Dossiers pédagogiques
Action culturelle, création et
territoires
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SYNTHÈSE
L'action culturelle
dans tous ses états
Aujourd’hui, dans le cadre même des politiques culturelles publiques, l'acception du terme de culture vit une transformation. Ce séminaire, au-delà de rappeler l'héritage que portent les politiques culturelles contemporaines et les modèles qui les ont forgées, s’est attaché à mieux saisir les transformations en cours et la place qu'y occupe chaque acteur − décideurs politiques, médiateurs, artistes et population −, en se penchant plus particulièrement sur le paysage culturel et artistique d'Île-de-France.
Quelques mots sur les fondements des politiques culturelles
Politique culturelle française, un moment décisif
La Ve République française a donné son sens au concept de
« politique culturelle », entérinant un projet de société où la
création artistique joue un rôle central.
Dans le modèle originel de la politique culturelle,
l'artiste et l'art sont tout-puissants. Ces figures détiennent un certain
« monopole du sens » comme l'exprime Philippe Teillet, et peuvent
être un puissant moteur d’interrogation de la société.
Les arts reconnus ainsi que leurs lieux de monstration sont,
eux, protégés des contraintes économiques du marché, par ce que l'on a appelé
« l'exception culturelle ».
Ce modèle révèle une acception
artistique et élitiste de la notion de culture, posant une distinction entre
les arts majeurs et les arts mineurs, entre la culture légitime et la culture
populaire, établissant un rapport duel.
Se développent, de façon corollaire, l'institutionnalisation
des pratiques de création et la professionnalisation de ses acteurs autour
d'une idée d'excellence artistique.
Les collectivités territoriales, principalement les villes, structures administratives relais de l'État, ont été tentées de reproduire ce modèle. Mais de grandes disparités apparaissent dans sa mise en place, toutes les villes n'étant pas dotées du même financement et n'adoptant pas ce modèle avec la même force. Le territoire culturel français se construit donc de façon hétérogène.
Années 80, un nouveau modèle insufflé par Jack Lang
Au cours des années 80, sous l'impulsion de Jack Lang alors
ministre de la Culture, de nouvelles esthétiques peuvent bénéficier d’un
soutien public. Une nouvelle approche des relations des populations avec l’art
et la culture est proposée. Ceci a pu se faire grâce notamment à une forte
augmentation du budget du ministère de la Culture.
Les collectivités territoriales − les villes, départements et régions − voient
leur pouvoir de décision augmenter, notamment en ce qui concerne les affaires
culturelles. C'est l'ère de la décentralisation et d'un début de
décloisonnement entre arts majeurs et arts mineurs.
Les collectivités territoriales sont invitées à mettre en place leur propre politique culturelle, les idées fortes étant de favoriser l'accès à la culture légitime (musées, spectacles vivants, conservatoires…), mais aussi de soutenir des projets plus proches des populations locales. Les collectivités, majoritairement les villes, vont devenir des acteurs majeurs des politiques culturelles en accordant des parts de plus en plus importantes de leur budget à la culture.
Le champ d'intervention des politiques culturelles grandit donc en même temps que celui des esthétiques susceptibles de trouver leur place au sein d'institutions culturelles s'élargit.
L'art et la pratique artistique restent les pièces
maîtresses des politiques culturelles, dans lesquelles les pratiques amateurs
commencent doucement à trouver une place.
C'est la deuxième heure de la démocratisation culturelle.
Cette nouvelle donne entraîne la création de nombreuses
structures dédiées à l'art, à la fois lieux de création, de pratique ou de
diffusion artistiques. Les réseaux de la culture s'intensifient à l'aune d'une
densification des équipements culturels sur les territoires. Le maillage
culturel institutionnel de la France se construit.
La montée en puissance des pouvoirs
locaux, si elle s'inscrit dans une volonté de démocratisation culturelle,
entraîne souvent des tensions sur les politiques culturelles, au niveau des
villes notamment. L'équilibre s'avère difficile à trouver entre une
programmation d'excellence et un soutien aux formes émergentes, notamment dans
la répartition des moyens et des infrastructures.
Le champ culturel se structure par
secteurs. Les activités culturelles, socio-culturelles et éducatives restent
bien distinguées et œuvrent dans des cadres spécifiques avec des priorités
parfois difficilement compatibles. Des partenariats s’élaborent à partir de ces
cultures professionnelles différentes, qui cohabitent et parfois collaborent
sans arriver à construire un véritable référent commun, essentiel à l’existence
de projets.
Les structures socio-culturelles et culturelles montent cependant des projets communs, les lieux de diffusion et de création artistiques se constituent en réseaux. Les collectivités prennent une part plus importante dans les projets culturels.
L'action culturelle en quête d’identité
C'est sur ce modèle que les politiques et actions culturelles s'appuient encore aujourd'hui. Mais les signes de son essoufflement sont là. D’autant plus que le budget du ministère de la Culture est constant, voire en baisse.
Le modèle initial d’une démocratisation culturelle s’appuyant sur la multiplication et la fréquentation des lieux labellisés « culture » n’a pas entièrement porté ses fruits, la majorité des publics concernés appartenant aux couches de la population aisée ou instruite. Un certain malaise de la profession s'en ressent.
Aujourd’hui, quelles sont les relations entre les différents
acteurs de la création contemporaine, de la diffusion, de la médiation de
l'art ? Quelle gouvernance de la culture est à l'œuvre ? Quelle place
est donnée aux publics, habitants, usagers des territoires concernés ?
Comment s'établit la place de l'art dans les territoires urbains et comment
pourrait-elle s'établir plus largement ?
Quel portrait de l'art et de la
culture en Île-de-France s'en
dégage-t-il ?
Coopération et compétition
Le modèle multi-décisionnel de l'action culturelle devient
incontournable. On retrouve dans un grand nombre de projets culturels, ainsi
que dans l'organisation même des structures à l'échelle territoriale, les
avantages et inconvénients d'un fonctionnement en coopération/coproduction, et
ce d'autant plus que les réseaux sont denses, comme en Île-de-France.
On trouve d'un côté un entraînement
réciproque des différents acteurs vers des projets communs, une mutualisation
des infrastructures et des équipements, une circulation des projets ou
créations dans une logique de réseau, et de l'autre, une dépendance des acteurs
les uns aux autres, l'inaboutissement de nombreux projets en raison d'un
engagement inégal des partenaires, une compétition entre les structures.
La confrontation des esthétiques
À cette compétition entre structures peut être ajoutée une
certaine rivalité entre esthétiques.
Si la politique de Jack Lang a
exprimé le désir d'intégrer les évolutions de la création artistique non
académique, il faut constater que toutes les formes d'expression n'ont toujours
pas une place équivalente dans les lieux de monstration de l'art. Est posée ici
une question importante concernant les critères de sélection dans le soutien à
la création artistique : quel mode de légitimation faut-il adopter pour parvenir
à une diversité artistique sur chaque territoire ?
Le polycentrisme en matière de décision, une lourdeur institutionnelle aujourd'hui incontournable
À la décentralisation des années 80 qui a engendré un quadruple niveau de décision en matière culturelle – local, départemental, régional et national – s'ajoute l'organisation institutionnelle du territoire en intercommunalités.
Le porteur de projet dans le domaine de la culture – qu'il s’agisse d'une personne travaillant à l'accompagnement de la création, de la diffusion ou de la médiation de l'art – ne peut aujourd'hui se passer d'une validation de son projet par plusieurs de ces institutions. C'est la logique du financement multiple, de la complémentarité des dispositifs. Elle implique de la part des concepteurs de projets culturels à la fois une grande connaissance des axes des politiques culturelles mises en place par chaque institution et une dépendance aux calendriers de ces structures. L'action culturelle est soumise à la vie politique et électorale de son territoire d'implantation. Les acteurs sont donc aux prises avec un jeu permanent entre désir d'entièreté dans les projets et aménagement de ceux-ci en fonction du contexte institutionnel qui va leur permettre de voir le jour.
Cette organisation du monde de la culture rend la mise en œuvre de projets fastidieuse en tant qu'elle soumet leur aboutissement à une succession d'approbations. C'est la source d'un certain épuisement ou découragement des porteurs de projets, qui continuent bien sûr à agir, mais dans un état de malaise.
La prise en considération des populations
La relation aux populations est une question majeure de la
période que nous vivons.
Les acteurs de la diffusion culturelle sont en effet en
prise avec l’origine socio-culturelle de ceux qui fréquentent les équipements.
La création contemporaine tente d'offrir des regards toujours renouvelés sur le monde, dans des formes elles aussi singulières. Elle reste présentée, dans le modèle de la démocratisation culturelle, comme la figure de la possible régénération de la société. Or, la majeure partie des habitants des espaces urbains − dont est en grande partie constituée l'Île-de-France − se sent aujourd'hui peu concernée par ce qui se déroule dans les centres culturels ou évènements de son territoire. L'expression récurrente « Ça n'est pas pour moi » est l'emblème même de la difficulté à amener tout le monde vers les valeurs de l'art. Comme projet de société, la convocation des populations au dialogue sur le monde d’aujourd’hui par le biais de la création s'avère difficile.
Le projet des politiques culturelles est de donner goût à l'interrogation des formes qui nous entourent, d'inviter chacun à s’approprier ces questionnements et, ainsi, de permettre un « mieux vivre ensemble ». Cette aspiration a, néanmoins, des limites qu’il faut interroger.
Tout le monde n'adhère pas ou ne se retrouve pas dans les
valeurs de l'art.
Certains pans de la création
contemporaine sont plus particulièrement touchés par les difficultés à exister
auprès d'un public socialement hétérogène. C'est le cas de la musique
contemporaine qui réunit un public particulièrement endogène.
Étude des publics
La légitimité de l'intervention publique dans le domaine culturel se trouve questionnée par cette difficulté à amener tous les publics vers les dispositifs de l'art. C'est donc pour mieux comprendre ce phénomène que de nombreuses villes du bassin francilien ont commandité des études des publics dans les années 2000, notamment Gennevilliers en 2003-2004.
Hélas, les résultats de l’étude rejoignaient les
présupposés : les lieux culturels publics des espaces urbains sont
principalement fréquentés par les catégories socio-professionnelles moyennes et
supérieures.
Certains espaces culturels municipaux restent donc des lieux
de programmation d'excellence, d'élitisme, mettant le projet de démocratisation
culturelle face à un constat d'échec.
Une étude des publics donne bien sûr à comprendre d'autres éléments que le simple portrait sociologique des habitants d'un territoire comme publics et non-publics. Selon la méthodologie choisie, l'angle sous lequel elle est abordée, elle fait apparaître certaines raisons de non fréquentation des équipements de la ville. À Gennevilliers, le manque de temps a été la première raison invoquée, le manque de connivence avec l'offre culturelle la suivante. Une étude des publics peut également mettre en avant quelques souhaits des habitants en matière culturelle à l'image de celle d'Évry, où l'absence d'évènements et de lieux de rencontres régulières entre habitants a été pointée.
Le relais par les dispositifs de médiation
La multiplication, ces dix dernières années, des projets de
médiation culturelle apparaît comme un moyen de contribuer à ce que l’art
participe et témoigne de la transformation de la vie sociale.
Ces dispositifs posent des questions sur la manière dont
s'opèrent les transmissions culturelles, se forment les goûts, en même temps
qu'ils constituent des invitations à la rencontre de formes de la création
contemporaine. Ils soulignent, par ailleurs, l’importance de rassembler
l’ensemble des institutions et acteurs du champ éducatif, social et culturel.
Ce sont autant d'opérations mises en place de manière étatique, sous l'impulsion des élus à la culture ou entre les structures elles-mêmes, l'exemple-type étant le dispositif École, Collège, Lycée au cinéma.
Quel est le rôle d'un élu à la culture aujourd'hui?
De la reconfiguration institutionnelle du champ culturel
dans les années 80 − ou hybridation du premier modèle de la politique culturelle − sont
nées les figures contemporaines de l'action culturelle. L'élu à la culture en
est le représentant institutionnel au niveau local.
Quel est le rôle d'un élu à la
culture aujourd'hui ? Quels sont ses impératifs ? Ses
contraintes ? Comment peut-il exister au sein d'une municipalité et
comment peut-il faire exister la création sur son territoire d'influence ?
Quel rôle peut-il jouer pour la structuration des relations des acteurs
professionnels et associatifs ? Permet-il une coordination, des
partenariats et une dynamique autour de la culture sur son terrain
d'intervention ? Quelle légitimité trouve-t-il auprès de ses
électeurs ? Comment fait-il, ne fait-il pas, ou peut-il mieux faire des
choix en matière d'orientation de sa politique culturelle ?
Le cas de l'intercommunalité
Si la ville est le lieu où se déroulent les actions
culturelles, les financements des projets, eux, sont coopératifs.
L'organisation territoriale en intercommunalités – qui s'est largement
développée depuis 2002 en Île-de-France − est une situation de partenariat et
donc de partage du pouvoir à laquelle les élus à la culture sont confrontés.
Elle tend à complexifier l'action culturelle sur les territoires en ce qu'elle
suppose un accord entre les élus des différentes communes pour le lancement des
projets d'une certaine ampleur.
C'est l'influence et la proximité de
l'élu avec les acteurs et habitants d'un territoire qui sont ici fragilisées,
touchant par là même sa capacité d'agir et donc sa légitimité.
L'élu à la culture dans une ville
Par ailleurs, le délitement de la croyance en l'effectivité des mesures de démocratisation culturelle a conduit de nombreuses communautés territoriales à reléguer l'action culturelle au second plan, remettant en cause l'importance du travail des élus à la culture. Et si l'on ajoute à cela le peu d'attachement − quantitativement − des habitants des centres urbains aux lieux culturels de leur territoire, nous faisons alors le portrait d'une fonction en difficulté, en perte de légitimité.
Des orientations dans les politiques culturelles pour clarifier le travail de l'élu à la culture
Comme le dit Jean-François Burgos, un élu se doit de « proposer des orientations en matière de politique culturelle », de manière à faire exister un projet lisible auprès des autres élus de sa commune, de l'ensemble des acteurs de la culture de son territoire et des habitants. Il semblerait que les élus à la culture ne fassent pas toujours ce travail.
Et les habitants ?
Les habitants d'une ville ou plutôt les populations
fréquentant un territoire sont absents du fonctionnement du monde de la culture
aujourd'hui. Si les lieux de décisions se sont rapprochés des populations, les
décisions, elles, sont restées entre les mains de quelques-uns.
Il faut aller voir du côté des structures d'accompagnement
des pratiques amateurs pour trouver la place des habitants. Certains projets
dans ce domaine sont centrés sur cette participation.
Même si la culture est aujourd'hui
une affaire de professionnels, il paraît important d'imaginer une dimension
participative aux décisions en matière d'action culturelle.
Les questions de participation citoyenne doivent être posées aux institutions.
Les structures culturelles, vers un ré-ancrage territorial
Les structures culturelles, qu'elles soient privées (fondation) ou publiques (musée, théâtre, centre d'action culturelle ...), ont pour activité et mission traditionnelles l'accompagnement de la création, la programmation artistique − c'est-à-dire la reconnaissance de la valeur d'un travail − et la rencontre entre des œuvres et des publics.
Pour un renouvellement de la médiation culturelle
Ce dernier aspect a pris, depuis une quinzaine d'années, une
nouvelle orientation autour de la notion de médiation culturelle de l'art. Les
départements des relations avec les publics ont donc conquis, au sein des
structures culturelles, une place particulièrement importante.
En effet, à une politique de l'élargissement des publics par
la multiplication d'offres – notamment par des visites commentées ou par
des aménagements tarifaires – sont venus s'ajouter des dispositifs
œuvrant au rapprochement entre publics, arts et artistes. Ceux-ci consistent en des rencontres entre artistes et publics et, dans le
meilleur des cas, à voir l’art en train de se faire ou encore à l’invitation à
la pratique artistique.
Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle tentative de rapprochement entre structures culturelles et habitants. Un changement s’opère : celui de la place du spectateur, d’une part face à l'œuvre − qu'il est invité à côtoyer de plus près −, d’autre part face à une programmation à laquelle il participe. Du statut passif de spectateur, l’individu passe à celui d’acteur.
Cette orientation de l'activité des structures témoigne par ailleurs du désir et de la nécessité pour celles-ci d'être ancrées territorialement afin que puisse exister un lien particulier entre elles et leurs publics.
Les partenariats
Le désir de sortir d'une endogamie des publics conduit
également les structures culturelles à travailler à la création ou au renforcement
de liens de partenariat avec les structures éducatives et sociales, proches des
habitants d'un territoire.
Les structures culturelles sont donc
aujourd'hui amenées à jouer un rôle de fédérateur au-delà de leur champ
principal d'action.
Le monde associatif ou la garantie d'une offre culturelle pour tous
Diversité culturelle et artistique
Quelles que soient leur taille et l'importance de leurs initiatives, les associations sont toujours le moteur de nombreux projets qu'elles savent mener de manière transversale, c'est-à-dire en jouant des dispositifs en place. L'Île-de-France, ce territoire à la densité associative forte, doit une grande part de son dynamisme culturel à leurs activités, tant au niveau de la diversité artistique et culturelle qu'en matière de médiation culturelle. Nous pouvons affirmer qu'elles sont aujourd'hui porteuses de l'inventivité la plus grande en matière de projets culturels et de dispositifs de médiation, en assurant une vie publique à des formes non institutionnelles d'expression artistique.
L'éducation populaire, des actions d'actualité
Les associations d'éducation populaire ont toujours joué un rôle de médiateur culturel de par leur engagement militant pour une diffusion de la connaissance au plus grand nombre. Leur positionnement, celui de la complémentarité par rapport aux structures institutionnelles − tant au niveau des publics auxquels elles s'adressent qu'en termes de pédagogie –, conserve toute son actualité étant donné la forte persistance des inégalités sociales dans l'accès à la culture.
Cependant, il apparaît important que ces structures se repositionnent dans leurs actions et qu'elles abordent un renouvellement en matière de pédagogie artistique, à l'aune de la transformation bien éprouvée du rapport entre pratiques et formes artistiques, académiques et non académiques.
Mais ceci ne peut se faire sans encouragement. Il est donc important que les projets transversaux, dont les structures d'éducation populaire sont porteuses, soient encouragés par des dispositifs de passerelle entre les secteurs concernés − la culture, l'action sociale, la jeunesse, la santé, les loisirs, ou le sport.
Dossiers pédagogiques
Action culturelle, création et
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