Vassily Kandinsky (1866 - 1944)
« CrÉer une Œuvre c’est
créer un monde
Kandinsky est universellement reconnu comme l’inventeur
de l’abstraction lyrique. Il est peintre et théoricien.
En 1895 la révélation des Meules de Monet le pousse à quitter
ses études de droit et à se consacrer à la peinture
qui, avec la musique, l’intéresse depuis toujours. Dès
ses premiers paysages, datant de 1901, les impressions naturalistes
sont réduites à l’essentiel. La tendance à se
libérer de la référence au réel va s’accentuer
avec des œuvres de 1908 et 1909, à la composition libre
et aux couleurs intenses caractérisées par une touche
oblique. Mais c’est avec ses premières
œuvres abstraites de 1910 et 1911 que Kandinsky marque
l’abandon de toute relation à l’objet ou à la
figure, la toile devient alors le lieu d’oppositions multiples
de forces et de couleurs qui bouleversent l’espace.
Du spirituel dans l’art
Son ouvrage, Du
Spirituel dans l’art, écrit
en 1910, où l’artiste médite sur les rapports entre
la forme et la couleur, la peinture et la musique, tentant de définir
la valeur expressive des formes et des couleurs et de leurs combinaisons,
fera date.
Couleurs et formes, déterminent des impressions particulières,
véhiculent des sensations et des sentiments différents.
Au bleu mystique et froid s’opposent le jaune chaud et agressif,
le vert paisible, les différents silences des blancs et des
noirs, la passion du rouge, couleurs qu’il met en relation avec
ronds, triangles et carrés, lignes ouvertes ou fermées.
Le spirituel est du ressort de la peinture qui agit directement
sur les sens et sur l’émotion.
La dissociation de la peinture et du sujet
En décembre 1911, il organise la première
exposition de la rédaction de l’Almanach du Blaue Reiter [1]où
il affirme, par des toiles de plus en plus grandes, la dissociation
de la peinture et du sujet. Le mot Composition se substitue alors
aux titres habituels des tableaux.
« Créer une œuvre c’est
créer un monde. » Ce monde n’est pas à l’image
du réel mais est une création pure, ne répondant
qu’à
« la nécessité interne au tableau », écrit
Kandinsky. Au sujet de la nature, l’artiste souligne qu’il
ne faut pas se borner à la voir mais qu’il faut la vivre.
C’est cette vie saisie dans un élan cosmique, dans une
effusion spirituelle, que le peintre rendra dans sa période
la plus intense de l’abstraction lyrique.
[1] L’Almanach
du Blaue Reiter est un recueil de textes sur l’art moderne écrits
par les artistes et musiciens du mouvement homonyme : Blaue
Reiter ou Cavalier bleu, que Kandinsky avait fondé la
même année avec Franz Marc. [ Retour
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Jaune-Rouge-Bleu, 1925
Vassily
Kandinsky, Jaune-rouge-bleu, 1925
Huile sur toile, 128 x 201, 5 cm
Donation Nina Kandinsky 1976
AM 1976-856
© Adagp, Paris 2007
Le retour à la ligne courbe et aux dégradés
de couleurs
Etabli à Weimar de 1922 à 1925, Kandinsky, sous l’invitation
de l’architecte Walter Gropius, s’associe à l’équipe
des professeurs du Bauhaus.[2] Sa
peinture devient rigoureusement géométrique. En 1925
le Bauhaus quitte Weimar pour Dessau. La peinture de Kandinsky renoue
alors avec la ligne courbe, les dégradés de couleur nuancent à nouveau
ses compositions. Jaune-rouge-bleu, est l’œuvre
la plus importante de cette période.
Cette grande toile est un rectangle aux dimensions
parfaites évoquant la « divine proportion »,
elle tranche avec les formats plus exigus de la période du
Bauhaus. Le tableau pourrait apparaître comme une transposition
des théories que l’artiste vient de fixer dans son ouvrage, Point,
ligne, plan [3], mais
sa complexité l’éloigne d’une simple œuvre
manifeste. Kandinsky veut à ce moment ouvrir la peinture non
figurative aux possibilités d’un système formel
qui dépasse celui du cercle et du carré où les
constructivistes russes, issus du Bauhaus, voulaient faire sombrer
l’abstraction. Les couleurs primaires mélangées
au noir et au blanc s’opposent au couple exclusif noir et blanc
de Malévitch ou de Mondrian.
Deux parties qui s’opposent
L’œuvre est composée de deux parties qui s’opposent : lignes
géométriques à gauche, formes
libres à droite. L’accent principal est mis
sur les trois couleurs primaires qui, de gauche à droite
et dans l’ordre : jaune, rouge, bleu, articulent la composition.
L’opposition du jaune chaud, lié au mouvement,
et du bleu froid, stable, lié à
la forme du cercle y est mise en jeu. La partie jaune est lumineuse,
légère, des fines lignes droites et noires l’accompagnent.
Elle s’inscrit sur un fond pâle aux bords bleu-violet
où la peinture est appliquée de manière à produire
la sensation d’un ciel avec ses nuages évanescents qui
semblent se prolonger au-delà du tableau. A l’opposé,
la partie droite est sombre, le cercle bleu se détache sur un
fond jaune clair, rythmé par la ligne serpentine noire d’épaisseur
variée. Entre les deux polarités du jaune et du bleu,
se déploie une multiplicité de formes : rectangles
rouges, se lisant derrière les transparences des formes biomorphiques,
damiers en couleurs et noirs et blancs.
L’équilibre des éléments
L’essentiel de ce tableau est dans l’équilibre
des
éléments qui se répondent dans un jeu d’oppositions
et de complémentarités. Au géométrisme
solaire de la partie gauche, évoquant l’astre diurne
par la couleur et par les obliques qui, tels des rayons, sortent à deux
reprises des demi-courbes, répond à droite l’obscure
rotondité lunaire d’où s’échappe
une myriade de formes : surfaces qui se chevauchent et se lisent
en transparence, sans parler des deux formes biomorphiques aux multiples
nuances grises qui, comme deux plumes, coiffent le cercle bleu.
Soleil et lune se donnent rendez-vous
Mais ce tableau suggère aussi une autre lecture.
Dans ce rectangle aux dimensions parfaites, « Soleil » et « Lune » se
donnent rendez-vous. Soleil sous la forme d’un visage vu de face
et de profil, lune qui se diffracte dans l’échantillonnage
des bleus, violets, roses, en un bouillonnement de courbes et contrecourbes,
de lignes obliques et ondulées, d’opacités des
damiers en perspective et de transparences des surfaces biomorphiques,
auxquelles s’ajoutent rectangles et carrés en suspension
comme un jeu de cartes flottant dans la vacuité des aires.
La naissance des couleurs
Loin de n’être qu’un simple manifeste-synthèse
des différentes périodes de l’art de Kandinsky,
ce tableau miroitant et mystérieux n’arrête pas
d’interpeller le spectateur. En effet dans des notes de cours Kandinsky
s’exprime à
propos des couleurs et de leur « naissance » : « Jaune
et bleu par rapport au rouge… Phébus et la Lune s’évitent
et se retrouvent quand même entre jour et nuit comme l’aurore
et le couchant. Naissance mystérieuse du rouge par la tendance
simultanée à l’éloignement et à l’ascension
du jaune et du bleu. »
Au centre de la composition, entre les extrêmes
du jaune et du bleu qui montent, il s’agirait ici d’une naissance
du rouge et de la couleur à laquelle Kandinsky redonne
toute sa force expressive.
[2] Le Bauhaus était
une école allemande d’architecture et d’arts appliqués
qui, au début du siècle, bouleversa le domaine de l’architecture
et de l’art en général. [ Retour
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[3] Avec Point,
ligne, plan, publié en 1926, Kandinsky élabore
méthodiquement une théorie de l’abstraction où les éléments
géométriques
élémentaires, le point, la ligne, le plan, sont mis en
relation. Tous ces
éléments formels de l’œuvre évoquent
chez le spectateur des sentiments différents que l’artiste
veut ici analyser de manière presque scientifique. Si le point, « élément
premier de la peinture », peut prendre plusieurs formes
et « résonner » différemment dans
le plan, la ligne a deux qualités substantielles : la « tension » et
la « direction ». Il en va de même pour
les formes et les couleurs qui, après un test mené auprès
de ses étudiants pour vérifier le caractère scientifique
de l’expérience, se trouvent associées dans cet
ordre : le cercle au bleu, le carré au rouge, le triangle
au jaune. [ Retour au texte --> ]
Texte : Margherita Leoni-Figini
point, ligne, plan
Dessins de Vassily Kandinsky
Titelblatt
für Punkt und Linie zu Fläche (Couverture de Point-Ligne-Plan),
1925
Ebauche
Page de carnet
Encre de Chine et retouches de gouache sur papier, 25,6 x 18,5 cm
II.
Thema der V. Symphonie
Titre attribué : Thème II de la Cinquième
Symphonie,
1925
Crayon et encre de Chine sur papier, 23 x 37 cm
(Sans
titre)
(Schéma des variations de température),
1925
Crayon et encre de Chine sur papier, 18,3 x 10,6 cm
Ligne
courbe-librement ondulée, 1925
Encre de Chine, retouches à la gouache sur papier, 18,5 x 25,6
cm
Décroissance
continue de l'épaisseur de la ligne, 1925
Page de carnet
Encre de Chine, retouches à la gouache sur papier, 18,5 x 25,6
cm
Epaississements
spontanés d'une ligne courbe libre, 1925
Page de carnet
Encre de Chine sur papier, 20 x 13 cm
Lithographie
n°I, 1925
Lithographie,
33,1 x 20,7 cm
53,6 x 34,1
43/50
(Sans titre), vers 1925
Crayon et encre de Chine sur papier, 38,6 x 30,9 cm
(Sans
titre), vers 1925
Encre de Chine et crayon sur papier, 31,9 x 18,4 cm |