Robert Delaunay
Rythmes sans fin
Galerie du musée et Galerie d’art graphique
Du 15 octobre 2014 au 12 janvier 2015

Début du contenu du dossier

Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, 1937

Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, 1937
L’aménagement intérieur du hall tronconique, conçu par Félix Aublet et Robert Delaunay
et réalisé par l’association Art et lumière

Une lecture renouvelée de son œuvre Retour haut de page

Depuis l’exposition « Robert Delaunay, 1906-1914. De l’impressionnisme à l’abstraction », organisée par le musée national d’art moderne en 1999, nul ne conteste la place de Robert Delaunay (1885-1941), l’inventeur du mouvement orphique et de la « peinture pure », parmi les pionniers de l’abstraction. Il en est de même, depuis quelques années, quant à son rôle de précurseur de l’art cinétique, où l’œil du spectateur devient le moteur de l’œuvre.

Prenant appui sur la donation faite par Sonia Delaunay (1885-1979) et son fils Charles, en 1964, au musée national d’art moderne, cette exposition permet d’approfondir un autre aspect de son œuvre quand, dans les années 1920-1930, il en élargit le champ à l’espace quotidien, faisant sienne la responsabilité de l’artiste moderne : parler à la collectivité et organiser l’espace urbain.

La Galerie du musée rassemble les œuvres qui, du Paysage au disque, 1906, aux Reliefs et Mosaïques, 1935-1937, montrent son passage progressif de la toile à la scène puis aux arts appliqués et à l’espace architectural, tandis qu’il opte définitivement pour l’abstraction. La Galerie d’art graphique est dédiée exclusivement aux projets d’aménagement réalisés avec l’architecte Félix Aublet pour le Palais des chemins de fer et le Palais de l’air de l’Exposition internationale de 1937, où il réalise sa grande ambition : faire fusionner la couleur et l’espace.

Présentée en même temps que la rétrospective Sonia Delaunay au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, cette exposition poursuit la relecture des grands fonds monographiques confiés au musée.

Entre figuration et abstraction Retour haut de page

À la fois figuratif et abstrait jusqu’à la fin des années 1920, Robert Delaunay a longtemps embarrassé la critique et l’histoire de l’art. Quelle place donner à son œuvre des années 1912-1913, période dite « orphique » ? Le peintre faisait-il partie des pionniers de l’aventure abstraite ? Comment considérait-il lui-même son œuvre ? C’est à ces questions auxquelles s’était attachée l’exposition de 1999, conçue par Pascal Rousseau, historien de l’art, et Jean-Paul Ameline, conservateur au musée national d’art moderne, interrogeant, pour y répondre, la notion même d’abstraction.

Les vibrations colorées de Robert Delaunay : une autre voie de l’abstraction Retour haut de page

Jean Cassou, témoin privilégié1, brossait en 1935 l’ambition mais aussi l’isolement du peintre : « Dans cet esprit de synthèse intuitive et amoureuse que manifestait le cubisme orphique, Delaunay a toujours aspiré à accomplir de vastes ouvrages qui exprimeraient quelque grande idée collective. Son isolement dans notre époque vient de ce qu’il a échappé à la tentation du tableau de chevalet pour s’éprendre de techniques possibles qui réconcilieraient la peinture et l’architecture. »2
À cela, s’ajoute la mort précoce de l’artiste, en 1941.

L’exposition conçue par Pascal Rousseau et Jean-Paul Ameline en 1999, ainsi que les contributeurs au catalogue montraient que l’œuvre de Delaunay, dès le début des années 1910, constituait l’une des voies de l’abstraction, dont les sources avaient été souvent limitées à des formes d’inspiration symboliste ou de recherche de spiritualité. Abstraite, elle l’était à plusieurs titres : son motif était la lumière et non l’objet ou la nature éclairés ; sa réalité était la « peinture pure » à distinguer de l’abstraction « pure » ; son système plastique était autonome, fondé sur une théorisation des contrastes simultanés et la vibration des couleurs, et non sur une interprétation de la réalité.

Robert Delaunay, Une fenêtre, 1912

Robert Delaunay, Une fenêtre, 1912
Ancien titre : Étude pour les trois fenêtres ; La Tour et la Roue
Huile sur toile, 111 x 90 cm

Étant entendu que l’œuvre des années 1912-1913 fait dorénavant partie des prémices de l’aventure abstraite, au même titre que celles de Vassily Kandinsky, Piet Mondrian, Kasimir Malevitch et František Kupka – Kupka ne fut reconnu comme l’un de ses maîtres qu’au début des années 1950 –, il n’est toutefois pas inutile de revenir sur les termes du problème.3

Pour Michel Seuphor (1901-1999), peintre et écrivain, un des fondateurs du groupe Cercle et Carré (1929)4, ami de Mondrian et auteur du célèbre ouvrage L’Art abstrait (1949), est « abstrait, tout art qui ne contient aucun rappel, aucune évocation de la réalité observée ».5 Logiquement Delaunay ne devrait donc pas compter parmi les pionniers. Toutefois, Seuphor reconnaît l’œuvre précoce de Delaunay comme abstraite : « C’est entendu, les Fenêtres partaient encore de la réalité objective (la fenêtre ouverte en été, et le jeu du soleil sur le monde) mais la plupart aboutissaient à un pur lyrisme de la couleur. Et ces compositions-là sont bien de l’art abstrait ».
Dora Vallier (1921-1997), autre référence en matière d’abstraction, l’exclut, quant à elle, en tant que pionnier, malgré ses Formes circulaires ou certaines de ses Fenêtres simultanées, ne « voyant une volonté délibérée d’abstraction ne se [manifester] que dans les années trente ».6
D’autres, comme le philosophe esthéticien Max Imdahl (1925-1988), considérant la couleur comme une composante essentielle de son œuvre, font de Delaunay le maître de l’abstraction « pure ». Mais c’est omettre l’une de ses dimensions essentielles : son travail sur la vision, qui prend pour point de départ la nature, les astres, le soleil, le ciel, ou l’impact qu’exerce sur nous la vie moderne.
Pierre Francastel (1900-1970), qui insiste sur la vision comme fondement de son art, propose, quant à lui, de ne plus parler de peinture abstraite mais de peinture inobjective, terme d’ailleurs employé par l’artiste lui-même. Pour Francastel, Delaunay est l’exemple parfait de sa propre théorie sur l’art abstrait, lequel, selon lui, n’est jamais pur, c’est-à-dire détaché du réel.7

Observation du réel et contrastes simultanés Retour haut de page

Il fallait en revenir, avec rigueur, aux propos et écrits du peintre, pour dépasser ces contradictions. Ainsi, dans une lettre à August Macke, en 1912, Delaunay explique l’importance que prend, pour lui, l’observation du réel : « Une chose indispensable pour moi, c’est l’observation directe, dans la nature, de son essence lumineuse. […] Mais où j’attache une grande importance, c’est à l’observation du mouvement des couleurs. C’est seulement ainsi que j’ai trouvé les lois des contrastes complémentaires et simultanés des couleurs qui nourrissent le rythme même de ma vision. »8
Pour Delaunay, la seule réalité qui s’exprime dans la nature est la lumière. La lumière n’est pas à comprendre dans un sens mystique, ou ésotérique, forme de spiritualité partagée par de nombreux artistes au début du 20e siècle, mais de façon très concrète. Ses moyens plastiques sont une cristallisation de ses expériences et des théories scientifiques de l’époque sur la décomposition de la lumière – notamment du chimiste français Michel-Eugène Chevreul9 –, sur ses vibrations dans l’éther – il faudra attendre les théories d’Einstein pour que cette notion disparaisse –, chaque couleur ayant, par analogie avec le son, une durée de vibration.

De façon précise, le peintre explique comment les couleurs interagissent entre elles : « Les couleurs : étant mesurables, elles sont donc distribuées sur la surface du tableau, qui est la seule référence pour l’ensemble du travail. […] Telle vibration d’un orangé placé dans la composition à côté d’un jaune – ces deux couleurs étant placées sur le diagramme des couleurs presque côte à côte, leurs vibrations étant par conséquent voisines, vibrent très vite. Si, dans la composition, il y a un bleu violet, le bleu violet formera une vibration avec l’orange jaune : un mouvement beaucoup plus lent. Toutes les autres couleurs, selon leur distance et leur rapport quantitatif vibrent … et, selon leur dominante ou le nombre qui les régit, elles s’exaspèrent ou s’atténuent. »10
Les combinaisons de deux couleurs voisines sont désignées sous le nom de « petits intervalles », et celles de deux couleurs éloignées de « grands intervalles » : ce sont les contrastes simultanés. Aux groupes de couleurs qui « vibrent » rapidement est attribuée la forme de triangle et à ceux qui « vibrent » lentement, celles de losange ou de rectangle.
Ce sont ces théories sur la couleur et la lumière qui président à la série des Fenêtres (1912-13). Toutefois, jugeant ces œuvres encore statiques, Robert y ajoutera rapidement quelques formes hélicoïdales puis circulaires, aboutissant à sa dernière grande série interrompue par la Première Guerre mondiale, Formes circulaires.

Dans Les Peintres cubistes, Apollinaire, s’inspirant de notes de Delaunay, parle de « peinture pure » ou d’un « art du mouvement de la couleur » pour définir une œuvre attentive aux matériaux qui la constituent (comme un poème est constitué par sa sonorité, la peinture l’est par son harmonie chromatique), génératrice de « sensations artistiques entièrement neuves ». ll nomme cette manière l’orphisme.

L’acte de voir comme sujet de la peinture Retour haut de page

Si Robert Delaunay théorise la réalité de la couleur, ses durées de vibration, ses capacités de contrastes, ce n’est pas dans le but d’abstraire le phénomène coloré. Ancré dans la réalité de son époque, il veut, par la couleur, en exprimer la modernité.
« Comment transposer en formes et en couleurs la profusion des angles de vue inédits, la mobilité accrue, la stimulation incessante de nos nerfs optiques, tous ces chocs simultanés qui rythment la vie urbaine moderne ? Voilà la grande question qui anime le projet delaunien », écrit Angela Lampe, commissaire de cette exposition.

De l’électrification des rues à l’essor de l’aviation, du gigantisme de la tour Eiffel aux nouveaux panneaux-réclames chatoyants et bavards, Robert Delaunay perçoit la modernité comme un débordement visuel, une submersion de sensations optiques. Au contraire de Vassily Kandinsky et de son abstraction spirituelle, de sa recherche d’une « vibration de l’âme », Robert veut faire de la vibration des couleurs et de l’acte de voir le sujet même de la peinture.
Sa quête d’une peinture étayée par « l’agitation du réel » et une exploration physiologique de la vision va rapidement se heurter aux limites de la toile, avant de remettre en cause la peinture de chevalet. Paysage au disque, 1906, Formes circulaires, Soleil et lune, 1913, premières peintures « inobjectives », mais aussi ses séries sur l’Église Saint-Séverin, 1909, et sur la tour Eiffel, 1910, toutes deux influencées par le cubisme (voir chapitre « Repères biographiques »), témoignent de cette confrontation du motif avec les limites de la surface picturale.

La forme en mouvement Retour haut de page

Robert Delaunay, Autoportrait, 1905-1906Robert Delaunay, Paysage au disque, 1906

1. Robert Delaunay, Autoportrait, 1905-1906
Huile sur toile, 54 x 46 cm

2. Robert Delaunay, Paysage au disque, 1906
Huile sur toile, 54 x 46 cm

Robert Delaunay peint en autodidacte, depuis quelques années, des paysages de style impressionniste quand il découvre, en 1905, au Salon des Indépendants les œuvres de Seurat et Van Gogh, et au Salon d’Automne la peinture fauve, Matisse et sa Femme au chapeau, les paysages de Vlaminck et de Derain… L’année suivante, à nouveau au Salon des Indépendants où il expose des toiles proches du style de Gauguin, composées par masses compactes et lumineuses, il rencontre le Douanier Rousseau et Jean Metzinger. Celui-ci lui fait découvrir des écrits théoriques sur la couleur, ceux de Michel-Eugène Chevreul par exemple, qui le convainquent que les couleurs sont interdépendantes et interagissent entre elles en fonction de leur répartition dans le spectre. Le diptyque formé par l’Autoportrait de 1905-1906, et Paysage au disque de 1906 participent de ses nouvelles recherches.

Dans Autoportrait, œuvre de transition, le visage, qui conserve toute sa lisibilité, est balayé par des touches de couleurs contrastées (vert et violet) qui s’opposent aux couleurs primaires du fond (rouge, jaune et bleu), esquissant, dans cet aller-retour visuel entre couleurs complémentaires et primaires, « la forme en mouvement » qui sera mise en place dans Paysage au disque, peint au verso, à la fin de l’année suivante.

Dominée par la forme vide d’un disque solaire blanc (le blanc étant la synthèse de toutes les couleurs du prisme11), la composition est animée par des touches épaisses, en cercles de couleurs complémentaires qui s’élargissent et se reflètent dans la mer et sur le rivage. En naît une dynamique giratoire qui semble repousser les limites de la toile.
Dans cette œuvre encore clairement figurative, « le soleil [ressemble toutefois] beaucoup plus à un cercle chromatique qu’à l’astre d’où nous vient la lumière. Le titre lui-même […] renvoyant aussi bien au disque solaire qu’aux disques tournants dits de Newton ou de Maxwell.12 Ce qui s’élabore ici timidement (par rapport à la série des Formes circulaires), c’est le fait que le soleil n’est pas directement représenté, mais plutôt transposé sous forme d’analogie. […] »13

Robert Delaunay, Formes circulaires, Soleil n°2, 1913

Robert Delaunay, Formes circulaires, Soleil n°2, 1913
Peinture à la colle sur toile, 100 x 68,5 cm

L’année précédant la série des Formes circulaires, Soleil et Lune, commencée en mai-juin 1913, Robert a déjà peint de nombreuses Fenêtres (1912-1913) ainsi que son œuvre monumentale, La Ville de Paris, où, se démarquant du cubisme, il reconstruit la forme par les contrastes simultanés. ll a également initié, sur ce même principe plastique, la série consacrée aux sports, L’Équipe de Cardiff.
Ainsi, à cette époque, son œuvre semble osciller entre un art d’avant-garde et une peinture « populaire » à travers ses thématiques modernes. Créer une œuvre « populaire », accessible à tous, c’est ce qui lui a tant plu chez le Douanier Rousseau, et auquel il a rendu hommage dans La Ville de Paris (voir chapitre « Monumentalité et espace architectural »).

Formes circulaires, Soleil n°2, 1913, est l’une de ses premières « peintures inobjectives ». Les formes, sortes de pales d’hélice fixées sur un axe ou de disques rappelant les recherches de Chevreul ou Maxwell, évoquent à la fois son intérêt pour l’aéronautique, les théories astrales, une approche scientifique de la couleur, et plus concrètement encore ses expériences optiques telles que les raconte Sonia (Nous irons jusqu’au soleil, 1978), où elle le décrit fixant le soleil pour voir se décomposer la lumière :
« Robert voulait regarder en face le soleil de midi, le disque absolu. […] Il se forçait à le fixer jusqu’à l’éblouissement. Il baissait les paupières et se concentrait sur les réactions rétiniennes. De retour à la maison, ce qu’il cherchait à jeter sur la toile, c’était ce qu’il avait vu à la fois les yeux ouverts et les yeux fermés, tous les contrastes que sa rétine avait enregistrés. 
- Sonia, je vois les points noirs du Soleil… Il avait découvert des taches en forme de disques. Il allait passer de la couleur prismatique aux formes circulaires. »14

Ici, ce n’est plus le déploiement des cercles colorés qui repousse le cadre de la toile, mais une sorte de propulsion vers l’avant qui crée comme un « frisson optique », « un éblouissement », selon l’expression de Maurice Denis15. Toutefois, pour être rétinien, ce « frisson » ne doit plus rien à une image naturaliste.
Ces premières toiles « inobjectives » seront suivies, en août, par Disque (le premier disque), une œuvre entièrement abstraite qui rappelle les disques colorés des représentations scientifiques, sorte de cible qui semble aussi préfigurer, à un demi-siècle de distance, la peinture de l’Américain Jasper Johns.

De la peinture simultanée
À la scène et aux arts appliqués Retour haut de page

Parallèlement à ses recherches optiques pour traduire l’effervescence de la vie moderne qui le conduisent à repousser les limites du tableau, Delaunay transpose ses contrastes colorés dans différents domaines. Dès 1913, dans un projet d’installation avec le cinéaste Abel Gance. À partir de 1915, fasciné par la synesthésie des sensations, leurs équivalences visuelles et sonores, il commence à collaborer avec Serge de Diaghilev et les Ballets russes. De 1921 à 1924 il conçoit une trentaine d’affiches publicitaires, convaincu que son art de la couleur doit participer à l’organisation de la modernité urbaine.

Dès 1912, dans le sillage de Sonia qui, avec beaucoup d’hardiesse, utilise les médiums les plus variés pour créer des objets simultanés – couverture pour le berceau de son fils Charles, reliures de livres, projets d’affiche, livres d’artiste (La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France, 1913, avec Blaise Cendrars)… – ou pour confectionner des vêtements, robes ou gilets, Robert peint une série de figures portant des robes simultanées. Entourées de formes circulaires, celles-ci semblent nous inviter, comme un premier pas hors du champ pictural, à un défilé.

La simultanéité des sensations Retour haut de page

L’année suivante, Robert Delaunay collabore avec Abel Gance pour son projet d’« Orgues lumineuses », un vaste écran constitué d’ampoules qui s’allument et s’éteignent au rythme d’une musique d’accompagnement, et pour lequel il propose un visage de femme composé de signaux lumineux rouges, blancs et bleus.

Robert Delaunay, Football, 1918

Robert Delaunay, Football, 1918
Projet pour un décor de ballet
Collage, aquarelle de deux feuilles de papier superposées collées sur carton gris, 46 x 47 cm

En séjour à Fontarrabie, situé en Espagne près de la frontière française, au moment de la déclaration de la Première Guerre mondiale, le couple est bloqué dans la péninsule ibérique. À Madrid, en 1915, Robert et Sonia entament une collaboration avec Serge de Diaghilev et la troupe des Ballets russes pour la création de décors et de costumes, lesquels seront montrés à Londres dans une reprise du ballet Cléopâtre, en 1918.
Avec Léonide Massine, un des danseurs vedettes de la troupe, et le compositeur espagnol Manuel de Falla, ils travaillent à un autre projet, Football, qui n’aboutira pas, mais dont Robert gardera un souvenir intense. Les corps des danseurs revêtus de couleurs simultanées, évoluant dans un décor de cercles concentriques sur des rythmes syncopés proches du jazz, constituent un « spectacle total » où sensations visuelles et sonores fusionnent. « Je travaille Football car je veux […] l’envoyer comme une balle dans tout l’univers, je veux une chose d’une vie folle et gaie, éclaboussante », écrit-il à Massine.16

La « réorganisation plastique du monde contemporain » Retour haut de page

Pendant ces années passées hors de France, Robert Delaunay a multiplié les opportunités qui lui ont fait dépasser la peinture de chevalet. Durant les années 20, sans échapper toutefois à un « retour à l’ordre », auquel sont confrontés les artistes à l’époque17, marqué pour lui par la reprise de ses thèmes d’avant-guerre et la production assez traditionnelle de portraits, l’occasion va lui être donnée de mesurer sa peinture à un nouveau territoire, l’espace architectural.
Le vent nouveau d’un art social, venu d’Union soviétique18 ou d’Allemagne, va accompagner sa propre volonté de mettre son art de la couleur au service de la « réorganisation plastique du monde contemporain ».

Robert Delaunay, La Baraque des poètes, 1922

Robert Delaunay, La Baraque des poètes, 1922
Encre de Chine, mine graphite et rehauts de gouache blanche sur papier, 24,5 x 25,3 cm

De retour à Paris à la fin de l’année 1921, Robert et Sonia se lient avec les artistes d’avant-garde, participant alors à la gaité retrouvée de la vie parisienne et aux folles soirées du Bal Bullier.
Parmi les cent-cinquante artistes qui seront invités, peintres, poètes, musiciens, le poète Iliazd et le peintre Mikhaïl Larionov les ont invités à réaliser l’aménagement de stands pour le grand bal organisé au profit de l’Union des artistes russes, et qui sera donné au Bal Bullier le 23 février 1923. La soirée mettra à l’honneur la poésie « transmentale », une poésie sans images ni mots usuels, inventée par Iliazd, Alexeï Kroutchenykh et Igor Terentiev. Sonia a en charge la décoration d’une Boutique de modes et Robert de deux stands, La Compagnie transatlantique des pickpockets et La Baraque des poètes.
Pour La Baraque des poètes, le peintre s’est à la fois inspiré du projet imaginé avec Massine où fusionnaient sensations sonores et colorées, et d’un spectacle de Jean Cocteau qu’il a encore en mémoire, les Mariés de la tour Eiffel (1921), où deux marionnettes déguisées en phonographes à pavillon jouaient les commentateurs de l’action. Ici sont regroupés une cinquantaine de ces appareils pour faire entendre et projeter sur les spectateurs la voix des poètes. Les formes coniques des pavillons, où alternent le blanc et le noir, propulsées vers l’avant, cherchent à transposer en une sensation rétinienne le vacarme de ces voix inintelligibles.

À partir de 1921 et ce jusqu’en 1924, Robert Delaunay conçoit quelques couvertures de revues – pour la revue tchèque Disk ou la revue néerlandaise Het Overzicht (Le Panorama), une publication créée par son ami Seuphor – et une trentaine d’études publicitaires où il associe ses formes simultanées (formes circulaires, hélices, disques) au dynamisme de la vie moderne, incarné par les roues de voiture, les panneaux de signalisation ou par l’effet optique des enseignes lumineuses.
Dans le sillon du Bauhaus19 et des constructivistes20, convaincu comme son ami Léger21 que l’artiste ne peut plus vivre, solitaire, dans son atelier, Robert veut participer à l’organisation de la modernité urbaine. Dans un texte sur « L’art de la devanture » – il partage avec Léger cette passion du spectacle de la rue, des vitrines et des devantures –, il dit vouloir mettre son art de la couleur au service de la « réorganisation plastique du monde contemporain ».

Fin des années 1920, Robert et Sonia évoquent différents projets avec Walter Gropius et László Moholy-Nagy pour montrer la proximité des approches entre le Bauhaus et l’Union des artistes modernes22 dont Sonia est très proche. Les deux mouvements partagent un même dessein social de l’art, l’amour du métier, l’intérêt pour l’expérimentation de matériaux nouveaux, prônant un rapprochement de l’art et de l’artisanat, voire de l’industrie. Les recherches sur l'espace, le mouvement et la lumière développées par Moholy-Nagy au Bauhaus, et surtout sa sculpture lumineuse, Licht-Raum Modulator (« Modulateur d’espace lumière »), inspireront probablement Robert dans l’aménagement qu’il fera du Palais de l’air en 1937.23

Monumentalité et espace architectural Retour haut de page

Depuis ses débuts, l’art de Robert Delaunay semble n’avoir de cesse de repousser les limites du tableau, de délaisser la peinture de chevalet. La monumentalité de la toile est une des solutions pour y parvenir. La Ville de Paris, 1910-1912, est en ce point exemplaire. Compte tenu de la thématique de l’exposition, cette œuvre l’est aussi à d’autres titres. Conçue par l’artiste comme un déroulé de son passage du cubisme à l’abstraction, elle introduit la temporalité dans l’œuvre, notion reprise, après 1930, dans le langage abstrait des Rythmes sans fin. Emblématique par sa facture et ses motifs, elle accompagne à plusieurs reprises l’artiste dans ses projets en lien avec le champ architectural, notamment en 1925 dans le cadre de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes et, en 1937, dans le cadre de l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, pour le Palais des chemins de fer.

La Ville de Paris, une œuvre emblématique Retour haut de page

Robert Delaunay, La Ville de Paris, 1910-1912

Robert Delaunay, La Ville de Paris, 1910-1912
Huile sur toile, 267 x 406 cm

« Dans cet esprit de synthèse intuitive et amoureuse que manifestait le cubisme orphique, Delaunay a toujours aspiré à accomplir de vastes ouvrages qui exprimeraient quelque grande idée collective. » Cette phrase de Jean Cassou24 semble particulièrement bien s’appliquer à cette œuvre.

Conçue pour le Salon des Indépendants de 1912 où les cubistes se regroupent pour se faire connaître – et d’où a été exclu Nu descendant un escalier de Marcel Duchamp25 –, La Ville de Paris, 1910-1912, par son format monumental et sa richesse iconographique, affiche les ambitions du jeune peintre.
Dans cette composition de plus de quatre mètres de long, des citations de ses œuvres précédentes sur la ville et la tour Eiffel sont associées à un thème, inédit chez lui, celui des Trois Grâces, motif antique par excellence. On y voit aussi un hommage au Douanier Rousseau à travers le petit drapeau bleu-blanc-rouge flottant devant un pont, à gauche de la toile ; le vieil artiste qui vient de décéder, représentant pour lui, par ses sujets populaires, le peintre de la modernité.
L’ensemble laisserait penser qu’il s’agit d’un manifeste, une sorte de synthèse entre l’ancien et le moderne. Si ce n’est que le trio des Grâces a été choisi comme une réponse aux attaques futuristes contre le cubisme qui, avec ses sujets Grand Siècle – nu, paysage, nature morte ou monument, loin de la vie moderne et trépidante – ne serait qu’« un académisme masqué ».26 Si ce n’est, également, sa référence explicite aux Demoiselles d’Avignon de Picasso, notamment par le caractère primitivisme des visages.
Toutefois, s’il défend le cubisme à travers le motif des Grâces, l’artiste veut aussi marquer dans cette œuvre sa distance vis-à-vis du cubisme analytique qui déconstruit la ligne, et son passage à l’abstraction. Les différentes parties de la composition y sont unifiées par les contrastes colorés et les vibrations chromatiques. Ce que Delaunay résume ainsi : « Vision de Paris : transition vers la couleur constructive, état entre le constructif et le destructif. […] Synthèse de la Ville et de la Tour […] les nus féminins sont des immeubles, les immeubles, des nus. La grâce ancienne réapparait : Pompéi ! Mais noyé dans un désir de nouvelle composition ».27

Robert Delaunay, Ville de Paris. La Femme et la Tour, 1925

Robert Delaunay, Ville de Paris. La Femme et la Tour, 1925
Crayon gras sur papier, 28 x 21,5 cm

La lecture complémentaire à laquelle invite cette exposition attire l’attention sur trois points.
La monumentalité de l’œuvre, qui excède très largement les dimensions du tableau de chevalet, annonce le travail de l’artiste dans l’espace architectural. Son déroulé iconographique, presque filmique, qui résume son passage du cubisme à l’abstraction, introduit la temporalité dans l’image. Cette notion sera reprise, après 1930, dans le langage abstrait de la série des Rythmes sans fin.
Enfin, La Ville de Paris est représentative de ce travail d’adaptation qu’aimait faire Robert de ses œuvres, pour les mesurer à l’espace architectural. Invité en 1925, ainsi que Fernand Léger, dans le cadre de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes par l’architecte Robert Mallet-Stevens, à réaliser une peinture murale pour le pavillon de la Société des artistes décorateurs, conçu comme une ambassade du goût français, Robert peint Ville de Paris. La Femme et la Tour. Cette version tout en hauteur de l’œuvre de 1910-12, centrée sur l’une des Grâces, posant devant une tour Eiffel sans fin et auréolée de disques de couleurs, est une « évocation synthétique de Paris » où la tour symbolise la modernité et la femme l’élégance.
C’est notamment avec cette œuvre et avec Manège de cochons, 1922, qui traduit l’expérience optique d’une fête foraine, qu’il décore un appartement pour le film de René Le Somptier, Le P’tit Parigot, 1926. Sonia est de l’aventure pour les costumes, les meubles et les tissus d’ameublement.
En 1937, une troisième version, Air, Fer et Eau, est peinte sur un vaste panneau mural, centrée sur les trois Grâces, pour le Palais des chemins de fer de l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne.

Vers une abstraction radicale Retour haut de page

Le début des années 1930 marque un nouveau tournant. Probablement encouragé par Michel Seuphor et les membres de la revue Cercle et Carré, porte-parole de l’abstraction géométrique, Robert Delaunay abandonne définitivement ses motifs figuratifs inspirés par la vie moderne. Avec Rythme, Joie de vivre il reprend avec un dynamisme renouvelé le thème des disques et des formes circulaires. Une nouvelle série, Rythmes, débute en 1934, encore plus radicale, des peintures conçues pour animer un espace architectural. Parallèlement, il expérimente des matériaux tels que le ciment ou la céramique propres à s’adapter aux contraintes d’un édifice dans un espace public.

« […] j’ai la vie en moi et la couleur dans le monde » Retour haut de page

Robert Delaunay, Rythme, Joie de vivre, 1930

Robert Delaunay, Rythme, Joie de vivre, 1930
Huile sur toile, 200 x 228 cm

Abandonnant définitivement ses motifs symbolisant la vie moderne ainsi que la peinture de portraits réalisés le plus souvent pour des raisons pécuniaires, Robert Delaunay reprend les formes circulaires des années 1912-1913, dépouillées de tout référent à une réalité objective. Rythme, Joie de vivre, 1930, exprime littéralement le bonheur de vivre à travers la peinture, à propos duquel il écrit : « […] j’ai la vie en moi et la couleur dans le monde ».28

Sous une apparente stabilité due au format presque carrée de la toile, Rythme, Joie de vivre est une polyphonie de rythmes, de trajets visuels qui s‘emboîtent et se délivrent telles les deux diagonales du tableau, deux axes qui structurent, sans pour autant fermer l’espace, la constellation des disques colorés. Venant perturber cet ordonnancement, un angle aigu crée un effet de décentrement, évoquant ces flèches utilisées par Paul Klee pour indiquer le mouvement et au regard son point d’achoppement.
Les couleurs dominantes des disques sont les quatre dernières de l’arc-en ciel (vert, jaune, orangé, rouge) qui diffusent leurs ondes circulaires, contenues, en haut et à droite du tableau, par un disque aux tonalités plus froides.

Le thème « Rythme, Joie de vivre » a été conçu pour décorer un phalanstère, la « Vallée des artistes », que Robert envisageait de fonder avec Sonia, à Nesles-La-Vallée, mais qui ne vit pas le jour en raison de la guerre et de sa disparation. Il fut traduit en une tapisserie vers 1949 à la demande de Sonia.

Robert Delaunay, Rythmes, 1934

Robert Delaunay, Rythmes, 1934
Huile sur toile, 146 x 113 cm

En 1931, Robert Delaunay rejoint le groupe Abstraction-Création29 et expose avec lui l’année suivante. Dès 1934, il s’en éloigne, car ses membres réduisent la couleur à son aspect décoratif. Pour lui, ce qui compte dans la peinture abstraite, ce ne sont pas les éléments géométriques mais la distribution dynamique sur la toile de leurs rythmes colorés, la construction par la couleur.

En 1934, s’étant éloigné des « géométrisants », il reprend le motif des disques traversés par un axe invisible apparu dans Rythme, Joie de vivre, pour une nouvelle série intitulée Rythmes où le cercle devient le module unique selon une double partition : le noir et blanc et les contrastes simultanés.
Dans Rythme sans fin, peinture tout en hauteur (207 x 52 cm), un chapelet noir et blanc de formes sinusoïdales chevauche, le long de cet axe invisible, des cercles bicolores de la largeur de la toile. L’inversion rythmique des couleurs et leur dynamisme ascendant entraînent l’œil au-delà des limites du tableau comme un « ordre architectural », évoquant une composition musicale en contrepoint.
Avec Rythmes, autre œuvre de la série, l’axe en diagonale, légèrement surélevé pour induire un effet de complémentarité entre les deux parties du tableau, crée la sensation d’un mouvement accompagnant la déambulation dans un espace.

Faire « la révolution dans les murs » Retour haut de page

 

Florence Henri, Portrait de Robert Delaunay (assis de profil droit), vers 1935Robert Delaunay, Relief gris [1935]

1. Florence Henri, Portrait de Robert Delaunay (assis de profil droit), vers 1935
Tirage de 1977
Épreuve gélatino-argentique, 40 x 30,3 cm

2. Robert Delaunay, Relief gris [1935]
Plâtre et caséine sur trame métallique, 226 × 180 cm
Ce relief a servi de modèle pour la première pierre tombale
aujourd'hui détruite de Robert Delaunay à Gambais

L’année suivante, prolongeant le motif circulaire des Rythmes et des Rythmes sans fin, l’artiste, qui ne s’est jamais intéressé à la sculpture, remplace la surface picturale par des revêtements muraux (ciment coloré, sciure de bois, plâtre, sables colorés,…). Il recourt à ces matières pour leurs capacités de résistance aux conditions climatiques et d’entretien auxquelles est soumis tout espace architectural. S’il les associe le plus souvent à des pigments colorés, il peut aussi les laisser dans leur état naturel, laissant jouer leur texture avec la lumière.
Dans Relief gris, par exemple, mélange de plâtre et de caséine, alternent, en arcs de cercles, matières grumeleuses et d’autres plus lisses, plus froides, l’ensemble se prêtant bien aux jeux de la lumière naturelle. Succèdera à la série des Reliefs, celle des Mosaïques, 1935-1937, constituée de matériaux divers pris dans le ciment : graphites noirs, tesselles de marbres ou de pâtes de verre, débris de briques, petits galets...

Pour l’heure, il expose ses premiers Reliefs à la Galerie Art et décoration, au printemps 1935, sous le titre « Les Revêtements muraux et en couleur de Robert Delaunay ». C’est avec enthousiasme que Jean Cassou salue ces œuvres dans un long article, anticipant la participation de l’artiste à l’Exposition internationale de 1937 : « Si l’exposition de 1937 remplit le but qu’elle s’assigne, de réconcilier les arts et les techniques, les plasticiens et les architectes, la spéculation intellectuelle et les matières, elle se doit de faire appel à Delaunay. »30 Quant à Robert, dans une enquête qui fait suite à l’exposition, il dit son adhésion inconditionnelle à cette pratique murale proche de l’artisanat : « Moi, artiste, moi manuel, je fais la révolution dans les murs. En ce moment j’ai trouvé des matériaux nouveaux qui transforment le mur […] »31

Concrètement, l’exposition a été, pour lui, l’occasion de rencontrer un jeune architecte-décorateur et peintre, Félix Aublet, avec lequel commence dans les mois qui suivent une collaboration, à laquelle est associée Sonia, qu’Aublet connaît déjà et admire, pour le Salon de l’art mural – le rendez-vous des ingénieurs, artistes et artisans –, puis pour le Salon de la lumière. Décidé à concourir ensemble pour l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, ils créent une association, « Art et lumière », où ils définissent les responsabilités et engagements de chacun. Une quarantaine de peintres, alors au chômage, parmi lesquels Roger Bissière, Albert Gleizes, Auguste Herbin, Jean Le Moal, Alfred Manessier, Jean Metzinger, Léopold Survage, participeront également à l’entreprise. Les thèmes imposés aux artistes devront refléter les valeurs du Front populaire : la célébration du travail, le progrès technologique, les loisirs... Dans cette période de crise, l’art mural devient l’art social par essence.

Le Palais des chemins de fer et le Palais de l’air
de l’Exposition internationale de 1937 Retour haut de page

Aux côtés de Félix Aublet et d’architectes32, Robert Delaunay conçoit pour l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, l’aménagement des deux pavillons dédiés aux transports modernes : le Palais de l’air et le Palais des chemins de fer, réalisant enfin sa grande ambition : créer un art accessible à tous, où fusionnent la couleur et l’espace.
L’exposition présente, côté Galerie d’art graphique, deux diaporamas constitués de photographies d’époque ainsi qu’un grand plan en provenance des Archives nationales qui montrent la réussite exceptionnelle de ces deux pavillons, leurs décors et leur parcours complexe conduisant de halls en salles et en galeries d’expositions.

Une symphonie ferroviaire Retour haut de page

Situé dans la gare désaffectée des Invalides, le Palais des chemins de fer occupe une surface de 1500 m2. Côté quai d’Orsay, une haute tour, décorée dans sa partie supérieure par un disque bicolore, signale de loin la présence du bâtiment. Une même importance est accordée à l’impact visuel des façades. Pour l’entrée principale, sur le thème de la « Symphonie ferroviaire », quatre portes, surmontées de quatre panneaux représentant les volutes de fumées ou le tracé des rails, sont encadrées par cinq colonnes évoquant des chaudières de locomotives. Constituées de Rhodoïd, un matériau neuf pour l’époque, ces colonnes sont transparentes et éclairées la nuit, de l’intérieur. Les panneaux de la façade intérieure montre, dans une veine géométrique, les métiers du rail : l’aiguilleur, le garde-barrière, le mécanicien et le conducteur de train.

Robert Delaunay, Esquisse pour la décoration de l'escalier du Palais des chemins de fer, 1937

Robert Delaunay, Esquisse pour la décoration de l'escalier du Palais des chemins de fer
Projet pour l'Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, Paris 1937
Gouache sur papier entoilé, 71 x 160 cm

À la grande salle du rez-de-chaussée consacrée à l’apprentissage, à la prévention des accidents, au travail, etc., succèdent la salle des instruments de précision, décorée notamment par Léopold Survage, puis une pièce en rotonde dont Robert Delaunay réalise le plafond sur le thème « Voyage autour du monde » ». De là, un grand escalier mène à la salle des pas perdus où se trouvent les principales réalisations de Robert et Sonia.
C’est là que, face à l’escalier encadré par deux panneaux de Sonia, Voyages lointains et Portugal, 1937, l’on découvre l’immense fresque de Robert, Air, Fer et Eau – termes en rien symboliques, qui désignent les modes de transport modernes –, où il a repris les thèmes qui lui sont chers : la tour Eiffel, les trois Grâces, ainsi que ses nouveaux motifs abstraits : une Joie de vivre à gauche et un Rythme à droite, accomplissant une véritable symbiose entre peinture et architecture. Ces « Trois Grâces à l’Antique […], explique Robert, incarnent le vestige de ce rythme éternel de l’Humanité désormais emporté par les nouvelles technologies du déplacement », l’œuvre surplombant de surcroît « une locomotive animée de milliers d’ampoules dont le circuit électrique schématise les réseaux de circulation de la vapeur ».33

Robert Delaunay / Art et lumière - Maquette pour l’entrée du hall des réseaux du Palais des chemins de fer, 1937

Robert Delaunay / Art et lumière
Maquette pour l’entrée du hall des réseaux du Palais des chemins de fer, 1937
Peinture sur bois et isorel, incorporation de sable, 107 x 202 x 15 cm

À l’est du hall des pas perdus, un escalier conduit à la salle des cartes, orné par six Rythmes sans fin de plus de 6 mètres de haut, en bois peint de couleurs pastel. Le parcours se prolonge par le hall des réseaux pour lequel Robert Delaunay a conçu quatre panneaux sur un thème qui pourrait paraitre trivial s’il ne voulait honorer la fiabilité du monde ferroviaire : « sécurité, vitesse, souplesse, précision ». Entourés de nouveau par cinq colonnes, ces grandes fresques colorées, aux rythmes sinusoïdaux, montrent, comme des signes magnifiés, les panneaux de signalisation, les sémaphores, rouages, horloges, voies de chemins de fer…, les signes, écrit Robert, « d’une nouvelle langue de l’âge de la vitesse ».34

Pour clore le parcours, un espace réservé à la présentation du matériel roulant conduit, en passant sous le Palais de l’air et l’avenue Gallieni notamment, vers la cour dite des « containers » dont la porte d’entrée, conçue par Aublet et Delaunay, surmontée d’un décor de cercles colorés, mesure pas moins de 20 mètres de haut et 70 de large. Enfin, un dernier bâtiment abrite un « cinéma technique », orné de toiles de Jean Metzinger, Georges Vallier et Auguste Herbin.

La lumière comme matériau architectural Retour haut de page

Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, 1937 - L’aménagement intérieur du hall tronconique, conçu par Félix Aublet et Robert Delaunay, réalisé par l’association Art et lumière

Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, 1937
L’aménagement intérieur du hall tronconique, conçu par Félix Aublet et Robert Delaunay
et réalisé par l’association Art et lumière
Au premier plan : différents moteurs d’avions.

Le Palais de l’air, situé sur l’esplanade des Invalides, d’une surface d’environ 6300 m2, est, contrairement au Palais des chemins de fer, un bâtiment conçu pour l’exposition. Entièrement métallique, il est composé de deux parties curieusement hétérogènes : un hall tronconique transparent et une longue galerie opaque, couverte de plaques de ciment. Une disparité à laquelle préside une mésentente entre les architectes du projet et les représentants du ministère de l’Air, les premiers ayant ignoré, au moment de leur conception, les décorateurs choisis par les seconds. Grâce à l’intervention de Léon Blum, le projet est toutefois retenu et la partie avant du bâtiment confiée à Aublet et Delaunay.

Haute de 25 m sur 36 de large, la coupole, qui surplombe le hall, est entièrement recouverte de Rhodoïd, matériau transparent et multicolore, auquel sont associées des projections lumineuses. Au milieu d’ellipses colorées qui rappellent les anneaux de Saturne et des trajectoires aériennes, une passerelle accrochée aux combles permet au public de découvrir, en plongée, un avion suspendu dans l’air. Le soir, les parois transparentes du hall laissent, de l’extérieur, apparaître cette extraordinaire composition cosmique, tandis que les feux de trois phares tournants viennent intensifier la vibration chromatique des couleurs. Sous cette installation, conçue par Delaunay et Aublet, deux autres modèles d’avions et les moteurs les plus récents sont exposés au sol.

Quant à l’entrée du hall, elle est encadrée d’un côté par une peinture de Roger Bissière, de l’autre d’Albert Gleizes, tandis que Sonia et Aublet ont réalisé, chacun, trois grandes peintures pour les parties latérales. Enfin, surmontant quatre portes, un immense Rythme sans fin (780 m2) de Robert est placé sur le mur qui sépare le hall du reste du bâtiment.

La longue galerie, dédiée à l’Aviation marchande, civile et militaire, est décorée par les peintres et sculpteurs choisis par le ministère de l’Air. Mais de ce Palais de l’air, restera à la postérité son hall tronconique où, comme pour celui des Chemins de fer, les décors réalisés par Delaunay, Aublet et leurs collaborateurs « sont parvenus à intégrer l’immatériel au monumental, utilisant la lumière artificielle comme matériau architectural à part entière. […] »35 Robert aboutit là à ce qu’il a toujours rêvé : mettre en scène la profusion des sensations que nous procure la vie moderne.

Repères biographiques Retour haut de page

Robert Delaunay, Les Tours de Laon [1912]

Robert Delaunay, Les Tours de Laon [1912]
Huile sur toile, 162 x 130 cm

Robert Delaunay, Manège de cochons, 1922

Robert Delaunay, Manège de cochons, 1922
Ancien titre : Manège électrique
Huile sur toile, 248 x 254 cm

Robert Delaunay, La Tour Eiffel, 1926

Robert Delaunay, La Tour Eiffel, 1926
Huile sur toile, 169 x 86 cm

Robert Delaunay / Art et lumière - Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, 1937 - La façade principale du Palais des chemins de fer et le hall tronconique du Palais de l’air vus de nuit

Robert Delaunay / Art et lumière
Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, 1937
La façade principale du Palais des chemins de fer et le hall tronconique du Palais de l’air vus de nuit

 

Repères biographiques : d’après l’ouvrage La donation Sonia et Charles Delaunay, dans les collections du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, éditons Centre Pompidou, 2003.

Ressources Retour haut de page

L’art mural dans les années 1930 Retour haut de page

Dans les années 1930, de nombreux peintres se tournent vers l’art mural qui devient une solution tant esthétique que politique face à la crise économique et à la défection des marchands et collectionneurs. Les mêmes expressions reviennent sous la plume de ces artistes ainsi que des historiens de l’art et responsables institutionnels : « dépasser la peinture de chevalet », « sortir de l’atelier », « parler à la collectivité », « être un ouvrier de l’art », « humilité », « travail en commun » … Certains, comme Jean Cassou ou Fernand Léger, rappellent l’antériorité du travail de Delaunay dans cette recherche de réconciliation entre art et architecture.

 

« Moi, artiste, moi manuel, je fais la révolution dans les murs. En ce moment j’ai trouvé des matériaux nouveaux qui transforment le mur […] »
Robert Delaunay, 1935 36

 

Jean Cassou. « R. Delaunay et la plastique murale en couleur »
Art et décoration, mars 1935
Dans cet esprit de synthèse intuitive et amoureuse que manifestait le cubisme orphique, Delaunay a toujours aspiré à accomplir de vastes ouvrages qui exprimeraient quelque grande idée collective. Son isolement dans notre époque vient de ce qu’il a échappé à la tentation du tableau de chevalet pour s’éprendre de techniques possibles qui réconcilieraient la peinture et l’architecture. C’est un artisan, au sens le plus noble du mot, et que mérite le titre, que lui décerne Gleizes, de « peintre en bâtiment inspiré ». […]
Donc, en 1911, Delaunay se préoccupait déjà d’animer les murs comme s’il prévoyait que, après des années de nudisme, ce serait là le grand problème de l’architecture contemporaine. Et si l’Exposition de 1937 remplit le but qu’elle s’assigne, de réconcilier les arts et les techniques, les plasticiens et les architectes, la spéculation intellectuelle et les matières, elle se doit de faire appel à Delaunay. Cette puissance élémentaire qui est en lui et qui le pousse à aimer les substances pour elles-mêmes, sa sensualité concrète, primaire, organique, toute sa nature fruste et franche lui permettent de comprendre qu’il ne s’agit pas d’ajouter au mur des éléments extérieurs, superflus, ornementaux, mais de chercher la solution dans la substance même du mur et sa coloration.

 

Amédée Ozenfant. « Mur d’abord »
Édition catalogue critique du Salon de l’art mural, juin 1935
[…] L’art mural a toujours exigé pour être à la hauteur de sa dignité une façon de penser et de sentir sociale, qui est bien le contraire de l’esprit particulariste et individualiste des petits groupes, quelle que soit leur valeur. Notre époque exige déjà un art moins égoïste. […] Pour l’heure, beaucoup d’architectes, et parmi les meilleurs, sont encore hostiles au peintre et au sculpteur. Ils se croient ainsi être d’avant-garde : ils sont encore en 1920, à l’heure du grand nettoyage nécessaire. Le nettoyage par le vide est fait. Être propre n’est pas un art. […] Actuellement les murs appellent les artistes et tant pis pour les architectes qui n’auront pas entendu leur appel. Cela veut dire, plus clairement, qu’on en a assez des murs muets. […]

 

Albert Gleizes. « Art mural »
Édition catalogue critique du Salon de l’art mural, juin 1935
[…] Malgré ses qualités le tableau de chevalet est une déviation de la peinture prise dans sa vraie nature ; il finit invariablement par n’avoir plus aucune attache avec le fonds humain à force d’être abandonné à tous les particularismes individuels, on ne sait plus d’où il vient et on ne saura jamais où il va. Il en va autrement de la peinture murale. […]
Ainsi, la peinture murale n’implique nullement la technique et la mentalité de la peinture du chevalet ; elle répond à une manière de pensée qui lui est propre et elle en est l’instrument. Elle exige un homme maître de lui et qui soit son serviteur, qui connaisse à fond le métier de peintre, qui possède à l’égard de la couleur, essence de la peinture, une culture de même ordre que celle du musicien à l’égard des sons, qui sache mesurer, équilibrer, accorder, cadencer, rythmer les figures en vue de la forme. […]

 

R. Schoedelin. « Responsabilité de l’artiste »
[Conférence] Europe, n°166, 15 octobre 1936
[…] Ils sont nombreux ceux que la vie appelle hors de l’atelier, que la nécessité éloigne du chevalet, qui ne peuvent se payer le luxe d’une tour d’ivoire. Du travail collectif viendra le désir de parler à la collectivité. Mais cela ne va pas sans peine, car il est essentiel de retrouver la vertu depuis longtemps perdue de l’humilité, vertu nécessaire au travail en commun. […] L’artiste doit devenir l’ouvrier de l’art – un ouvrier de plus dans la corporation du bâtiment. […]
Penser mural, peindre mural, n’est pas le privilège d’une seule esthétique : toutes les esthétiques ont un dénominateur commun : le métier. Et c’est précisément par le métier qu’on sera compris et c’est sur le métier qu’on sera jugé… par le peuple. Car le peuple comprend le métier bien fait – même il l’exige tel. […] L’art mural est le seul art vraiment « social ». – Social par essence et social par destination –. […]

 

Fernand Léger. « Fernand Léger retrouve la France »
Arts de France, n°6, mai 1946
[…] Le tableau de chevalet a consacré la rupture avec le peuple. Avant tous ces tableaux de la Renaissance, il y avait tout de même de grandes peintures murales que le peuple pouvait voir ; à partir de là, les gens riches « seuls » ont eu des tableaux et, de plus en plus, les ont enfermés dans leurs collections privées ou dans les musées. […]
C’est avec Robert Delaunay, que nous avons mené la bataille, que nous avons travaillé pour libérer la couleur. Avant nous le vert, c’était un arbre, le bleu c’était le ciel, etc. Après nous, la couleur est devenue un objet en soi ; on peut utiliser aujourd’hui un carré bleu, un carré rouge, un carré vert… Je crois qu’il y a là une révolution assez importante, qui s’est manifestée lentement dans la publicité, dans l’art des vitrines et que, par là, nous avons un peu commandé l’art décoratif de notre temps. […]

Sources
Robert Delaunay. Rythmes sans fin. Anthologie de textes sur l’art mural
Extraits du catalogue, pp.50-51.
Éditions du Centre Pompidou, 2014

L’abstraction géométrique au début des années 1930 Retour haut de page

Le néo-plasticisme

Théorisé par Piet Mondrian dans la revue De Stijl en 1918, le néo-plasticisme se concrétise dans sa peinture en 1920. Parvenu à l’abstraction en 1917 par le cubisme, Mondrian remplace la « couleur naturelle par la couleur pure » avant de renoncer au motif. Pour abolir la distinction entre la figure et le fond et unifier sa composition, il s’aide d’un quadrillage, dont l’abandon coïncide en 1920 avec la mise au point de son œuvre néo-plastique. Selon le principe de « l’équivalence plastique », chacun des éléments est « déterminé par son contraire », de sorte que les verticales et les horizontales se neutralisent et que les plans de couleurs primaires et de non-couleurs s’équilibrent. D’abord banni, le mouvement s’immisce vers 1930 sous la forme du « rythme libre ». Promu par le groupe Cercle et Carré, le néo-plasticisme rallie des artistes comme Jean Gorin, César Domela ou Jean Hélion.

Le groupe Cercle et Carré

Créé pour promouvoir l’art abstrait et faire opposition au surréalisme, le groupe Cercle et Carré est fondé par le critique, poète et peintre Michel Seuphor et le peintre uruguayen Joachim Torrès-Garcia au cours de l’hiver 1929-1930. Ses premiers membres, amenés par Seuphor, sont Piet Mondrian, Hans Arp, Otto et Adya Van Rees, Pevsner, Sophie Taueber-Arp et Georges Vantongerloo. Ses deux principes de base sont : l’abstraction (au sens large), l’idée de la structure (avec sa connotation constructive et architectonique). Y adhérent des futuristes, des constructivistes russes, des néo-plasticiens, des membres du Bauhaus, de Dada, des abstraits allemands. À la suite d’une maladie de Seuphor, la revue et le groupe disparaissent. Des cendres de Cercle et Carré et d’Art concret, naît quelques mois plus tard l’association Abstraction-Création.

Art concret

Art concret est à la fois un groupe et une revue dont le principal fondateur est Theo Van Doesburg. À bien des égards, ce mouvement apparaît comme une initiative contre Cercle et Carré, même s’il partage une même position : contrecarrer l’essor du surréalisme. Art concret se veut plus rigoureux, son titre indique la nature de ce qui les sépare : « Peinture concrète et non abstraite, parce que nous avons dépassé la période des recherches et des expériences spéculatives » (T. V.D.) La mort subite de l’artiste empêcha la création du mouvement auquel devaient participer Hans Arp, Robert Delaunay, Albert Gleizes, Auguste Herbin, František Kupka…

L’association Abstraction-Création

L’association Abstraction-Création est créée en 1931, regroupant notamment Hans Arp, Albert Gleizes, Jean Hélion, Auguste Herbin, František Kupka, Georges Vantongerloo, Robert Delaunay. Art. 1 de l’association : elle a pour objet « l’organisation en France et à l’étranger, d’expositions d’œuvres d’art non figuratif, communément appelé Art abstrait, c’est-à-dire d’œuvres qui ne manifestent ni la copie ni l’interprétation de la nature ». C’est dire l’ouverture et la diversité de styles qu’elle regroupe, et qui occasionnera de nombreux désaccords. La politique jugée trop « sectaire » d’Herbin et Vantongerloo entraînera la démission, en 1934, d’Arp, Delaunay, Hélion, Freundlich, Gabo, Pevsner, Sophie Taeuber-Arp…

Sources
Chronologie de l’application : « 110 ans d’art moderne et contemporain », Centre Pompidou, Direction des publics
Catalogue de l’exposition « César Domela. 65 ans d’abstraction », Paris-Musées, SAMAM-Musée de Grenoble, 1987, pp.274-276.

Réconcilier l’art, l’artisanat et l’industrie
principaux mouvements, années 1920-1930 Retour haut de page

Le constructivisme

Au-delà du « Groupe de travail des constructivistes de l’Inkhouk [Institut de la Culture Artistique] » d’Alexandre Rodtchenko qui revendique l’appellation constructiviste en 1920 à Moscou, le terme désigne le courant productiviste initié en 1914 par Vladimir Tatline et dominant l’avant-garde russe et européenne jusqu’à la fin des années 1920. Contre les formes pures et l’autonomie de l’œuvre, le constructivisme prend les méthodes de construction artistique pour modèle de fabrication des objets du quotidien. Ces recherches, dont le versant pictural est illustré par Alexandra Exter et Lioubov Popova, se développent en design, en architecture, en photographie et en typographie.

De Stijl

De Stijl est à la fois le nom de la revue créée à Leyde en octobre 1917 par Theo Van Doesburg et celui du groupe qu’elle fédère. Aux côtés des peintres Piet Mondrian, Bart van der Leck et Vilmos Huszár figurent des architectes tels Jacobus Johannes Pieter Oud et Gerrit Rietveld. Redevable de l’esthétique du néo-plasticisme, De Stijl se caractérise par son projet visant à réaliser « collectivement une nouvelle conscience plastique », capable de redéfinir les rapports de l’art à l’environnement. Par l’emploi de couleurs primaires et l’union de la figure et du fond, Mondrian parvient à une simplification géométrique et chromatique inégalée. L’introduction par Van Doesburg de l’oblique, porteuse d’une « nouvelle conception dynamique de la vie », qui contrarie le principe d’orthogonalité, provoque une querelle soldée en 1924 par le départ de Mondrian. La revue publie jusqu’en 1928 et le mouvement disparaît avec son fondateur en 1931.

Le Bauhaus

Fondé en 1919 par l’architecte Walter Gropius à Weimar, le Bauhaus (littéralement « maison de la construction ») est une école pluridisciplinaire dont le but est de réconcilier l’art et l’artisanat. Dans son Manifeste d’avril 1919, Gropius écrit : « Le but final de toute activité plastique est la construction ! […] Architectes, sculpteurs, peintres ; nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n'y a pas d'art professionnel. Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan. […] » Son déménagement à Dessau, en 1926, correspond aussi à une orientation plus industrielle du mouvement. La fermeture de l’école par les nazis en avril 1933 met fin à ses activités européennes. Toutefois Gropius sut respecter la personnalité hors normes des artistes qui intervinrent dans l’école, au nombre desquels figurent Paul Klee, Vassily Kandinsky ou László Moholy-Nagy.

L’Union des artistes modernes

Fondée en 1929 par Robert Mallet-Stevens, l’Union des artistes modernes réunit des dissidents de la Société des artistes décorateurs, tels Francis Jourdain, René Herbst, Pierre Chareau, Le Corbusier et Charlotte Perriand. Partisane d’un rationalisme moderne sous-tendu par un dessein social, sa trentaine d’artistes et d’artisans, issus de tous les corps de métier du champ décoratif, s’emploie, selon Jourdain, à « doter l’homme du 20e siècle d’un cadre raisonnable ». Leur amélioration de l’habitat passe par l’épure et l’innovation et induit une production sérielle standardisée et l’emploi de matériaux industriels, revendiqué par le manifeste de 1934 : « À côté de l’ancien duo : bois et pierre [...], nous avons essayé de constituer le quatuor : ciment, verre, métal, électricité ». Après la Seconde Guerre mondiale et le décès de Mallet-Stevens en 1945, le « Manifeste 1949 » et l’exposition « Formes utiles » du Musée des arts décoratifs relancent ponctuellement l’UAM, qui est dissoute en 1956.

Sources 
Chronologie de l’application : « 110 ans d’art moderne et contemporain », Centre Pompidou, Direction des publics

Bibliographie Retour haut de page

Catalogues

Essais

Textes d’artistes

Sur internet

Sur centrepompidou.fr, les dossiers :

 

 

 

Crédits

© Centre Pompidou, Direction des publics, septembre 2014
Texte : Marie-José Rodriguez
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cyril Clément
Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques Retour haut de page

Références

_1 Inspecteur des Monuments historiques en 1932,  membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes en 1934, directeur de la revue Europe de 1936 à 1939, Jean Cassou (1897-1986),  participe en 1936 au cabinet de Jean Zay, ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-arts du Front populaire. Il devient le premier directeur du Musée national d’art moderne en 1947.

_2 Jean Cassou, Art et décoration, mars 1935, pp. 93-98, cité dans le catalogue de l’exposition, Robert Delaunay. Rythmes sans fin, éditions du Centre Pompidou, 2014, p.50.

_3 Pour en savoir plus, lire dans le catalogue Robert Delaunay, 1906-1914. De l’impressionnisme à l’abstraction, le texte de Georges Roque : « Les vibrations colorées de Delaunay : une des voies de l’abstraction » », éditions Centre Pompidou, 1999.

_4 Le groupe Cercle et Carré est fondé par le critique, poète et peintre Michel Seuphor et le peintre uruguayen Joachim Torrès-Garcia, fin 1929. Voir dans le chapitre « Ressources - L’abstraction géométrique au début des années 1930 », une présentation de l’association et de ses buts.

_5 Michel Seuphor, L’Art abstrait, ses origines, ses premiers maîtres, Maeght, 1949, p.14.

_6 Dora Vallier, L’Art abstrait, 1967, Le Livre de Poche, éd. revue et augmentée, 1980, p.38.

_7 Robert Delaunay, Du cubisme à l'art abstrait. Documents inédits publiés par Pierre Francastel, suivis d'un catalogue de l'œuvre de Robert Delaunay par Guy Habasque, S.E.V.P.E.N., 1958.

_8 Cité par Georges Roque, voir ci-dessus.

_9 Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), De la loi du contraste simultané des couleurs et de l'assortiment des objets colorés, considérés d'après cette loi dans ses rapports avec la peinture, les tapisseries..., Pitois-Levrault,‎ 1839. Ouvrage consultable en ligne sur Gallica.

_10 Cité par Georges Roque, voir-ci-dessus.

_11 Dans les expériences de rotation des disques chromatiques, le blanc est la synthèse de toutes les couleurs du prisme. Ces expériences ont été menées au 19e siècle par Michel-Eugène Chevreul et James Clerk Maxwell, et déjà par Isaac Newton, le siècle précédent.

_12 Isaac Newton (1643-1727), philosophe, mathématicien, physicien, astronome et théologien anglais, est surtout connu pour sa théorie de la gravitation universelle, il a également étudié la décomposition de la lumière et prouver que la lumière blanche est en réalité un mélange de toutes les couleurs du spectre visible par l'œil. James Clerk Maxwell (1831-1879), physicien et mathématicien écossais, publie de 1855 à 1872 une série de recherches concernant la perception des couleurs et le daltonisme. L’observation des disques dits de Maxwell permettait, en les faisant tourner comme une toupie, de comparer les différents mélanges des trois couleurs primaires.

_13 Georges Roque, « Les vibrations colorées de Delaunay : une des voies de l’abstraction », texte déjà cité.

_14 Sonia Delaunay, Nous irons jusqu’au soleil, 1978, éditions Belfond, p.44.

_15 « Frisson optique », terme employé par Maurice Denis à propos de Matisse, pour commenter ses œuvres présentées au Salon d’automne de 1906 : « Ce qu’il nous restitue du soleil, c’est le trouble rétinien, le frisson optique, la pénible sensation d’éblouissement ».

_16 Robert Delaunay, lettre à Léonide Massine, conservée à la Bnf, Département des manuscrits, fonds Sonia Delaunay, cité dans le catalogue de l’exposition, p.16.

_17 Voir le dossier Les Réalismes. Modernités plurielles. Une nouvelle histoire de l'art moderne de 1905 à 1970.

_18 L’URSS est créée à l’issue de la Révolution russe, en 1922.

_19 Fondé en 1919 par l’architecte Walter Gropius, le Bauhaus est une école pluridisciplinaire dont le but est de réconcilier l’art et l’artisanat. En savoir plus : voir dans le chapitre « Ressources - Réconcilier l’art, l’artisanat et l’industrie, principaux mouvements, années 1920-1930 ».

_20 Initié en 1914 par Vladimir Tatline, le courant productiviste domine l’avant-garde russe et européenne jusqu’à la fin des années 1920. En savoir plus : voir dans le chapitre « Ressources - Réconcilier l’art, l’artisanat et l’industrie, principaux mouvements, années 1920-1930 ».

_21 Fernand Léger, Fonctions de la peinture, éditions Gonthier, 1965. Lire notamment le texte : « La rue, objets, spectacles ». « […] La rue peut être considérée comme un des beaux-arts, car elle se trouve habillée magistralement par les mille mains qui journellement font et défont ces jolies mises en scène qui s‘appellent les magasins modernes. […] »

_22 Créée en 1929 par Robert Mallet-Stevens, l’Union des artistes modernes, qui se fonde sur le  rationalisme moderne, a pour but l’amélioration de l’habitat. Voir dans le chapitre « Ressources - Réconcilier l’art, l’artisanat et l’industrie, principaux mouvements, années 1920-1930 ».

_23 László Moholy-Nagy présente pour la première fois sa sculpture Licht-Raum Modulator (« Modulateur d’espace lumière ») à l’exposition de la Société des artistes décorateurs en 1930, au Grand Palais. Cette œuvre est considérée notamment comme l’une des sources de l’art optique et de l’art cinétique.

_24 Voir, dans ce dossier, les textes de référence.

_25 Le Centre Pompidou présente, en même temps que l’exposition consacrée à Robert Delaunay, Marcel Duchamp. La peinture même, du 24 septembre 2014 au 5 janvier 2015. Voir le dossier pédagogique de l’exposition.

_26 Les Peintres futuristes, galerie Bernheim Jeune, février 1912, catalogue de l’exposition.

_27 Robert Delaunay, Du cubisme à l’art abstrait, ouvrage déjà cité, p.62.

_28 Gollivan (Ivan Goll), « Le peintre Robert Delaunay parle », Surréalisme, octobre 1924, cité dans le catalogue de l’exposition, p.30.

_29 L’association Abstraction-Création est créée en 1931, regroupant notamment Hans Arp, Albert Gleizes, Jean Hélion, Auguste Herbin, František Kupka, Georges Vantongerloo. En savoir plus : voir dans le chapitre « Ressources - L’abstraction géométrique au début des années 1930 ».

_30 Jean Cassou, 1935. In La Donation Sonia et Charles Delaunay, dans les collections du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, éditions Centre Pompidou, 2003, p.74.

_31 In Michel Hoog, Delaunay, Flammarion, coll. « Les maîtres de la peinture moderne », ‎1976, p.91.

_32 Alfred Audoul, René Hartwig, Jack Gérodias et Eric Bagge sont les architectes des Palais de l’air et des chemins de fer.

_33 Pascal Rousseau : « "Je fais la révolution dans les murs". L’abstraction monumentale de Robert Delaunay », catalogue de l’exposition, p.111.

_34 Idem.

_35 Pour en savoir plus sur le Palais des chemins de fer et le Palais de l’air, lire, dans le catalogue de l’exposition, le texte de Marie Merio, pp.78 à 95.

_36 In Michel Hoog, Delaunay, ouvrage déjà cite, p.91.

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