Roy Lichtenstein
Du 3 juillet au 4 novembre 2013, Galerie 2, niveau 6
Sunrise [Lever de soleil], 1965
Porcelaine émaillée sur feuille d’acier perforée, 58,4 x 71,8 x 6,7 cm
Édition 1/8
Collection particulière
- Une rétrospective
- Au-delà du pop art
- Biographie
- « Ce que je crée, c'est de la forme »
- Les œuvres
- - Les premières œuvres pop
« L'art commercial n'est pas notre art, c'est notre sujet » - - La richesse des expérimentations techniques
« Je veux cacher la trace de ma main » - - Un rapport privilégié à l'histoire de l'art
- - Les premières œuvres pop
- Repères - Chronologie
- Textes de référence
- Bibliographie
- En savoir plus sur l'exposition
- Une rétrospective
une rÉtrospective
Au-delÀ du pop art
Reconnue dès le début des années 1960 comme une contribution majeure au pop art new-yorkais − elle fait partie de son « noyau dur » selon la spécialiste Lucy Lippard −, l'œuvre de Roy Lichtenstein dépasse les cadres chronologiques, techniques et thématiques de cette tendance liée à l'avènement de la société de consommation. Si ses peintures inspirées de planches de bandes dessinées sont en effet très célèbres, elles ne représentent qu'une courte période de sa carrière.
Organisée par le Centre Pompidou en association avec l’Art Institute de Chicago et la Tate Modern de Londres, cette rétrospective réunit plus de 120 œuvres, tableaux, sculptures, estampes, dont beaucoup ont été empruntées spécifiquement pour l’étape parisienne1. À côté de peintures pop très connues du début des années 1960 telles que Whaam! − de la collection de la Tate Modern − ou Drowning Girl − de la collection du MoMA −, sont donc présentées des estampes des années 50 dans lesquelles Lichtenstein applique le vocabulaire artistique moderne − hérité des avant-gardes européennes − à des sujets tirés de l'histoire américaine, de nombreuses œuvres des années 70 et 80 ainsi que de grandes peintures tardives dialoguant avec les grands maîtres de l'histoire de l'art.
En mettant particulièrement en valeur la réflexion de l’artiste sur la reproduction et l'appropriation d’images existantes, l’exposition et sa commissaire pour le Centre Pompidou, Camille Morineau, montrent que Lichtenstein fut bien le premier artiste postmoderne. L’étape parisienne de la rétrospective s’emploie aussi à souligner son inventivité technique. Ainsi, tout au long du parcours, des œuvres peu connues, estampes, céramiques, porcelaines, bronzes peints, dessins, rappellent qu’il n’aura cessé d'expérimenter et de chercher de nouveaux moyens pour traduire sa conception de l'art et du monde.
Biographie
« Ce que je crÉe, c’est de la forme »
Roy Lichtenstein naît à New York en 1923 où il passe son enfance et son adolescence. Très tôt attiré par le dessin et l'art, il fréquente des cours de peinture parallèlement à sa scolarité, puis, en 1940, entreprend des études de dessin industriel à l'Université de l'État d'Ohio. Enrôlé dans l'armée américaine en 1943, il est envoyé en Europe, profitant de ses permissions à Londres et à Paris pour visiter expositions et musées. Resté à Paris à la fin de la guerre, c’est le décès de son père, en 1946, qui le ramène aux États-Unis. Il y achève ses études, puis enseigne le dessin à l'Université de l'Ohio et commence à réaliser des œuvres figuratives, huiles, pastels, gravures, sur le thème des Indiens et de l'histoire américaine. Exposant régulièrement à New York à partir de 1951, critiques et collectionneurs s'intéressent rapidement à son travail.
Autour de 1957, il peint dans un style expressionniste abstrait, tout en introduisant dans ses toiles des personnages de bandes dessinées. Ces premières tentatives restent insatisfaisantes mais l'amènent, en 1961, à composer des peintures uniquement inspirées de planches de BD, qu’il reproduit en imitant les points « ben-day » des trames d'impression mécanique. Leo Castelli l’expose dans sa galerie dès 1962 alors que, dans la même période à New York, Claes Oldenburg, Jim Dine et James Rosenquist montrent leurs œuvres, elles aussi inspirées de la culture de masse.
Malgré la notoriété que lui apportent ces peintures, Lichtenstein continue à expérimenter toutes sortes de thèmes et de supports tels que la céramique, l’estampe, la sculpture, le papier-cadeau, le textile... À partir de la fin des années 1960, ses œuvres se réfèrent de plus en plus souvent aux grands peintres de l'histoire de l'art. Parmi ses dernières réalisations, une série de paysages s'inspire de peintures traditionnelles chinoises et de leur esprit zen. Mais, là encore, comme il a pu l’affirmer dès le début des années 60, ce ne sont pas les sujets représentés qui l’intéressent. « Ce que je crée, dit-il dans un entretien, c’est de la forme, alors que les bandes dessinées n’ont pas de formes au sens que je donne à ce mot ; elles ont des contours, mais aucun effort n’est fait pour les unifier fortement. L’objectif est différent : elles cherchent à représenter ; moi, je cherche à unifier. » (Roy Lichtenstein, Ce que je crée, c’est de la forme. Entretiens, 1963-1997. Entretien de Gene R. Swenson, 1963, p.7.) Objectif d’unité qui aura présidé à l‘ensemble de son œuvre.
Lichtenstein décède d'une pneumonie le 29 septembre 1997 à New York.
Voir, pour plus de détails, en fin de dossier, le chapitre « Repères - Chronologie ».
Les œuvres
Les premiÈres œuvres pop
« L’art commercial n'est pas notre art, c'est notre sujet »
Look Mickey [Regarde, Mickey], 1961
Huile sur toile, 121,9 x 175,3 cm
National Gallery of Art, Washington,
Dorothy and Roy Lichtenstein,
Gift of the Artist, in Honor of the Fiftieth Anniversary of the National Gallery of Art
Au tout début des années 1960, Lichtenstein compose ses peintures uniquement à partir de cartoons. Look Mickey fait partie de ces premières réalisations.
L'image originale est tirée d'une planche où Donald Duck annonce fièrement à Mickey une grosse prise, alors que l’hameçon est accroché à sa propre queue. La scène, telle qu'elle est représentée dans l'album, apparaît aujourd'hui bien plus archaïque que le tableau, tant Lichtenstein a retravaillé l'image en fluidifiant ses lignes et en lui retirant tout un ensemble de signes pittoresques surannés.* Les composantes sont réduites à l'essentiel − un dessin épuré et des grands aplats de couleurs primaires qui rappellent presque Mondrian. Le texte, qui se trouvait sous le dessin, est raccourci et placé dans une bulle. Ainsi, l'intervention de l'artiste est à peine perceptible tant elle va dans le sens de l'efficacité de l'image : elle ne consiste pas à ajouter des éléments mais bien au contraire à en retirer.
Seulement révélé au public à partir des années 1980, ce tableau a pourtant été déterminant dans la pratique de l'artiste. Son ami Allan Kaprow, qui le voit dans son atelier, l'encourage à poursuivre son exploration de la culture médiatique. Pour l'inventeur du happening, Lichtenstein serait parvenu, avec cette idée, à calquer la peinture sur la vie, démarche qui lui semble la plus pertinente pour l’époque. C'est ainsi que Lichtenstein en réalise d'autres, inspirés de cartoons ou de publicités. Leo Castelli les expose rapidement dans sa galerie, organisant en 1962 sa première exposition pop.
* Voir la planche originale sur le site de la fondation Lichtenstein
Tire [Pneu], 1962
Huile sur toile, 172,7 x 142,2 cm
The Doris and Donald Fisher Collection
San Francisco and the Museum of Modern Art, New York
Après la bande dessinée, Roy Lichtenstein s'empare d’autres types d'images médiatiques qu'il retravaille et transforme en icônes pop, simples et épurées. Entre 1961 et 1965, il réalise notamment une série de peintures en noir et blanc représentant des objets manufacturés, isolés sur un fond neutre, où il simplifie à l’extrême les codes graphiques du dessin technique ou publicitaire. Basculant vers des formes quasiment abstraites, ces objets, initialement banaux, deviennent des référents visuels de nature archétypale.
Dans The Tire, l’image dépouillée de son message publicitaire montre, dans la simplicité du noir et blanc et du motif géométrisé, la grandeur d'un symbole de notre civilisation. Pour Alain Cueff, historien de l'art contemporain, la force de la peinture de Lichtenstein vient de sa capacité à insuffler de la permanence aux objets de consommation voués à l'obsolescence (catalogue de l’exposition : Alain Cueff, « Roy Lichtenstein. Une peinture contre-nature », p.31). The Tire témoigne particulièrement de cette puissance : l'objet tel qu'il est redessiné par l'artiste est prêt à rivaliser avec les bijoux celtes, les vases grecs et autres précieux vestiges du passé représentatifs de leur époque.
Torpedo... LOS! [Torpille... Larguez !], 1963
Huile et Magna sur toile, 172,7 x 203,2 cm
Collection Simonyi
Entre 1962 et 1963, Lichtenstein réalise de nombreuses peintures inspirées de bandes dessinées sur des histoires de guerre et d’amour. Pour les sujets de guerre, il utilise des BD pour garçons, mettant en scène des héros virils et prompts à l'action. Quand il s'empare de personnages féminins, ce sont au contraire des héroïnes romantiques, versant de grosses larmes ou appelant leur amoureux à l'aide, les femmes étant presque toujours montrées en proie à l’angoisse. Lichtenstein met ainsi en lumière que ces publications américaines, créées après la Deuxième Guerre, sont inconsciemment marquées par les genres et contribuent à définir l'identité sexuée des lecteurs adolescents.
Dans Torpedo... LOS ! [Torpille... Larguez !], la scène choisie par le peintre se déroule dans un sous-marin, comme l'indique le périscope au premier plan. Le commandant, le visage déformé par la détermination, en peu de mots, crie un ordre au personnage derrière lui. La palette est réduite à quelques couleurs, dont le bleu et le jaune vifs, sans oublier le rouge du mot « LOS » qui saute aux yeux. Quelques éléments suffisent ainsi à suggérer une ambiance électrique dans un espace confiné, à l'instant où une décision cruciale est prise. Tout dans cette peinture évoque la virilité, d'une manière tellement évidente qu'elle en devient distanciée. Le sujet de Lichtenstein n'est pas la guerre mais la représentation de la guerre par la BD.
La richesse des expÉrimentations techniques
« Je veux cacher la trace de ma main »
Sunrise [Lever de soleil], 1965
Porcelaine émaillée sur feuille d’acier perforée, 58,4 x 71,8 x 6,7 cm
Édition 1/8
Collection particulière
La peinture précise et distanciée pratiquée par Lichtenstein à partir du début des années 1960 l'amène à rechercher des supports de plus en plus lisses et brillants. En 1964, il s'intéresse à l'émail, à l'époque fréquemment utilisé comme revêtement de nombreux objets domestiques, notamment les réfrigérateurs. Une fine couche de cette matière translucide est appliquée industriellement sur le métal des objets leur procurant un fini impeccable. Lui, le fait réaliser par des ateliers spécialisés, tandis qu'il peint lui-même les points au pinceau avant cuisson, couleur par couleur. Au-delà de l'iconographie de la société de consommation, l'artiste s'inspire de ses procédés qu'il adapte aux exigences de son art.
L'émail intervient de manière surprenante dans la réalisation d'œuvres telles que des tableaux de levers ou de couchers de soleils, où l'aspect froid du matériau contraste avec ces motifs éminemment romantiques. Ainsi, tout en poursuivant son projet de retirer la moindre émotion potentielle de ses œuvres, Lichtenstein pointe ici, avec humour, l'industrialisation du romantisme auquel renvoie la reproduction des couchers de soleil et autres scènes pittoresques sur le papier glacé des cartes postales. L'utilisation de l'émail marque aussi son passage aux pièces en trois dimensions et à la sculpture.
Ceramic Sculpture [Sculpture en céramique], 1965
Céramique vernissée, 8,6 x 17,9 x 16,5 cm
Collection particulière
Lichtenstein crée ses premières céramiques en 1965. Ce sont, plus exactement, des sculptures en céramique, des visages d'héroïnes de bandes dessinées, par exemple, mais aussi des tasses qui ressemblent à s'y méprendre à de véritables tasses de cuisine, mis à part, qu'étant collées, elles ne peuvent être utilisées.
Pour réaliser ces tasses, Lichtenstein met en œuvre, en collaboration avec un céramiste spécialisé, des moyens techniques complexes. Fabriquées, pièce par pièce, à partir de moules de tasses ordinaires, elles sont, une fois sèches, collées selon les instructions de l'artiste : une tasse et une soucoupe seules ou plusieurs tasses empilées en un équilibre instable. Le dessin des points sur les surfaces courbes, réalisé après une première glaçure, donne lieu à des recherches ingénieuses, notamment l'utilisation de ruban de masquage perforé. La cuisson des couleurs est, elle aussi, délicate, les céramistes jouant avec le hasard des réactions chimiques alors que Lichtenstein en attend un résultat précis.
Ses tasses sont exposées à la galerie Castelli avec une série de Brushstrokes (voir plus bas) immédiatement après leur réalisation. Par la suite, Lichtenstein créera un véritable service de vaisselle imité de ses œuvres, mis en vente dans un magasin à un coût modeste, cultivant avec humour l'ambiguïté entre objets d'art et objets fonctionnels. Puis il cessera de pratiquer la céramique, le procédé étant trop aléatoire par rapport à la rigueur de ses œuvres.
Landscape 6, 1967
Du portfolio Ten Landscapes [Dix paysages]
Sérigraphie sur Rowlux moiré bleu-vert avec collage de tirage photographique
chromogène, monté sur papier pur chiffon blanc quadruple épaisseur,
monté sur panneau en cellulose blanc, 42,2 x 54,7 cm
Édition 96/100
Bibliothèque nationale de France, Paris
Département des estampes et de la photographie
Après avoir essayé la peinture sur du plexiglas, la sérigraphie sur des feuilles de plastique ou la lithographie, Lichtenstein découvre le Rowlux, du nom de l'entreprise Rowland Products qui le fabrique pour revêtir des panneaux de signalisation urbains. La surface moirée de ce matériau crée des effets d'optique en 3D que Lichtenstein a l'idée d'utiliser pour représenter des ciels changeants ou des mers agitées, le Rowlux lui apparaissant comme « une sorte de nature ready-made ».
Dans Landscape 6, le papier moiré est rehaussé par une impression sérigraphique et un collage. Dans d'autres œuvres, ce sont parfois des moteurs qui font bouger une partie du tableau, accentuant l'illusion optique du matériau, ou encore des lumières qui tournent autour du paysage. Ces tentatives rapprochent Lichtenstein de l'op’art qui se développe au milieu des années 1960.
Mirror II [Miroir II], 1977
Bronze peint et patiné, 151,8 x 76,2 x 30,5 cm
Édition 3/3
Collection particulière
De même que les artistes qu'il admire (Picasso, Matisse, Degas...), Lichtenstein pratique la sculpture, une sculpture de peintre, car liée à ses recherches picturales. Mirror II, bronze peint et patiné, est, en effet, comme la matérialisation en trois dimensions d'un morceau de peinture, sorte d'« objet dérivé » artistique qui joue sur l'ambiguïté entre le réel et la fiction. Mais il prolonge aussi de manière plus spécifique les recherches de l'artiste autour du thème du miroir, initiées en 1969. S'inspirant de catalogues commerciaux, Lichtenstein choisit précisément des photos de miroirs qui ne reflètent rien pour créer des œuvres très dépouillées, avec quelques points « ben-day », lignes et aplats de couleur. Selon l'historien de l'art américain Graham Bader, ce thème lui permet de partir en quête d'un « laconisme pictural » (catalogue de l’exposition : Graham Bader, « Face aux Mirrors de Roy Lichtenstein », p.108).
Toutefois, par ces moyens extrêmement réduits, Lichtenstein parvient à évoquer un univers très riche et poétique en faisant tout d'abord référence à de célèbres tableaux (Les Ménines de Vélasquez, Le Bar des Folies Bergères de Manet...) qui interrogent l'autoréférence dans l'art. Mais chez Lichtenstein, le miroir interpelle aussi le visiteur qui pourrait y chercher son reflet. Puis, au-delà, c'est le propre visage de l'artiste que l'on cherche à apercevoir, en vain, faisant de la série des Mirrors des autoportraits très mystérieux.
Un rapport privilÉgiÉ À l'histoire de l'art
Brushstrokes [Coups de pinceau], 1965
Huile et Magna sur toile, 122,5 x 122,5 cm
Collection particulière
Après une première période figurative, Lichtenstein essaie en 1957 de peindre dans un style expressionniste abstrait. Mais très vite il réintroduit des figures dans ses œuvres, initiative qui en dit long sur son rapport à ce courant et sa légendaire quête de spontanéité : il est à la fois le style dominant durant ses années de formation et un repoussoir.
En 1965, Lichtenstein parvient à formuler cette ambivalence à travers ses Brushstrokes, des peintures réalisées dans le style mécanique des points « ben-day », représentant des coups de pinceau manifestement appliqués de manière énergique. Paradoxe exprimé par l'artiste : « entre mes doigts, le coup de pinceau devient la représentation de ce grand geste. Il y a ainsi une contradiction frappante entre ce que je dépeins et comment je le dépeins ».
À partir de 1980, il réalise même des Brushstrokes en sculpture. Le coup de pinceau moderniste de l'expressionnisme abstrait qui prônait la spécificité des médiums, est ainsi déplacé avec humour dans une autre dimension. Dès lors, il n'est pas surprenant que ces œuvres qui interrogent, dans la bonne humeur, l'essence de la peinture, fassent partie des principales références de Bertrand Lavier, lequel abonde dans le sens de l'artiste américain avec ses objets peints selon « la touche à la Van Gogh ».
Still Life with Goldfish [Nature morte aux poissons rouges], 1972
Huile et Magna sur toile, 132,1 x 106,7 cm
Collection particulière
Dès 1962, Lichtenstein réalise des « remakes » de chefs-d’œuvre de l'histoire de l'art. Sans aucune ironie, il donne à voir des œuvres du passé avec un œil actuel, de même que Picasso reprenait Vélasquez ou Delacroix.
Dans Still Life with Goldfish, c'est dans les pas d'un autre grand maître de son Panthéon personnel qu'il se glisse, ceux d’Henri Matisse. Il cite surtout ses natures mortes et s'inspire de la manière dont le peintre du Cateau-Cambrésis insérait ses propres œuvres dans ses tableaux. Dans Still Life with Goldfish, on reconnait en effet le bocal de poissons rouges si souvent peint par Matisse mais aussi, au second plan, l'une de ses propres huiles sur toile de 1962 qui représente une balle de golf (l'œuvre est présentée dans la première salle de l'exposition). Ainsi, à la suite de Matisse, Lichtenstein se livre à une réflexion sur la reproduction de ses propres œuvres comme tableaux dans le tableau, et sur leur prolifération comme motif mêlé à ceux des autres artistes. Ce faisant, il procède à sa propre inscription dans une lignée artistique mais ouvre aussi la voie aux appropriationnistes tels que Sherrie Levine, qui, quelques années plus tard, feront de la copie une démarche conceptuelle.
Landscape with Philosopher [Paysage avec philosophe], 1996
Huile et Magna sur toile
264,2 x 121,3 cm
Collection particulière
Si Lichtenstein a pratiqué depuis ses années pop la citation de chefs-d'œuvre, en 1995-96, il se tourne pour la première fois vers une autre tradition picturale. Il réalise une série de peintures de très grand format d’après des paysages chinois médiévaux reproduits dans un livre, The Essence of Chinese Painting. Mais là encore, la composition va simplifier l’image source pour en souligner les caractéristiques : le format allongé du rouleau, le graphisme vigoureux et la part du vide qui évoque le zen. Il les traduit par un grand format vertical, la silhouette foncée d'un arbre au premier plan qui contraste avec les tons pastel du reste du tableau et l'évocation très minimale des montagnes et du ciel.
Toutefois, l'effet de distanciation produit habituellement par les points « ben-day » ne s'opère pas autant dans cette série qu'auparavant. On ne peut s'empêcher de penser, qu'arrivé au soir de son œuvre, l’artiste s'identifie quelque peu aux peintres extrême-orientaux qui, leur vie durant, travaillent à atteindre une simplicité et un dépouillement qu'ils assimilent à la sagesse.
RepÈres - Chronologie
1923 |
Naissance de Roy Lichtenstein à Manhattan. Très tôt il s'intéresse au dessin et à la peinture. |
1940 | Après avoir suivi des cours de peinture à l'Art Students League, il commence des études de dessin industriel à l'Ohio State University. |
1943 | Il est appelé par l'armée américaine comme officier. Envoyé en Europe, il profitera de ses permissions pour visiter les musées et les expositions. |
1946 | De retour aux États-Unis, il commence à enseigner le dessin. Parallèlement il réalise des huiles et des pastels. |
1949 | Première exposition collective à New York. |
1951 | Première exposition personnelle à la John Heller Gallery de New York où il exposera régulièrement les années suivantes jusqu’en 1960. |
1957 | Premières apparitions de personnages de bandes dessinées dans ses tableaux. |
1960 | Par le biais d'Allan Kaprow, il rencontre Claes Oldenburg, George Segal… |
1961 | Premières œuvres entièrement composées de reprises d'images de BD. Il commence à peindre ses figures en imitant les points « ben-day », typiques des trames d'impression mécanique, qu'il réalise à la main à travers des grilles perforées. Première exposition collective à la galerie de Leo Castelli qui désormais le représente. |
1962 | Première exposition personnelle chez Leo Castelli. Crying Girl [Jeune femme en pleurs], 1963 |
1963 | Première exposition personnelle en Europe, à la galerie d’Ileana Sonnabend. Il participe à l'exposition présentée à l'Institute of Contemporary Art de Londres « The Popular Image ». |
1964 | Il commence à réinterpréter les genres classiques du paysage et du portrait dans un style cartoon. Essaie d'autres supports et techniques, le Rowlux pour réaliser des sérigraphies, l'émail et la porcelaine. Ces œuvres sont présentées lors de sa deuxième exposition personnelle chez Leo Castelli. À la fin de l'année une autre exposition personnelle est organisée à la Ferus Gallery de Los Angeles. |
1965 | Premières peintures de la série des Brushstrokes qui seront exposées l'année même chez Castelli avec ses pièces en céramique.
Modular Painting with Four Panels, #4 |
1966 | Il expose avec Ellsworth Kelly, Helen Frankenthaler et Jules Olitski au Pavillon américain de la Biennale de Venise. |
1967 | Première rétrospective de son œuvre au Pasadana Art Museum puis au Walker Art Center de Minneapolis. Première rétrospective européenne au Stedelijk Museum d'Amsterdam. |
1969 | Première collaboration avec l'éditeur californien Gemini G.E.L. pour des estampes. |
1970 | Il s'installe à Southampton dans l'État de New York. |
1971 | Les Mirrors sont exposés pour la première fois, chez Castelli. |
1974 | Les quatre grands tableaux de la série des Artist's Studios sont exposés chez Castelli. |
1975 | Exposition monographique des dessins au Centre national d'art contemporain à Paris. |
1976 | Premières sculptures planes en bronze peint. Elles seront exposées l'année suivante chez Castelli. |
1982 | Il installe un autre atelier à New York et revient progressivement dans cette ville. |
1987 | Rétrospective de ses dessins au MoMA. |
1990 | Début de la série des Interiors, de grandes peintures représentant des intérieurs meublés de manière contemporaine. Des œuvres sont présentées dans l'exposition « High and Low. Modern Art and Popular Culture » du MoMA. |
1992 | Certaines de ses œuvres antérieures aux années 1960 sont montrées dans l’exposition « Hand-Painted Pop, American Art in Transition 1955-1962 », au MOCA de Los Angeles. |
1993 | Il commence à peindre des nus féminins. Rétrospective de peintures et de sculptures au Guggenheim de New York. |
1995 | Début de la série des Landscapes in Chinese Style. |
1997 | Il décède à New York. |
Textes de rÉfÉrence
Richard Hamilton : « Roy Lichtenstein »
Studio International n°896, janvier 1968 (extraits)
Roy Lichtenstein, Oldenburg, Warhol, Rosenquist et Jim Dine ont accédé très rapidement à une position de premier plan sur la scène internationale. Il n'y a pas si longtemps, un conservateur des peintures au Museum of Modern art de New York se plaignait publiquement que ce que font ces artistes − quel que soit le nom qu'on leur donne − n'est pas de l'art. Pour affirmer cela, Peter Selz s'appuyait sur le principe qu'un artiste devait transformer de façon tangible son matériau source, et que cette transformation nécessaire n'était justement pas si évidente chez les artistes dits « pop ». Je doute qu'un responsable de musée, ou qu'il soit, se risquerait à dire aujourd'hui que le pop art n'est pas de l'art et qu'il n'opère pas une transformation esthétique. La plupart des artistes détestent l'étiquette de « pop » quand on la leur applique, mais Lichtenstein l'accepte assez volontiers. Parmi les artistes pop, je soupçonne que c'est le seul à s'être un peu intéressé à cette question de la transformation, et en particulier à s'être demandé quel est le minimum de transformation nécessaire, car, plus que les autres, il s'est préoccupé de la place de ce facteur dans son œuvre. [...]
La principale préoccupation de l'artiste semble être de dépeindre un sujet figuratif de manière à respecter l'intégrité bidimensionnelle de la toile. Dans sa démarche, il se pose en peintre abstrait, comme Mondrian ou Vantongerloo (c'est un masque dont il se défera plus tard). La planification clinique du tableau, qui fait penser à ces deux artistes, répudie toute virtuosité physique dans un conflit agressif avec ses origines new-yorkaises immédiates. [...]
Curieusement, si le but de Warhol relève de la sédition − pervertir et détruire les anciens points de vue esthétiques −, Lichtenstein jouit d'une réputation très différente, qui s'explique en partie par son détachement technique mais aussi par la distanciation affective qu'il manifeste par rapport à ses tableaux. Sous des dehors désinvoltes, Warhol bouillonne comme Goya, Lichtenstein est plus proche d'Ingres. Même si ses héroïnes de bandes dessinées versent de grosses larmes, elles n'éveillent en nous aucune pitié. Si nombre d'images sont empruntes de noirceur et de sadisme (une botte écrase la chair d'une main tenant un pistolet), elles nous font cependant sourire, comme cette vieille plaisanterie horrible et comique d'un homme qui s'accroche par les doigts en haut d'une falaise pendant que son bourreau se tient au-dessus de lui et lui lance : « Si tu veux mourir avec tes deux mains, saute. » Les batailles aériennes et les explosions de Lichtenstein ne sont pas plus une condamnation qu'une glorification de la guerre. Elles proposent une réponse purement esthétique. [...]
Ce qui est parfaitement clair avec Lichtenstein, c'est que tous ses sujets deviennent un, avant même qu'il ne les touche. Le Parthénon, les femmes de Picasso ou la jeune fille polynésienne sont réduits à un même type de cliché par la syntaxe de l'estampe. Reproduire un Lichtenstein reviendrait à rejeter un poisson dans l'eau après l'avoir pêché.
[« Je me suis intéressé à l’estampe parce qu’elle offrait une plus grande précision dans le style pop que la peinture pop »].
Entretien de l’Independent Study Program du Whitney Museum, 1981 (extraits).
Reproduit dans Roy Lichtenstein, Ce que je crée, c’est de la forme. Entretiens, 1963-1997, Paris, Centre Pompidou, 2013, pp.93-98. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-François Cornu
Pourquoi vous intéressez-vous à l’estampe ?
Il faut s’y prendre autrement qu’avec la peinture. Je pense qu’il faut être plus clair dans la façon de traiter l’image. Comme il y a beaucoup de travail en jeu, il faut constamment réévaluer ce que l’on fait et y réfléchir. Les outils sont différents et le rythme n’est pas le même. J’aime bien sortir de l’atelier pour faire les estampes. J’aimerais autant peindre, mais j’aime bien considérer l’estampe comme si j’étais en vacances.
Quand je faisais mes études, ce qui relevait de l’art graphique était toujours considéré comme un dérivé naïf. Bien sûr, Mauricio Lasansky et Stanley William Hayter faisaient des estampes. Mais, pour moi, ce n’était pas un domaine élaboré. Des estampes, j’en ai fait à l’école d’art : des lithographies, des eaux-fortes et des gravures sur bois. Plus tard, quand j’y suis revenu, c’était avec l’idée du pop art. Le pop art ressemblait à l’image imprimée et c’était intrigant de réintroduire l’image imprimée dans l’estampe.
Vos tableaux possèdent un fort aspect graphique. Quelles différences essentielles voyez-vous entre vos tableaux et vos estampes ?
Cet aspect graphique des tableaux vient du mode d’impression commercial. Mes estampes les plus récentes ajoutent des caractéristiques que je ne pouvais pas obtenir avec la peinture ou qui étaient assez difficiles à obtenir. Par exemple, certaines caractéristiques des estampes de la série Entablatures [Entablements ; 1976] – matériau réfléchissant, couleur, texture – sont quasiment impossibles à rendre par la peinture. Je pouvais faire un collage (comme pour les Entablatures) et, en gaufrant les lignes, donner aux estampes plus de solidité, plus de force et plus de présence concrète.
Je crois qu’au début, je me suis intéressé à l’estampe parce qu’elle offrait une plus grande précision dans le style pop que la peinture. Un grand nombre des premières estampes sont, je trouve, assez mécaniques. Je voulais qu’elles aient l’air le plus mécanique possible. Les séries Cathedrals [Cathédrales ; 1969], Haystacks [Meules de foin ; 1969], Modern Heads [Têtes modernes ; 1970] et Peace through Chemistry [La paix grâce à la chimie ; 1970] avaient une précision que je voulais avoir dans les estampes parce que c’était impossible en peinture. Aujourd’hui, je veux obtenir autre chose : j’aime tenter d’atteindre la précision sans pouvoir vraiment y arriver. Travailler contre le bois – graver le bois – rend impossible la précision absolue. J’ai tendance à faire les choses avec netteté – la « netteté » est une chose, mais la « précision » en est peut-être une autre – pour que les lignes soient aussi précises que possible. Actuellement, le bois m’intéresse vraiment beaucoup car, avec le bois, on ne peut pas obtenir cette netteté, mais en essayant, on arrive tout de même à obtenir certaines caractéristiques, comme les veines du bois, qui ont un côté un peu plus sensible. [...]
Pensez-vous que vos estampes supportent bien la reproduction ?
Pas particulièrement. Je crois qu’elles sont difficiles à reproduire photographiquement pour plusieurs raisons. C’est surtout à cause des couleurs extrêmes, d’un jaune tirant fortement sur le jaune citron à un bleu outremer ou à un rouge, qu’il est impossible de rendre avec précision simultanément par le processus photographique. Quand mes points étaient plus petits, il y avait une grande interférence entre les points qui servaient à faire la couleur dans les reproductions et mes propres points. À mesure que mes points ont grossi dans les œuvres suivantes, ils sont vraiment devenus lisibles en tant que points ; ils ne créaient plus de formes moirées.
J’aime dessiner comme les dessinateurs industriels ou comme quelqu’un qui commence des études d’arts appliqués. Vous savez, ils ne regardent jamais l’objet, ils apprennent seulement à en faire le symbole : comment dessiner un œil ou comment dessiner un drapé. Ce genre de dessins a quelque chose de très maladroit. On a l’impression que ça a été fait avec des instruments de dessinateur industriel, ce qui l’éloigne de la réalité. Ça devient un schéma, un diagramme. Ce qui m’intéresse, c’est à quel point des choses prises pour du réalisme sont irréalistes, à quel point le graphisme peut s’éloigner de la réalité photographique, alors que les gens continuent de les lire comme une représentation littérale du sujet. C’est particulièrement le cas de l’art commercial que l’on trouve toujours réaliste. L’image d’une pile de serviettes ou de draps sur une table, telle qu’un dessinateur la représenterait, pourrait ressembler à n’importe quoi. Ça n’a rien à voir avec l’original et, pourtant, on trouve que c’est très vrai.
C’est ce genre de questions, comme l’acceptation inconditionnelle des conventions des dessinateurs, qui vous a amené aux tableaux et aux estampes très abstraits des « Mirrors » en 1969 ?
Oui. Par exemple, je me suis intéressé aux catalogues de miroirs de toutes les miroiteries du quartier du Bowery, à New York. Dans ces catalogues, les miroirs étaient représentés à l’aérographe par des miroirs symboliques, sans reflet. Je me suis dit que ça valait la peine d’être exploré.
Les gens trouvaient que mes premiers tableaux de miroir ne ressemblaient pas vraiment à des miroirs. Il a fallu un petit apprentissage pour les rendre compréhensibles en tant que miroirs. Je crois qu’il s’est passé la même chose avec les tableaux de coups de pinceau. J’aime créer des symboles très concrets de choses éphémères. Comme les reflets.
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Bibliographie
Essais
- Annabelle Ténèze, « Pop George. Citation et art américain : Larry Rivers, Roy Lichtenstein et George Washington », Paris, Cahiers du Mnam n°110, hiver 2009-10
- Yve-Alain Bois, « Conférences diapos : les séries Perfect et Imperfect de Roy Lichtenstein », Paris, Cahiers du Mnam n°93, automne 2005
- Anne Moeglin-Delcroix, « Jeux de mémoire, jeux de mémoire. Sur quelques citations dans la gravure pop art », Nouvelles de l'estampe, n°112-113, octobre 1990
Catalogues d'exposition
- Roy Lichtenstein, Paris, Centre Pompidou, 2013
- Les années Pop, Paris, Centre Pompidou, 2001
- Daniel Abadie, Roy Lichtenstein, dessins sans bandes, Paris, Centre national d'art contemporain, 1975
Écrits et entretiens
- Roy Lichtenstein, Ce que je crée, c’est de la forme. Entretiens, 1963-1997, Paris, Centre Pompidou, 2013
- Carter Ratcliff, « Roy Lichtenstein. Donald Duck et Picasso », Artpress n°140, octobre 1989
En savoir plus sur l’exposition
Consulter la page Agenda du site www.centrepompidou.fr
Crédits
© Centre Pompidou, Direction des publics, juillet 2013
Texte : Vanessa Morisset
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cédric Achard
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques
Références
_1 Organisée par l’Art Institute of Chicago et la Tate Modern de Londres, en association avec le Centre Pompidou, la rétrospective a également été présentée à la National Gallery de Washington.