Arts de la scène : aux limites du théâtre
Philippe Quesne / Vivarium studio, La Mélancolie des dragons / 1 2 3 4 5 6 Repères

 

 

Activer un autre monde, par Aude Lavigne
6. Du cÔté du vivant

Mettre en valeur ce qui ne saurait être maîtrisé

D’après nature, 2006. Que ce soit en mimant les aveugles de Bruegel ou en reconstituant une sorte de vivarium de notre espèce humaine,
Philippe Quesne pose une même question : « Où irons-nous si nous suivons à tâtons un guide incapable ? »
© Photo Pierre Grosbois

Le théâtre de Philippe Quesne a ceci de fascinant qu’il « tient debout ». Précisément à l’inverse de quelqu’un dont on dit « qu’il ne tient plus debout », ses spectacles sont étrangement du côté du vivant. C’est toute son originalité, sa force et sa tension. Tout concourt ici à mettre en valeur ce qui ne saurait être maîtrisé produisant ainsi, passé le rire et l’amusement, une sensation de malaise, ou d’effroi.

Peut-être que le théâtre nous a habitués à rester toujours du côté des morts. Si nous prenons seulement l’exemple des personnages dans le théâtre le plus répandu, on observe qu’ils sont généralement réincarnés d’un comédien à l’autre, personnage qui s’enfile donc comme un habit du soir. On dit cela, d’ailleurs : « se glisser dans la peau du personnage ». Il n’y a rien à craindre dans ces représentations, tout est comme sous contrôle avec une date limite de péremption marquée par la fin de la représentation.

Le réalisme des présences scéniques

Alors, quand le Vivarium Studio parvient à brouiller notre regard, en travaillant le réalisme des présences scéniques, par le jeu des comédiens, la présence animale, ou celle des éléments de la nature, notre perception se trouble car le vivant semble alors grouiller et nous inquiète. Ces acteurs-là ne semblent pas maîtrisables, ils débordent en quelque sorte de l’espace de la scène morte, ils s’en accommodent à la fois détachés et concentrés, extra-terrestres ou fantômes.

La première ébauche théâtrale de Philippe Quesne s’inspirait de La Vie des Termites de Maeterlinck. Les termites ne sont pas des insectes innocents, ils peuvent détruire tout un édifice. Par ailleurs, la perfection, l’efficacité de leur organisation oblige à réfléchir. Ils vivent dans un monde des ténèbres car ils ne sont pas dotés de la vue et pourtant cela ne semble pas limiter les effets néfastes de leurs actions.

Dans le spectacle D’après nature, les acteurs miment à plusieurs reprises un tableau du peintre flamand Bruegel intitulé La Parabole des aveugles (1568) qui fait référence à la parabole du Christ adressée aux Pharisiens : « Si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou ». Sur le tableau, six personnages aveugles se tiennent par l’épaule et sont tous entraînés dans la chute par celle de leur guide. Ils ont les yeux levés au ciel, en signe d’appel au secours à Dieu. Que ce soit en mimant les aveugles de Bruegel ou en reconstituant une sorte de vivarium de notre espèce humaine, Philippe Quesne pose la même question « Où irons-nous si nous suivons à tâtons un guide incapable ? ».

 

 

 

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