des Indépendants (février 1912) Nu descendant un escalier n°2 (voir chapitre « Déthéoriser le cubisme »), Duchamp, désorienté par leurs réactions et surtout par celles de ses frères, part pour Munich où, chemin faisant, à Bâle, ville natale de Böcklin, il découvre ses œuvres allégoriques.

Arnold Böcklin (1827-1901) est l'une des figures majeures du symbolisme allemand. L’Île aux morts, dont la première version date de 1879, est son œuvre la plus célèbre. En 1865, lorsqu’il peint Amoureux devant un buisson, le mouvement symboliste n’en est qu’à ses débuts mais, déjà, son art s’oppose à la peinture académique et au naturalisme ; il voyage en Italie, à Naples et Pompéi. Dans cette toile, semble affleurer le souvenir des fresques érotiques pompéiennes, érodées par le temps. Mais c’est avec ironie que Böcklin peint cette scène amoureuse : que l’on regarde la manière dont l'homme tient la vasque d’où émergent des fruits d’un rouge ardent, image du désir, et la façon dont la femme s’en détourne. Le buisson près duquel se trouve le couple n’est pas le buisson ardent du dieu biblique, mais du dieu de l’amour, Éros.

Dans le catalogue de l’exposition, Rodolphe Rapetti s’interroge sur les liens de Duchamp avec le symbolisme de Böcklin. Son œuvre ne témoigne d’aucun intérêt pour les mythes du peintre suisse. Toutefois, écrit-il, la « distance ironique » de Böcklin vis-à-vis de ses sujets mythologiques et une « conception du tableau comme entité philosophique et esthétique » ne pouvaient que les rapprocher, « une filiation [donc] au nom de la singularité et de l’ironie ».14 C’est, en effet, cette ironie que l’on retrouve dans les sujets d’inspiration mythologique ou religieuse chez Duchamp, dont l’apothéose sera la Mariée du Grand Verre, occupant, comme une vierge en majesté, le haut du tableau.

Au cours d’une conférence, en 1949, Duchamp résumera les raisons de son intérêt pour ce peintre : « En Böcklin, j'ai trouvé une réaction contre le réalisme, ce que j'appelle la peinture rétinienne, et contre laquelle j'avais déjà l'idée de réagir, que l'impressionnisme, le pointillisme, le fauvisme ont magnifié. […] Non pas que je souscrivais entièrement à Böcklin. Mais il y avait quelque chose là. Il est l'une des sources du surréalisme. Absolument. »15

 

Parmi les œuvres exposées dans cette section :
Marcel Duchamp, Femme nue aux bas noirs, 1910 ; Nu assis dans un tub, 1910 ; Nu rouge, 1910 ; Deux nus, 1910 ; Baptême, 1911
Jacques Villon, Olympia (1926) et Le Déjeuner sur l’herbe (1929) d’après Édouard Manet
Édouard Manet, Femme nue assise, 1860-61
Henri Matisse, Nu dans la forêt, 1906
Arnold Böcklin, Amoureux devant un buisson, 1865
Louis Michel Eilshemius, Afternoon Wind, 1899
Francis Picabia, Adam et Ève, 1911

« apparition d’une apparence »
halo, aura, rayons X, fluides…Retour haut de page

Dans sa recherche d’une peinture antinaturaliste, antirétinienne, Marcel Duchamp explore la peinture et la littérature symbolistes. Il se passionne pour les Noirs d’Odilon Redon, la poésie de Stéphane Mallarmé ou de Jules Laforgue dont la mélancolie ironique le conduit à illustrer ses poèmes. À l’instar des artistes symbolistes, Duchamp, tout comme Kandinsky ou Kupka dont des œuvres sont ici présentées, veut « maintenir la flamme d’une vision intérieure ».
Parallèlement, grâce à son ami Ferdinand Tribout, futur radiologue, ou à son frère Raymond Duchamp-Villon, interne dans le service du professeur Albert Londe, il se sensibilise aux phénomènes de radiations extra-rétiniennes, à la question des fluides, des rayons X.
Cette double conjonction le conduit à entourer ses figures d’une aura, signe dit-il, « de ses préoccupations subconscientes vers un métaréalisme » (un au-delà de la réalité visible).

Duchamp et le symbolismeRetour haut de page

« Je crois qu’aujourd’hui plus que jamais l’Artiste a cette mission parareligieuse à remplir : maintenir allumée la flamme d’une vision intérieure dont l’œuvre d’art semble être la traduction la plus fidèle pour le profane. »
Marcel Duchamp, conférence « L’artiste à l’université », 1960

Apparu aux alentours de 1865, le symbolisme, mouvement littéraire et artistique né en France et en Belgique, va s'étendre à l'ensemble de l'Europe jusqu’au début du 20e siècle. Né en réaction contre le positivisme scientifique et la perte du sentiment du sacré, lesquels sont à l’origine du naturalisme et du réalisme en art, le symbolisme propose une vision non naturaliste du monde. À travers une esthétique de la suggestion, faite de signes et de symboles, empruntant à des légendes ou des mythes, les artistes symbolistes veulent montrer l’invisibilité du monde, suggérer des idées abstraites et, contre l’air du temps, dire les tourments de l’âme humaine. Le symbolisme est un art d’idée « à vêtir […] d’une forme sensible » écrit Jean Moréas dans son Manifeste du symbolisme (1886) qui officialise le terme.
Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé en sont les chefs de file en poésie et en littérature, mais aussi Jules Laforgue, Villiers de L’Isle-Adam, Raymond Roussel, poètes et écrivains lus par Duchamp dès sa jeunesse. Gustave Moreau, Gustav Klimt, Arnold Böcklin ou Odilon Redon figurent parmi les grands peintres symbolistes.

Un art antirétinien

Comme les symbolistes, Duchamp s’oppose à ce qu’il appelle « l’art rétinien ». C’est de cette vision rétinienne ou naturaliste que serait née, à la fin du 19e siècle, cette expression : « bête comme un peintre ». La mission de l’art n’est plus de montrer le visible mais l’invisible, à la manière d’un art religieux.
Cette recherche de l’invisible trouve chez Duchamp une conjonction dans les sciences nouvelles, les mathématiques et la géométrie (la quatrième dimension issue des géométries non-euclidiennes), les nouvelles images scientifiques (rayons X), les approches ésotériques telles que la théosophie.

Marcel Duchamp, Le Printemps ou Jeune Homme et jeune fille dans le printemps, 1911

Marcel Duchamp, Le Printemps ou Jeune Homme et jeune fille dans le printemps, 1911
Huile sur toile, 65,7 x 50,2 cm
The Israel Museum, Jérusalem
The Vera and Arturo Schwarz Collection of Dada and Surrealist Art in the Israel Museum. B03.0071 - Schwarz n°220

Réalisée en 1911, cette peinture marque un tournant dans l’œuvre de Duchamp. Il faut y voir « une de ses premières réflexions sur la métamorphose de la jeune fille en femme, sur le processus de connaissance sexuelle et de l’union de deux êtres »16, l’annonce également de son futur tableau : Passage de la Vierge à la Mariée. Ce que Duchamp, qui avait donné cette toile comme cadeau de mariage à sa sœur Suzanne en 1911, confirmera plus tard : « L’idée de la Mariée me préoccupait [alors] ».17

Duchamp peint cette œuvre à un moment où il hésite entre cubisme et symbolisme. Le symbolisme qui le retient, pour l’heur, est celui d’Odilon Redon dont l’œuvre explore, à travers des mythes, l’invisible des êtres et leur communication avec la nature. Dans Jeune Homme et jeune fille dans le printemps, deux nus aux silhouettes élancées lèvent les bras vers le sommet d’un arbre, allégorie d’Adam et Ève goûtant à l’Arbre de la connaissance.
Au centre de la toile, parmi les fleurs, dans une grosse boule de verre, sorte de tableau dans le tableau, sont esquissées de petites figures, peut-être les fruits de leurs unions. Toutefois, au premier plan, deux formes dessinent un V, comme une béance qui les sépare, tandis que la représentation de leur sexe semble effacée.

Duchamp, antinaturaliste, veut solliciter l’imagination. Évoque-t-il la naissance du désir et ses liens avec la nature ? Un châtiment engendré par sa connaissance ? Ou, au-delà de la dualité des sexes, un androgynat, certains historiens d’art voyant dans cette allégorie une représentation du peintre et de sa sœur ? Duchamp expose cette toile au neuvième Salon d’automne de Paris, en 1911, avec Dulcinée, deux œuvres qui retiennent l’attention de Guillaume Apollinaire.

L’exposition propose de confronter Jeune Homme et jeune fille dans le printemps à une toile du peintre symboliste Émile Bernard, Les Amants ou Adam et Ève, 1888, faisant apparaître une même stylisation des corps, une même gamme colorée et une grande proximité dans la composition des tableaux.
Duchamp reprendra le thème d’Adam et Ève, en 1924, lors de la dernière représentation de Relâche18, un ballet-spectacle de Francis Picabia. Dans une courte farce sur la sexualité intitulée Ciné-Sketch, il y interprète Adam, vêtu d’une feuille de vigne, avec Bronia Perlmutter, l’amie et modèle de Man Ray.

Odilon redon : « un éveil » à un au-delà de la peintureRetour haut de page

Odilon Redon, Le Sommeil de Caliban, vers 1912

Odilon Redon, Le Sommeil de Caliban, vers 1912
(Shakespeare, La Tempête, acte II, scène II)
Huile sur toile, 48,2 x 38.5 cm
Musée d'Orsay, Paris
Legs de Mme Ari Redon en exécution des volontés de son mari, fils de l’artiste, 1984

Initié au darwinisme et aux théories scientifiques de son époque sur la mutation des êtres vivants, Odilon Redon (1840-1916) entame sa période des Noirs (dessins au fusain) dans les années 1870 où, à travers des sujets littéraires et fantastiques, il exprime ses torpeurs et ses inquiétudes. Au début des années 1880, il renoue avec la couleur. Sa renommée commence dans les années 1890. Il expose chez Durand Ruel (1894) et Ambroise Vollard (1898). En 1913, l'Armory Show présente 40 de ses œuvres, exposition à laquelle Duchamp participe avec l’envoi de plusieurs tableaux dont Nu descendant un escalier.

Caliban, personnage de La Tempête, pièce de William Shakespeare, est un sujet traité par Redon à plusieurs reprises. Esclave du mage Prospero et fils de la sorcière Sycorax, être hybride lié au monde végétal, dont le nom est peut-être une anagramme de canibal, Caliban est un esprit insoumis et rebelle. Dans cette peinture tardive de 1912 − contemporaine donc des recherches picturales de Duchamp −, il s’est endormi au pied d’un arbre, espionné par trois petites têtes, la plus grande nimbée d’une double auréole verte et jaune, la seconde entourée de petites ailes et la troisième réduite à un simple visage. Le goût de Redon pour la représentation du corps en fragments se retrouve, ici, dans ces têtes, tandis que le paysage, antinaturaliste, est peint dans des couleurs intenses, comme sorties du rêve de Caliban.

Duchamp partage avec Redon ce goût pour revisiter des histoires fantastiques, représenter des corps fragmentés, pour une peinture antinaturaliste qui exprime des idées. Il admire ses Noirs, leurs personnages nimbés. Comme il a pu le dire à propos d’autres artistes, il affirme : « Mon propre point de départ, je dois dire qu’il s’agit de l’art d’Odilon Redon » [et non de celui de Cézanne].19 Toutefois, à l’exception de Courant d’air sur le pommier du Japon (printemps 1911), il n’y a pas d’analogie formelle entre les deux artistes. Redon représente pour lui, avant tout, « une nouvelle manière de peindre », privilégiant « l’esprit par rapport à la spéculation strictement plastique », « un éveil au fait qu’il existe quelque chose au-delà du contenu physique de la peinture ». 20

 

Parmi les œuvres exposées dans cette section :
Marcel Duchamp, Bateau-Lavoir, 1910 ; Paysage, 1911 ; Jeune Homme et jeune fille dans le printemps, 1911 ; Portrait de Tribout, 1910 ; Portrait du père de l’artiste, 1910 ; Courant d’air sur le pommier du Japon, 1911 ; Nu sur nu, 1910/11 ; Dessins, d’après des poèmes de Jules Laforgue, 1911/12
Georges Braque, Le Golfe des Lecques, 1907
Vassily Kandinsky, Paysage à la tour, 1908
André Derain, Baigneuses, vers 1908
Raymond Duchamp-Villon, La Vasque, 1911
Émile Bernard, Adam et Ève, 1888
Paul Nadar et Albert de Rochas, Corps astral, vers 1896
Jakob Ottonowitsch von Narkiewitsch-Jodko, photos de fluides électriques, 1895
Odilon Redon, 10 planches du recueil Dans le rêve, 1879 ; Le Sommeil de Caliban, vers 1912 ; L’Homme rouge, 1905
František Kupka, Les Nénuphars, 1900

« DÉthÉoriser » le cubismeRetour haut de page

Méfiant à l’égard de tout système, y compris cubiste, ce n’est que fin 1911 que Duchamp rejoint le groupe de Puteaux, dont les membres se passionnent pour les découvertes scientifiques, techniques et philosophiques de leur époque. Dans ce contexte, il crée une série de tableaux, dont Nu descendant un escalier et Jeune Homme triste dans un train, synthèses cubofuturistes, encore teintées de symbolisme, et inspirées des chronophotographies d’Étienne Marey.

Refusé au Salon des Indépendants par ses amis cubistes, le Nu sera exposé au Salon de la Section d’or en octobre 1912, puis à New York quelques mois plus tard. Mais, pour Duchamp, ce désaveu est l’occasion de dépasser l’esthétique cubiste.
Ces toiles des années 1911-1912 annoncent la série d’œuvres optiques et cinématographiques des années 1920, qui sont également présentées dans cette section.

le cubisme, le groupe de puteaux et la section d’orRetour haut de page

« Là où le cubisme déracine, la Section d’or enracine. L’un repense la perspective, l’autre veut en pénétrer le secret. »
Jacques Villon

À l’instar des futuristes qui envahissent la scène parisienne, les cubistes organisent en avril 1911 une première exposition collective au Salon des Indépendants et décident de se retrouver régulièrement dans l’atelier des frères Duchamp, Raymond et Jacques. Le premier noyau du groupe de Puteaux comprend, outre les deux frères Duchamp, Albert Gleizes, Jean Metzinger, Fernand Léger, Henri Le Fauconnier, Robert Delaunay. Duchamp figure dans ce Salon de 1911 avec des toiles allégoriques d’inspiration symboliste, dont Baptême. Fin 1911, séduit par les théories de Gleizes et de Metzinger – futurs auteurs du premier ouvrage sur le cubisme21 −, il rejoint le groupe qui s’est élargi à František Kupka, Francis Picabia, au peintre futuriste Gino Severini et à quelques poètes et critiques comme Guillaume Apollinaire.

Entre deux parties d’échecs, tous commentent les recherches menées par Albert Einstein et Henri Poincaré, qui remettent en cause le monde visible et la géométrie euclidienne22, les notions de temps et d’espace, formulant l’hypothèse d’une quatrième dimension où tout est simultané.23 Ils commentent aussi la pensée d’Henri Bergson sur l’art, la durée et l’élan vital, les chronophotographies d’Étienne-Jules Marey, la décomposition du mouvement et ses effets cinétiques, mais aussi les nouvelles imageries scientifiques qui permettent de voir à l’intérieur des corps telles que les rayons X. L’heure est également à la parapsychologie, à l’hypnose et aux tables tournantes, ainsi qu’aux formes de connaissance ésotérique, notamment la théosophie, dont Piet Mondrian, Theo van Doesburg ou Vassily Kandinsky, en d’autres lieux, sont aussi des adeptes.

Ils font germer, enfin, l’idée d’une nouvelle manifestation pour montrer leurs recherches. Car tous ces artistes, Duchamp compris, pour autant qu’ils soient cubistes, le sont tous différemment. Villon résume ainsi la particularité du groupe de Puteaux : « Là où le cubisme déracine, la Section d’or enracine. L’un repense la perspective, l’autre veut en pénétrer le secret ». Modernes, ils veulent aussi être classiques et enraciner leur art dans la grande tradition de l’art français. En octobre 1912, est organisé le premier Salon de la Section d’or à la galerie parisienne La Boétie.

Entre-temps, Gleizes et Metzinger, membres du jury, ont refusé d’exposer au Salon des Indépendants (février 1912) Nu descendant un escalier ; Duchamp a rompu avec ses frères, Jacques et Raymond, chargés de jouer les intermédiaires. D’abord désarçonné par l’attitude bornée des cubistes, Duchamp entreprend une nouvelle série d’études sur le thème des pièces maîtresses d’un jeu d’échecs (voir chapitre « Pudeur mécanique »), part pour Munich pendant l’été où, fortifié par ce nouveau contexte intellectuel et artistique, il conçoit son projet du Grand Verre.
De retour à Paris, au premier Salon de la Section d’or, en octobre 2012, il expose six œuvres dont Nu descendant un escalier, Portrait de joueurs d’échecs et Le Roi et la Reine entourés de Nus vites.

Marcel Duchamp et la quatrième dimension

Duchamp introduit la notion de quatrième dimension dans ses recherches théoriques et plastiques en même temps que beaucoup d’autres artistes cubistes, futuristes ou abstraits, chacun en ayant toutefois une interprétation personnelle. Pour Duchamp, la quatrième dimension correspond à cet invisible que doit montrer la peinture : « J'ai, dit-il, pensé à l'idée d'une projection d'une quatrième dimension invisible puisqu'on ne peut pas la voir avec les yeux. »
Quel est cet invisible que Duchamp veut montrer ? Celui des idées, de l’âme et des mouvements du corps, des pulsions érotiques, du temps et de l’espace qui se déforment. Jeune Homme triste dans un train, par exemple, exprime l’état d’âme d’un jeune homme et le double mouvement de son corps qui se déplace dans un train en marche. La Mariée conduit au cœur des organes et des viscères dont la superposition des plans colorés va de pair avec la perte de repères du temps et de l’espace. Élevage de poussière condense les imageries nouvelles (rayons X) et les tracés mystérieux connus des seuls initiés…

Picasso / Duchamp : « he was wrong »Retour haut de page

Pablo Picasso, Buste de femme, 1907

Pablo Picasso, Buste de femme, 1907
(Étude pour Les Demoiselles d'Avignon)
Huile sur toile, 66 x 59 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat, 1965

Picasso et Braque ne font pas partie du groupe de Puteaux. Duchamp dit avoir entendu parler de Picasso en 1911, grâce à Metzinger. Par la suite, les deux peintres s’intéressent peu l’un à l’autre.
En 1977, Pontus Hulten, directeur du Musée national d’art moderne, choisissait de présenter l’œuvre de Marcel Duchamp comme exposition inaugurale du Centre Pompidou. Avec l’intention de donner enfin à celui-ci la première place, occupée depuis longtemps par le maître espagnol. En 2013, le Musée d’art moderne de Stockholm proposait de confronter leurs œuvres, sous le titre « Picasso / Duchamp : He was wrong » [il avait tort], titre emprunté à un commentaire que Picasso aurait fait à la mort de Duchamp. Tout semble, en effet, les opposer.

Tout au long de sa vie, Picasso n’a cessé de renouveler le visible, de parcourir les moyens de le représenter, de l’art africain au primitivisme ibérique, du cubisme au surréalisme, en passant par un retour au réalisme ou au néoclassicisme. Duchamp lui aussi revisite, quelques années durant, les courants de son époque : impressionnisme, cloisonnisme, fauvisme, cubisme, futurisme, orphisme… Mais il en conclut que la mission du peintre n’est plus de représenter le visible. Le tableau n’est qu’un moyen pour rendre accessible à nos sens un univers invisible.

Buste, de 1907, est l’une des études préparatoires aux Demoiselles d’Avignon, œuvre fondatrice de l’art moderne. Ici, Picasso s’inspire à la fois de Cézanne − de sa volonté de traiter la nature par des formes géométriques : le cylindre, la sphère, le cône −, et de la sculpture africaine.
Le visage est saisi comme un masque, ovale, crayeux, les couleurs sombres s’imprégnant des scarifications rituelles. Sa composition est déjà cubiste : l’oreille est montrée de profil, l’œil présenté de face tandis que le nez s’avance en triangle. Empruntant également à la sculpture ibérique, les yeux cernés de noir, en forme d’amande, accentuent la sensation d’étrangeté. L’ensemble, visage et buste, est un emboîtement de formes simplifiées. Avec ce buste antinaturaliste et tenant de l’apparition, au visage comme nimbé d’une couleur électrique, Picasso n’est peut-être pas si éloigné de Duchamp. Mais cette sensation d’étrangeté doit tout à l’œil, au détour d’un vocabulaire non réaliste.

André Breton dira des Demoiselles d’Avignon qu’elles sont « l’événement capital du 20e siècle ». Il dira aussi de Duchamp qu’il est l’« homme le plus intelligent du 20e siècle ».

états d’âme, quatrième dimension, simultanéité…Retour haut de page

Marcel Duchamp, À propos de jeune sœur, octobre 1911

Marcel Duchamp, À propos de jeune sœur, octobre 1911
Huile sur toile, 73 x 60 cm
Solomon R. Guggenheim Museum, New York, 71.1944 - Schwarz n°222

Dans ces deux peintures réalisées fin 1911 : À propos de jeune sœur (octobre 1911) et Jeune Homme triste dans un train (décembre 1911), Duchamp semble jouer tant avec les vocabulaires cubiste que futuriste. Toutefois, lui-même précise, à propos des toiles de cette époque, qu’« Il n’y avait pas de futurisme […] puisque [il] ne connaissaî[t] pas les futuristes ; ce qui n’a pas empêché Apollinaire de qualifier le Jeune Homme triste d’"état d’âme futuriste" »24. Mais si ces états d’âme ne sont pas futuristes, sans doute sont-ils symbolistes !

À propos de Jeune Homme triste dans un train − un autoportrait, un trajet ferroviaire entre Paris et Rouen −, Duchamp explique : « Il y a d’abord l’idée du mouvement du train et puis celle du jeune homme triste qui est dans un couloir et qui se déplace. […] Ensuite il y a la déformation du bonhomme […] en lamelles linéaires qui se suivent comme des parallèles et déforment l’objet », expression qui rappelle la description de la déformation d’un objet ou d‘un corps dans la quatrième dimension. Duchamp partage cet intérêt pour la déformation des corps dans la quatrième dimension avec les cubistes mais, pour lui, celle-ci s’exprime en lamelles linéaires et non par la superposition de plans qui en multiplie les points de vue.

Dans À propos de jeune sœur, la jeune sœur représentée est Magdeleine, alors âgée de 13 ans. Elle s’absorbe, semble-t-il, dans une lecture, éclairée par une bougie. Le corps naît de quelques traits, le visage d’un coup de brosse. La chevelure ambre est la seule tache soutenue du tableau, où des halos blancs et ocres évoquent un autre monde.
Outre par sa palette, la toile est cubiste par sa structure géométrique, mais d’une géométrie très simplifiée. En 1911, le cubisme est dans sa phase analytique, plans et facettes se multiplient au profit d’une virtuosité formelle. Raison supplémentaire pour que Duchamp ne puisse se satisfaire de ce vocabulaire. Plus tard il parlera de sa « méfiance contre la systématisation », contre « les formules établies »25.

D’autres éléments sont à déchiffrer dans cette œuvre. À y regarder de près, la bougie n’en est pas une, se terminant, non par une flamme, mais par des filaments noirs évoquant cet éclairage électrique qu’affectionnent tant les futuristes.
Le nimbe autour de la jeune fille pourrait traduire les préoccupations du peintre à l’égard de sa sœur. Dans une lettre adressée, en 1951, au poète et critique américain Walter Arensberg, l’un de ses principaux collectionneurs, il dit que ses préoccupations subconscientes à l’égard de Magdeleine l’avaient conduit dans cette œuvre vers une sorte de « métaréalisme ».

une succession de plans statiquesRetour haut de page

Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier n°2, 1912

Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier n°2, 1912
Huile sur toile, 147 x 89,2 cm
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie
The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950 - Schwarz n°242

Décembre 1911 - janvier 1912, Duchamp réalise deux versions de son Nu. De plus grand format, la deuxième version amplifie la dynamique du mouvement du corps, souligné notamment par des pointillés.
Duchamp explique ce qu’étaient ses intentions en peignant ce tableau : « Cette version définitive du Nu descendant un escalier […] fut la convergence dans mon esprit de divers intérêts, dont le cinéma, encore en enfance, et la séparation des positions statiques dans les chronophotographies de Marey en France, d'Eakins et Muybridge en Amérique. […] Peint, comme il l'est, en sévères couleurs bois, le nu anatomique n'existe pas, ou du moins, ne peut pas être vu, car je renonçai complètement à l'apparence naturaliste d'un nu, ne conservant que ces quelque vingt différentes positions statiques dans l'acte successif de la descente. »26

Duchamp ne mentionne toujours pas, ici, les peintres futuristes et leurs recherches sur le mouvement. Pourtant, peut-il encore les ignorer ?
Depuis qu’ils s’imposent à Paris27, ces derniers reprochent au cubisme, à ses palettes ternes et à son iconographie Grand Siècle − nus, natures mortes, paysages, églises… −, de n’être qu’« une sorte d’académisme masqué ».28 Si Duchamp ne peut s’accommoder de leur agressivité, c’est dans ce contexte qu’il peint son Nu, sorte de troisième voie entre les deux esthétiques, et qu’il visitera, avec assiduité, l’exposition futuriste présentée en février 1912 à la galerie Bernheim Jeune, à Paris.
Ainsi, ce nu est peint en couleurs bois, c’est-à-dire avec les ocres-bruns de la palette cubiste. Si c’est un nu, ce n’est pas un nu « naturaliste ». S’il est en mouvement, ce n’est qu’une succession de positions statiques, ayant pour références ces chronophotographies qu’utilisent aussi certains futuristes, notamment Giacomo Balla dont une œuvre, Fillette courant sur le balcon, 1912, est présentée dans l’exposition.

Peint pour être exposé au Salon des Indépendants en février 1912, le tableau est cependant refusé par le jury. Et pas tant à cause de sa complaisance à l’égard des valeurs futuristes, qu’à cause de son titre, ce que confirmera Duchamp. En effet, en 1910, le Salon des Indépendants a été victime d’un canular en accueillant une œuvre, Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, d’un certain Joachim-Raphaël Boronali, anagramme d’Aliboron, l’âne des Fables de La Fontaine. L’œuvre avait été peinte par un âne et avait valu au Salon d’être la risée de tous. De là, vient le nom donné par Michel Larionov à l’exposition organisée deux ans plus tard à Moscou : « La queue de l’âne ». Pour son Nu, Duchamp s’est inspiré d’un de ses dessins réalisés d’après un poème de Jules Laforgue, Encore à cet astre, titre qui rappelle, par trop, celui de l’œuvre qui avait fait scandale. Dans ce dessin, le nu monte des escaliers. Ici, il les descend, comme pour évoquer une descente aux enfers, ou une plongée introspective.29
Sans doute est-on loin d’avoir épuisé le sens de ce Nu. Robert Lebel, ami de Duchamp et auteur de sa première biographie éditée en 1959, voit dans ce tableau une série de réflexions de l’artiste sur lui-même et sur la peinture.30

En octobre 1912, Nu descendant un escalier est exposé au Salon de la Section d’or, et début 1913 à l'Armory Show de New York, où il reçoit un accueil triomphal, mélange de scandale et d’enthousiasme. L’œuvre est immédiatement acquise par un collectionneur ainsi que Portrait de joueurs d’échecs et Le Roi et la Reine entourés de Nus vites.

FrantiŠek Kupka, un autre déçu du cubismERetour haut de page

František Kupka, Femme cueillant des fleurs, 1910-1911

František Kupka, Femme cueillant des fleurs, 1910-1911
Pastel sur papier, 48 x 52 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris
Don de Mme Eugénie Kupka, 1963

Originaire d’une petite ville de Bohême orientale, initié au spiritisme dès son enfance, Kupka (Opocno, 1871 - Puteaux, 1957) reçoit notamment, à l’Académie des Beaux-arts à Prague, l’enseignement d’un artiste appartenant au mouvement des Nazaréens, peintres symbolistes qui prônent un retour au cœur, à l'âme et au sentiment. En 1892, à Vienne, où il poursuit ses études artistiques, il s’enrichit de l’effervescence culturelle qui agite la capitale impériale. En 1896 à Paris, il gagne sa vie comme illustrateur (notamment pour L’Assiette au beurre), et se lie d’amitié avec son compatriote l’affichiste Alphonse Mucha.

En 1906, il s’installe à Puteaux, non loin de la demeure des frères Duchamp. Avec eux, il découvre le cubisme qui, d’abord, l’enthousiasme puis le déçoit, n’y voyant qu’une « interprétation de plus » de la réalité. À partir de 1911, il réalise des peintures qui s’affranchissent de toute référence au monde des objets. Il faut attendre le début des années 1950 pour qu’il soit reconnu comme l’un des maîtres de l’abstraction.

Le Salon de la Section d’or d’octobre 1912 révèle sa peinture « pure ». Avec Femme cueillant des fleurs, le peintre livre sa vision personnelle sur la question de la représentation de l’objet en mouvement. S’il s’oppose au cubisme mais aussi au futurisme, il abonde dans le sens des peintres impressionnistes qui ont, selon lui, abordé de façon neuve la représentation des phénomènes de la nature et du mouvement, en renonçant aux contours fixes. (František Kupka, La création dans les arts plastiques, 1923.)

Femme cueillant des fleurs fait partie d’une série de cinq pastels réalisés entre 1909 et 1911. Pour cette œuvre, Kupka s’est inspiré de chronophotographies de Marey et de Muybridge, décomposant la réalité puis la recomposant pour en donner une synthèse presque abstraite.

décomposition du mouvement et Recherches cinétiquesRetour haut de page

Dans le prolongement de ses recherches des années 1911-1912 sur la décomposition du mouvement, Marcel Duchamp entame en 1920 une série d’œuvres optiques et cinématographiques qu’il nomme « optiques de précision ». La première, Rotative plaques verre (optique de précision), est conçue à New York en 1920, suivie de Rotative demi-sphère et d’Anémic Cinéma en 1925, puis des Rotoreliefs en 1935. Le but de ces dispositifs est de faire perdre à l’œil son pouvoir de contrôle et d’accéder à une autre expérience de la vision. Ces œuvres font de lui l’un des précurseurs de l’art cinétique.31

Marcel Duchamp, Rotative plaques verre (optique de précision), 1920/1979 Marcel Duchamp, Rotative plaques verre (optique de précision), 1920/1979

Marcel Duchamp, Rotative plaques verre (optique de précision), 1920/1979
Reconstitution réalisée en 1979 par les ateliers de la Régie Renault
5 plaques de Plexiglas peintes, bois et bras métalliques, axe métallique entraîné par un moteur électrique, 170 x 125 x 100 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat 1979 - Schwarz n°379

Avec Rotative plaques verre (optique de précision), Duchamp expérimente la perception du relief, scrute les frontières entre plan et profondeur, tout en jouant avec une dimension hypnotique. L’œuvre est placée sous l’égide de Rrose Sélavy, qu’il désigne comme « experte en optiques de précision ».

Cinq plaques de Plexiglas peintes sont fixées sur un axe métallique, entraîné lui-même par un moteur. Lorsque l’œuvre est en mouvement, les lignes peintes font apparaître des cercles concentriques continus, l’effet de spirale changeant avec la vitesse de la machine. À vitesse lente, la spirale semble se diriger vers le centre du cercle ; à vitesse accélérée, elle crée l’illusion d’une surface en relief, concave ou convexe.

Marcel Duchamp, Anémic Cinéma, 1925-1926 Marcel Duchamp, Anémic Cinéma, 1925-1926

Marcel Duchamp, Anémic Cinéma, 1925-1926
Film noir et blanc, 35 mm, muet, 7’
Réal. avec Man Ray et Marc Allégret
10 disques optiques et 9 disques de jeux de mots
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat 1976 - Schwarz n° 424

Réalisé par Duchamp en collaboration avec Man Ray et Marc Allégret, Anémic Cinéma se compose de séquences alternées de disques optiques et de disques sur lesquels sont écrits des calembours. Dans cette succession d’images bâtie sur une « esthétique en boucle », les sentences se mordent la queue à la façon dont les cercles s’enroulent sur eux-mêmes, anémic étant sans doute l’anagramme du mot cinéma.

« Le cinéma, dit Duchamp, m'a surtout amusé pour son côté optique. Au lieu de fabriquer une machine qui tourne, comme j'avais fait à New York, je me suis dit : pourquoi ne pas tourner un film ? Ça ne m'intéressait pas pour faire du cinéma en tant que tel, c'était un moyen plus pratique d'arriver à mes résultats optiques. [...] D'ailleurs ce cinéma était très drôle. On travaillait millimètre par millimètre parce qu'il n'y avait pas de machines très perfectionnées. […] On a donc été obligés d'abandonner la mécanique et de faire tout nous-mêmes. Un retour à la main, pour ainsi dire. »32

 

Parmi les œuvres exposées dans cette section :
Marcel Duchamp, Yvonne et Magdeleine déchiquetées, 1911 ; Sonate, 1911 ; À propos de jeune sœur, 1911 ; Dulcinée, 1911 ; Jeune Homme triste dans un train, 1911 ; Nu descendant un escalier n°1, 1911 ; Nu descendant un escalier n°2, 1912
Pablo Picasso, Buste de femme, 1907
Francis Picabia, Danses à la source, 1912
František Kupka, Femme cueillant des fleurs, 1909-1910
Giacomo Balla, Fillette courant sur le balcon, 1912
Fernand Léger, L’Escalier, 1914
Dossier Marey : photogrammes, dessins, sculptures, films
Films : Man Ray, Le Retour à la raison, 1923 ; Marcel Duchamp, Anémic Cinéma, 1925 ; Rotative plaques verre (optique de précision), 1920/1979 ; Constantin Brancusi, Léda, sur socle rotatif sur une idée de Duchamp, 1926

« pudeur mÉcanique »Retour haut de page

Pour Duchamp, corps et mécanique sont clairement reliés. Dans Nu descendant un escalier ou Jeune Homme triste dans un train, par exemple, la morphologie humaine se transforme en une machinerie de plans, reliés par des pistons et des bielles. Par ailleurs, c’est par l’emploi de « techniques mécaniques », qui ne sous-tend « aucun bon ou mauvais goût », qu’il aura pu, dira-t-il, développer son expression personnelle.

Ce chapitre montre une autre composante de cette thématique : l’érotisation de la machine, dimension qui va être essentielle dans la conception du Grand Verre. De sa première petite œuvre mécanomorphe, Moulin à café (1911), à Roue de bicyclette (1913), considérée comme « sa première machine célibataire », Duchamp développe ce thème, en particulier à partir d’une iconographie née de sa pratique des échecs : Le Roi et la Reine, entourés de Nus vites (mai 1912). Cette peinture est suivie trois mois plus tard par sa Première Recherche pour « La Mariée mise à nu par ses célibataires », sous-titrée : Mécanisme de la pudeur / Pudeur mécanique.

Parallèlement, l’exposition restitue l’engouement pour le thème de la machine au début du 20e siècle, à travers des œuvres de ses amis Francis Picabia et Constantin Brancusi ou de son frère Raymond Duchamp-Villon.

la machine, un thème omniprésentRetour haut de page

Fin du 19e siècle, début du 20e siècle, la machine comme projection érotique est au cœur de l’imaginaire littéraire et artistique. Ainsi, le jeune Duchamp s‘est-il passionné pour des écrivains qui développent ce thème.
Villiers de L’Isle-Adam, écrivain symboliste, fait de LÈve future (1886) un androïde qui, physiquement, ressemble à son modèle humain mais, spirituellement, lui est bien supérieur pour répondre à l’amour d’un jeune lord.33 Alfred Jarry, l’inventeur de la Pataphysique − la science des solutions imaginaires et des exceptions −, auteur lié aux Fumistes et aux Incohérents, imagine son Surmâle (1902) comme une caricature mécanique de la performance sexuelle, éprouvant après 89 actes sexuels le besoin d’un peu de poésie.

Raymond Roussel invente dans Impressions d’Afrique (1909) la machine à peindre de Louise Montalescot, qui fascine bien évidemment Duchamp. Il le sera plus encore par la robotisation des personnages, bardés de tuyaux et animés de mouvements mécaniques, dans la version théâtrale de l’ouvrage présentée à Paris, à laquelle il assiste au printemps 1912. On pourrait aussi citer Filippo Tommaso Marinetti, l’auteur du Manifeste futuriste (1909), dont Les Poupées électriques (1905, publié en 1909) transforment un couple en robots mus, non plus par la force vitale, mais par l’électricité.

Des machines pour la future Mariée et ses Célibataires

L’Ève de Villiers de L’Isle-Adam sera souvent mise en rapport avec La Mariée de Duchamp.
Le sulfureux Surmâle d’Alfred Jarry est sans aucun doute un antécédent aux célibataires.
La machine à peindre et la robotisation des personnages de Raymond Roussel inspireront l’univers à la fois précis et insaisissable du Grand Verre.

Dans les années 1910, du côté des arts, les machines qui incarnent la vitesse, le mouvement, la puissance, envahissent les toiles futuristes, celles de Luigi Russolo ou Giacomo Balla, par exemple. Giorgio de Chirico peint de curieux mannequins dans des espaces énigmatiques. Raymond Duchamp-Villon associe force animale et puissance mécanique. Francis Picabia trousse les portraits de ses proches en équivalents-machines, ou son autoportrait sous les traits d’un schéma de klaxon. Fernand Léger associe formes mécaniques et anthropomorphes. En visitant le Salon de l’aéronautique, fin 1912, Marcel Duchamp, Constantin Brancusi et Fernand Léger s’extasient devant la perfection sculpturale d’une hélice d’avion…

Raymond Duchamp-Villon, la force de l’animal et la puissance de la machineRetour haut de page

Raymond Duchamp-Villon, Le Cheval majeur, 1914/1976

Raymond Duchamp-Villon, Le Cheval majeur, 1914/1976
Bronze à patine noire, 150 x 97 x 153 cm
(Susse Fondeur)
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat, 1976

Des bielles, des engrenages, des essieux, des rouages, mais aussi une crinière, des sabots. Le Cheval majeur fait fusionner la force de l’animal et la puissance de la machine. Alors qu’il mûrit son projet, destiné au Salon des Indépendants de 1914, Raymond Duchamp-Villon écrit à Walter Pach : « La puissance de la machine s’impose et nous ne concevons plus guère les vivants sans elle […] ».34
Cette sculpture est une synthèse de l’esthétique cubiste − la multiplication des points de vue sur un même motif − et de l’esthétique futuriste − l’expression de la force et de la vitesse (voir notamment les œuvres d’Umberto Boccioni, La Ville qui monte, 1910-1911, ou de Carlo Carrà, Les Funérailles de l’anarchiste Galli, 1910-1911). En 1914, au cours d’une visite dans son atelier, Henri Matisse qualifie sa sculpture, alors en plâtre, ne mesurant encore que 44 centimètres et intitulée Le Cheval, de « projectile ».

Duchamp-Villon avait le projet d’en faire une sculpture monumentale, en bronze ou en acier. La guerre, puis sa mort survenue en 1918, l’ont empêché d’y parvenir.
En 1931, un premier agrandissement en plâtre, d’un mètre de hauteur, est réalisé sous le contrôle de Jacques Villon. En 1966, Marcel Duchamp décide de contribuer à son tour à la réalisation du rêve de son frère, et fait faire un nouvel agrandissement d’un mètre cinquante de hauteur qu’il baptise Le Cheval majeur, dont plusieurs épreuves sont tirées. À cette échelle, l’œuvre remplit sa vocation d’allégorie de l’âge industriel : le cheval-vapeur.

Des machines désorganiséés ou imaginairesRetour haut de page

Marcel Duchamp, Moulin à café, 1911
Huile et crayon sur carton, 33 x 12,7 cm
Tate Gallery, London - Achat, 1981 - Schwarz n°237
Voir l’œuvre sur le site de la Tate Gallery

Cette petite huile sur carton, qui paraît bien modeste, amorce d’importantes découvertes. Elle est la première peinture mécanomorphe de Duchamp, présageant la représentation diagrammatique du mouvement (c’est-à-dire graphique, par plans fixes), sa représentation rétinienne étant impossible. Dans Moulin à café, le mouvement est indiqué par une flèche, sens de rotation de la manivelle à actionner pour que le broyeur réduise le café en poudre.

Moulin à café annonce aussi les readymades (1913-14), des objets tout faits dont l’élévation au statut d’œuvre d’art leur fait perdre tout usage et identité originelle, ce qui est déjà le cas de cette petite machine. Toutefois, celle-ci doit sa perte de fonction à la déstructuration que l’artiste lui impose, et suggère davantage une machine désorganisée, motif que l’on retrouvera à grande échelle dans La Mariée mise à nu par ses célibataires, même ou Le Grand Verre (1915-1923).

Duchamp explique la genèse de cette machine qui ne tourne plus rond : « Mon frère, dit-il, avait une cuisine dans sa petite maison de Puteaux et il a eu l'idée de la décorer avec des tableaux des copains. Il a demandé à Gleizes, Metzinger, La Fresnaye, Léger aussi je crois, de lui faire des petits tableaux de la même dimension, comme une sorte de frise. Il s'est également adressé à moi et j'ai exécuté un moulin à café que j'ai fait éclater ; la poudre tombe à côté, les engrenages sont en haut et la poignée est vue simultanément à plusieurs points de son circuit avec une flèche pour indiquer le mouvement. Sans le savoir, j'avais ouvert une fenêtre sur quelque chose d'autre. Cette flèche était une innovation qui me plaisait beaucoup, le côté diagrammatique était intéressant du point de vue esthétique. »35

Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913/1964

Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913/1964
Readymade assisté. L'original, perdu, a été réalisé à Paris en 1913. La réplique réalisée en 1964 sous la direction de Marcel Duchamp par la galerie Schwarz, Milan, constitue la 6e version de ce readymade
Assemblage d'une roue de bicyclette sur un tabouret
Métal, bois peint, 126,5 x 31,5 x 63,5 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat, 1986 - Schwarz n°278

« Ce readymade assisté, jouant sur le mobile et l’immobile, est la première machine célibataire de l’artiste. »
C.M.36

En février 1912, Marcel Duchamp se voit refuser son Nu descendant un escalier. Cet événement enracine sa décision d’abandonner la peinture telle que la pratiquent ses contemporains. Il s’engage dans son projet du Grand Verre. Toutefois, dès 1913, il s’interroge : « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas "d’art" ? ».37
Roue de bicyclette est le fruit d’un bricolage né dans un moment de détente, où tout peut advenir : « Quand j’ai mis une roue de bicyclette sur un tabouret, la fourche en bas, il n’y avait aucune idée de readymade ni même de quelque chose d’autre, c’était simplement une distraction. »38 Laissée à Paris alors qu’il part pour les États-Unis, la roue va disparaître. En 1916, la Roue est refaite… ce qui compte n’étant pas l’original, mais l’idée. Par la suite, elle sera rééditée à plusieurs reprises.

Roue de bicyclette, relais entre les peintures cubofuturistes et les machines cinétiques, est un hymne au mouvement. Un mouvement aussi fascinant que celui des flammes dans un feu de cheminée, dira-t-il. Et aussi : « J’ai probablement accepté avec joie le mouvement de la roue comme un antidote au mouvement habituel de l’individu autour de l’objet contemplé ».39 Duchamp parle de joie c’est-à-dire d’un plaisir pudique, d’un antidote c’est-à-dire d’un antipoison à la lassitude, tout en notant un renversement quasi-métaphysique : ce n’est plus le spectateur qui tourne autour de l’œuvre mais l’œuvre qui se met à tourner, laquelle, à ce titre, devient une mécanique.

Le premier objet considéré comme un readymade est Porte-bouteilles, un objet tout fait choisi en 1914 au Bazar de l'Hôtel-de-Ville. Et c'est dans une lettre adressée à sa sœur, en 1915, qu’il utilise pour la première fois, à propos de ces objets laissés à Paris le terme de « readymade ».

Comment réaliser un ready-made ?

Pour la réalisation d’un ready-made, Duchamp indique trois étapes : choisir, inscrire et signer. Le choix du ready-made ne lui est pas dicté par une « délectation esthétique », il est « fondé sur une réaction d’indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou mauvais goût… en fait une anesthésie complète ».

échecsRetour haut de page

Quelques thèmes iconographiques parcourent l’œuvre peint de Marcel Duchamp : le nu, sa famille (père, sœurs, frères), ses amis. Il a, dans sa jeunesse, brossé quelques paysages, influencés d’abord par Monet, puis par Vassily Kandinsky. Le thème du jeu d’échecs y occupe une place importante entre 1910 et 1912, ces deux années cruciales qui précèdent son grand projet.
Depuis son plus jeune âge, Duchamp pratique ce jeu au sein de sa famille. Il y jouera toute sa vie au point d’en faire son activité principale après sa décision de laisser inachevé Le Grand Verre. Pour lui, le jeu d’échecs est plus qu’un simple loisir. « Je l’ai pris très au sérieux, dit-il, et je m’y suis complu parce que j’ai trouvé des points de ressemblance entre la peinture et les échecs ».40

Dans ce chapitre, le jeu d’échecs est considéré du point de vue de sa relation à une mécanique, puis comme objet érotisé. Comme nous l’avons vu avec L.H.O.O.Q. et La Boîte-en-valise, cette thématique montre, de façon exemplaire, le processus de création chez Duchamp. Se trouvent ici condensés ses sentiments pour ses frères, son activité de joueur, l’observation de lui-même en train de jouer, ses préoccupations stylistiques du moment, ses découvertes scientifiques, son questionnement sur les liens fusionnels du couple…

Marcel Duchamp, Les Joueurs d'échecs, 1911

Marcel Duchamp, Les Joueurs d’échecs, 1911
Huile sur toile, 50 x 61 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat, 1954 - Schwarz n°234

Dans Partie d’échecs, d’août 1910*, clairement influencé par Les Joueurs de cartes de Paul Cézanne**, Duchamp représente ses deux frères en train de jouer, tandis que leurs épouses, assises dans l’herbe, semblent s’ennuyer. Comme Cézanne, Duchamp va réduire le nombre de figures, supprimer les deux femmes pour se concentrer sur le jeu.

Un an plus tard, alors qu’il travaille à la première version de Nu descendant un escalier, apparaissent une série d’études et une huile sur toile, Les Joueurs d’échecs (novembre-décembre 1911), d’où tout espace naturaliste et représentation réaliste des figures ont disparu. Dans les six études préparatoires, un dialogue s’est instauré entre les deux joueurs, leurs têtes interférant avec l’échiquier ou se démultipliant pour suggérer leurs mouvements successifs dans la partie.
Dans la version peinte, les deux frères, concentrés sur leur stratégie, forment un noyau central, touches de jaune, de rouge et de brun autour desquelles gravitent, à peine esquissées, les pièces d’échecs. L’ensemble forme, selon Duchamp, une « mécanique, puisque cela bouge ».41

Autour du noyau, les pièces sont peintes dans un camaïeu de blanc, de gris, et de bleu, couleurs propres à l’esthétique cubiste. L’œuvre a sans doute été réalisée, comme Portrait de joueurs d’échecs (décembre 1911), à la lumière du gaz, pour obtenir un coloris changeant à la lumière naturelle. Ces préoccupations relatives au coloris se retrouveront dans l’élaboration du Grand Verre.

* Voir Marcel Duchamp, Partie d’échecs, 1910
Sur le site du Philadelphia Museum of Art, Philadelphia

** Voir Paul Cézanne, Les Joueurs de cartes
Les Joueurs de cartes, 1890-1892
Version avec quatre figures
Sur le site du Metropolitan Museum of Art, New York

Les Joueurs de cartes, 1890-1895
Version avec deux figures
Sur le site du Musée d’Orsay, Paris

Marcel Duchamp, Le Roi et la Reine entourés de Nus vites, 1912

Marcel Duchamp, Le Roi et la Reine entourés de Nus vites, 1912
Huile sur toile, 114,6 x 128,9 cm
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie
The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950 - Schwarz n°248

Plusieurs études précèdent Le Roi et la Reine entourés de Nus vites. D’abord sur le thème de la machine et de la représentation du mouvement, puis sur celui des échecs mais sans que Duchamp fasse référence à ses frères, lesquels l’ont profondément déçu en voulant le convaincre de changer le titre de son Nu.

Le premier fusain de la série, Deux personnages et une auto (février 1912), réunit deux figures et une machine. Se glissant entre les deux figures mécanomorphes, l’auto, réduite à des lignes – un diagramme –, agit comme un principe dynamique, une énergie érotique. Duchamp mettra cette petite esquisse en copie dans quelques exemplaires de La Boîte-en-valise, ce qui indique l’importance qu’elle revêt pour lui.42
Dans l’étude suivante, Deux Nus : un fort et un vite (mars 1912), les personnages sont repris dans un style plus abstrait, sous forme de demi-cercles ou de virgules parallèles qui rappellent les photogrammes de Marey.

C’est avec la troisième étude, Le Roi et la Reine traversés par des Nus vites (avril 1912), qu’est introduit le thème du jeu d’échecs. Les deux pièces maîtresses sont traversées par des diagrammes qui indiquent le déplacement des pions et le mouvement des joueurs, ce que le peintre appelle les Nus vites.
Le Roi et la Reine traversés par des Nus en vitesse (avril 1912) − une aquarelle, une transposition du dessin en plans colorés − renoue avec la représentation cubofuturiste et mécanomorphe des peintures précédentes (dont le Nu…). Roi, Reine et Nus vites s’entremêlent au point de ne plus former qu’un couple soudé et ses agitations.

Le Roi et la Reine entourés de Nus vites (mai 1912), dernière œuvre de la série et huile sur toile cette fois-ci, montre deux tours babyloniennes, puissantes et robotiques, indissolublement liées l’une à l’autre, entourées d’un incontrôlable flux d’énergie. Roi et Reine ont la couleur des villes modernes, d’un jaune vitreux de lumière électrique, ce qui accentue leur absence de matière.43
Robert Lebel, ami de Duchamp, insistant sur « le caractère conflictuel et conjuratoire » de cette série, voit dans ces deux figures « d’implacables robots rivés l’un à l’autre par la fatalité du couple », lesquels seraient « des machines "père et mère" ».

Des « points de ressemblance » avec la peinture

« […] Aux Échecs, quand on parle d’une belle résolution à un problème, cela provient d’une pensée abstraite qui se résout dans la forme physique d’un Roi faisant cela ou d’une Reine faisant ceci. Comme si une chose abstraite était rendue vivante. Reine ou Roi deviennent des animaux qui se comportent selon une pensée abstraite mais vous voyez la Reine faire cela – vous sentez une Reine faire cela – vous la touchez… alors qu’une beauté mathématique reste toujours abstraite […]. » Marcel Duchamp44

Tout comme aux échecs, une œuvre, pour Marcel Duchamp, est une partie abstraite avant de se résoudre dans une forme physique. Comme un joueur doit anticiper les figures et les déplacements des pions, imaginer les coups qu’il va porter, un artiste doit prévoir plusieurs coups à l’avance, plusieurs plans d’existence à ses idées avant de les incarner dans une réalité vivante. Et, tout comme un Roi et une Reine, quand ils sont joués, peuvent dépasser le raisonnement du joueur, les motifs d’un tableau peuvent prendre leur indépendance par rapport à leur créateur.

Parmi les œuvres exposées dans cette section :
Marcel Duchamp, Moulin à café, 1911 ; Portrait de la mère de Gustave Candel, 1911-1912 ; La Partie d’échecs, 1910 ; Portrait de joueurs d’échecs, 1911 ; Les Joueurs d’échecs, 1911 ; Le Roi et la Reine traversés par des Nus vites, 1912 ; Le Roi et la Reine entourés de Nus vites, 1912 ; Roue de bicyclette, 1913/1964
Francis Picabia, Portrait de Marie Laurencin. Four in Hand, 1916-1917
Giorgio de Chirico, Il Ritornante, 1917-1918
Jacques Villon, Table d’échecs, 1920
Marcel Duchamp et Raymond Duchamp-Villon, Études de pièces d’échecs
Raymond Duchamp-Villon, Le Cheval majeur, 1914/1976
Constantin Brancusi, Étude pour le Portrait de Mme Eugène Meyer Jr., 1916-1933

la mariéeRetour haut de page
« mÉcanique viscÉrale » ou « Inconscient organique »

« Mon séjour à Munich fut la scène de ma libération complète, alors que j’établissais le plan général d’une œuvre à grande échelle qui devait m’occuper pour une longue période, à la mesure de toutes sortes de problèmes techniques nouveaux qu’il me faudrait résoudre. »
Marcel Duchamp45

Tout en visitant quelques grands musées (Bâle, Vienne, Dresde, Berlin), Marcel Duchamp s’installe à Munich durant l’été 1912. La capitale bavaroise, haut-lieu de l’ésotérisme mais aussi de la technique, berceau de l’abstraction de Kandinsky et conservatoire de tableaux de Cranach, lui offre un contexte de sources nouvelles à partir desquelles il élabore ses peintures les plus abouties : Le Passage de la Vierge à la Mariée et La Mariée.
Le passage, évoqué dans ce titre, n’est pas seulement celui de l’innocence à la sexualité. C’est aussi celui du style cubofuturiste de Duchamp à une « mécanique viscérale », une peinture qui montre l’invisible du désir, la transformation morale et physique de la future Mariée du Grand Verre.

Outre une Vénus de Cranach dont les incarnations de chair l’avaient si fortement impressionné, cette section de l’exposition présente également un cycle de dessins du graveur trévisan Alberto Martini, La Parabole des célibataires (1904-1906), peut-être vus par Duchamp à Munich.

Marcel Duchamp, Première Recherche pour « La Mariée mise à nu par les célibataires » (Mécanisme de la pudeur / Pudeur mécanique), 1912

Marcel Duchamp, Première Recherche pour « La Mariée mise à nu par les célibataires » (Mécanisme de la pudeur / Pudeur mécanique), 1912
Crayon et lavis sur papier, 24 x 32 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat, 1979 - Schwarz n°249

Cette Première Recherche pour « La Mariée mise à nu par les célibataires », sous-titrée « Mécanisme de la pudeur / Pudeur mécanique », apparaît, au premier coup d’œil, comme le prolongement de l’étude au crayon Le Roi et la Reine traversés par des Nus vites (avril 1912), réalisée avant de quitter Paris.
Mais une troisième figure est venue se loger au milieu des deux pièces. Au centre du dessin, la Mariée a remplacé la Reine. Deux personnages l’entourent qui ne sont ni des joueurs, ni un roi mais, selon le titre, des célibataires. Ils seraient, tout en la déshabillant, en train de diriger vers elle leurs pointes mouchetées. La représentation de leurs mouvements s’inspirerait d’une chronophotographie de Marey montrant les diverses phases d’un jeu d’escrime.46 Cependant, nous est-il par ailleurs précisé, « le sujet de ce dessin n’est [pas] l’acte physique, concret, qui pourrait unir célibataire et mariée. Il est l’impalpable relation du désir qui s’établit entre eux ».47 Les assauts mouchetés seraient donc l’expression des piqures incessantes de l’envie amoureuse.

Bien que difficile à comprendre, on ne peut éluder la dimension ésotérique de ce dessin. Duchamp s’est sans doute initié à l’alchimie au cours de son séjour à Munich. Et Ulf Linde, l’un de ses principaux exégètes, n’hésite pas à rapprocher cette œuvre d’une illustration extraite d’un ouvrage philosophique ancien, voyant dans « cette jeune vierge, dépouillée de ses vêtements […] le symbole du matériau alchimique qui, durant sa transmutation dans l’or du « mariage philosophique », subit liquéfaction et transformation de son état. »48

À cette Première Recherche pour « La Mariée… » succèdent un crayon sur papier et une aquarelle intitulés Vierge (juillet 1912). Puis une huile sur toile, Le Passage de la Vierge à la Mariée (juillet-août 1912). Thème qui fait écho aux toiles consacrées à Magdeleine (À propos de jeune sœur) et à Jeune Homme et jeune fille dans le printemps.
Mais ce passage n’est pas seulement celui de l’innocence à la sexualité. C’est aussi celui de la « transmutation » de la peinture de Duchamp, terme ésotérique ici pleinement adapté : la représentation naturaliste ou rétinienne, dont sont encore chargés cubisme et futurisme, s’est transformée en une « mécanique viscérale ». C’est, encore, le passage moral et physiologique de la future Mariée, dont certains organes géométrisés et reliés par des conducteurs de fluides commencent à se mettre en place.

Marcel Duchamp, Mariée, 1912

Marcel Duchamp, Mariée, 1912
Huile sur toile, 89,5 x 55,6 cm
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie
The Louise and Walter Arensberg Collection, 1950 - Schwarz n°253

La Mariée n’est pas, dit Duchamp, « l’interprétation réaliste d’une mariée » mais un concept de « mariée exprimée par la juxtaposition d’éléments mécaniques et de formes viscérales ».49 Ce corps est un corps-machine, avec ses viscères, ses nerfs et ses fragments de chair qui se juxtaposent sans qu’aucune organisation géométrique n’y soit décelable. Comme s’il n’y avait plus ni espace, ni temps, mais une simultanéité d’éléments en mouvement qui se déforment (ce qui est l’une des définitions de la quatrième dimension). Pour certains, on en connaît le nom : ainsi, la « hampe portant la matière à filaments », située quasiment au centre du tableau, ou encore « la guêpe » dont on voit pointer le dard, en bas à gauche.

Leur incarnation rosée est celle des Vénus de Cranach. « J’aime ces Cranach… je les adore. […], dira-t-il. La nature et la matière de ses nus m’ont inspiré pour la couleur chair ».50 Il s’est imprégné de leur velouté mais aussi de leur glacis51, une technique picturale qui fait surgir la lumière de la profondeur même de la toile. Pour Robert Lebel, ces incarnations « font plonger jusque dans les profondeurs de l’inconscient organique ».52

Duchamp à qui on reprochera de donner une vision négative de la femme, répondra que cette représentation de la Mariée est « avant tout une négation de la femme au sens social du terme, c’est-à-dire la femme-épouse, la mère […] », thème que nous avons déjà vu se développer dans L.H.O.O.Q. (voir le chapitre : « En préambule »).

 

Parmi les œuvres exposées dans cette section :
• Marcel Duchamp, Première Recherche pour « La Mariée mise à nu par les célibataires » (Mécanisme de la pudeur / Pudeur mécanique), 1912 ; Vierge n°1, 1912 ; Vierge n°2, 1912 ; Le Passage de la Vierge à la Mariée, 1912 ; Mariée, 1912
• André-Pierre Pinson, Femme assise, anatomie du thorax et de l’abdomen, 1750, cire
• Alberto Martini, La Parabole des célibataires, cycle de dessins, 1904-1906
• Jean Crotti, Virginité en déplacement, 1916
• Lucas Cranach l’Ancien, Vénus, 1532
• Maquettes de moteurs

la broyeuse de chocolat et les neuf moules MâlicRetour haut de page
« peinture de prÉcision et beautÉ d'indiffÉrence »

Rentré de Munich, Duchamp expose Nu descendant un escalier au Salon de la Section d’or puis, début 1913, à l’Armory Show. Adulé à New York, ignoré en France, il décide de ne plus être, socialement, un artiste. À partir de mai 1913, il travaille à la Bibliothèque Sainte-Geneviève et ce, semble-t-il, jusqu’à son départ, en juin 1915, pour les États-Unis53.
Tout absorbé par son travail de bibliothécaire, il en approfondit pas moins les connaissances dont il a besoin pour accomplir son projet. Après La Mariée réalisée à Munich, il conçoit à Paris les principaux éléments du registre bas du Grand Verre La Broyeuse de chocolat, une « peinture de précision », lisse et aux formes compactes, jouant de la perspective et de la symétrie, et les Neuf Moules Mâlic.

Entre Munich, Paris et New York, de 1912 à 1915, Duchamp accumule de nombreuses notes qui vont constituer l’épaisseur psychologique et ironique de son grand œuvre, notes qui seront éditées dans La Boîte verte en 1934.

Marcel Duchamp, Les Joueurs d'échecs, 1911

Albrecht Dürer, Underweisung der Messung… Nuremberg, Hieronymum Formschneyder, 1538 (détail)
Imprimé, 31 x 21,5 x 5 cm
Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris

À Sainte-Geneviève, Duchamp lit beaucoup. Quand il est en service public, il se cantonne à Platon, Héraclite ou Pyrrhon, le fondateur de l’École sceptique. Mais, à la réserve, il déniche des livres anciens d’inspiration scientifique pour approfondir ses connaissances en géométrie et en mathématiques, sur la perspective et l’optique. Il compulse L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, … s’imprègne des livres et des gravures des grands inventeurs de machineries, dont Léonard de Vinci et Albrecht Dürer… lit aussi des livres scientifiques plus récents comme les traités d’Esprit Jouffret ou d’Henri Poincaré qui émet l’idée d’une quatrième dimension, ou encore les essais illustrés d’Etienne-Jules Marey et d’Eadweard Muybridge sur la décomposition du mouvement. À ses moments de liberté, il réalise Roue de bicyclette (1913-1964) et Porte-bouteilles (1914-1964), ainsi que les principaux éléments du registre bas du Grand Verre. Il a abandonné définitivement le parti rétinien de la peinture pour un art d’idée.

peinture de précisionRetour haut de page

Marcel Duchamp, Étude pour la Broyeuse de chocolat n°2, 1914
Crayons de couleur, encre, huile sur toile montée sur plaque de bois, 49,7 x 35,5 cm
Staatsgalerie Stuttgart - Acquisition, 1973 - Schwarz n° 290
Voir l’œuvre sur le site de la Staatsgalerie, Stuttgart

La Mariée constitue la partie supérieure du futur Grand Verre. La Broyeuse de chocolat est le premier organe, mis au point avant les Moules Mâlic, pour sa partie inférieure appelée la Machine célibataire. Sa position centrale dans Le Grand Verre confirmera son importance.

Tandis qu’il vient d’envoyer son Nu à l’Armory Show, Duchamp peint une première version de la Broyeuse. Il a rompu avec le vocabulaire cubiste, ses déconstructions et ses plans multiples, ses miroitements de camaïeux. Comme pour la Mariée, sa technique est lisse. Mais les formes sont maintenant compactes, mises en perspective selon un point de vue unique, et respectant une symétrie, ici de part et d’autre de l’axe central de la dite « broyeuse ».

Alors qu’il veut s‘éloigner de tout état d’âme, le motif lui est inspiré par un souvenir d’enfance : les machines d’une chocolaterie à Rouen, qu’il voyait fonctionner à travers la vitrine en contrebas de la rue, d’où le point de vue en surplomb sur l’objet, donné ici. Cette « peinture de précision », comme il la nomme dans une Note de La Boîte verte, a donc un curieux statut, entre réel, imaginaire et souvenir d’enfance. Quel en est le sens ? De son propre aveu, cette machine qui tourne à vide, sans besoin d‘une excitation extérieure, renvoie à la pratique onaniste des célibataires incapables d’assouvir leurs désirs.

Dans cette Étude n°2, datée début 1914, apparaît, au crayon, le châssis Louis XV sur lequel reposera la machine, élément symétrique au crochet du « pendu femelle ». Le rendu perspectif des trois « meules » − les trois cylindres − n’est pas encore accentué par l’emploi de fils réels qui seront cousus dans la toile pour la version définitive.

Marcel Duchamp, Neuf Moules Mâlic, 1914-1915

Marcel Duchamp, Neuf Moules Mâlic, 1914-1915
L'œuvre fut brisée en 1916 et réencadrée par l'artiste entre deux panneaux de verre
Huile, fil de plomb, et feuille de plomb sur verre, 66 x 101,2 cm
Au dos de chaque figure, de gauche à droite : Cuirassier, Gendarme, Larbin, Livreur, Chasseur, Prêtre, Croque-mort, Policeman, Chef de gare
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Dation, 1997 - Schwarz n°328

Les formes des Moules sont une transposition du dessin Cimetière des uniformes et livrées, réalisé en 1914. Fêlé en 1916, l’œuvre sera, par la suite, protégée par deux plaques de verre.
Duchamp compose ses Neuf Moules Mâlic dans des matériaux non conventionnels. Outre la peinture à l’huile, il emploie des fils et des feuilles de plomb ainsi que du verre. Le choix du verre est sans doute lié aux découvertes faites à Munich des fixés traditionnels allemands et des peintures sur verre de Kandinsky. Les couleurs choisies sont « des non-couleurs », du minium et du plomb noirci : peut-être un rappel du premier stade de transmutation alchimique, où la purification du métal s’opère par le feu, le verre étant, à l’opposé, une matière froide et aérienne. Duchamp précise que le verre ne crée aucune césure spatiale et qu’il exprime une dématérialisation du réel.54

Les Neuf Moules représentent les célibataires, vus de front. Leurs fonctions sont indiquées au dos de chacun d’eux. On ne s‘étonnera pas d’y voir un Cuirassier, un Larbin, un Livreur, un Chasseur, un Croque-mort, un Chef de gare. Mais on s’alarmera d’y trouver un Policeman, un Gendarme (le premier étant sans doute plus gentleman que le second) et un Prêtre, dont les fonctions sont de protéger l’innocence. Duchamp persifle sur les valeurs (a)morales de la société. À moins qu’il ne veuille signifier que, quelle que soit la livrée ou le rôle endossé, chacun est l’objet de ses pulsions érotiques.
Et s’ils sont neuf, ce n’est pas un hasard. Duchamp veut un multiple de 3, signe de la multitude dans la numérologie ésotérique, quand « le 1 symbolise l’unique, et le 2 le couple ».

Mais, prisonniers de leurs uniformes, de leurs « livrées », les célibataires ne sont que des faux-semblants de formes mâles, des moules mâlic, des coquilles vides. De chacun d’eux émane du gaz. Leurs effluves sont collectées par les dits « tubes capillaires », au sommet de leurs têtes, qui créent un effet de perspective. Les célibataires aspirent à conquérir la Mariée, mais n’y parviendront pas.

Picabia et Duchamp : deux amis et complicesRetour haut de page

Francis Picabia, Voici la fille née sans mère, 1916-1917

Francis Picabia, Voici la fille née sans mère, 1916-1917
Aquarelle, gouache argentée, encre de Chine, mine graphite sur carton, 75 x 50 cm
Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris - Achat 1978

Né à Paris, d’un père cubain et d’une mère française, Francis Picabia (1879-1953) expose, dès 1905, des paysages. En 1908-1909, il réalise ses premières œuvres abstraites. En 1913, il peint Udnie, l’un de ses chefs-d’œuvre, souvenir du spectacle d’une danseuse polonaise sur le bateau qui le conduit aux États-Unis. Ne pouvant financer sa traversée Outre-Atlantique, Duchamp lui a confié ses œuvres, dont Nu descendant un escalier, pour l’Armory Show.
En 1915, amis et complices, Picabia et Duchamp se retrouvent à New York, leurs peintures « mécanomorphes » anticipant le mouvement Dada. Après la guerre, le duo se reforme à Paris. En 1924, Picabia collabore avec les Ballets suédois pour le ballet Relâche, Duchamp crée, pour la dernière représentation du spectacle, Ciné-Sketch, une farce érotique où il apparaît vêtu d’une feuille de vigne. On les retrouve tous les deux sur le toit du théâtre des Champs-Élysées, jouant aux échecs, dans le film Entr’acte de René Clair. Jugé trop mondain, Picabia sera évincé du groupe surréaliste, et la première rétrospective de son œuvre ne sera organisée qu’en 1949.

Le thème de la fille née sans mère, qu’il traite à plusieurs reprises, lui a été inspiré par un texte de Paul Haviland, écrivain, photographe et critique d’art : « L’homme a fait la machine à son image. La machine est sa "fille née sans mère", c’est pourquoi il l’aime. Il l’a faite supérieure à lui-même. C’est pourquoi il l’admire. Après avoir fait la machine à son image, son idéal humain est devenu machinomorphique. » En écho à ces œuvres, Guillaume Apollinaire écrit : « Des machines, filles de l’homme et qui n’ont pas de mère, vivent une vie dont les sentiments et les passions sont absents. »

 

Parmi les œuvres exposées dans cette section :
Marcel Duchamp, 3 Stoppages-Étalon, 1913-1914/1964 ; Réseaux des stoppages, 1914 ; Étude pour la Broyeuse de chocolat n°1, 1913 ; Étude pour la Broyeuse de chocolat n°2, 1914 ; Neuf Moules Mâlics, 191’-1915 ; Apolinère Enameld, 1916-1917/1965 ; Fresh Widow, 1920/1964
Marcel Duchamp et Man Ray, Élevage de poussière, 1920
Robert Delaunay, Fenêtre, 1912
Francis Picabia, Voici la fille née sans mère, 1916-1917
Morton Livingston Schamberg, Painting IV (Mechanical Abstraction), 1916
Vassily Kandinsky, Avec cavalier, 1912
Jean Crotti, Le Clown, 1916
Man Ray, Arrangements de formes, 1917 ; Danger/Dancer (L'Impossibilité), 1917-1920
Ouvrages de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et Objets mathématiques du CNAM

Le Grand verreRetour haut de page

Marcel Duchamp réalise Le Grand Verre à New York, entre 1915 et 1923, le laissant alors « définitivement inachevé ». Il s’agit de son ultime tentative pour montrer ce qui échappe à la vue et qui, comme tout ce qu’il fait au moment du Grand Verre, a pour « base » l’érotisme (voir chapitre : « Climat érotique »). Pas tout à fait l’ultime tentative cependant, car, dans le plus grand secret, il réalisera de 1946 à 1966 sa sculpture Étant donnés : 1° la chute d‘eau, 2° le gaz éclairage…

La version originale du Grand Verre, fragilisée lors d’un transport en 1936, et conservée au Philadelphia Museum of Art, a donné lieu à quatre répliques. La première, réalisée par Ulf Linde (1961), a été signée « copie conforme » par l’artiste.
L’exposition montre cette version, accompagnée des Notes élaborées au cours de ces années, éditées dans La Boîte verte (1934) puis dans La Boîte blanche (À l’infinitif, 1966).

Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même

Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même
[Le Grand Verre], 1915-1923 / 1991-1992
Réplique réalisée par Ulf Linde, Henrik Samuelsson, John Stenborg, sous le contrôle d’Alexina Duchamp
Huile, feuille de plomb, fil de plomb, poussière
et vernis sur plaques de verre, feuille d'aluminium, bois, acier, 321 x 204,3 x 111,7 cm
Moderna Museet, Stockholm - Schwarz n°404

« Deux mètres cinquante de haut, la peinture est constituée de deux grandes plaques de verre. J’ai commencé à travailler dessus en 1915 mais elle n’était pas achevée en 1923, quand je l’abandonnai dans l’état où elle est aujourd’hui. Pendant tout le temps où je la peignais, j’écrivis un grand nombre de notes qui devaient former le complément de l’expérience visuelle, comme un guide. »
Marcel Duchamp

Le Grand Verre se compose de deux panneaux disposés à la verticale, axe de l’élévation à la fois spirituelle, érotique, religieuse… La Mariée se trouve dans la partie supérieure, les célibataires dans la partie inférieure. La frontière entre ces deux mondes, au centre, représente, écrit Duchamp, « l’horizon et le vêtement défait de la Mariée ».

Dans cette mise en scène, la Mariée est conçue comme le « moteur » des désirs des célibataires. Moteur et « pendu femelle », écrit-il, encore. Placée en haut du verre, elle tient au bout d’un crochet. Ce crochet lui permettrait-il d’échapper à la pesanteur ? Eh bien, non, poursuit le peintre, rien de naturaliste dans sa réponse : « […] si ce moteur mariée doit apparaître comme une apothéose de virginité, c’est-à-dire le désir ignorant, […] et s’il (graphiquement) n’a pas besoin de satisfaire aux lois de l’équilibre pesant, néanmoins, une potence de métal brillant pourra simuler l’attache de la pucelle à ses amies et parents […]. »55

La Mariée occupe la place dédiée aux vierges en majesté dans les peintures religieuses. Duchamp recourt, ici, comme il le fait depuis les années 1910-1912, à des mythes ou symboles qu’il vide de leur sens (Jeune Homme et jeune fille dans le printemps, par exemple, ou Baptême). Une démarche identique à celle des objets auxquels il ôte leur usage et leur identité – les readymades. Son œuvre exprime cet acte récurrent : garder les livrées, les formes, les apparences, les vider de leur symbolique culturelle, donc temporelle, pour les investir des idées et de la sensibilité de son temps, ou de sa propre histoire.

Vapeurs et gaz de la Mariée se concentrent dans le nimbe – traces de l‘intérêt de Duchamp pour les peintres symbolistes –, peint en haut du tableau. Pendu par trois crochets et intitulé la « voie lactée chair », ce nimbe s’aère grâce à trois « pistons de courant d’air », le chiffre trois n’étant pas, là encore, fortuit. Mise à nue, la Mariée ne dévoile rien d’autre que ses viscères, ses pistons et ses vapeurs. Le verre, support de l’œuvre, a été choisi, entre autres, pour jouer le rôle de « refroidisseur » entre elle et les célibataires.56

Les Neuf Moules Mâlics et la Broyeuse de chocolat se déploient, comme prévu, dans la partie inférieure. Mais les célibataires restent impitoyablement immobiles. Broyeuse et célibataires sont entourés de tout un dispositif dont l’usage est décrit dans les Notes.
Marcel Duchamp songe-t-il, ici, à l’incapacité de la peinture à représenter ce qui bouge ? Ou à l’impossible rencontre amoureuse, dès lors que les rôles sont socialement prescrits ? Enfin, on retrouve, là, le thème du Déjeuner sur l’herbe de Manet, à l’origine de sa vocation de peintre. Face au Grand Verre, le spectateur devient le voyeur de la nudité et du désir inassouvi.

Les interprétations du Grand Verre sont nombreuses. Malgré les Notes réunies dans La Boîte verte, l’œuvre reste en partie un mystère, donnant lieu à une exégèse infinie : une interprétation mécaniste et désenchantée du phénomène amoureux, une symbolique de source alchimique, une poétique de la suggestion, « non [de] la chose mais son effet », influencée par la pensée de Stéphane Mallarmé, une économie libidinale réduite à des machines célibataires, un projet complexe et impossible jouant des géométries pluridimensionnelles, des lois de perspectives et de références savantes, un tableau qui tente de saisir ce qui échappe à la rétine, un processus de création qui modifie en profondeur notre approche de l’œuvre d’art…
Mais « Ce Grand Verre ne saurait […] être un geste sacrilège de plasticien » écrit Claude Lemoine, il est, au contraire, un hommage « de peintre », un immense hommage à la peinture, une oraison infinie sur les projections de l’esprit, les pouvoirs de l’image, et les limites du langage. »57

 

Parmi les œuvres exposées dans cette section :
• Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même [Le Grand Verre], réplique par Ulf Linde, 1915-1923/1991-1992 ; Notes autographes pour la Boîte verte, 1911-1915

Biographie – repèresRetour haut de page

1887
Naissance de Marcel Duchamp à Blainville-Crevon (Seine-Maritime). Il est le troisième d'une famille de six enfants, dont quatre seront artistes : Jacques Villon (1875-1963), Raymond Duchamp-Villon (1876-1918), Suzanne Duchamp (1889-1963) et lui-même.
1904 Marcel Duchamp rejoint ses frères à Paris et suit des cours à l'Académie Julian.
1905 La grande rétrospective Manet décide de sa vocation de peintre.
1910 Duchamp réalise une série de nus, dans un style fauviste, puis symboliste. Il expose ses Deux nus au Salon de la Société des artistes indépendants à Paris.
1911 Duchamp présente Baptême, Le Buisson et Paradis, au Salon des Indépendants ; Le Printemps ou Jeune Homme et jeune fille dans le printemps et Dulcinée, au Salon d’automne.
Son style hésite entre cubisme et symbolisme. Fin 1911, il rejoint le groupe de Puteaux, constitué de peintres cubistes et de quelques poètes qui se réunissent régulièrement dans l’atelier de ses frères.
Novembre-décembre, il peint Les Joueurs d’échecs et Nu descendant un escalier.
1912 Février. Nu descendant un escalier, synthèse cubofuturiste d’après un dessin sur un poème de Jules Laforgue, est retiré du Salon des Indépendants par les membres du jury (Gleizes, Metzinger, Le Fauconnier, Léger).
De février à mai : série d’études qui aboutissent à l’œuvre Le Roi et la Reine entourés de Nus vites. Dans cette série sont associés, pour la première fois, les thèmes du jeu d’échecs, de la machine et de l’érotisme.
En été, voyage à Munich, en passant par Bâle, Dresde et Berlin. Ce nouveau contexte intellectuel, artistique et scientifique le conduit à concevoir le plan du Grand Verre. Il peint ses ultimes chefs-d’œuvre : Le Passage de la Vierge à la Mariée et Mariée, laquelle va constituer la partie supérieure du Grand Verre.
Octobre. Nu descendant un escalier est exposé au Salon de la Section d'or. C’est la dernière fois qu’il expose dans un salon en France.
1913 Nu descendant un escalier est exposé à l'Armory Show, à New York, où il triomphe.
De mai 1913 à mai 1915, Duchamp travaille en tant que bibliothécaire à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Il s’interroge : « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas d’art », et conçoit Roue de bicyclette.
Première version de la Broyeuse de chocolat, l’un des éléments de la partie inférieure du Grand Verre.
1914 Porte-bouteilles, premier objet considéré comme un readymade.
Neuf Moules Mâlic, 1914-1915, deuxième élément de la partie inférieure du Grand Verre.
1915 Duchamp s’installe aux États-Unis où il travaille au Grand Verre, retrouve Francis Picabia et rencontre Man Ray.
1917 Il envoie au comité de sélection de la Société des artistes indépendants, dont il fait partie, Fontaine, sous le pseudonyme de Richard Mutt. L'objet est refusé, il publie une série d'articles intitulés The Richard Mutt Case.
1919 Rentré à Paris, il se lie avec les dadaïstes. En cette année du 400e anniversaire de la mort de Vinci, il réalise, à partir de La Joconde, L.H.O.O.Q.
1920 De retour à New York, il fonde avec Man Ray et Katherine S. Dreier un organisme visant à promouvoir l'art contemporain, la Société Anonyme.
Dans le prolongement de ses recherches sur le mouvement, il entame une série d’œuvres optiques avec Rotative plaques verre (optique de précision).

Duchamp, Brancusi, Tzara et Man Ray dans l'atelier, 1921

Duchamp, Brancusi, Tzara et Man Ray dans l'atelier, 1921
Epreuve gélatino-argentique, 12 x 17,8 cm
Legs de Constantin Brancusi en 1957

1921 En collaboration avec Man Ray, il publie le premier et unique numéro de New York Dada.
1923 Duchamp laisse « définitivement inachevé » Le Grand Verre, la rumeur court qu'il abandonne l'art.
1924 Il participe au tournage du film Entr'acte de René Clair. Dans la première scène du film, il joue aux échecs avec Picabia sur le toit du théâtre des Champs-Elysées.
1925 Avec Man Ray et Marc Allégret, il réalise Anémic Cinéma.
1932 Duchamp fait partie de l'équipe de France du Championnat d'échecs et publie, en collaboration avec un autre joueur, un ouvrage sur les fins de parties.
1935 Il présente ses Rotoreliefs au concours Lépine.
1936 Dans La Boîte-en-valise, Duchamp rassemble l’essentiel de son œuvre, sous forme de reproductions en modèle réduit. Entre 1942 et 1966, il en réalisera, avec ses assistants, 312 exemplaires.

1938

L’« Exposition internationale du surréalisme », organisée à la galerie des Beaux-Arts à Paris et scénographiée par Marcel Duchamp, invite seize participants à « habiller » seize mannequins.
1939 Publication de Rrose Sélavy, recueil de contrepèteries et de jeux de mots.
1942 Marcel Duchamp met en scène « First Papers of Surrealism »,exposition organisée par les surréalistes émigrés à New York. Il tisse, dans l'une des salles, un réseau constitué de deux kilomètres de ficelle entrelacée.
1946 Duchamp commence dans le plus grand secret sa sculpture Etant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage… (1946-1966) – un mannequin féminin allongé dans un paysage, seulement visible à travers deux œilletons –, qui ne sera dévoilée qu’après sa mort.
1947 À Paris, galerie Maeght, est organisée l’une des expositions les plus ambitieuses du mouvement surréaliste, « Le Surréalisme en 1947 ». 86 artistes, originaires de 24 pays, y sont invités par André Breton et Marcel Duchamp. La scénographie est assurée par Frederick Kiesler et Duchamp qui réalise également la couverture du catalogue avec l'œuvre Prière de toucher.
1952 Le magazine Life lui consacre un article. C'est le début de la célébrité.
1954 Ouverture du Musée d'art de Philadelphie grâce à Louise et Walter Arensberg, amis et mécènes de Duchamp, qui ont fait don de leur collection. Le nouveau musée comprend 43 œuvres de Duchamp.
1958 Publication de Marchand de sel, le premier recueil des écrits de Duchamp.
1959 Publication de la première monographie sur Duchamp par Robert Lebel.
1964 La galerie Schwarz, Milan, réédite treize readymades disparus, en plusieurs exemplaires.
1966 La Tate Gallery de Londres organise la première grande rétrospective de son œuvre.
1967 Exposition « Raymond Duchamp-Villon / Marcel Duchamp » au Musée d'art moderne de Paris.
1968 Marcel Duchamp décède le 2 octobre à Neuilly.
Sa dernière œuvre, Etant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage…  n’est révélée qu’après sa mort.
1973 Rétrospective Duchamp au Musée de Philadelphie et au Musée d'art moderne de New York.
1977 L’exposition inaugurale du Centre Pompidou lui est consacrée.

Bibliographie sÉlectiveRetour haut de page

Essais sur Marcel Duchamp

Catalogues d'exposition

Entretiens et textes de Marcel Duchamp

À consulter sur Internet

 

www.centrepompidou.fr 
En savoir plus : manifestations autour de l’exposition
Un dimanche une œuvre, films, visites…

Crédits

© Centre Pompidou, Direction des publics, septembre 2014
Texte : Marie-José Rodriguez
Relecture : Chantal Noël
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cédric Achard / RDSC
Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques Retour haut de page

Références

_1 Cécile Debray, Marcel Duchamp. La peinture même. Catalogue de l‘exposition, éditions Centre Pompidou, 2014, p.16.

_2 Marcel Duchamp, Duchamp du signe. Écrits de Marcel Duchamp réunis et présentés par Michel Sanouillet, collection Champs / Flammarion, 1994.

_3 Le readymade est un objet tout fait, choisi par l’artiste, et présenté comme tel. On le dit « aidé » quand l’objet est signé et « corrigé » quand il est, peu ou prou, transformé.

_4 En 1916, à Zurich, en pleine guerre mondiale, se forme le mouvement Dada, avec notamment Hugo Ball, Tristan Tzara, Marcel Janco, Hans Arp et Sophie Taueber-Arp. Anticipé par Marcel Duchamp et Francis Picabia à New York, il trouve des relais à Berlin, Paris et Hanovre avec Kurt Schwitters.

_5 Léonard de Vinci (1452, Vinci, Italie-1519, Ambroise, France), génie universel de la Renaissance, est à la fois peintre, sculpteur, architecte, ingénieur, écrivain… La Joconde (1503-1506, Musée du Louvre, Paris), La Cène (1495-1498, église Santa Maria delle Grazie, Milan), La Vierge, l’enfant Jésus et sainte Anne (1502-1513, Musée du Louvre), L’Homme de Vitruve (vers 1492, Gallerie dell'Accademia, Venise) comptent parmi les œuvres les plus célèbres.

_6 Marc Décimo, « La Joconde mérite-t-elle ses moustaches, sa barbiche et plus si affinités », catalogue de l’exposition, pp.66-69.

_7 Eugène François Bonaventure Bataille, plus connu sous son pseudonyme d'Arthur Sapeck (1854-1891) pour ses canulars et mystifications que pour ses travaux d’illustrateur, est une figure emblématique des mouvements Hydropathes, puis Fumistes, Hirsutes, et Incohérents. C’est pour l‘exposition des « Arts incohérents », en 1883, qu’il conçoit l’affiche Mona Lisa fumant la pipe.

_8 Yiánnīs Toumazĭs, Marcel Duchamp, artiste androgyne, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2013. Cité dans le catalogue de l’exposition.

_9 Life. Volume XXXII, n°17, p.102. Cité dans le catalogue de l’exposition.

_10 M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu. Entretiens avec Pierre Cabanne, 1967, Belfond, 1976, pp.153-154.

_11 Marcel Duchamp, Entretiens avec  Pierre Cabanne, 1967, Somogy, 1995, p.27.

_12 M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu, Entretiens avec Pierre Cabanne, ouvrage déjà cité, pp.36-37.

_13 Cécile Debray, notice sur Baptême, catalogue de l’exposition, p.124.

_14 Rodolphe Rapetti, « Portrait de l’artiste en symboliste défroqué », catalogue de l’exposition, p.90.

_15 Réponse de Duchamp lors d’une conférence de presse à l’Art Institute de Chicago le 19 octobre 1949. Cité par Rodolphe Rapetti. Extrait de Françoise Le Penven, « Marcel Duchamp ou la pérennité des sources », Études, 2002/12.

_16 C.L., notice sur Jeune Homme et jeune fille dans le printemps, 1911, catalogue de l’exposition, p.105.

_17 M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu. Entretiens avec Pierre Cabanne, 1967, ouvrage déjà cité, p.61.

_18 Relâche, ballet en deux actes créé par les Ballets suédois au théâtre des Champs-Élysées, en décembre 1924. Un spectacle surréaliste de Francis Picabia sur une musique d'Erik Satie, accumulant bons mots, situations comiques et quelques vérités profondes.

_19 Walter Pach, Queer Thing, Painting : Forty Years in the Art World, Harper & Brothers Publishers, 1938. Cité par Rodolphe Rapetti dans le catalogue de l’exposition.

_20 Rodolphe Rapetti, « Portrait de l’artiste en symboliste défroqué », catalogue de l’exposition, p.90.

_21 Albert Gleizes et Jean Metzinger, Du cubisme, édition Figuière, 1912.

_22 La géométrie euclidienne est à 2 ou 3 dimensions, selon qu’on trace des figures dans le plan ou en volume.

_23 En 1902, le grand mathématicien Henri Poincaré rédige un ouvrage de vulgarisation qui connaît un très vif succès : La Science et l'Hypothèse, portant notamment sur l’hypothèse d’une quatrième dimension. L’édition numérique de cet ouvrage est consultable sur ebooksgratuits.com

_24 Marcel, Duchamp, Entretiens avec Pierre Cabanne, 1967, Somogy, 1995, p. 43.

_25 M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu. Entretiens avec Pierre Cabanne, ouvragé déjà cité, p.42.

_26 Marcel Duchamp, Duchamp du signe, ouvrage déjà cité.

_27 Voir le dossier Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive. Exposition présentée du 15 octobre 2008 au 26 janvier 2009, Galerie 1, Centre Pompidou.

_28 Les Peintres futuristes italiens, galerie Bernheim Jeune, Paris, février 1912, catalogue de l’exposition.

_29 Didier Semin, « Le paradigme du dessin d’humour », catalogue de l‘exposition, pp.156-159.

_30 Robert Lebel, Sur Marcel Duchamp, éditions Trianon, 1959 ; réédition Centre Pompidou/Mazzotta, 1996, p.29.

_31 Pressenti par différents artistes dont Marcel Duchamp, Robert Delaunay ou Alexander Calder, l’art cinétique apparaît officiellement en 1961 avec la parution du manifeste du Groupe de recherche d’art visuel (GRAV). Il désigne des recherches plastiques fondées sur l’intégration du mouvement dans les œuvres d’art, mouvement qui peut être créé par un mécanisme motorisé, l’air ou le déplacement du spectateur. Une volonté commune anime ces recherches : introduire une quatrième dimension dans les œuvres, assimilée au temps.

_32 Marcel Duchamp, Entretiens avec Pierre Cabanne ouvrage déjà cité.

_33 Rodolphe Rapetti, « Portait de l’artiste en symboliste défroqué », catalogue de l’exposition, p.11.

_34 Raymond Duchamp-Villon. Lettre à l’artiste américain Walter Pach, 1913. Archives of American Art, Smithsonian Institution, Washington. Cité dans le catalogue de l’exposition.

_35 Marcel Duchamp, Entretiens avec Pierre Cabanne, ouvrage déjà cité, pp.38-39.

_36 C.M., catalogue de l‘exposition, p.186.

_37 Marcel Duchamp, Duchamp du signe, ouvrage déjà cité, p.105.

_38 Marcel Duchamp, Entretiens avec Pierre Cabanne, ouvrage déjà cité, p.58.

_39 M. Duchamp, lettre à Guy Weelen, 26 juin 1955, citée par Jean Clair, Marcel Duchamp, Catalogue raisonné, éditions Centre Pompidou, 1977, p.70.

_40 Entretien Marcel Duchamp. James Johnson Sweeney, dans Duchamp du signe. Écrits, éd. par Michel Sanouillet, ouvrage déjà cité, p.159.

_41 M. Duchamp, Ingénieur du temps perdu. Entretiens avec Pierre Cabanne, ouvrage déjà cité, p.29.

_42 Deux personnages et une auto, l’étude est reproduite dans les numéros XIV à XX de La Boîte-en-valise, catalogue Marcel Duchamp, 1977, éditons Centre Pompidou, p.51.

_43 Henri Poincaré consacre, dans son ouvrage La Science et l’Hypothèse, un chapitre à ce thème : « La fin de la matière ».

_44 Marcel Duchamp. Entretien avec James Sweeney, 1945, Archives du Philadelphia Museum of Art.

_45 Marcel Duchamp, « À propos de moi-même », dans Duchamp du signe, ouvrage déjà cité, p.224.

_46 Marcel Duchamp, catalogue, éditions Centre Pompidou, 1977, pp. 54-55.

_47 Didier Ottinger, Marcel Duchamp dans les collections du Centre Georges Pompidou, Musée national d ‘art moderne, éditons Centre Pompidou, 2001, p.20.

_48 Jean Clair, Marcel Duchamp. Catalogue raisonné, ouvrage déjà cité, p.55.

_49 Marcel Duchamp, Duchamp du signe, ouvrage déjà cité, pp.223-224.

_50 Marcel Duchamp. Life and Work, Cambridge (MA), mit Press, 1993, 25 août 1912.

_51 Le glacis est une technique picturale inventée par les grands peintres allemands de la Renaissance, dont Cranach l’Ancien, Albrecht Dürer ou Hans Holbein.

_52 Robert Lebel, Sur Marcel Duchamp, ouvrage déjà cité, p.15.

_53 Yves Peyré, « Le Séjour de Marcel Duchamp à la Bibliothèque Sainte-Geneviève », catalogue de l’exposition, pp.220-225.

_54 Rodolphe Rapetti, « Portrait de l’artiste en symboliste défroqué », texte déjà cité.

_55 Marcel Duchamp, Duchamp du signe, ouvrage déjà cité, p.62.

_56 Marcel Duchamp, Duchamp, du signe, ouvrage déjà cité, p.59.

_57 C.L., notice sur La Mariée mise à nu par ses célibataires, même [Le Grand Verre], 1915-1923, catalogue de l’exposition, p.256.

Fin du contenu du dossier