Arts de la scène et nouvelles technologies
Myriam Gourfink, Les temps tiraillés / 1 2 3 4 5 6 7

 

4. Articulations musique-danse

Myriam Gourfink travaille aussi cette mécanique sensible du corps en la mettant en tension avec un paysage musical omniprésent dans ses créations. Loin de la logique d’accompagnement généralement pratiquée dans l’univers de la danse classique et moderne − et dans une moindre mesure, contemporaine −, la musique dans ses pièces entre en totale adéquation avec la danse. Elle interfère sur elle, la modèle, la spatialise.

Avec le compositeur Kasper T. Toeplitz : par association, par perturbation…

La plupart des pièces créées par la chorégraphe ont été réalisées en collaboration avec le musicien et compositeur Kasper T. Toeplitz. Ensemble ils réfléchissent à la manière dont musique et danse peuvent agir par associations mais aussi par perturbations, canalisation de flux, spatialisation des formes, élasticité du temps et de l’espace. Les corps se calent sur une musique non rythmique impulsée par des infra-basses et générée par un travail spécifique sur le son. Suivant des techniques de composition musicale induites par l’usage de l’électroacoustique et de l’informatique musicale, la musique crée des textures sonores qui donnent à éprouver le temps, l’espace et les tensions chorégraphiques propres à son travail. Tout se joue dans la manière dont danse et musique s’interpénètrent jusqu’à pousser l’expérience kinésique à son maximum.

Myriam Gourfink, This is my house, 2005
© Centre Pompidou - Bertrand Prévost

De fait, chaque création est une exploration et une ouverture sur les possibilités qu’offre pareille rencontre : travail sur la perception de l’espace et du corps par l’intermédiaire des vibrations sonores (Corbeau, 2007), sur le bruit et le souffle, bruit noir et salissures, générés et synthétisés en temps réel, c’est-à-dire en direct, par un ordinateur (Molecular black, 2006), création d’une musique qui sculpte l’espace et donne à percevoir l’évolution des corps dans cet espace (Contraindre, 2004), actions autonomes entre la danse et la musique, sans connexions prédéterminées (L’innommée, 2003), musique hypnotique qui joue en deçà du son pour plonger le spectateur dans un véritable environnement sonore (Marine, 2001). On peut aussi citer This is my house (2005), Rare (2002), Too generate (2000) et Überengelheit (1999).

 

Spectacles présentés au Centre Pompidou et à l’Ircam

Myriam Gourfink, Contraindre, présenté au Centre Pompidou du 16 au 20 février 2004 >
Myriam Gourfink, L’écarlate, présenté à l’Ircam-Espace de projection, festival Agora, du 6 au 8 juin 2001 >

 

Avec Georg Friedrich Haas : danse et musique en contrepoint

Dans le cadre de la commande passée par l’Ircam et le Centre Pompidou, la rencontre entre Myriam Gourfink et le compositeur Georg Friedrich Haas signe une autre approche du rapport entre danse et musique. Dans Les temps tiraillés, la musique − qui appartient au registre de la musique spectrale (1) et donc d’un travail de composition à partir du son − s’inscrit dans une rythmique très lisse, plus rapide que celle présente d’ordinaire dans les créations de la chorégraphe.

Myriam Gourfink, Les temps tiraillés, 2009
© Eric Legay

Temps tiraillés donc, entre d’un côté le temps de la musique et de l’autre celui de la danse, plus lent. Ici la musique n’accompagne pas. Elle s’inscrit en contrepoint afin de générer une tension entre elle et la danse. Elle offre sa propre partition musicale, ses tessitures, sa temporalité, son rythme. La musique apparaît dans l’espace de manière quasi autonome, une autonomie renforcée par la présence des trois musiciens (un basson et deux altos) qui évoluent au milieu du public puis sur scène, formant ainsi une entité différente de celle constituée par les danseuses.

L’électronique vient ici déployer le son généré par les instruments, elle amplifie la constitution même du son créant ainsi un effet de lenteur et de fascination. Pour cette création, Myriam Gourfink a dans un premier temps travaillé sur les grands axes de la partition chorégraphique qu’elle a par la suite soumis au compositeur. Une structure architecturée autour de trois parties dont le compositeur a tenu compte pour définir à son tour la structure globale de la composition musicale. Par la suite Myriam Gourfink a écrit une partition composée de vingt séquences chorégraphiques autonomes pouvant être utilisées sur scène dans un ordre aléatoire, et Georg Friedrich Haas une partition musicale écrite pour être jouée d’un bout à l’autre, sans combinaisons interchangeables comme c’est le cas pour la composition chorégraphique.

(1) Résultant de la musique électronique, la musique spectrale recrée, au moyen d’instruments de musique traditionnels combinés à l’ordinateur, le spectre harmonique du son (son fondamental et ses harmoniques). La rencontre de sons partiels (harmoniques) et de sons complexes (spectre) produit un son plus riche qu’à l’état naturel.

 

A voir : Les temps tiraillés, Images d’une œuvre N°6 >
un documentaire sur la collaboration entre la chorégraphe et Georg Friedrich Haas, réalisation Martin Kaltenecker,
le 21 janvier 2009 à 19h, Ircam-Studio 5.

 

 

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© Centre Pompidou 2009