Le nouveau festival du Centre Pompidou
1ère édition, 21 octobre - 23 novembre 2009  / 1 2 3 4 5 6 Repères

 

 

2. L’Éclatement des catÉgories artistiques 
Les avant-gardes historiques des années 10 au début des années 20

L’univers futuriste en expansion

Filippo Tommaso Marinetti, Mots en liberté : trains (vers 1910)
Encre noire, crayon bleu sur feuille de papier pliée en quatre et dépliée, 30,9 x 42,1 cm

Dans le but d’occuper tous les champs de la création artistique, les artiste futuristes, à l’initiative du poète Marinetti, réalisent dès le début du 20e siècle des œuvres qui brouillent les frontières entre les disciplines. Outre la représentation du temps et de la sensation de la vitesse qui constitue l’aspect le plus connu de leur travail plastique, ils réalisent des peintures intégrant des objets en volume, des poèmes composés comme des images, des costumes pour prononcer leurs discours, des pièces de théâtre qui intègrent « toutes les découvertes et toutes les recherches, même les plus invraisemblables et les plus antithéâtrales » (Marinetti, Corra, Settimelli, Le Théâtre futuriste synthétique, 1915). Ils s’inspirent aussi de formes d’art populaire, telles que le music-hall, le cinéma ou la cuisine pour faire évoluer et moderniser les pratiques artistiques traditionnelles.

Pour favoriser la diffusion de leur état d’esprit, ils organisent des soirées d’un genre nouveau, où la communication emprunte au théâtre et le théâtre à l’art de la provocation. Poètes, peintres, musiciens, tous les membres du groupe participent à ces soirées, déclamant leurs textes, accompagnés des rumori, les « bruits » du quotidien produits par les instruments de Luigi Russolo. « Quand tout le monde est entassé, à Rome, à Florence, à Milan ou ailleurs, commence le grand happening. D’abord la déclamation de poèmes, lectures de manifeste, conférence ou concerts inouïs… Le meneur de jeu lance une première bombe verbale, suivie de prise de parole de ses compagnons qui restent à ses côtés. Les réactions du public, provoqué, malmené, se font de plus en plus houleuses. Les projectiles commencent à pleuvoir : pommes de terre, carottes, oignons, trognons de choux… » (Fanette Roche-Pézard, L’aventure futuriste 1909-1916, Ecole française de Rome, 1983, p. 156). Les futuristes, par leurs provocations, incitent donc les spectateurs à participer à l’action, même si participation du public est synonyme chez eux de rixes qui se terminent en saccage des lieux et en bagarre généralisée.

Dans son Manifeste sur le music-hall, 1913 (voir « textes de référence »), Marinetti suggère quelques moyens de provoquer cette participation du public : mettre de la colle sur certains sièges, ou les saupoudrer d’une poudre à gratter… Pour eux, tous les moyens sont bons pour combler l’écart entre artistes et spectateurs, et plus généralement entre la vie et l’art. Le manifeste du théâtre futuriste synthétique ne saurait être plus explicite : « Créer entre la foule et nous-mêmes, au moyen d’un contact continuel, un courant de confiance sans respect, de façon à infuser dans les publics la vivacité dynamique d’une nouvelle théâtralité futuriste ». Grâce au théâtre, les futuristes communiquent leur énergie au public et à l’univers entier.

Les soirées iconoclastes de Dada

Marcel Janco, Portrait de Tzara
Masque, [1919]
Assemblage de papier. Carton, toile de jute, encre et gouache
55 x 25 x 0,7 cm

Le mouvement Dada, l’un des plus révolutionnaires du 20e siècle par ses frasques mais aussi ses inventions formelles telles que le collage, entretient un lien très étroit avec les arts de la scène puisque le mouvement lui-même est issu de rencontres dans un cabaret, le Cabaret Voltaire. Premier véritable cabaret artistique, le Cabaret Voltaire est fondé à l’initiative du poète allemand Hugo Ball, blessé pendant la guerre. Réfugié à Zurich, il s’associe au patron d’un cabaret existant et propose d’en faire un lieu d’expression artistique, avec des décors, des chansons, des déclamations de textes d’artistes de divers horizons.
Très vite, Hugo Ball est rejoint par Tristan Tzara, Hans Arp, Hans Richter, Marcel Janco. Ce dernier raconte l’une des apparitions de Tzara : « Il récitait, chantait en parlant en français, même s’il pouvait le faire aussi bien en allemand, et il ponctuait ses interventions avec des cris, des sanglots et des sifflements. Des cloches, des tambours, des percussions, des rythmes frappés sur la table ou sur des boîtes vides, tout stimulait les accents déjà sauvages du nouveau langage poétique, et excitait, par des moyens purement physiques, un public qui avait commencé la soirée impassiblement assis derrière son verre de bière. Tiré de cet état d’immobilité, il était invité à une participation amicale qui ne faisait que croître. C’était de l’art, c’était la vie, et c’était ce qu’ils voulaient ». (Cité par Lisa Appignanesi, The Cabaret, Londres, éd. Studio Vista, 1975, p 79). 

Man Ray, Le groupe dada, vers 1922
Collage de deux épreuves gélatino-argentiques,
13,7 x 26 cm
Serge Charchoune, Philippe Soupault, Tristan Tzara, Paul Chadourne,
Georges Ribemont-Dessaignes, Mme Soupault, Jacques Rigaut,
Paul Éluard, Man Ray. CA. : Man Ray

A l’été 1916, le Cabaret est contraint de fermer, les Zurichois s’étant plaints de l’agitation soulevée par le lieu, qu’ils soupçonnent être un repère de dangereux anarchistes. Les dadaïstes n’en continuent pas moins d’organiser des soirées et des spectacles, à Zurich, puis plus tard, à Paris et à Berlin. A Paris, ils organisent une première soirée mémorable au Théâtre de l’Œuvre en mars 1920. Picabia y lit son Manifeste Cannibale Dada, Breton et Soupault y présentent des sketches, Aragon joue au prestidigitateur, Tzara donne sa pièce de théâtre dada, La Première aventure célèste de M. Antipyrine… Quelques mois plus tard, en mai, ils organisent une soirée similaire mais d’une envergure beaucoup plus grande, salle Gaveau, une salle d’environ 1 000 places, d’habitude dévolue aux concerts de musique classique. La grande nouveauté réside dans le nom donné à cette soirée, le Festival Dada : c’est la première fois que le nom de festival est utilisé pour nommer une manifestation artistique rassemblant, en un même lieu et un même temps, des créations émanant du théâtre, de la musique, et des arts plastiques. Sont de nouveau présentés des sketches de Breton, Soupault, Eluard, une pièce de théâtre – La Deuxième aventure de monsieur Aa l’Antipyrine de Tzara –, de la musique « composée» selon les lois du hasard par Georges Ribemont-Dessaignes, un Festival manifeste presbyte signé de Picabia, le même ayant réalisé les décors et costumes de la soirée. Par exemple, pour le premier spectacle intitulé Le Sexe de Dada, il crée une gigantesque construction de forme phallique en papier, montée sur des ballons.

Après cette soirée, les manifestations dada s’essoufflent, avec néanmoins une ultime tentative parisienne en 1923, La Soirée du cœur à barbe. Organisée par Tzara, elle a lieu le 6 juillet, au Théâtre Michel, rue des Mathurins, avec, à son programme, entre autres, des compositions de Georges Auric, Darius Milhaud, Erik Satie, Igor Stravinsky, des poèmes de Cocteau, Soupault, de la danse avec des costumes de Sonia Delaunay et un décor de Theo Van Doesburg, des films de Hans Richter, de Man Ray… et une pièce en trois actes de Tzara, Le Cœur à gaz, créée en 1921 au Théâtre des Champs-Élysées.
Mais cette dernière soirée tourne mal, étant l’occasion pour les dadaïstes et les surréalistes de régler leurs différends. Éluard frappe Tzara en public, la manifestation se termine en bagarre et Tzara assignera Éluard en justice.

L’art du cabaret après Dada

Raoul Hausmann, ABCD, [1923-1924]
Collage
Encre de Chine et collage d'illustrations de magazine découpés et collés sur papier, 40,4 x 28,2 cm

A Paris, Dada est évincé par le surréalisme, mais le mouvement poursuit ses activités en Allemagne. Les dadaïstes berlinois, George Grosz, Raoul Hausmann, John Heartfield, Kurt Schwitters, organisent eux aussi de nombreuses soirées, par exemple, la Première foire internationale Dada à Berlin en 1920, une manifestation qui mêle exposition, fête et débats politiques. Le peintre Kurt Schwitters poursuit quant à lui cette pratique jusque dans les années 30 au cours de soirées où il récite ses poèmes, par exemple Anna Blum, et chante notamment sa célèbre Ur Sonate.

Parallèlement en Allemagne, les arts de la scène s’invitent dans le milieu des arts plastiques avec l’ouverture, au Bauhaus, d’un atelier théâtre, tout d’abord confié à un peintre expressionniste, Lothar Schreyer, puis à Oskar Schlemmer qui rend l’atelier célèbre avec ses créations, Le Ballet triadique (1922) et le Cabaret mécanique (1923), où les danseurs (des étudiants), enfermés dans des costumes géométriques de couleurs vives, imitent les mouvements répétitifs des machines.

 

 

 

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