Au sein des mondes distincts que sont le reggae, le jazz et le funk, Lee Perry, Sun Ra et George Clinton ont construit leurs propres mondes, terres futuristes qui s'expriment subtilement au sujet de la marginalisation de la culture noire. Ces nouvelles galaxies du discours utilisent un ensemble de tropes et de métaphores de l'espace et de l'aliénation, liant leur histoire commune de la diaspora africaine à une notion d'appartenance extraterrestre. Ra travaillait avec son groupe de free jazz, Intergalactic Jet-Set Arkestra, et demandait "Avez-vous entendu les dernières nouvelles de Neptune ?". Perry a contribué à inventer le dub dans ses Black Ark Studios et nous rappelle que "tous les gens bizarres ne viennent pas de l'espace". Dans ses concerts spectaculaires au milieu des années soixante-dix, Clinton, le dieu du funk, avait mis en scène une "connexion avec le vaisseau mère (mothership connection)" élaborée, disant : "Ici l'Enfant des Étoiles ! Citoyens de l'univers : il ne s'agit que d'une grande fête !" Marginaux, ils ont tous trois mené leur production "un pas en avant", dans une zone où, comme Clinton le dit, "la fantaisie est la réalité dans le monde d'aujourd'hui". Ils ont tous remis leur propre identité en question, revêtant une multitude de costumes et de personnages ; chacun d'entre eux est un sorcier postindustriel faiseur de mythes, possédant plusieurs identités et ayant créé son propre style. Si les métaphores fonctionnent généralement en prenant quelque chose d'inhabituel et en le substituant à un objet ou à un concept connu, que se passe-t-il donc quand la métaphore choisie est elle-même définie comme "l'inconnu" ? D'accord, le mot espace conjure toutes sortes d'associations, mais l'un de ses attributs primaires est la notion d'exploration. Il ne reste qu'à définir une chose en y substituant l'inconnu, l'insondable, la terra incognita, `l'espace' -- la dernière frontière (indéfiniment repoussée). L'espace devient donc le terrain d'essais pour les limites de la métaphore, un lieu où des sphères anthropomorphisées prouvent que les métaphores, en fin de compte, ne se rapportent à aucun `absolu', mais sont toujours déterminées culturellement. Ra, Clinton et Perry construisent leur mythologie sur une image de la désorientation qui devient une métaphore de la marginalisation sociale. Mettant en jeu leur revendication sur cette marge excentrique -- lieu qui à la fois élude et effraie la subjectivité centrée et oppressive -- ils la reconstituent tous trois en un lieu de création. C'est une métaphore du fait de se trouver ailleurs, ou peut-être du fait de faire sien cet ailleurs.
John Corbett dans Brothers from Another Planet