L’identité visuelle du Centre Pompidou / 1 2 3 4 5 6 7 lexique

 

1. Le contexte. Naissance du centre pompidou

 

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Le plateau Beaubourg avant la construction. Vue du parc de stationnement.
Extrait de Du plateau Beaubourg au Centre Georges Pompidou, Centre Georges Pompidou, Paris 1987

 

De l’Image de marque À l’identité visuelle

1. Le Centre Pompidou, depuis l’angle de la rue Rambuteau et de la rue Saint-Martin
2. Le Centre Pompidou, depuis la piazza, 2007
© Centre Pompidou - Photos Georges Meguerditchian

Nous n’imaginons pas aujourd’hui d’institution culturelle sans identité visuelle tant le graphisme s’est imposé comme une nécessité. C’est pourtant encore le cas, dans les années 70, lorsque le Centre Pompidou trace la voie à ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler le graphisme culturel. L’idée d’une identité visuelle au service d’une institution culturelle est si nouvelle à l’époque que la consultation internationale lancée en 1974 parle à ce propos d’« image de marque », terme soumis à des interprétations variables.

Le projet remporté par l’équipe VDA, dirigée par Jean Widmer, propose alors une identité visuelle en parfaite adéquation avec le projet architectural dont elle sait épouser et servir les principes novateurs. Si son logo conçu comme une épure du bâtiment a traversé les épreuves du temps, il ne résume cependant pas à lui seul l’identité visuelle du lieu dont la notion s’élargit à la charte graphique, à la signalétique, aux affiches, aux catalogues et jusqu’à son site Internet.

En trente ans, le Centre Pompidou s’est adapté aux évolutions socioculturelles. Les enjeux de marché, notamment la politique d’accueil, la démocratisation de l’art à laquelle il aura contribué et l’élargissement des publics l’ont conduit à revoir son identité visuelle d’origine afin de s’orienter vers une forme de communication plus ciblée. Aujourd’hui, l’on peut voir affleurer par couches successives les traces de ce  passé.

 

 

Quatre départements pour une institution

« Je voudrais passionnément que Paris possède un centre culturel. »
Georges Pompidou, Le Monde, 17 octobre 1972

Le souci d’une identité commune

Le plateau Beaubourg avant la construction. Vue du parc de stationnement.
Extrait de Du plateau Beaubourg au Centre Georges Pompidou, Centre Georges Pompidou, Paris 1987

C’est en véritable amateur d’art que Georges Pompidou lance l’ambitieux projet d’un centre culturel en plein cœur de Paris. Il imagine un lieu qui soit à la fois « un musée et un centre de création où les arts plastiques voisineraient avec la musique, le cinéma, les livres, la recherche audio-visuelle...»[1] afin de redonner à Paris une stature internationale dans les domaines de l’art et de la création. Ce projet qui affirme une volonté de rupture avec le conservatisme et le cloisonnement disciplinaire, dans le contexte naissant d’une démocratisation de l’art, s’inspire de quelques rares institutions comme le MoMA à New York ou le Stedelijk Museum d’Amsterdam qui mènent une politique muséale novatrice.

Le Centre Pompidou en construction.
Gros plan sur la structure porteuse : gerberettes, poteaux, tirants. Dr

Le futur Centre s’implantera tout près des Halles sur le terrain désaffecté du plateau Beaubourg, déjà convoité par la Bibliothèque nationale. Son statut, décidé en 1975 juste après la mort du président Pompidou, scelle son ambition fédératrice. Le Centre, communément appelé Centre Beaubourg, devient un établissement public à caractère culturel [2], le Cnac : Centre national d’art et de culture Georges Pompidou. Il comprend quatre départements : le Mnam − Musée national d’art moderne − créé en 1947 et installé au Palais de Tokyo, le Cci − Centre de création industrielle − créé en 1969 à l’Ucad (Union centrale des arts décoratifs), auxquels sont associés la Bpi − Bibliothèque publique d’information − issue de la Bibliothèque nationale, et l’Ircam − Institut de recherche et de coordination acoustique/musique.

Issu de cette situation hybride, le Centre Pompidou, institution pluridisciplinaire, se caractérise dès sa naissance par une identité composite. Avec quatre départements dotés de leur propre administration, fonctionnant de manière autonome, la question d’une identité commune se pose avant même l’ouverture. Elle sera réglée par une consultation internationale qui prend les allures d’un concours dont l’objectif est de définir « l’image de marque » du Centre Pompidou. Mais comment rendre visible chaque département et sa programmation au regard de la diversité de l’offre ?

Le souci d’unité réside autant dans la volonté politique que dans l’intention architecturale. Conscients des enjeux, Richard Rogers et Renzo Piano soulignent à ce propos : « Nous devons faire en sorte que le Centre Beaubourg ne devienne pas un ensemble de départements étroitement séparés, plus ou moins élégamment organisés, mais un centre véritable ».[3] Il convient donc en préambule de se familiariser avec la spécificité de chacun de ces départements.

[1] Georges Pompidou, Le Monde, 17 octobre 1972
[2] Le Centre Pompidou. Les années Beaubourg, Germain Viatte. Ed. Découvertes Gallimard, 2007. Page 20.
[3] Centre Pompidou, Trente ans d’histoire, Bernadette Dufrêne. Ed. Centre Pompidou, 2007. Page 29.

Le Cci

Le Cci, Centre de création industrielle, a été créé au sein de l’Ucad (Union centrale des arts décoratifs) en 1969 par François Mathey et François Barré. Il devient un département du Centre Pompidou en 1973. À la fois centre de documentation et lieu d’exposition, il est pourvu dès son origine d’une mission d’information, d’éducation populaire et de promotion du design. Graphisme, design industriel et architecture sont au centre des préoccupations au travers d’expositions qui portent un regard critique sur la société de consommation et ses signes, sur l’espace urbain et architectural. Dès sa création, Jean Widmer est contacté par François Barré pour en concevoir l’identité visuelle ainsi que les affiches de chaque exposition. Ceci le placera en position privilégiée pour le concours de « l’image de marque » du Centre Pompidou lancé quelques années plus tard.

> En savoir plus : Image et singularité du Cci

Le Mnam

Le Mnam, Musée national d’art moderne, dont les prémisses remontent au début du 19e siècle, créé en 1947 et installé au Palais de Tokyo, va connaître, avant de devenir un département du Centre, d’importantes mutations. En 1973, les équipes du Centre national d’art contemporain, créé en 1967, fusionnent avec celles du Mnam pour donner naissance au Dap (Département des arts plastiques). L’arrivée de Ponthus Hulten à la tête du Dap, grâce à son expérience en tant que directeur au Moderna Museet de Stockholm, est décisive. Nommée par Robert Bordaz (premier président du Centre Beaubourg), cette personnalité proche des artistes mobilise une jeune équipe afin de mener une politique active d’acquisitions et d’expositions. Par décret, le Dap devient en 1976 un département du Centre Georges Pompidou sous l’intitulé d’origine, Mnam : Musée national d’art moderne. En 1992, le Mnam fusionne avec le Cci pour devenir le Mnam-Cci, sous la présidence de Dominique Bozo.

La Bpi

La Bpi, Bibliothèque publique d’information, créée en 1967 au sein de la Bibliothèque nationale, naît dans un contexte de crise de la lecture, sous l'impulsion de Julien Cain, directeur des bibliothèques de France et de la lecture publique de 1946 à 1964. Jean-Pierre Seguin, fervent défenseur de l’information et de la lecture pour tous, en précise le projet, rêvant « d’une bibliothèque entièrement « automatisée », offrant au public la possibilité d’effectuer lui-même ses recherches sur ordinateur ». Lorsqu’en 1969, Georges Pompidou propose la création d’un centre culturel, elle trouve une place naturelle dans ce futur lieu de démocratisation de la culture. En 1976, la Bpi devient un établissement public autonome associé au Centre Pompidou. Dès l’ouverture, en 1977, l’adhésion du public est immédiate confirmant un succès jamais démenti jusqu’à aujourd’hui.

> Pour en savoir plus sur l’histoire de la Bpi : consulter son site www.bpi.fr

L’Ircam

L’Ircam, Institut de recherche et de coordination acoustique/musique, est une association autonome. Entièrement voué à la création musicale contemporaine, l’Ircam, dirigé par Pierre Boulez, engage dès sa création une recherche interdisciplinaire sur l’exploration et la production de son à travers trois départements : « instrument et voix », « électroacoustique », « ordinateur », suivis d’un département de coordination « diagonal ». Sa construction souterraine entre le Centre Pompidou et l’église Saint-Merri, sous la place Stravinsky, confirme sa singularité. Une politique de recherche scientifique et musicale doublée d’une dimension pédagogique permet à de jeunes artistes de venir y travailler en résidence.

 

Une consultation pour « l’image de marque »

En 1974, alors que le chantier du bâtiment est en cours, Robert Bordaz, président de ce que l’on nomme encore l’Établissement public du Centre Beaubourg, lance sur invitation une consultation internationale afin d’en définir l’image de marque. Les participants sont amenés à réfléchir et proposer une réponse à partir d’un préprogramme qui leur est envoyé par courrier. Cette demande sans précédent dans le milieu de la culture mobilise des agences et des graphistes indépendants dont certains ont déjà une stature internationale : Michel Olyff, Roman Cieslewicz, Adrian Frutiger, Massimo Vignelli, Marc Piel ou Jean Widmer.
Les membres du jury comptent Robert Bordaz en qualité de président du Centre Beaubourg, Pierre Boulez, directeur de l’Ircam, Ponthus Hulten, directeur du Dap, François Mathey, directeur du Cci ainsi que Pierre Seguin, directeur de la Bpi. La présidence est confiée à Willem Sandberg, personnalité incontournable du graphisme (qui influença considérablement la muséographie contemporaine). Typographe et directeur du Stedelijk Museum à Amsterdam pendant sept ans, il fut le premier créateur d’une identité visuelle pour ce musée en concevant lui-même les affiches d’expositions.

Le courrier envoyé aux participants précise que les étapes de travail devront se faire en concertation avec les équipes du Centre et les architectes Renzo Piano et Richard Rogers. Pour ce lieu unique, qui n’est ni un musée ni un centre culturel comme on l’entend habituellement, l’enjeu est de taille. Il faut penser « l’unité dans la diversité » et rendre compte du concept du Centre qui, dans l’esprit des architectes, se veut être un lieu d’information, de communication, d’échange et de circulation des flux, en bref « une machine à communiquer ».
Il est précisé que les éléments à fournir par les candidats prendront la forme d’un document exposant la manière « d’aborder, traiter et résoudre les principaux problèmes posés par la signalétique à Beaubourg » et d’une « note sur les moyens à mettre en œuvre ». Rien n’est spécifiquement lié à l’identité visuelle. La conception d’un logo, sans être explicitement demandée, est pourtant sous-entendue dans une note qui engage à traiter la notoriété et l’image du Centre, au même titre que son accessibilité depuis l’extérieur jusqu’à la circulation et l’orientation dans le bâtiment. La réflexion doit être menée globalement, de la signalétique à l’image de l’institution.

Dans un article intitulé « Signalétique pour le Centre Georges Pompidou », rédigé en 1975 pour le trente-sixième numéro de la revue CRÉÉ, le journaliste et critique d’art Gilles de Bure commente les réponses des équipes consultées. Elles apportent, selon lui, peu de propositions concrètes. Certaines insistent sur un état d’esprit à adopter pour faire face « à cette entreprise exceptionnelle dans ses dimensions et ses ambitions » plutôt que sur un concept graphique. D’autres optent pour une signalétique sonore ou audiovisuelle, à l’aide d’écrans et de haut-parleurs, afin de mettre en évidence la communication et l’échange. Tous envisagent l’idée d’un système de communication au-delà d’une simple signalétique, capable de rendre compte de l’aspect novateur du Centre. Pourtant, comme le souligne Gilles de Bure, « le niveau moyen d’analyse et de proposition fut d’une rare médiocrité ». Malgré une approche intéressante de la signalétique, la plupart des projets restent approximatifs et les estimations budgétaires sont souvent négligées.
Sensible aux propositions de VDA, Visuel Design Association, Willem Sandberg influence le choix du jury en faveur de cette équipe formée pour l’occasion autour de Jean Widmer. Cette structure collective compte parmi ses membres Ernst Hiestand et Urs Franger, typographes, Jörg Zintzmeyer, analyste, Jacques Filacier, coloriste, Nicole Sauvage et Robert Krügel, graphistes. Piotr Kowalski, artiste, est pressenti pour travailler sur les signaux lumineux envisagés en façade et pour la circulation.

 

 

 

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