La Révolution surréaliste

Du 6 mars au 24 juin 2002

  

Parcours découverte et pistes pédagogiques

pour les enseignants

 

Vous trouverez dans ce dossier des propositions de parcours, à exploiter avec vos élèves. Cette traversée s’appuie sur des œuvres qui figurent dans l’exposition présentée au Centre Pompidou, et s’oriente selon les thèmes suivants : 

 

Quand peinture et poésie se rencontrent : Max Ernst

L’intérêt pour la mythologie

L’inquiétante étrangeté

L’automatisme

L’objet surréaliste

La ville : le Paris des surréalistes

 

 

 

 

Quand peinture et poésie se rencontrent :

Max Ernst

 

L’articulation littérature arts plastiques n’a jamais été aussi serrée que pendant la grande aventure surréaliste. L’ancien adage d’Horace « ut pictura poesis », autrement dit « peinture et poésie doivent procéder du même principe », n’a jamais été aussi suivi. Même si des peintres comme Jérôme Bosch (1450-1516) ou des artistes des XIXe et  XXe siècles comme Gustave Moreau, le Douanier Rousseau ou Giorgio de Chirico ont nourri l’imaginaire surréaliste, c’est surtout la littérature, et plus particulièrement la poésie, la grande inspiratrice de la peinture surréaliste.

L’œuvre d’Arthur Rimbaud et celle de Lautréamont ainsi que la psychanalyse freudienne, découverte alors récente, sont au cœur de la nouvelle esthétique. Comme la poésie, la peinture doit suggérer, agir sur l’imagination, troubler. Le collage, inventé d’abord en littérature par Lautréamont dans sa phrase phare « Beau (…) comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! », allait devenir une des pratiques courantes chez les peintres qui l’introduiront dans leurs tableaux.

Contrairement au collage cubiste (1911) où l’enjeu était essentiellement plastique, le collage surréaliste est un procédé poétique car il cherche le merveilleux, l’extraordinaire, l’insolite (cf. à ce propos Louis Aragon, La peinture au défi, 1930). Max Ernst a été l’artiste qui a amené cette technique au plus haut degré d’élaboration, et qui a admirablement intégré dans ses œuvres peinture et poésie. Nous proposons de nous arrêter devant un de ses « tableaux-poèmes », La puberté proche… ou Les Pléiades, car l’articulation texte image s’y inscrit au nom des problématiques essentielles au surréalisme, à savoir la beauté, le désir, l’amour.

 

 

Max Ernst, La Puberté proche… ou Les Pléiades, 1921

Collage, fragments de photographies retouchées, gouache et huile sur papier, monté sur carton

Collection particulière

 

Max Ernst est né en 1891 à Bruhl près de Cologne et mort à Paris en 1976. Il est une figure dominante du surréalisme. Par son œuvre novatrice et complexe il reste un des artistes majeurs du XXe siècle.

Ce tableau a été réalisé par le montage de différents éléments photographiques, assemblés et collés selon une logique qui vise le dépaysement, auxquels sont intégrées sur l’ensemble de l’œuvre peinture à l’huile et gouache. A cause de son impact sur l’inconscient, la technique du collage et du photomontage plaît aux surréalistes.

Pour son personnage central, Ernst utilise un nu de femme sur un divan. Par le passage de l’horizontale à la verticale, il transforme ce nu allongé en nu en suspension. Le bleu du fond évoque un ciel, tandis que les effilochements argentés, placés en haut du tableau, font penser à des ailes. Le titre, Les Pléiades, suggère une constellation d’étoiles. Un pavé en train de tomber, en bas et à gauche du tableau, évoque la force de gravité qui s’oppose à l’élévation des astres. Rappel aussi d’une célèbre phrase de Lautréamont qui, dans le premier des Chants de Maldoror (1868), écrit : « La pierre voudrait se soustraire aux lois de la pesanteur ? impossible. »

L’œuvre s’accompagne d’un poème énigmatique où il est question de gravitation, de force d’attraction, qui est aussi celle exercée par le corps de la femme. Jouant sur la polysémie du terme gravitation, Ernst glisse du phénomène physique exercé par la terre, à une attraction d’un autre ordre, exercée par le corps féminin, ouvrant ainsi la porte à la dimension du désir. La notion de gravitation est donc, au sens freudien du terme, surdéterminée. C’est dans son ouvrage capital, L’Interprétation des rêves (1900), que Freud définit le processus de la surdétermination : « Chacun des éléments du contenu manifeste du rêve est surdéterminé, il est représenté plusieurs fois dans les pensées latentes du rêve. »

 

La sensation qui se dégage de l’ensemble de la composition est d’une sérénité rare. L’harmonie chromatique qui s’établit entre l’étendue bleue pâle, le jaune sable et l’intensité de l’élément rouge placé au centre du tableau, participe de cet effet. Le nu féminin s’installe dans l’espace en équilibre, entre la verticale de son corps allongé et l’horizontale créée par son bras gauche qui se prolonge par une droite, traversant une forme ronde, est-ce l’image de la terre ? Dans cet entrelacs de formes, advient un chiasme optique qui réunit le corps féminin et la sphère terrestre. Les deux forces d’attraction se rencontrent et se superposent ainsi sous nos yeux.

Le geste de la tête qui se plie vient prolonger l’horizontale du bras pour s’inscrire dans une même ligne, à laquelle font écho, en bas et en haut du tableau, d’autres droites qui se répètent comme les vagues d’un ciel, en train de devenir, par ce mouvement même, une mer.

L’élément aérien et l’élément aquatique se confondent, comme souvent dans les tableaux de Ernst, où les poissons volent et les oiseaux nagent.

Mais ici, plus poétiquement encore, on peut parler des vagues de la mer, reconnaissables, en bas, par la présence du jaune sable, et des vagues du ciel : le violet, l’indigo, l’outremer, en haut du tableau, étant animés par un même rythme de flux et de reflux, répétition de lignes qui se plissent et évoquent les mouvements de l’onde aux abords d’une plage. L’instabilité des formes, la magie de la métamorphose en acte devant nous, font à juste titre, de Max Ernst, ce « magicien des palpitations subtiles » comme l’appelait l’écrivain surréaliste René Crevel.

 

La poésie, qui est textuellement présente par le poème écrit au bas du tableau, s’incarne ainsi dans l’œuvre. Texte et image deviennent complémentaires. La liberté qui préside à l’assemblage plastique d’éléments hétérogènes domine aussi dans ce poème qui ne désigne pas platement l’œuvre, mais en prolonge les retentissements.

« La puberté proche n’a pas encore enlevé la grâce tenue de nos pléiades\ Le regard de nos yeux pleins d’ombre est dirigé vers le pavé qui va tomber\ La gravitation des ondulations n’existe pas encore. »

Signifiant clé du tableau, le mot « grâce » pourrait à lui seul qualifier ce collage. Néanmoins la perturbation, si chère à Ernst (Perturbation ma sœur), joue aussitôt dans ce texte pour produire l’insolite, l’inattendu. C’est ainsi que le syntagme « puberté proche », s’oppose à ce corps de femme mûre au centre de la composition. Il en va de même pour le vers  « Le  regard de nos yeux pleins d’ombre est  dirigé vers le pavé qui va tomber », lequel contrarie la dynamique de notre regard, aimanté par le corps féminin. Mais il se peut aussi que nos yeux soient  encore incapables de voir la beauté, attirés par le point de chute du tableau, encore plus que par la grâce de la femme-astre, en état d’apesanteur.

L’artiste nous convie alors à voir autrement et à être sensibles à la « gravitation des ondulations » qui « n’existe pas encore » et qu’il fait advenir dans son œuvre. En effet, par l’admirable métaphore finale, « la gravitation des ondulations » qui rend parfaitement le tableau où les sinuosités féminines se lient à la gravitation terrestre, poésie et peinture se rencontrent et agissent conjointement sur le spectateur, hymne à la beauté féminine et à la beauté tout court.

Rappelons à ce propos la phrase de Ernst : « La nudité de la femme est plus sage que l’enseignement du philosophe ». Max Ernst rejoint encore une fois Lautréamont qui, dans ses Poésies, avec une prodigieuse force affirmative déclare « Qu’il faut tout montrer en beau ». C’est vers la beauté lumineuse et le désir, autre force d’attraction plus sublime et subversive, que l’artiste nous invite à aller. La beauté et le désir rejoignent l’amour, toujours source de connaissance et de dépassement de soi pour les surréalistes (cf. à ce propos les romans d’André Breton : Nadja, L’Amour fou et la célèbre équation de Paul Eluard : L’Amour la poésie) .

 

Pour ne pas conclure, ouvrons encore sur Dante et sur son monumental voyage à travers la connaissance qu’est La Divine Comédie (vers 1320), dont le dernier vers de la dernière partie de l’œuvre, Le Paradis, est : « Amour qui meut le soleil et les autres étoiles ».

La vraie connaissance n’est possible que grâce à l’amour « intellect d’amour », écrit encore le poète italien dans sa fameuse formule.

 

L’enseignant pourra ensuite suivre le parcours, qui est ici proposé, autour d’autres œuvres du même artiste présentes dans l’exposition, où la question du texte et de l’image est centrale et introduit d’autres relations.

 

 

Max Ernst, La chambre à coucher de Max Ernst cela vaut la peine d’y passer une nuit, 1920

Collage, gouache et crayon sur papier

Zurich, collection particulière

 

La présence du texte écrit sur les bords supérieur et inférieur du tableau peut désorienter, semer le trouble, comme l’énigmatique phrase-titre La chambre à coucher de Max Ernst cela vaut la peine d’y passer une nuit. Ce passage extrait de son autobiographie se lit comme une description de l’œuvre qui ne peut qu’intriguer. Les animaux représentés dans ce tableau ont une valeur symbolique. Les meubles en nombre et en taille réduits soulignent l’espace de la scène qui fuit en perspective. L’absence de fenêtres nous ramène vers un espace intérieur qui serait une sorte de lieu psychique.

 

 

Max Ernst : Deux Enfants sont menacés par un rossignol,1924

Huile sur bois et éléments de bois peint

The Museum of Modern Art, New York

 

Salué dès son exposition comme le manifeste du surréalisme, ce tableau comporte un texte étrange et hermétique qui est aussi son titre : Deux Enfants sont menacés par un rossignol. L’artiste a écrit cette phrase sur le rebord inférieur de ce tableau-relief. L’espace de la représentation n’est pas un lieu réel mais la scène du rêve. C’est cette frontière entre rêve et réalité que le portillon ouvert sur l’espace du spectateur invite à franchir. Les couleurs délavées, la perspective lointaine, contrastent avec l’ici et maintenant des éléments, comme le cadre massif en bois ou la petite barrière ouverte, qui font irruption dans notre espace.

Nous sommes dans une peinture hautement suggestive, rien n’est dit, tout est latent. L’imprécision de la menace la rend encore plus redoutable. Le rossignol du titre n’est pas l’oiseau qui plane dans l’air, et comment l’inquiétude pourrait-elle venir d’un animal si inoffensif ? Qui sont les victimes ? Qui est l’homme qui se tient en équilibre instable sur un toit, un petit enfant dans les bras ? Le texte redouble l’énigme et la peur se fait angoisse, car elle est littéralement, comme la définit Freud, une peur sans objet.

http://www.mcs.csuhayward.edu/~malek/Ernst1.html

 

 

Max Ernst : Au premier mot limpide, 1923

Huile sur plâtre transférée sur toile

Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf 

 

Ici, la présence littérale du texte a disparu, mais c’est encore la poésie la grande inspiratrice de l’œuvre. Le titre, Au premier mot limpide, reprend en effet un vers du poète dadaïste et surréaliste Paul Eluard. La représentation semble entièrement procéder de ce vers. Le mot « limpide » caractérise cette peinture où l’espace est lisse et presque vide, la couleur claire et posée en aplats, sans aspérité aucune. Néanmoins le tableau n’est pas une simple illustration du vers du poète, car la clarté formelle recèle un « contenu impénétrable » (Samuel Beckett). Le signifiant « limpide » s’irradie dans l’œuvre pour se changer en une sorte de limpidité trompeuse qui intrigue.

Pendant les années 1923-24, Ernst séjourna plusieurs mois chez son ami Paul Eluard. Pour le remercier de son hospitalité, il couvrit les murs de la maison d’un cycle de peintures. Cette œuvre à l’origine, donc, peinture murale, a été fixée plus tard sur toile. Elle fut peinte dans une pièce qui s’inspirait des fresques de Pompei. L’architecture, les décors, le ciel bleu qui reliaient l’ensemble donnaient l’illusion d’un lieu typiquement italien.

Le spectateur est saisi d’emblée par l’échelle d’une œuvre (232x167 cm) qui semble d’autant plus grande que rien ne semble s’y passer, et pourtant... Un mur ocre traverse la toile, comme un décor de théâtre. Un ciel bleu uni s’appuie sur lui et colle aux deux fenêtres ouvertes dans le mur. Deux arbres se profilent au-dessus de celui-ci, tandis qu’une main passe par l’ouverture d’une des fenêtres pour montrer un objet. Ses doigts se croisent comme le feraient deux jambes féminines. L’objet entre les doigts est une boule reliée par un fil à une sauterelle, la lettre M se dessine sur le fil. Malgré la sérénité de fond qui règne dans ce tableau, la représentation se tient en équilibre instable. En effet, si la boule rouge à peine tenue par le bout des doigts tombait, la composition basculerait totalement. Le tableau nous convie dans la catégorie psychique de l’imminence, là où quelque chose d’inconnu serait sur le point d’arriver.

http://www.kunstsammlung.de/de/sammlungen/sammlungen-k20/max-ernst.html

 

 

Max Ernst, Jour et nuit, 1941-1942

Huile sur toile

The Menil Collection, Houston

 

Ce tableau n’est pas lié à un poème, il ne comporte pas non plus de texte. Il illustre néanmoins la relation à la poésie que l’artiste n’a jamais quittée car c’est en termes de poème qu’il s’est exprimé à son propos. Ecoutons-le dans ce passage traduit de l’anglais : 

« Jour et nuit ou le plaisir de peindre. Ecouter les battements du cœur de la terre. Etre accommodant avec cette peur induite et l’inconnu enfoui dans l’homme. Eteindre le soleil à la demande. Allumer les lampes du cerveau de la nuit. Apprécier la cruauté des yeux de quelqu’un. Voir l’éclat faible de la lumière. La majesté des arbres. Invoquer les mouches de feu. »

On ne peut être, par les mots, plus près du fait pictural. « Nuit et Jour ou le plaisir de peindre », a-t-il écrit, il y a dans cette œuvre une véritable jubilation des pouvoirs de la peinture qui peut concilier l’inconciliable, le jour et la nuit, le proche et le lointain, la lumière et les ténèbres, le plan d’ensemble et le gros plan, les profondeurs poussiéreuses de la terre et la surface éclatante de détails qui brillent comme des joyaux.

 

 

Ainsi la poésie interpelle à plusieurs niveaux la peinture de Max Ernst : de son inscription dans l’œuvre elle-même à l’inspiration de l’œuvre et à l’évocation poétique du tableau par le poème, l’écriture double la peinture d’une épaisseur autre et lui confère une résonance complexe.

L’articulation poésie-peinture ne se limite pas à l’œuvre de Max Ernst. L’enseignant pourra continuer ce questionnement à partir d’œuvres de Miró, lui aussi ayant produit, surtout dans les années vingt, des tableaux-poèmes comme Bouquet de fleurs, 1924, collection particulière, ou Etoiles en des sexes d’escargots, 1925, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf, qui figurent dans l’exposition. Dans ces œuvres, le texte écrit s’intègre à la matière picturale dans une écriture qui se fait ligne à l’intérieur de la composition. Magritte n’a pas arrêté, quant à lui, de remettre en cause la relation entre le mot, le signe et la représentation picturale (cf. dans l’exposition Le Masque vide, 1928, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf). Il serait intéressant de comparer les démarches de ces trois artistes et leurs différentes réponses à la même et emblématique question du rapport texte- image.

 

 

 


 

L’intérêt pour la mythologie

 

Très tôt les surréalistes se sont intéressés aux mythes. Cet engouement pour la mythologie a une double origine : l’une est liée à l’essence même du surréalisme où le merveilleux, le fabuleux, l’imaginaire sont des éléments moteurs, l’autre se rattache à leur passion pour la psychanalyse et son interprétation des mythes. Que l’on pense au mythe fondateur d’Œdipe qui structure, selon Freud, la psyché humaine.

De Masson à Miró, de Picabia à Dali, d’Ernst à Picasso, à Tanguy, chacun de ces artistes s’est attaché à un mythe antique et en a donné une interprétation personnelle. Un mythe se détache parmi tous par l’importance que les surréalistes lui ont accordée, c’est celui du Labyrinthe et du Minotaure auquel s’en rattachent d’autres comme le mythe d’Europe et de Zeus, le Minotaure étant né de l’union monstrueuse entre le taureau de Crète et Pasiphaé, épouse de Minos, lui-même fils des amours entre Zeus et Europe. Parcourons ce mythe dès son origine.

 

 

Max Ernst, Célèbes ou L’Eléphant Célèbes ,1921

Huile sur toile

Tate Gallery, Londres

 

C’est avec ce tableau de Max Ernst, L’Eléphant Célèbes, qu’apparaît en sourdine le mythe d’Europe et de Zeus. Enigmatique, cette toile peinte à l’huile est une sorte de collage en trompe l’œil. « Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage », affirme le peintre, pour qui l’activité mentale de libre association prime ici.

En effet, la juxtaposition d’éléments hétérogènes comme l’étrange femme sans tête, la créature qui ressemble à un éléphant, la construction géométrique sur la droite du tableau, suggère l’image d’un rêve. Le titre vient d’une comptine allemande obscène, qui commence ainsi : « L’Eléphant des Célèbes, il a du jaune à son derrière ».

La silhouette centrale a pour origine la photo d’un grenier à mil en glaise (du Ghana ou Togo) que l’artiste a paré de défenses, d’une tête à cornes, d’une trompe pourvue d’une manchette et d’une construction qui rappelle les intérieurs métaphysiques de de Chirico.

L’animal représenté est un hybride, un monstre créé par l’artiste selon une combinatoire liée à l’activité inconsciente dont Freud a théorisé les principes. Le dépaysement est total, et l’œuvre au contenu hermétique invite à l’interprétation. Les lignes de force du tableau reliant la curieuse tête à cornes au corps féminin suggèrent une lecture mythologique. Cette composition plastique favorisant l’association taureau-femme renvoie au mythe grec d’Europe et de Zeus, souvent représenté par les peintres (cf. L’Enlèvement d’Europe du Tiepolo, 1720). Europe est la fille du roi légendaire Agénor. Le dieu, amoureux d’elle, se métamorphose en taureau blanc, l’enlève au-dessus de l’eau et la transporte en Crète. Dans le tableau de Ernst ,la couleur blanche du taureau a glissé sur le corps de la femme. Mais le mythe ancien n’épuise pas l’œuvre qui se construit comme un tissu d’allusions et d’antagonismes car, ici, c’est Europe qui semble attirer l’animal et l’inviter à un voyage dans un pays inconnu, lequel renvoie au hors-champ de l’œuvre.

 

 

Max Ernst, Œdipus Rex, 1922

Huile sur toile

Collection particulière

 

C’est au mythe du célèbre criminel de la tragédie grecque que s’attache ici l’artiste : Œdipe fils de Laïos et de Jocaste qui, accomplissant la parole de l’oracle, deviendra l’assassin de son père et l’époux de sa mère. Suivant les théories freudiennes selon lesquelles la relation œdipienne structure en profondeur la psyché humaine, les surréalistes ont vu en Œdipe un héros de la révolte contre l’autorité paternelle.

Le tableau Œdipus Rex s’impose et se donne à voir comme un cauchemar reconstitué. Dans un espace dominé par l’irruption du gros plan, des jeux d’échelles arbitraires, une main géante sort d’une fenêtre. Elle tient dans ses doigts une noix transpercée, comme le sont aussi les doigts, par une sorte d’arbalète, tandis que de deux trous au sol sortent les têtes de deux curieux oiseaux, en apparence mâle et femelle.

Le spectateur est frappé par leurs yeux au regard humain. Le châtiment semble vouloir les frapper par la présence d’une barrière en bois qui représente l’enfermement et qui voudrait limiter leur regard, allusion à la cécité d’Œdipe qui se transpercera les yeux pour se punir de son crime. Tous les éléments du mythe sont là : le couple des amants fautifs (les deux oiseaux), le transpercement, l’aveuglement mais, comme dans le travail du rêve, ils ont subi des modifications et sont méconnaissables au premier abord.

http://www.mcs.csuhayward.edu/~malek/Ernst4.html

 

 

Pablo Picasso et le Minotaure

 

En 1933, sous l’inspiration d’André Masson et de Georges Bataille, les surréalistes appellent leur revue, publiée chez Skira, Minotaure. Picasso, qui collabore à l’époque au mouvement surréaliste, est invité à illustrer le premier numéro. La créature fabuleuse, mi-homme, mi-bête et mi-dieu, est apparue chez l’artiste en 1927, Le Minotaure et la femme endormie, et dans un collage de 1928 appelé Le Minotaure.

Chez Picasso cette figure, le plus souvent séparée des autres personnages de la légende de Thésée, est liée à son imaginaire. Si pour les surréalistes, passionnés par ce mythe, le labyrinthe symbolise les profondeurs insondables de l’inconscient, et le Minotaure qui l’habite la force irrationnelle qui brise les lois et profane les Dieux, pour Picasso l’essence du Minotaure auquel il s’identifie est double. Il incarne à la fois la bestialité primitive et l’amour, le bourreau et la victime, il établit un trait d’union entre le mythe grec et la corrida espagnole.

Pour illustrer la couverture de la revue surréaliste, le Minotaure apparaît, poignard à la main, sur un collage de napperons de papier, feuilles d’étain, feuillage, rubans et carton gaufré. L’exposition présente trois œuvres de Picasso liées à ce thème, dont Composition au Minotaure 1936, Galerie Krugier, Ditesheim & Cie, Genève. Ici le monstre poignardé, gisant dans une arène, est relié à la tauromachie. Pris entre deux figures féminines, dont l’une à cheval finit de l’achever, et l’autre, se profilant dans la voile d’un bateau, semble l’inviter à un voyage rendu impossible, l’animal hybride renvoie ici à l’artiste et exprime les déchirements liés à sa vie amoureuse.

http://www.denfert.com/alternative/dossiers/minotaure/

(l’œuvre ici accessible est la couverture du premier numéro du Minotaure, non présentée dans l’exposition)

 

 

André Masson, Le Labyrinthe, 1938

Huile sur toile

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Le labyrinthe et le Minotaure se combinent dans cette œuvre de Masson mais, inversant le mythe, c’est le second qui contient le premier. Le personnage fabuleux s’élève immense sur un paysage raviné avec lequel il se confond. Il s’agit d’une figure complexe, ouverte et fermée à la fois, et qui inscrit en elle la déchirure. En faisant recours au mythe ancien pour le retourner, ce tableau exprime le marasme du climat d’avant-guerre qui régnait alors en Europe.

 

 

André Masson, La Pythie, 1943

Huile et tempera sur toile

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Pendant son séjour aux Etats-Unis Masson convoque sans cesse les anciens mythes, appel à une civilisation perdue vers laquelle se tourne l’artiste pour insuffler, peut-être, du sens dans un monde en train de le perdre, car en proie à la Deuxième Guerre mondiale. La figure de la Pythie aurait pu être aimée des surréalistes en vertu de ses pouvoirs prophétiques, et pourtant Masson reste le seul à en avoir conçu la représentation.

La composition, décentrée, s’articule autour de trois principaux éléments formels reliés entre eux par un rouge profond, dramatiquement rehaussé par la violence du noir et des jaunes. Une figure féminine, les bras levés, s’agite, allusion à la possession de l’oracle. La toile est animée d’un mouvement centrifuge qui déborde les limites du cadre et se prolonge dans un ailleurs auquel le spectateur n’a pas accès.

 

 

Joan Miró, Personnages devant une métamorphose, 1936

Tempera à l’œuf sur masonite

New-Orleans Museum of Art, New-Orleans

 

Avec ce tableau, Miró se confronte à un thème mythologique par excellence, dont le poète latin Ovide (43 av. J.-C. / 17 ap. J.-C.) avait fait le sujet de son épopée au titre homonyme, Les Métamorphoses, principale source littéraire de nombreux mythes, celui du Minotaure notamment. Le sujet de la métamorphose est traité à maintes reprises par les surréalistes. L’exposition présente, entre autres, une seconde Métamorphose de Miró, 1936, Collection particulière, et Métamorphose des amants de Masson, 1938, Collection particulière.

Le tableau Personnages devant une métamorphose fait partie d’une série appelée « peintures sauvages » entreprise au début des années trente. 1936 voit éclater la guerre d’Espagne, et l’artiste ne devra pas retourner dans son pays avant 1940. Miró utilise des panneaux de masonite et des matériaux rudimentaires, peint avec de grands gestes traduisant son émotion. Il s’agit d’une peinture agressive aux couleurs acides et aux figures grotesques. Ici, deux personnages rudimentaires aux couleurs hallucinées et surréelles assistent à une métamorphose en train de se faire, représentée par la curieuse masse encore informe au centre de la composition. A ce stade on ne peut dire encore s’il en résultera un être merveilleux ou monstrueux. Néanmoins, des membres ou plutôt des os rouges et disloqués laissent présager la naissance de quelque chose d’horrible.

 

 

Salvador Dali, La Vénus de Milo aux tiroirs, 1936-1964

Bronze peint en blanc, pompons en fourrure

Galerie Patrik Derom, Bruxelles

 

Avec son interprétation délirante de L’Angélus de Millet et de la légende de Guillaume Tell, dont il fait une incarnation de la figure castratrice du père (l’exposition présente deux tableaux de cette série), Salvador Dali établit une mythologie personnelle participant de ce que Freud appelle les mythes individuels du névrosé. Néanmoins l’artiste catalan s’est aussi mesuré aux figures mythiques et en particulier à Vénus, divinité latine de la beauté, après l’avoir été en Grèce  sous le nom d’Aphrodite.

En 1936 Dali transforme une reproduction en plâtre de la célèbre sculpture grecque, la Vénus de Milo, en y esquissant le tracé de tiroirs sur son corps. L’œuvre sera ensuite réalisée par Marcel Duchamp, créateur du ready-made, autrement dit de l’objet promu au rang d’œuvre d’art par la seule volonté de l’artiste.

Les personnages à tiroirs font partie de l’iconographie de Dali, ils reviennent souvent dans ses dessins, sa peinture, mais ici c’est à la sculpture classique qu’il applique son motif. Dans la symbolique freudienne les tiroirs correspondent aux profondeurs du psychisme et Dali, qui vénérait le père de la psychanalyse, suit cette conception.

Réunir dans une œuvre d’art la Grèce antique et la psychanalyse signifie pour l’artiste dépasser les codes de la beauté idéale, pour accéder à la vérité d’un corps travaillé par l’inconscient, avec ses zones d’ombre et ses parties cachées. Seule la psychanalyse peut, pour Dali, ouvrir ces tiroirs. Néanmoins ainsi qu’elle se présente, avec ses pompons, l’œuvre invite au toucher et, peut-être, à ouvrir nous-mêmes les tiroirs. En s’attachant à ce modèle canonique de l’art occidental, Dali est au cœur de l’esthétique de la profanation si chère aux surréalistes.

 

 

Le mythe, merveille ou terreur, écho de légendes ou de tragédies fondatrices, est donc pour les surréalistes un écran où se projette leur passion pour tout ce qui est identité instable, fuyante, lieu d’anciennes métamorphoses se prêtant encore à d’autres, celles que ces artistes lui feront à nouveau subir dans leurs œuvres.

Après un travail en classe autour de ces mythes anciens, l’enseignant pourra amener les élèves à les découvrir dans les tableaux de l’exposition. L’élève observera ainsi les interprétations, les reprises, les transformations que les textes originels ont subies.

 

 



  

     L’INQUIETANTE ETRANGETE

 

En 1919, Freud écrit un texte fondamental pour l’approche de l’œuvre d’art, il s‘agit de Das Unheimlisch, traduit en français par L’Inquiétante étrangeté. Dans cette étude, la psychanalyse se mesure à l’esthétique, entendue non seulement comme doctrine du beau mais aussi « comme la science des qualités de notre sensibilité ». Freud souligne : « La psychanalyse étudie d’autres couches de la vie psychique et s’intéresse peu à ces mouvements émotifs qui (…) forment pour la plupart la trame de l’esthétique. » L’intérêt porté au domaine de l’inquiétante étrangeté fait donc exception.

Ce concept apparenté à celui de peur, d’angoisse, d’effroi, présente néanmoins un sens qui lui est propre. L’inquiétante étrangeté est l’effroi en tant qu’il se rattache aux choses connues depuis longtemps, les choses familières qui, dans certaines conditions, deviennent inquiétantes. Un des procédés les plus sûrs pour susciter ce sentiment est de douter si la personne que l’on a devant soi est un être vivant ou un automate. Les thèmes du double, de l’image de soi au miroir, de la répétition obstinée des mêmes faits s’y rattachent. Mais l’argument décisif, avance toujours Freud, est celui que l’on a dans le conte d’Hoffmann, L’Homme au sable. Dans ce conte nous retrouvons une des plus grandes peurs enfantines, la peur de perdre la vue, dont l’analyse des rêves ainsi que des mythes montre, selon Freud, qu’elle se rattache à l’angoisse de castration, sentiment fort et puissamment ancré dans l’inconscient humain.

Pour Freud, est « unheimlisch » tout ce qui devrait rester caché et qui se manifeste, c’est le symbole qui se défait et qui renvoie à ce qu’il était tenu symboliser. Ce sentiment, qui serait peu répandu dans la vie courante, trouverait dans l’art ses plus importantes manifestations. Ce sera, en effet, à partir de textes littéraires, les Contes fantastiques d’Hoffmann, que Freud va bâtir son article.

L’écriture, comme aussi la peinture, la sculpture ou la photographie surréaliste véhiculent au plus haut point ce sentiment. Des exemples ayant trait aux arts plastiques illustrent ce parcours.

 

 

René Magritte, Jeune fille mangeant un oiseau (Le plaisir), 1927

Huile sur toile

Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf 

 

Parmi tous les artistes surréalistes, Magritte excelle dans le rendu de l’inquiétante étrangeté, on peut dire qu’il en connaît tous les ressorts et qu’il en a donné toutes les acceptions. Dans ce tableau, la jeunesse du personnage, accentuée par les couleurs lumineuses, entre immédiatement en collision avec le crime qui s’y accomplit. La jeune fille, comme dans un cauchemar dont on voudrait sortir, mange un oiseau dont le sang se répand sur elle. Ce tableau produit un choc comparable au poème de Rimbaud, Le dormeur du val (octobre 1870). Le lecteur y est trompé par l’atmosphère idyllique de la première strophe, qui se gâte peu à peu avant d’arriver à la révélation finale, la chute du dernier vers où le dormeur n’est qu’un jeune homme assassiné : « Il a trois trous rouges au côté droit. »

Dans le tableau, l’inquiétude vient de l’objet sur lequel tombe l’agressivité de la jeune fille : un oiseau, animal familier, symbole de liberté et d’envol qui se retourne en son contraire et devient source de trouble (cf. supra, Max Ernst, Deux enfants sont menacés par un rossignol). Le titre entre parenthèse, Le plaisir, rend la scène encore plus troublante car, pour reprendre un concept et le titre d’un article de Freud, nous sommes ici Au delà du principe du plaisir, 1920.

Dans la même année, Magritte réalise un autre étonnant tableau, c’est Le ciel meurtrier, Centre Pompidou, Mnam. L’inquiétant vient ici de partout, de l’objet du meurtre - encore une fois des oiseaux -, du sujet de l’action - le ciel assassin -, de la répétition - quatre oiseaux identiques placés dans le tableau sur la même ligne imaginaire.

 

 

René Magritte, Le Sens de la nuit, 1927

Huile sur toile

The Menil Collection, Houston

 

Dans ce tableau, titre et image se lient inextricablement pour produire ces glissements de sens si chers aux surréalistes et à Magritte en particulier. Dans l’expression : le sens de la nuit, le mot « sens » s’entend comme signification de l’obscurité et comme direction prise par le personnage central qui reste on ne peut plus ambiguë.

Dans la nuit avance donc un personnage double, vu à la fois de dos et de face, l’ombre brouille les deux silhouettes. Le thème du double si cher à l’artiste revient ici accompagné d’une autre cause d’inquiétante étrangeté : la présence de membres détachés d’un corps. Freud constate que le thème du double est lié à des peurs archaïques de la toute petite enfance, il est un retour à certaines phases de l’histoire évolutive du sentiment du moi, à l’époque où le moi n’était pas encore suffisamment délimité du monde extérieur, et donc à l’angoisse de scission du moi. L’inquiétant qui naît des membres épars, d’une main détachée se relierait par contre au complexe de castration.

 

 

Alberto Giacometti, Table, 1933

Plâtre original

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Conçue pour être un meuble, cette sculpture, dont le principe repose sur l’association étrange d’objets réunis, exerce sur le spectateur un sentiment subtil qui s’apparente aussi de l’inquiétante étrangeté. La main coupée, la tête de femme en partie voilée et dont le voile se poursuit dans le vide, évoquent par métonymie un corps absent de la scène de la représentation. Le curieux polyèdre, en équilibre instable sur le bord de la table, contrastant avec les autres éléments de la sculpture qui restent essentiellement figuratifs, ajoute du mystère à la composition. Présences sorties de l’inconscient qui renvoient, comme dans le tableau de Magritte, à un moi archaïque non encore délimité et qui précède le stade du miroir, moment que la psychanalyse situe à la fin de la première année de vie. C’est à ce moment que le nourrisson se reconnaît dans une image de soi, dépassant le morcellement lié aux premiers mois d’existence. C’est à un retour à ce stade primitif du sentiment du moi que nous convoque avec inquiétude cette sculpture.

 

 

Victor Brauner, Loup-table, 1939-1947

Bois et éléments de renard naturalisé

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Tout autre est l’effet provoqué sur notre sensibilité par l’effrayant Loup-table de Brauner. La table, objet on ne peut plus familier et réconfortant car lié aux repas, à l’élément nourricier source de vie, se retourne en son contraire se métamorphosant en animal agressif et dévorant. Le mot loup contenu dans le titre évoque les contes d’enfants et le fantasme d’engloutissement par dévoration. Néanmoins, avec un ultérieur désarçonnement de tous nos repères, c’est un renard que ce curieux assemblage nous présente.

 

 

Dora Maar, Portrait d’Ubu, 1936

Epreuve aux sels d’argent

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Le titre de cette photographie fait référence au Père Ubu, personnage monstrueux du théâtre moderne, héros des pièces d’Alfred Jarry, auteur provocateur. Ubu est difforme, abject et symbolise les instincts bas de l’homme, il s’agit d’un héros de l’absurde. Les surréalistes, de Ernst à Miró, en passant par Breton, ont illustré à plusieurs reprises les œuvres de Jarry.

Dora Maar, la belle égérie des surréalistes, a donné de ce personnage imaginaire, une image qui semble sortir des profondeurs de l’inconscient. Elle fait de Ubu un monstre difforme, mou et gluant. L’étrange figure semble flotter dans un liquide obscur qui participe à sa déformation. Créature hybride et non encore née, elle est un mélange de fœtus, d’éléphant prématuré, mais au total elle défie toute tentative d’identification. Ce portrait est comme une image de la mort infestant la vie. L’inquiétant nous appelle ici, d’une étrangeté imaginaire qui naît de ce qui perturbe une identité, un système, de l’entre-deux, de ce qui reste indéfiniment trouble et finit par nous engloutir.

 

 

Hans Bellmer, La Poupée, 1932-1945

Bois peint, cheveux, chaussures, chaussettes

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Avec ses nombreuses variations sur le thème de la poupée articulée, Bellmer est au cœur de celle que Freud donne comme la première source d’inquiétante étrangeté, à savoir l’incertitude entre inanimé et animé, être vivant ou automate, poupées savantes, qu’il analyse à partir de L’Homme au sable de Hoffmann. Dans ce conte fantastique, l’étudiant Nathanaël tombe amoureux de la poupée animée Olympia, qui n’est qu’un automate avec différents rouages.

En 1932 Bellmer assiste à une représentation des contes d’Hoffmann, où figure la fameuse poupée Olympia. Ce sera la révélation de son œuvre entièrement axée sur ce sujet. En 1933 il réalise une première poupée avec des jointures à boules. En 34-35 les photos de ses poupées paraissent dans le numéro 6 de la revue surréaliste, Minotaure.

Une salle de l’exposition est entièrement consacrée à la Poupée de Bellmer, mélange d’effroi et de fascination, de cauchemar et de jeu.

Dans les cas où l’inquiétant vient de l’incertitude entre être vivant et automate, la source de ce sentiment serait à chercher, non pas dans une peur, mais dans une croyance infantile, les enfants désirent que les poupées vivent, explique Freud. L’inquiétante étrangeté surgirait alors du retour dans le réel d’un contenu imaginaire qui a été le nôtre et, plus profondément encore, de la confusion entre dedans (espace des pulsions et des affects) et dehors qui renvoie encore une fois à un stade archaïque où le moi n’était pas encore constitué.

 

L’expérience esthétique nous confronte donc ici à notre archéologie personnelle et les artistes s’y révèlent des « défaiseurs de narcissisme, comme de toute identité imaginaire » (Julia Kristeva, Pouvoirs de l’Horreur, Seuil, 1980). Le trouble, que ces œuvres suscitent au plus haut point, vient de cette plongée dans les limites fuyantes d’un moi non encore organisé qui nous attire et nous repousse à la fois.

 

Bien évidemment, la dimension de l’inquiétante étrangeté n’est pas essentiellement liée à la peinture surréaliste, l’enseignant pourra faire référence à d’autres exemples tirés de l’histoire de l’art.

Léonard de Vinci (1452-1519), par exemple, nous présente des portraits où le regard sur le point de loucher, le sourire ambigu, quand ce ne sont pas des figures doubles comme dans La Vierge, Sainte-Anne et l’enfant Jésus du Louvre, véhiculent ce sentiment.

Piero di Cosimo (1462-1521), lui aussi un artiste de la Renaissance italienne aimé des surréalistes, nous plonge dans ces zones obscures de nos affects. Que l’on pense à son tableau La mort de Procris, National Gallery, Londres, où, sur un paysage extraordinairement allongé, Céphale, contrit, se baisse sur le corps sans vie de la nymphe aimée, tandis qu’à l’autre extrémité du tableau la silhouette sombre et mélancolique d’un chien semble lui aussi pleurer la jeune fille. Ambiguïté entre l’humain et l’animal, l’amour et la mort, la mort et la vie, car la femme semble encore vivante, tandis que les pâles couleurs du paysage qui se dissout à l’arrière-plan évoquent un temps désormais perdu. Dans un de ses tableaux, Salvador Dali cite cette œuvre de Piero di Cosimo, en particulier le détail du chien qui se dresse à la verticale sur le paysage. Il s’agit de L’Enigme de Hitler, 1939, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid, présenté dans l’exposition.

Le Corrège lui-même (1489-1534), peintre de coupoles et de nuages, laisse parfois s’échapper de ses tableaux une inquiétude étrange. Dans la célèbre peinture La Madone de Saint-Jérôme, dite aussi Le Jour, Pinacothèque de Parme, l’ange, si beau, si céleste, n’arrête pas de troubler car ses ailes ne sont, dans leur partie visible, que des pattes de bouc. La main du saint qui tient le livre des Ecritures, en partie fermée et difforme, rappelle la patte du lion qui l’accompagne, et ses ongles sont des serres. Ambivalence des figures où l’ange, tout en restant tel, glisse vers son contraire et révèle ce qu’il devait cacher : l’ange déchu, le diabolos, littéralement celui qui désunit. Les attributs eux aussi diaboliques du saint vont dans le même sens. Les formes se défont, se changent en leur contraire et le regard inquiet en appelle à la pensée, qui ne pourra pas répondre à l’émotion.

Il ne s’agit que de quelques exemples car l’art n’a pas attendu la découverte freudienne pour susciter ce sentiment qui lui est essentiel. Ce dernier thème pourra intéresser l’enseignant de philosophie. Il participe de notions comme par exemple : l’inconscient, le sujet et l’art, au programme des baccalauréats.

 

 

 

 

Margherita LEONI-FIGINI

 

 



 

L’automatisme

 

La découverte de l’automatisme verbal constitue l’acte de naissance du surréalisme. Si pour les surréalistes, et pour André Breton en particulier, l’écriture automatique est fondatrice, c’est qu’elle est « la liberté humaine agissant et se manifestant », la région de la pensée « où s’érige le désir sans contrainte » et où prennent naissance les mythes.

En 1933 dans le Minotaure, dressant un bilan du message automatique, il écrit : « la volonté d’ouvrir toutes grandes les écluses restera sans nul doute l’idée génératrice du surréalisme ».

A travers l’exposition, on s’arrêtera sur des écrits, dessins ou tableaux qui sont autant d’exemples de cette pratique féconde qu’est l’automatisme psychique. L’écriture automatique a précédé, historiquement, la découverte du dessin automatique et autres procédés picturaux autorisant le jaillissement de l’inconscient. Frottages, décalcomanies et jeux du Cadavre exquis s’apparentent, dans leur démarche, à l’automatisme.

 

 

André Breton, Dictionnaire abrégé du surréalisme, Paris

Galerie des Beaux-Arts, 1938. Édition originale. Couverture de Yves Tanguy

Bibliothèque Paul Destribats, Paris

 

Dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme, Breton et Eluard définissent ce qu’ils entendent par écriture automatique. Une démarche simple consiste, préalablement à la visite, à lire cette définition en classe pour expliquer ce que les surréalistes recherchaient dans la pratique de l’écriture (et de la peinture) automatique et d’en discuter avec les élèves.

L’ouvrage original est exposé dans une vitrine, la définition de l’écriture automatique est également reproduite sur un panneau de l’exposition (salle 3).

 

AUTOMATIQUE (écriture) - L’écriture automatique et les récits de rêves présentent l’avantage de fournir des éléments d’appréciation de grand style à une critique désemparée, de permettre un reclassement général des valeurs lyriques et de proposer une clé capable d’ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme (A.B.) - Durant des années, j’ai compté sur le débit torrentiel de l’écriture automatique pour le nettoyage définitif de l’écurie littéraire. A cet égard, la volonté d’ouvrir toutes grandes les écluses restera sans nul doute l’idée génératrice du surréalisme (A.B.).

 

« un reclassement général des valeurs lyriques »

« le nettoyage définitif de l’écurie littéraire »

Ces deux membres de phrase, dans leur excès même, résume avec force l’ambition première des surréalistes : une remise en cause complète et révolutionnaire de l’art de vivre et d’écrire.

En 1924, l’année du premier Manifeste, paraît aussi le premier numéro de La Révolution Surréaliste. Sa préface affirme : « Le procès de la connaissance n’étant plus à faire, l’intelligence n’entrant plus en ligne de compte, le rêve seul laisse à l’homme tous ses droits à la liberté […]. Le surréalisme est le carrefour des enchantements… mais il est aussi le briseur de chaîne […] Le Réalisme, c’est émonder les arbres, le surréalisme, c’est émonder la vie. »

 

« une clé capable d’ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme »

« d’ouvrir cette boîte à multiple fond » : il faut libérer l’homme, le libérer de ses entraves. La raison, qualifiée de « mégère » ou de « grande prostituée » (André Masson) constitue la première de ces entraves. Elle empêche l’inconscient de s’exprimer. L’image de la boîte à multiple fond est comparable à celle de l’oignon utilisée par Freud : chaque couche d’oignon pelée permet de descendre plus profond dans l’inconscient, constitué de plusieurs strates.

Pour les surréalistes, c’est dans les forces obscures qui nous habitent que réside la fécondité créatrice. En brisant la censure exercée par la raison, il s’agit de libérer ces forces, de laisser s’exprimer le désir, la sauvagerie, que des siècles d’oppression chrétienne et bourgeoise ont refoulés et réprimés. Rimbaud a ouvert la voie : le devoir du poète ou du peintre est désormais de « plonger dans l’inconnu pour trouver du nouveau ».

Pour « ouvrir la boîte », lever le refoulement et libérer la puissance créatrice, la première méthode pratiquée par les surréalistes est celle de l’écriture (puis du dessin et de la peinture) automatique. Un peu plus tard, d’autres méthodes seront utilisées, comme celles des sommeils hypnotiques, des récits de rêves, de la simulation de délires.

 

 

 

L’écriture automatique

 

En 1919 paraissent Les Champs magnétiques, écrits conjointement par Philippe Soupault et André Breton, qui dira plus tard : « Incontestablement, il s’agit là du premier ouvrage surréaliste (et nullement dada) puisqu’il est le fruit des premières applications systématiques de l’écriture automatique ». Pour la première fois en effet, la cohérence rationnelle du récit est abolie au profit du jaillissement des pulsions, des désirs enfouis, des images les plus surprenantes.

 

 

André Breton et Philippe Soupault, Les Champs magnétiques, Paris, Au Sans Pareil,1920

Edition illustrée par deux portraits de profil de Breton et Soupault, réalisés par Francis Picabia.

La signature des deux auteurs consiste en deux « empreintes digitales » (salle 1).

La Glace sans tain, chapitre des Champs magnétiques publié en 1919 dans la revue Littérature.

 

Les Champs magnétiques, écrits en deux mois par Breton et Soupault en 1919, constituent bien la première expérimentation d’écriture automatique. Le titre fait allusion à l’électromagnétisme. Le mot « magnétique » est chargé d’une force séductrice qui aimante les lieux, les êtres et les événements suivant les leçons du « grand magnétiseur » que fut Lautréamont.

Soupault a rapporté ce que fut la genèse de cet ouvrage en commun « où nous nous interdisions de corriger, ni même de raturer… ce que nous nommions… des dictées ». Celles de l’inconscient. Breton expliquera plus tard qu’il s’agissait de pouvoir varier d’un chapitre à l’autre « la vitesse de la plume, de manière à obtenir des étincelles différentes ». Les deux poètes noircirent du papier au café La Source huit à dix heures par jour, la fatigue devant jouer son rôle et les plonger dans un état second. Ils essayèrent plusieurs méthodes, écrivant en alternance des phrases ou des paragraphes ou rédigeant chacun de leur côté avant confrontation. Une unité a fini par s’établir et Les Champs magnétiques, composés de neuf chapitres, sont devenus l’œuvre d’un seul auteur à deux têtes. Seul ce regard double a permis à Breton et Soupault d’avancer dans les ténèbres « sur la voie où nul ne les avait précédés » (Louis Aragon).

 

Les images font, dans ce texte, une entrée fulgurante comme cette « fenêtre creusée dans la chair » (La Glace sans tain) à travers laquelle Dali peindra ses paysages intérieurs. Il y a dans ce livre un grand bousculement d’astres et d’éclipses qui annonce les métamorphoses célestes de Masson, les Constellations de Miró, un grand déploiement des futurs espaces surréalistes de la ville, des forêts vierges, des flores et faunes sauvages. Espaces que l’on peut découvrir dans chaque salle de l’exposition, à travers les toiles de ces artistes ou celles de Max Ernst, Yves Tanguy, Matta ou Wifredo Lam.

 

Dans le chapitre intitulé « Le pagure dit » surgit ce crustacé (le bernard-l’hermite), animal double, hydride, car possédant des pinces dures et un corps mou caché dans une coquille étrangère. Le pagure, échappé du bestiaire de Maldoror, désigne les auteurs (mieux : les scripteurs) qui expriment cet « autre » inconscient (la coquille étrangère) qui est leur « je » authentique.

 

 

André Breton, Clair de terre, Paris, 1923

Edition originale. Frontispice illustré par un portrait d’André Breton de Pablo Picasso.

Bibliothèque Paul Destribats, Paris (salle 4)

 

Il s’agit d’un recueil de poèmes automatiques : Breton s’est soumis à l’écoute d’une voix intérieure, à l’égard de laquelle il s’astreint à la neutralité du scribe sous la dictée. Néanmoins on peut découvrir dans ces poèmes des retouches, des remords, comme en ont les peintres.

Le titre indique le renversement d’éclairage auquel Breton entend soumettre l’acte poétique : « Notre globe projette sur la lune un intense clair de terre », dit l’exergue. La typographie de la couverture suggère, elle aussi, cette inversion de lumière : des lettres blanches sur un fond noir.

 

Le recueil s’ouvre sur cinq rêves dédiés à de Chirico. Leur interprétation est difficile, sinon vaine. Ce sera l’occasion de s’arrêter devant les toiles de Giorgio de Chirico, exposées dans la salle 1. De Chirico, avec ses peintures des années 1910-1917, dites métaphysiques en raison des thèmes abordés, a eu une influence considérable sur le groupe surréaliste. Le vide, l’immobilité hantent ses tableaux. Le temps s’est arrêté, l’espace pétrifié. Chaque toile révèle une angoisse latente et pose une énigme inquiétante.

 

 

Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, 1914

Huile sur toile

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris.

(salle 1)

 

Parmi les tableaux exposés de de Chirico, celui-ci retient particulièrement l’attention en raison de son titre : Portrait prémonitoire. De Chirico a tracé un cercle blanc sur la tempe d’Apollinaire vu de profil en ombre chinoise, là où il sera blessé en 1916.

Pour les surréalistes, la pratique de l’automatisme, en libérant les forces inconnues terrées en nous, peut aussi avoir une valeur prémonitoire. Ici, la statue d’Orphée aveugle est une métaphore de la poésie comme art de la voyance. La richesse des associations d’idées, l’« énigme » que pose ce tableau et la référence à l’auteur des Calligrammes expliquent la fascination des surréalistes pour cette œuvre.

 

Aux poèmes dédiés à de Chirico succèdent dans Clair de terre des « pièces » de l’époque Dada, puis des poèmes parlant d’évasion, de liberté, d’amour libre. La femme, porteuse de lumière, y est médiatrice et révélatrice. Telle Ariane, elle ouvre les clés de la nature.

Breton vérifia le pouvoir prophétique du message automatique avec son poème Tournesol qui préfigure onze ans plus tôt la rencontre de celle qu’il nomme « la toute-puissante ordonnatrice de la Nuit du tournesol ». C’est dans L’Amour fou, 1937, qu’André Breton relate le plus troublant des « hasards » qui lui soit arrivé. Avec l’ondine rencontrée dans un café, Breton accomplit le 29 mai 1934 une longue errance dans un Paris nocturne, de Montmartre au Quartier Latin, promenade dont les étapes sont annoncées dans ce fameux poème automatique Tournesol. Poème repris dans L’Amour fou (Folio Gallimard, page 80) où Breton exprime d’ailleurs ses regrets d’avoir pratiqué quelques retouches par rapport à la « vision » initiale.

 

 

André Breton et Paul Eluard, L’Immaculée conception, Paris, Éditions surréalistes, Chez José Corti, 1930

Couverture, page de titre et frontispice de Salvador Dali

Edition originale

Bibliothèque Paul Destribats, Paris

 

Comme l’explique Breton, la méthode utilisée rappelle celle des Champs magnétiques : « C’est en toute convergence avec l’activité paranoïa-critique telle que Dali vient de la définir que nous sommes amenés, Eluard et moi, à écrire en collaboration. Indépendamment d’un vieux compte à régler avec les psychiatres – au moins ceux de la vieille école –, il y a en effet ici de l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes. »

Le titre évoque à la fois la gestation pure de l’homme et la parole automatique, qui est la seule dont la conception soit exempte de souillure. Le message automatique fait sourdre des couches les plus profondes de l’inconscient des faisceaux d’images délirantes. Les deux poètes, dans ce nouvel ouvrage bicéphale, ont simulé avec succès diverses formes de maladies mentales, démontrant que la folie est latente dans chaque esprit humain.

 

 

Des dangers de la pratique de l’automatisme

Breton est resté lucide : explorer l’inconscient, plonger pour remonter un trésor englouti, ramener du gibier de ces « grandes chasses intérieures » (Aragon) n’est pas sans risque. Au milieu de l’émerveillement peuvent faire surface la désespérance, la nostalgie de l’enfance, la solitude de la ville, ou encore apparaître des êtres menaçants.

Breton dénoncera ces dangers dans Le Message automatique (Minotaure n°3-4). Il met en avant le risque de dépersonnalisation, qui peut aller jusqu’au vertige de la mort. Perte de soi et hallucinations ont en effet été le lot de plusieurs peintres et écrivains du groupe.

 

 

 

L’automatisme pictural

 

Les peintres surréalistes se sont vite ralliés à l’automatisme. Dali attend devant la toile vierge. Ernst utilise le procédé du frottage ou du grattage. Tanguy refuse les esquisses préparatoires à ses toiles pour garder la liberté du geste. Mais c’est Masson qui fut le premier à recourir à cette dictée de l’inconscient.

 

           

André Masson, blessé au Chemin des Dames en 1917 et interné en psychiatrie, est obsédé par les thèmes de la mort, de la violence et de la résurrection. « Le moi avait été saccagé pour toujours », écrit-il. Son imagination est aussi marquée par la terre, ou terre-mère au sens bachelardien. Fin connaisseur des théories freudiennes, c’est en dessinant qu’il laisse jaillir ses pulsions enfouies. C’est dans un état de transe et d’abandon à son tumulte intérieur qu’il exécute ses dessins automatiques (reproduits dans la revue la  Révolution surréaliste).

(Les dessins et peintures automatiques de Masson sont exposés salle 3).

 

 

André Masson, Dessin automatique, Hommage à Paul Eluard, 1925

Encre de chine sur papier

Galerie Cazeau-Béraudière, Paris

 

Les deux hommes se lient d’amitié dès 1923 et Eluard dira du peintre :  « Masson se leva pour ensevelir le temps sous les paysages et les objets de la passion humaine. Sous le signe de la planète Terre ! ». Ici, sous la plume de Masson, surgissent un torse d’homme, des seins de femme et une étrange tête de cheval s’apparentant à une pièce de jeu d’échec.

 

 

André Masson, Dessin automatique, 1924-25

Encre de chine sur papier

Kupferstichkabinett, Berlin

Masson, Dessin automatique, 1925-26

Encre de chine sur papier

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Sur ces deux dessins, où disparaît toute figuration, la main du peintre s’est véritablement « ailée, éprise de son propre mouvement et de lui seul… », comme le dit Breton dans Ecritures.

 

 

André Masson, Soleil furieux, 1925

Plume et encre

Museum of Modern Art, New York

 

Masson, avant de saisir sa plume, fait le vide en soi, ferme les yeux de la raison, laisse sourdre le message inconscient. Alors, comme ici, sa « ligne errante » décrit des figures involontaires. Masson confiera que le dessin automatique avait pour lui presque toujours une espèce de soubassement érotique. Il dira, dans un entretien : « Ces dessins m’avaient ouvert un monde. Un peu celui des médiums. »

 

 

André Masson, Bataille de poissons, 1926

Sable, enduit de plâtre, huile, crayon et fusain sur toile

Museum of Modern Art, New York

 

Masson, dans sa fièvre d’abandon à l’automatisme, va l’expérimenter avec d‘autres moyens que le dessin à l’encre. C’est l’époque des tableaux de sable. L’artiste étale de la colle sur la toile posée au sol et projette des sables de grosseur et couleur diverses. De cette pratique gestuelle surgissent de grandes plages frémissantes sur lesquelles Masson calligraphie quelques grands trait instinctifs.

Le poisson hante l’œuvre de Masson. Il se fait Poisson volant sur une toile de 1925, ou poisson soluble. Il évolue dans les profondeurs insondables de l’inconscient, monte à la surface, « s’aile » avec ses nageoires. Chez Masson, les poissons sont souvent carnivores, ils se font la guerre, s’éventrent, se dévorent. Ici, ils sont pris au piège dans ces sables altérés de sang.

Le peintre reviendra à ce procédé après la guerre, quand il découvre les « peintures de sable » des Indiens américains.

Ce gestuel, jet de sable et lignes tracées dans un ample mouvement, inspirera Pollock et les expressionnistes abstraits qui verront ses toiles à New York.

 

 

Yves Tanguy, dans sa démarche, « appartient » aussi à l’automatisme. Fasciné par l’œuvre de Lautréamont, il modifie totalement sa manière de peindre après sa découverte des toiles de de Chirico. Dès les années 1925, il commence à créer des paysages mentaux où ciel, terre et mer, peuplés d’étranges créatures, se confondent. De plus en plus, il s’abandonne à l’expression spontanée de ses fantasmes de l’origine et de l’enfance.

(La salle 10 est consacrée à Yves Tanguy)

 

 

Yves Tanguy, La main dans les nuages, 1927

Huile sur toile

Staatsgalerie, Stuttgart

 

Un bras raide, surmonté d’une main tendue, surgit des nuages tel un sémaphore. Que signifient ces doigts de géant dressés vers le ciel ? Ces nombres pythagoriciens inscrits sur la masse vaporeuse des nuées ? Cette pyramide molle dont la clarté détonne ? Il ne faut pas chercher à interpréter les tableaux de Tanguy. L’important, c’est la surprise et, ici, elle est totale. L’artiste voulait d’abord se surprendre lui-même, avant de surprendre les autres, car la surprise était, selon ses propres mots, ce qui « lui causait le plus de plaisir en peinture ». Pour garder ce sentiment de totale liberté dans l’acte créatif même, laisser jaillir l’imprévu, il ne faisait jamais d’esquisse préalable.

A droite de la main flotte ce qui pourrait ressembler à des anémones de mer, animaux-fleurs divaguant entre courants marins et nuages. Attentif à la leçon de l’automatisme, le peintre laisse son pinceau courir seul et tracer signes, linéaments ou algues chevelues. Il s’agit bien d’un paysage mental, aux formes indécises et mouvantes.

 

 

Yves Tanguy, Maman, papa est blessé !, 1927

Huile sur toile

Museum of Modern Art, New York

 

Un étrange animal jaillit des sables marins, tige rouge et velue, tentacule ou corne d’un monstre inconnu, menaçant un rocher femelle, veiné comme une agate. Sur une plage issue des origines du monde, d’où la mer s’est retirée, apparaissent des épaves oniriques. Des cailloux, aux ombres violemment portées, sont reliés entre eux par des lignes géométriques. Ces fils font songer à ceux qu’aurait tendus une araignée. On retrouve ces fils presque transparents sur de nombreuses toiles. Le peintre était-il hanté par cet insecte invisible qu’à vingt ans il mâchait tout cru pour se faire passer pour fou ?

Tanguy peignait dans un état second, comme un somnambule, laissant croître des images troublantes comme celle-ci et ne cherchant pas à se les expliquer. Le titre mystérieux, Maman, Papa est blessé !, n’aide pas à donner un sens à ce tableau car l’artiste n’inventait pas ses titres, laissant ce soin à ses compagnons surréalistes, ou encore les cherchant dans les déclarations de malades lues dans des livres de psychiatrie.

Tanguy, par l’automatisme, en laissant spontanément sourdre en lui les images du rêve, se situe à l’extrême pointe de l’aventure surréaliste.

 

 

 

Les frottages

 

Le procédé du frottage équivaut, lui aussi, à l’écriture automatique.

Définition du Dictionnaire abrégé du surréalisme (couloir de la salle 5) :

 

FROTTAGE - Procédé découvert par Max Ernst le 10 août 1925. « Le procédé de frottage, ne reposant que sur l’intensification de l’irritabilité des facultés de l’esprit par des moyens techniques appropriés, excluant toute conduction mentale consciente, réduisant à l’extrême la part active de celui qu’on appelait jusqu’alors l’« auteur », ce procédé s’est révélé le véritable équivalent de l’écriture automatique. » (M.E.)

 

Salle 5 est exposée toute une série de frottages réalisée par Max Ernst.

Recette du frottage : prenez un morceau de papier et posez-le sur un plancher de bois ou sur n’importe quelle surface présentant une anomalie quelconque. Frottez le papier avec un crayon. Regardez le résultat et rêvez. Enfin effacez, ajoutez quelques coups de crayons et votre image est faite !

Appliquant ce procédé, Ernst fait apparaître oiseaux enchanteurs, rhinocéros, pupilles éblouies, végétation inconnue ou astres mystérieux.

 

 

 

Le jeu du Cadavre exquis

 

L’invention et la pratique du « cadavre exquis », aussi bien écrit que dessiné ou peint, se rattache à l’automatisme. Le hasard, l’abandon, y jouent en effet un rôle essentiel.

« Le cadavre-exquis-boira-le-vin-nouveau » : le terme naît de cette première phrase obtenue au jeu du papier plié. Il faut s’émerveiller avec Breton que le cadavre exquis ainsi nommé par le hasard objectif, renvoie, pour le mot « exquis » au masticatoire et à la dévoration, et pour le mot « cadavre » aux pamphlets surréalistes.

Ce jeu est fondé sur l’inspiration, sur la dictée automatique, mais aussi sur une construction réglée qui oblige les participants à « jouer le jeu ». C’est la construction grammaticale, la syntaxe. Ces « cadavres exquis » provoquent impression de dépaysement et de jamais vu. Ils ont, pour Breton, une valeur secouante. On citera :

« L’huître du Sénégal mangera le pain tricolore ».

« La vapeur ailée séduit l’oiseau fermé à clé ».

En dessin, ce même principe du papier plié fait apparaître des personnages hybrides en proie aux métamorphoses, au mélange des espèces. Le jeu dessiné du « cadavre exquis » a commencé rue du Château et a bien vite gagné les cafés de la rive droite. Au départ, il faut toujours dessiner un corps. Les joueurs suivants tracent les membres inférieurs ou la tête.

 

 

Cadavre exquis : Breton, Ray, Morise, Tanguy, 1927

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Les pliures, qu’implique le procédé et ici bien visibles, délimitent des « horizons », plaçant la créature engendrée dans un univers à plusieurs plans. L’effet optique n’est pas sans rappeler celui des perspectives chères à de Chirico et Dali, et celui des coutures des mannequins. Les surréalistes n’hésitaient pas à coller des bouts de photos ou d’illustrations dans ce procédé de « fabrication ».

De très nombreux « cadavres exquis » sont exposés salles 3, 16 et 18.

 

 

 

L’automatisme dans le cinéma surréaliste

 

L’automatisme, enfin, est présent dans le cinéma surréaliste.

Un Chien andalou, qui suscita en 1928 l’enthousiasme unanime des surréalistes, a, selon Luis Buñuel son réalisateur, pour référence l’automatisme. Toujours selon Buñuel, le montage adopte le rythme des rêves et « l’enchaînement irréaliste d’images réalistes », reflétant ainsi « un automatisme psychique conscient ». Un âne mort dans un piano, des curés traînés à terre comme de vieux tapis… autant de symboles des obstacles sur le chemin du désir.

Effectivement, dans ce film, Buñuel s’inspire des procédés de l’écriture automatique, du cadavre exquis, du collage.

 Les mêmes procédés sont repris dans L’Âge d’or, qui reste le film le plus représentatif du surréalisme. Sa projection en 1930, accompagnée d’une brochure affirmant la toute-puissance de l’amour et son pouvoir révolutionnaire, déclenche un scandale.

Consulter le dossier « Luis Buñuel – Un chien andalou, l’ Âge d’or » :

http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-bunuel/ENS-bunuel.html

 

L’automatisme chez Fantômas. En 1911, Pierre Souvestre et Marcel Allain inventent, dans le métro, le personnage de Fantômas qui va terroriser délicieusement Paris. Les trente-deux volumes relatant ses exploits ont été écrits au dictaphone, à raison de quatorze heures de dictée par jour. Soupault y voyait là un bel exemple d’écriture automatique, précédant les Champs magnétiques écrits en 1919 en laissant courir la plume plusieurs heures par jour.

 

 

Après la guerre, Breton dresse un bilan de l’automatisme verbal. Il parle de filon, de courant tellurique, découvert grâce à l’automatisme. Pour lui le surréalisme avait bien mis la main sur la matière première du langage.

Le message automatique, qu’il soit verbal ou visuel, constitue bien « l’idée génératrice du surréalisme ».

 

 

 


 

L’ Objet surréaliste

 

Dès 1924, André Breton, dans son Introduction au discours sur le peu de réalité, propose de fabriquer « certains objets qu’on n’approche qu’en rêve ». Les surréalistes, artistes et écrivains, vont s’adonner passionnément à cette pratique.

L’objet surréaliste est une doublure de l’image surréaliste, cette fois-ci en trois dimensions. Son auteur associe les éléments les plus hétéroclites de manière insolite et provocante afin de déclencher le choc de la surprise et transporter le spectateur dans un univers de rêve.

Là encore, les surréalistes reprennent la démarche de Lautréamont qui associait une machine à coudre et un parapluie sur une table de dissection. L’objet est d’autant plus poétique et a d’autant plus de puissance émotive que les rapports entre les éléments assemblés sont plus lointains. Dali pose un homard sur un téléphone, Brauner transforme une table en loup.

Partons de sa définition donnée dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme par Breton et Eluard (et également reprise sur un mur de l’exposition). Selon le niveau de la classe, cette définition pourra être analysée en entier ou partiellement.

 

OBJET- les ready made et ready made aidés, objets choisis ou composés, à partir de 1914, par Marcel Duchamp, constituent les premiers objets surréalistes. En 1924, dans l’Introduction au discours sur le peu de réalité, André Breton propose de fabriquer et de mettre en circulation « certains de ces objets qu’on n’aperçoit qu’en rêve » (objet onirique). En 1930, Salvador Dali construit et définit les objets à fonctionnement symbolique (objet qui se prête à un minimum de fonctionnement mécanique et qui est basé sur les fantasmes et représentations susceptibles d’être provoqués par la réalisation d’actes inconscients). Les objets à fonctionnement symbolique furent envisagés à la suite de l’objet mobile et muet : la boule suspendue de Giacometti qui réunissait tous les principes essentiels de la définition précédente mais s’en tenait encore aux moyens propres à la sculpture. Sur le passage du surréalisme se produit une crise fondamentale de l’objet. Seul l’examen très attentif des nombreuses spéculations auxquelles cet objet a publiquement donné lieu peut permettre de saisir dans toute sa portée la tentation actuelle du surréalisme (objet réel et virtuel, objet mobile et muet, objet fantôme, objet interprété, objet incorporé, être-objet, etc.). Parallèlement, le surréalisme a attiré l’attention sur diverses catégories d’objets existant en dehors de lui : objet naturel, objet perturbé, objet trouvé, objet mathématique, objet involontaire, etc.

 

Les objets surréalistes sont, pour la plupart, exposés dans les salles 15 et 16.

Le point de départ sera, bien évidemment, un ready made de Duchamp, premier objet surréaliste.

 

 

 

Le ready-made

 

Marcel Duchamp, Porte-bouteilles, 1914-1964

Séchoir à bouteilles en fer galvanisé

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Ce porte-bouteilles est un objet industriel dont le premier exemplaire fut acheté, en 1914, au rayon quincaillerie du B.H.V. Le dadaïste Marcel Duchamp l’a choisi pour son « indifférence », son absence de beauté, de laideur ou de signification. Dans ce Ready-made (objet déjà fait) le travail de l’artiste est aboli puisqu’il s’agit d’un objet fabriqué en usine. Le Ready-made ne devient œuvre d’art qu’en étant exposé dans un musée. C’est le regardeur qui fait l’œuvre.

En fait, ce porte-bouteilles n’a pas acquis son statut artistique dès 1914. Parti à New York, Duchamp écrit à sa sœur en 1916 pour lui demander de peindre une phrase sur le métal et de signer. Mais hélas la sœur a jeté cet objet encombrant. En 1921, à Paris, Duchamp « refait » donc le porte-bouteilles en le signant, sans parvenir à se souvenir du texte qu’il voulait y inscrire. Une prolifération de porte-bouteilles va suivre puisqu’il s’agit d’un objet en série qu’il suffit de signer. Le dernier le sera en 1964.

Quant à « l’indifférence » dans le choix de l’objet à laquelle aspirait Duchamp, elle est ici prise en défaut. Car ce Ready-made, exposé en 1936 à la galerie Charles Ratton avec le titre de Hérisson, présente en fait une cavité entourée de formes érectiles. Le regardeur peut y voir d’évidentes connotations sexuelles.

Consulter le dossier « Marcel Duchamp » :

http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Duchamp/ENS-duchamp.htm

 

 

L’objet trouvé

 

Cuiller-soulier : Objet trouvé par André Breton

Bois

Collection particulière

 

La catégorie de l’objet trouvé est évoquée par Breton dès 1928 dans Nadja. Dans L’Amour fou (extrait de son livre Les Vases communicants), il rappelle: « La trouvaille d’objet remplit ici rigoureusement le même office que le rêve, en ce sens qu’elle libère l’individu de scrupules affectifs paralysants, le réconforte et lui fait comprendre que l’obstacle qu’il pouvait croire insurmontable est franchi ».

Les « objets trouvés » sautent aux yeux au détour d’une promenade rêveuse. Ils sont blanchis par la mer ou noircis par le feu, rongés par le temps, ramassés au Marché aux puces. L’objet trouvé – et celui-ci particulièrement – porte en lui une charge surprenante de hasard objectif et de poésie. Cette cuiller-soulier, qui sera par ailleurs photographiée par Man Ray, est une trouvaille faite aux puces en compagnie de Giacometti.

 

C’est dans les années trente que les surréalistes commencent à donner à certains objets une vertu quasi magique. Leur métamorphose en objet-talisman ne va pas sans un certain fétichisme : «  J’ai un goût prononcé pour le fétichisme en matière d’objet », avouera Breton (Enquête sur la sexualité, 1928). La connotation sexuelle de cette cuiller-soulier est assez claire : le pied, la chaussure sont des symboles fétichistes par excellence.

 

 

 

L’objet mobile et muet

 

Alberto Giacometti, Boule suspendue, 1930-31

Bois, fer et corde

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

(Œuvre exposée dans la vitrine du « Mur » de Breton, salle 19)

 

Après l’objet manufacturé de Duchamp, l’objet perçu en rêve réclamé par Breton, mais avant l’objet à fonctionnement symbolique de Dali, Giacometti propose ses « objets mobiles et muets », résultats de multiples esquisses et recherches. Sa contribution sur le plan des objets surréalistes est capitale et cette étonnante construction de la Boule suspendue est le premier en date des objets spécifiquement surréalistes. La Boule suspendue portera plus tard le titre de L’Heure des traces. La boule est prisonnière d’une cage. Boule ouverte, fendue, elle présente un « impossible équilibre sur un croissant incliné » (Breton).

 

Alberto Giacometti, Table, 1933

Plâtre original

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Ici Giacometti dépasse la simple trouvaille pour sculpter un meuble anthropomorphe. Cette sculpture, avec sa main coupée et sa poupée au corps absent semblant faire partie de la table, reflète l’attente et l’angoisse.

Consulter le dossier « L’Atelier d’Alberto Giacometti »

http://www.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-giacometti/ENS-giacometti.html

 

 

L’objet invisible

 

Alberto Giacometti, L’Objet invisible (mains tenant le vide), 1934-35

Bronze

Fondation Marguerite et Aimé Maeght, Saint-Paul

(Œuvre exposée salle 4)

 

Comme Duchamp, Giacometti répugne au fini. Pour cette sculpture-objet il lui faut maints dessins, maintes épures pour structurer cette figure qui ne saurait être montrée qu’en l’un des moments de sa lente métamorphose. Breton assiste à la genèse de ce nouvel objet, un corps féminin, les fesses à peine posées sur une chaise très haute, qui forme autour d’elle comme la cage de la Boule suspendue. Ses jambes sont prisonnières d’un carcan, les mains s’ouvrent sur un objet invisible, comme un appel au désir.

Breton salue L’Objet invisible comme l’expression même du « désir d’aimer et d’être aimé ». 

 

 

 

Vitrines de l’exposition Charles Ratton, 1936

(salle 16)

 « Exposition surréaliste d’objets » (et non exposition d’objets surréalistes, précisera Breton).

Les vitrines dans lesquelles sont exposées les objets sont les vitrines originales de 1936.

 

Breton rend compte de cette exposition dans un court article qui sert de catalogue : « On y trouve des objets naturels – minéraux (cristaux enfermant de l’eau fossile), végétaux (plantes carnivores), animaux (tamanoir d’œuf d’oepyornix) – des objets naturels interprétés (singe en fougères) ou incorporés à des assemblages – des objets perturbés (modifiés par des agents naturels tels qu’incendie ou tremblement de terre, par exemple la verrerie fondue après l’irruption de la montagne Pelée) – les objets trouvés, exposés tels quels ou interprétés – des objets mathématiques découverts à l’Institut Poincaré par Ernst et photographiés par Man Ray – des objets sauvages (fétiches et masques) et enfin des objets surréalistes proprement dits. »

Breton ajoute : « La conception surréaliste de l’objet fait place en effet à la création de l’objet surréaliste, tel que vient de le définir Dali qui, pour sa part, propose sous cette étiquette son Veston aphrodisiaque couvert de verres emplis de liqueur ».

 

 

Salvador Dali, Le Veston aphrodisiaque, 1936-67

Collection Perrot-Moore, Espagne

 

Ce veston d’où sort un plastron, pendu à un cintre, est exposé en 1936 à la Galerie Charles Ratton. Les verres à liqueur et leurs pailles invitent à une consommation immodérée d’alcool. Mais ils contiennent du Pippermint. Humour et érotisme se heurtent de façon inattendue.

Rangé par Dali dans la catégorie des machines à penser, cet objet « a l’avantage arithmétique des combinaisons et jeux de nombres paranoïaques-critiques susceptibles d’être évoqués par la situation anthropomorphe des verres », peut-on lire dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme.

Il appartient aussi à la catégorie des objets fusionnels, c’est-à-dire comestibles, susceptibles d’être ingérés dans le corps humain.

 

 

On peut demander aux élèves de repérer certains objets dans les vitrines et de les classer.

Par exemple :

Man Ray, Objet mathématique, 1934-36. Epreuve aux sels d’argent. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

Œuf d’épiornis. Moulage. Muséum national d’histoire naturelle, Paris

 

 

 

Objets surréalistes exposés dans la salle 15

 

Salvador Dali, Téléphone-homard ou Téléphone aphrodisiaque, 1936

Museum für Kommunikation, Francfort

(Œuvre exposée salle 18)

 

Un crustacé aux longues pinces menaçantes rougeoie à la place de l’écouteur, association incroyable qui éveille délicieusement notre imagination. « Les appareils téléphoniques seront remplacés par des homards, dont l’état avancé sera rendu visible par des plaques phosphorescentes, véritables attrape-mouches truffières » (Salvador Dali).

 

 

Meret Oppenheim, Déjeuner en fourrure, 1936

Tasse, sous-tasse et cuillère recouvertes de fourrure

Museum of Modern Art, New York

 

Meret Oppenheim n’a que 23 ans quand Giacometti la présente à ses amis surréalistes et qu’elle crée cet objet, vite devenu l’objet-fétiche du groupe. Exposé à New York, il fut le « clou » de l’Exposition parisienne de 1938. Meret Oppenheim savait très bien conjuguer cette recette surréaliste par excellence : idée-humour-instant-hasard.

Une tasse, une soucoupe, une cuillère revêtues d’un habillage en fourrure : cet ensemble usuel, détourné de sa fonction utilitaire, provoque à la fois attirance et répulsion. Il s’en dégage un malaise indéfinissable.

 

 

Meret Oppenheim, Ma gouvernante, 1936

Métal, chaussures, fil, papier

Moderna Museet, Stockholm

 

Deux escarpins blancs, évoquant une future mariée, sont posés à l’envers sur un plat de service ovale. Les talons sont décorés de tortillons de papier blanc comme les manches de gigot. Objet dérangeant qui autorise de multiples interprétations, d’ordre sexuel et social. La jeune fille offerte, renversée, livrée aux appétits de son maître comme une tranche de viande.

 

 

Joan Miró, L´objet du couchant, 1937

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

 

Sur un tronc de caroubier peint en rouge, Miró plante des ferrailles trouvées au hasard de ses promenades. Un ressort, une chaîne, un brûleur à gaz sont supposés représenter un couple de mariés ! A sa création, on prit cet objet pour une farce, sauf André Breton qui fut saisi par son côté magique.

 

 

Que les objets soient détournés de leur fonction ordinaire, par un titre ou une signature, trouvés et interprétés, assemblés ou reconstruits de toute pièce à partir d’éléments épars, leur destin surréaliste est de servir la perturbation et la déviation par une volontaire mutation de rôle.

La mise en circulation de ces objets, qu’ils soient rêvés, trouvés ou fabriqués, est bien « l’une des plus remarquables lignes de force du surréalisme » ainsi que l’a affirmé Breton en 1935.

 

 

 


 

La ville

 

Le Paris des surrealistes

(Les mots soulignés renvoient à des notions « clé » à rechercher dans des dictionnaires du surréalisme, indiqués en fin de texte)

 

Les surréalistes, passionnés par la vie moderne, ont élu la ville comme lieu de la magie quotidienne. Si Nantes a été une ville hautement surréaliste, Paris fut l’espace d’investigation privilégié des membres du groupe. Fascinés par le Paris littéraire, hantés par les ombres de Nerval ou de Lautréamont, ils ont aussi découvert un Paris nouveau, un Paris contemporain, celui de l’entre-deux-guerres. Nouveau car, délaissant les endroits à la mode comme Montparnasse ou Saint-Germain, les surréalistes ont élu la rive droite, les grands boulevards, les passages et autres lieux considérés jusqu’alors comme ordinaires ou trop « populaires ».

 

 

Brassaï, Le pont-levis de la rue de Crimée entre le bassin de la Villette et le canal de l’Ourcq, 1933-34

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

(salle 15)

Brassaï a, dès les années vingt, photographié les paysages emblématiques d’un Paris nocturne qui fascineront les surréalistes. Sur cette photo sombre, seule se détache la rambarde. Elle luit, irréelle, et s’enfonce dans la nuit.

 

La ville invite à la flânerie et flânerie rime avec rêverie. L’errance, au hasard, dans le dédale des rues parisiennes, reste l’activité préférée des surréalistes, une activité que l’on peut même qualifier de consubstantielle au surréalisme. La déambulation, surtout nocturne, permet le jaillissement de l’inconscient, le surgissement de l’imprévu, le choc poétique, la rencontre amoureuse. Nadja, dont la rencontre est le fruit d’un hasard objectif majeur, est la femme surréaliste par excellence. Elle va guider Breton à travers Paris, lui dévoilant une ville nouvelle, pleine de mystères, de coïncidences stupéfiantes et « d’inquiétante étrangeté ».

 

 

 

L’errance en quête de merveilleux

 

Lautréamont déjà, dans les Chants de Maldoror, erre à travers Paris. Une errance jalonnée d’énigmes, une errance prémonitoire. En 1869 il voit, rue Vivienne, une chouette, et rue de Castiglione un rhinocéros. Or, si cette chouette et ce rhinocéros existent bien, ils n’ont été sculptés que des années plus tard !

 

Breton, lui aussi, connut de ces flâneries prémonitoires. Dans le poème Tournesol de 1923, il raconte sa déambulation à travers Paris et sa rencontre avec une « voyageuse » qui, marchant sur la pointe des pieds, traverse les Halles et s’arrête au Chien qui fume, un restaurant de nuit.

Photo du Chien qui fume, reprise dans L’Amour fou (Gallimard, Folio, page 85).

Brassaï, L’Amour fou (Folio, page 72), photo reproduite avec ce texte : « Les petites rues du quartier des halles… ».

Or Breton relate dans L’Amour fou, la rencontre d’une autre jeune femme (l’ondine qu’il épousera, Jacqueline Lamba) avec laquelle en 1934, guidée par elle, il traverse Paris de nuit, selon un itinéraire nord-sud, qui est étrangement le même que celui de 1923. Le Tournesol, poème automatique (voir « automatisme »), est bien un poème prémonitoire et, en général, les phénomènes de prémonition fourmillent dans le récit des flâneries surréalistes.

Cette déambulation pédestre (ou parfois en autobus à plate-forme) est, pour les membres du groupe, une véritable activité mentale et poétique qu’Aragon qualifie de « métaphysique des lieux ». Plutôt que de se promener, le poète surréaliste est promené, entraîné par une force mystérieuse à laquelle il s’abandonne.

Il est, aussi, en quête des pouvoirs perdus et, pour lui, explorer la ville revient à explorer les arcanes de l’inconscient. Flâner au hasard, l’imagination flottante, en s’abandonnant, ouvre des failles dans lesquelles s’engouffre ce que la raison refoulait jusqu’alors.

Les parcours sont ainsi jalonnés de signes qu’il faut savoir lire et décoder : affiches, enseignes, graffiti, index pointés dessinés sur les murs et qui donnent des ordres.

 

André Breton, Nadja (Gallimard Folio, page 157).

Photo de Jacques-André Boiffard : l’affiche lumineuse de « Mazda » sur les grands boulevards. Plusieurs photographies de Boiffard, qui rompit avec Breton en 1929, sont reproduites dans Nadja.

L’ampoule « Mazda » étincelle comme un soleil irréel. Nadja, selon Breton, se figurait  sous l’apparence d’un papillon dont le corps serait formé par une lampe « Mazda », au nom étrangement proche de la femme aimée, Nadja.

 

Desnos est particulièrement sensible aux effigies de la mythologie moderne placardées sur les murs : le bébé Cadum, le Bibendum du pneu Michelin ou Nicolas et ses bouteilles. Les statues constituent aussi des signes indicateurs. Place Maubert la statue d’Etienne Dolet, brûlé vif, cause à Breton « un insupportable malaise ».

Dans Nadja, la photo de cette statue est reproduite (page 27).

 

Brassaï, Statue du Maréchal Ney dans le brouillard, 1932

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

(salle 15)

A travers un brouillard épais, blanchâtre malgré la nuit, se détache la silhouette élancée du maréchal. Avec son épée dressée vers le ciel, il semble indiquer une mystérieuse destination. Des lettres en néon, comme surgies de nulle part, inscrivent sur la nuit HÔTEL.

 

Paris est bien le lieu de tous les possibles, de toutes les rencontres. Breton y revient, après guerre, dans ses Entretiens : « Des ouvrages comme Le Paysan de Paris ou Nadja rendent assez bien compte de ce climat mental où le goût d’errer est porté à ses extrêmes limites. Une quête ininterrompue s’y donne libre cours : il s’agit de voir, révéler ce qui se cache sous les apparences. La rencontre imprévue qui tend toujours, explicitement ou non, à prendre les traits d’une femme, marque la culmination de cette quête ».

 

 

 

Le Paris géopoétique des surréalistes : la rive droite

 

Le merveilleux, objet de leur quête, les surréalistes ne le trouvent pas dans le pittoresque mais au contraire dans le banal du quotidien. Ce qui explique, dans la cartographie des itinéraires surréalistes, la primauté de la rive droite sur la rive gauche, trop « pittoresque », justement, selon Breton. Paris, ville magique, est orientée dans le sens nord-sud, mais seule la rive droite reste secrète et pleine de mystères. La rive gauche, c’est Montparnasse, la bohème et son atmosphère factice. La rive droite, c’est l’Est populaire, le quartier de la place Clichy, la Porte Saint-Denis, les Halles, jusqu’à la Seine.

Sur un plan de Paris, on pourrait chercher avec les élèves les hauts lieux du surréalisme.

 

 

La place Blanche

Lieu du plaisir vénal, de l’encanaillement provincial au cabaret du Moulin Rouge, du commerce minable : faire de ce carrefour, selon le désir de Breton, un haut lieu spirituel relève de la gageure. Défi réussi puisque le café Cyrano devint le lieu de rencontre privilégié du mouvement qui y tint ses assises.

 

 

La porte Saint-Denis et la porte Saint-Martin

Ces deux portes à l’architecture louis-quatorzienne fascinent les surréalistes. Fascination que Breton explique « par l’isolement des deux portes (…) qui doivent leur aspect si émouvant à ce que naguère elles ont fait partie de l’enceinte de Paris, ce qui donne à ces deux vaisseaux, comme entraînés par la force centrifuge de la ville, un aspect totalement éperdu, qu’elles ne partagent pour moi qu’avec la géniale tour Saint-Jacques » (Les Vases communicants). 

Photo de J.-A. Boiffard, reproduite dans Nadja (page 37) avec cette légende : « Non : pas même la très belle et très inutile Porte Saint-Denis… ».

 

 

Les passages

Le Paris de la rive droite cache, près des grands boulevards, tout un dédale de passages. Au XIXe siècle, ces passages abritaient des boutiques de luxe, mais après la guerre de 14, ils sont délaissés et les boutiques abandonnées. Peu à peu les galeries se dégradent, les verrières s’assombrissent, noircies par la poussière accumulée. Pour les surréalistes, le charme de ces passages vient justement de cet abandon, de la vétusté de ces rues couvertes, de l’étrangeté des vitrines vides.

Dans l’exposition, des portiques cherchent à restituer l’ambiance de ces passages.

 

Lautréamont a, le premier, valorisé les passages. Aragon, dans Le Paysan de Paris (1924), décrit minutieusement l’atmosphère mystérieuse qui s’en dégageait. Un itinéraire quasi initiatique menait de la rue du Faubourg-Montmartre aux jardins du Palais Royal.

Outre l’onirisme certain de ces rues couvertes de verrières, les surréalistes étaient séduits par le nom même de passage : dans passage il y a pas, passant, passé. Il y a aussi « maison de passe » et amours passagères. Le passage est le lieu même où le hasard s’exprime : lieu de l’attente, de la surprise, de la rencontre et surtout du rêve. Le passage, avec ses vitrines de magasins et ses verrières, se métamorphose en aquarium, peuplé de poissons et de nageuses, ou même, dans un registre plus fantastique, de sirènes.

 

Il est possible, aujourd’hui, de suivre cet itinéraire. Les élèves pourraient, munis d’un plan de Paris, emprunter à leur tour ces passages encore pleins de poésie malgré une rénovation récente souvent trop luxueuse et « branchée ».

On peut ainsi aller du passage Verdeau, donnant sur la rue de la Grange-Batelière, au passage Jouffroy, et, une fois franchi le boulevard Montmartre, traverser le fameux passage des Panoramas (ainsi appelé parce que d’immenses toiles peintes montraient des paysages en trompe-l’œil au relief excessif). Après la Bourse s’ouvre la galerie Vivienne, puis, dans la rue des Petits-Champs, le passage Choiseul et enfin la galerie Véro-Dodat.

 

 

Le quartier Saint-Merri

Sans doute un des quartiers qui a le plus fasciné les surréalistes car il atteignait au nord la maison de l’alchimiste Nicolas Flamel et au sud englobait l’emblématique Tour Saint-Jacques.

Ce quartier est avant tout celui de Robert Desnos qui y habita enfant, y travailla adolescent (rue Pavée). Peu de temps avant sa disparition dans les camps de la mort, le poète parle encore des « charmes de la rue de la Verrerie ». Il évoque le fabriquant de bonbons, les éplucheuses de queue de cerises, le mendiant de la rue Saint-Bon ou la construction des magasins du B.H.V.

C’est le Paris onirique de Gérard de Nerval, un des « grands ancêtres » du surréalisme. Rue de la Vieille-Lanterne, aujourd’hui disparue, Nerval se pendra à un crochet, dans un décor qui inspirera Max Ernst.

Desnos ne cesse de hanter le quartier de sa jeunesse. La présence palpable de l’ombre de Nicolas Flamel le retient (comme elle retient Breton) : l’alchimie c’est la transformation d’un métal vil en or, tout comme la poésie transforme les mots en beauté. Pour Desnos, Saint-Merri rime avec rue de la Verrerie, anagramme sonore de rêverie. Dans Les Portes battantes, de 1936, il chante le Quartier Saint-Merri, ou Verrerie rime cette fois avec boucherie : « Le sang coulait dans les ruisseaux ». C’était en effet le territoire des équarrisseurs, des bouchers aux mains rouges, des assassins. Desnos y trouve là de quoi alimenter son imagination, lui qui fut un grand amateur de faits divers et de Fantômas, héros du mal, dont il chantera les exploits dans La Complainte de Fantômas, écrite pour la radio.

Cette attirance-répulsion pour l’abattage et l’équarrissage était commune à de nombreux surréalistes, de Masson à Bataille ou au photographe Eli Lotar.

 

Eli Lotar, Aux abattoirs de la Villette, 1929

Négatif argentique sur plaque de verre

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

(Niche, salle 7)

C’est avec André Masson qu’Eli Lotar, photographe d’origine roumaine, visite les abattoirs de la Villette et de Vaugirard. Sur ce cliché, les pieds de veau sont alignés au garde-à-vous contre un mur noir. Image mystérieuse, inquiétante. On pourrait imaginer des pieds de soldats couverts de guêtres et coupés au jarret.

Le thème de l’abattoir est un thème cher aux surréalistes. Sur cette photo, particulièrement, il renvoie à la boucherie de la Grande Guerre de 14-18. Les scènes d’équarrissage sont fréquentes chez Masson, Antonin Artaud ou René Crevel. Cette photo avait d’ailleurs été commandée à Eli Lotar par Georges Bataille pour illustrer son article « abattoir » dans la revue Documents.

D’autre part, on voit sur le mur des traces de graffiti et des lettres. Signes, là encore, infiniment surréalistes. Les poètes aimaient, au cour de leurs flâneries nocturnes, avoir l’œil arrêté par ces inscriptions toujours chargées de sens. La ville favorise les « pétrifiantes coïncidences ».

 

 

La tour Saint-Jacques

Au point de rencontre des Halles et de Saint-Merri se dresse la tour Saint-Jacques. L’alchimiste Nicolas Flamel aurait financé sa reconstruction et fait orner sa façade de figures hiéroglyphiques. Breton rôdait souvent aux abords de cette tour, chargée pour lui de sens occulte.

 

Brassaï, La Tour Saint-Jacques, vers 1932-33

Epreuve aux sels d’argent

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris

(salle 15)

Par des jeux d’ombre et de lumière, Brassaï a rendu le lourd mystère qui entoure cette flèche de pierre. Presque irréelle, brillante, elle surgit avec ses gargouilles menaçantes sur un ciel noir, au milieu d’arbres fantomatiques. Brassaï, acceptant, comme il l’a écrit, de faire « un bout de chemin avec le brain-trust de l’irrationnel », a su rendre le fantastique moderne si recherché par ses compagnons du Minotaure.

Cette tour est le dernier vestige de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie près de laquelle habitait l’alchimiste Nicolas Flamel. André Breton ne cesse d’évoquer, dans de nombreux écrits, « l’exaltation » que provoquait en lui ce monument, pierre reliée à la terre pour mieux capter les orages magnétiques, témoin pétrifié de la légende des retours de Flamel après sa mort. Breton raconte un certain nombre de rencontres singulières faites à l’ombre de cette tour. Il y vit un oiseau, le « geai rare », l’oiseau favori de Desnos, chanté par Nerval.

 

 

Les Buttes-Chaumont

Aragon intitule un des chapitres du Paysan de Paris « Le sentiment de la nature aux Buttes-Chaumont », marquant par là l’antinomie ville-campagne, celle de la nature vierge opposée à la civilisation. Les surréalistes introduisent la campagne dans la ville en élisant l’îlot de verdure des Buttes-Chaumont.

Lieu au lourd passé avec le gibet de Montfaucon hanté par Villon, puis aménagé en « poumon » par Napoléon III pour lutter contre la tuberculose ouvrière, enfin « parc destiné au prolétariat » après la Commune de 1871.

Pour les surréalistes, ce parc devient ainsi un « paradis légendaire », un lieu chimérique conçu, avec ses fausses grottes, sa fausse cascade, comme une fabrique du XVIIIe siècle. Ce lieu exemplaire permet les chasses miraculeuses, le désir et la mort s’y frôlent, la quête initiatique conduit à la passerelle nommée le Pont des suicidés.

Pour Breton et Aragon, dans ce parc est « niché l’inconscient de la ville », et l’exploration* clandestine de ses sentiers peut parfois mener à une « grande révélation ».

 

Pour les surréalistes la ville - lieu privilégié de la magie quotidienne - est bien, comme l’affirme Benjamin Péret, « chair et sang de la poésie ».

 

 

 

Tous les mots soulignés renvoient à des notions « clé » du surréalisme. Il est souhaitable d’approfondir ces notions à l’aide de l’excellent Dictionnaire du Surréalisme de Jean-Paul Clébert (Paris, Seuil, 1996) ou celui de Biro et Passeron, Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs (Paris, PUF, 1982).

*Exploration : voir Dictionnaire abrégé du surréalisme (Corti).

 

 

 

Danièle ROUSSELIER

 

 

 

A consulter autour du surréalisme :

   

www.centrepompidou.fr/expositions/surrealisme/

La bande-annonce de l’exposition.

 

www.centrepompidou.fr/education/

Rubrique Dossiers pédagogiques  :

L’art surréaliste dans les collections du Mnam, série Un mouvement, une époque

La Subversion des images. Surréalisme, photographie, film, série Parcours-Expositions

 

www.centrepompidou.fr/cinemas/fantomas/

Site autour du personnage de Fantômas, en lien avec le cycle de films présenté.

 

La révolution surréaliste. Textes et documents pour la classe. CNDP/ Centre Pompidou.

 

 

 

© Centre Pompidou

Direction de l’action éducative et des publics

Ce dossier a été réalisé par Margherita Leoni-Figini et Danièle Rousselier, professeurs relais de l’Education nationale au Centre Pompidou. Mars 2002

Coordination : Marie-José Rodriguez (responsable éditoriale des dossiers pédagogiques)