L’identité visuelle du Centre Pompidou / 1 2 3 4 5 6 7 lexique
2. Jean Widmer et VDA
RÉponse À la consultation, de l’utopie À la rÉalité
L’équipe de VDA
présente une réponse intimement liée au
projet architectural et à la
philosophie du Centre. Le document, présenté sous la forme d’un dépliant A3,
se déploie de manière linéaire permettant aux membres du jury de le consulter
collectivement.
VDA propose un système graphique efficace doublé d’une signalétique urbaine
inédite qui envahit la ville et qui s’inscrit dans une tendance émergente, le graphisme environnemental. Le jaune, couleur
identifiante, se déploie dans tout Paris par un marquage au sol conduisant les
visiteurs jusqu’au seuil du bâtiment. VDA propose d’évoquer la sensation
de proximité ou d’éloignement par un
principe de baromètre ou de « zone de sensibilité » dont la densité de jaune varierait en fonction de la distance restant à
parcourir. Cette zone de sensibilité s’étendrait jusqu’à l’extérieur de la
ville, aéroport compris, afin de faciliter l’orientation du visiteur et rendre
visible l’accès au Centre Pompidou. L’ambition est à la démesure du projet.
Dans la genèse du bâtiment, les architectes Piano et Rogers
avaient imaginé les façades comme un
support d’information, faisant du Centre « une
machine à communiquer ». VDA propose qu’elles deviennent un mur d’images centré sur l’actualité en
accordant une place prépondérante à la typographie. Cette idée fait écho aux
principes architecturaux portés dans les années 30 par Oscar Nitzchke et sa Maison de la Publicité.
Elle entre aussi en résonance avec l’imagerie générée par le groupe Archigram dont Piano et Rogers revendiquent
l’influence.
VDA va même jusqu’à proposer un faisceau lumineux nocturne situant en permanence le Centre dans la ville. Par ailleurs, des circuits lumineux dans le bâtiment permettent de guider le visiteur jusqu’au département souhaité, vert pour la Bpi, bleu pour le Cci, rouge pour le Dap. Le traitement de la lumière est confié à Piotr Kowalski, artiste chercheur, pionnier de l’art technologique dont le travail se situe à la croisée de l’architecture, de la sculpture et de la science. Mais la richesse de ces intentions se heurte au manque de solutions techniques et d’audace de la part des décisionnaires.
Jean Widmer. La
signalétique à l’intérieur du bâtiment.
Des panneaux verticaux s’intègrent
à l’architecture sans encombrer l’espace.
Visuel Design Association (Jean Widmer et Ernst Hiestand), réponse à la consultation sur la signalétique du Centre Beaubourg, juillet 1974.
Collection Jean Widmer © Adagp
En regard de la signalétique, VDA propose des panneaux qui suivent le principe de verticalité dont l’intention est de s’intégrer à l’architecture sans encombrer l’espace. En évitant la frontalité de l’information, la verticalité de la signalétique est compatible avec la transparence du bâtiment. Elle rompt par ailleurs avec les habitudes car elle « force à lire », comme le souligne Jean Widmer. Libérant la vision du visiteur, ces « panneaux actifs » ne concernent que ceux qui sont à la recherche d’information sans saturer inutilement le regard et l’espace.
Enfin, un code couleur, s’appuyant sur celui du bâtiment [5] , identifie clairement chaque département. Il est établi en collaboration avec le coloriste Jacques Filacier qui s’inspire des théories du cercle chromatique de Johannes Itten. Le choix porte sur les couleurs complémentaires positionnées à égale distance dans le cercle. La répartition des couleurs s’est imposée assez facilement malgré les réticences de Pierre Boulez pour le violet. Le vert et le bleu identifiaient déjà la Bpi et le Cci. Le rouge est suggéré pour le Dap, le jaune pour l’administration et la signalétique urbaine, le violet enfin, complémentaire du jaune, pour l’Ircam. Cette couleur associée à la musique semble la plus appropriée pour incarner la spiritualité. Pourtant ce choix rebute Pierre Boulez qui considère cela « hideux et crépusculaire ». Après cet incident, Jean Widmer se voit obligé de négocier une nouvelle couleur avec le compositeur en lui demandant sa préférence. Il se souvient avec amusement de sa réponse : « gris métallisé Mercedes », qui était loin de convenir au système d’identification coloré mis en place à partir du cercle chromatique. Afin de le convaincre, Jean Widmer reprend sa démonstration et lui soumet la couleur pourpre acceptée avec enthousiasme. La nuance est infime mais le résultat convaincant.
Le manuel signalétique
Jean Widmer. Le manuel signalétique, 1976
En 1976, soit un an
avant l’ouverture du Centre, VDA précise ses préconisations en livrant un
manuel signalétique en quatre parties qui formalise tous les aspects de
l’identité visuelle :
- éléments de base et principes du
système ;
-
le système d’orientation ;
-
les papiers de correspondance ;
-
les
imprimés et affiches.
Petit manuel à l’usage des graphistes, chacun de ces cahiers est une référence dès que se pose un problème. La charte graphique s’applique, sans distinction, des supports imprimés (papiers, affiches, documents) jusqu’à la signalétique selon trois principes établis dès l’origine du projet : verticalité, couleur identifiante, typographie CGP.
[5] Renzo Piano et Richard Rogers proposent un code couleur pour les infrastructures du bâtiment : rouge pour les circulations, jaune pour l’électricité, vert pour l’eau et bleu pour l’air.
La verticalité
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1. Jean Widmer. La
signalétique verticale. Panneaux situés à l’entrée du Forum, 1978
2. Vue du Forum, 1978. Avec
ses panneaux verticaux, la signalétique s’intègre à l‘architecture sans encombrer l’espace
3. Jean Widmer. La signalétique
verticale. Panneaux situés à l’entrée de la Bpi et du Mnam, façade ouest,
1978
© Centre Pompidou - Service des archives. Dr
La verticalité est
un « facteur essentiel pour détacher les éléments de leur
environnement ». Elle augmente les capacités d’identification
mais, comme le souligne VDA, c’est la composition horizontale qui, par
contraste, met en évidence ce principe de verticalité. C’est ainsi que la
signature se trouve systématiquement à la verticale, le plus souvent à droite
dans l’alignement (par exemple pour la papeterie) d’un bandeau vertical, étroit
et coloré ; le reste du texte étant disposé à l’horizontale.
Le principe de verticalité prend tout son sens dans la signalétique du bâtiment
dont les principaux supports sont les panneaux. Ces derniers se déclinent au
travers de trois fonctions essentielles : orienter, identifier et
informer. Chaque zone correspond à une fonction : deux zones de lecture à
distance pour l’orientation et l’identification ; une zone de lecture
rapprochée pour l’information. S’intégrant à l’architecture, les panneaux sont
suspendus au moyen de câbles et disposés dans l’espace suivant une perspective
en enfilade. Ainsi, la verticalité du panneau associé à celle du texte et du
bandeau coloré forme un ensemble cohérent dont l’impact visuel ne laisse aucun
doute.
La couleur
Papeterie. La
déclinaison du code couleur
Documents. La déclinaison du code couleur
Extrait de Jean Widmer,
un écologiste de l’image, 1995
© Centre Pompidou
La couleur « revêt
un caractère fonctionnel. Toute valeur décorative est exclue ». Elle
identifie clairement chaque département, notamment pour la signalétique et les
manifestations. C’est ainsi que, suivant le principe de verticalité vu
précédemment, la papeterie, les cartons d’invitations ou tout autre type de
document déclinent, par l’intermédiaire d’une bande située en haut à droite,
les couleurs des départements : rouge pour le Mnam, vert pour la Bpi, bleu
pour le Cci et pourpre pour l’Ircam. De la même manière, la couleur
identifiante de chaque département est employée sur les panneaux à des fins
d’orientation, d’identification ou d’information selon le cas.
Si une manifestation concerne plusieurs départements, il est alors préconisé
d’utiliser la couleur identifiante du Centre, le jaune. Cette couleur,
également désignée pour la signalétique, se retrouve dans les panneaux de
signalisation vers, autour et dans le Centre. À l’intérieur comme à
l’extérieur, elle est assimilée aux informations générales liées au Centre ou
aux services communs.
Le caractère typographique
1/2. Le caractère CGP
© Centre Pompidou
Le caractère typographique Beaubourg, baptisé plus tard CGP, utilisé systématiquement sur tous
les supports, en noir ou en réserve de blanc sur fond coloré, joue un
rôle fédérateur. Sa forme suggère un caractère
dactylographique, signe populaire, auquel tout le monde peut s’identifier. Il
est par ailleurs très efficace à la verticale puisque son empattement
facilite la lecture, en donnant du coup un rythme linéaire et une raideur
nécessaire au texte. C’est Adrian Frutiger, éminent typographe, et Hans-Jürg
Hunziker qui développent ce caractère « maison », unique en son
genre, et dont le Centre Pompidou aura toujours
l’exclusivité.
La signature institutionnelle
La signature évoluera quelque peu au fil du temps. On la trouve tout d’abord à la verticale sous l’intitulé Centre Georges Pompidou puis c’est le logo, dans un deuxième temps, qui s’y rattache. Mais, il faut bien le reconnaître, le logo n’ayant pas été conçu pour être disposé à la verticale, cette combinaison ne fonctionne pas. Au milieu des années 80, pour une meilleure lisibilité, l’ensemble de la signature passe à l’horizontale. Enfin, sous la présidence de François Barré, la signature passe sur deux lignes avec le texte Centre Georges Pompidou dans un corps inférieur.
1. La signature horizontale, sur deux lignes, associée au logo
© Centre Pompidou
2. La signature verticale
associée au logo
© Centre Pompidou
Les pictogrammes
Les pictogrammes. Réalisation Hans-Jürg Hunziker, 1974
© Centre Pompidou
Les pictogrammes dessinés par Hans-Jürg Hunziker apparaissent dans un graphisme extrêmement simple et fonctionnel en réserve blanche sur un carré noir, quelle que soit la couleur de fond du panneau sur lequel ils se trouvent. Ils indiquent les services offerts (restaurants, poste, toilettes…), les circulations, les dangers ainsi que les interdictions. Il est clairement spécifié dans le manuel signalétique que leur graphisme ne doit pas en être modifié. Lorsqu’en 2000, Ruedi Baur intervient sur l’identité visuelle et la signalétique, il fait appel à Hunziker afin qu’il réactualise et complète le vocabulaire des pictogrammes. Ils apparaîtront dans une forme verticale aux angles arrondis évoquant une gélule.
VDA avait pensé l’identité visuelle du Centre Pompidou dans sa globalité, avec l’architecture comme fil conducteur. Cependant, cette vision du design total s’est progressivement édulcorée. La fragmentation des tâches et des responsabilités sans doute, les tensions et les rigidités internes peut-être, ont eu raison de la cohésion qui, sans remettre en cause les orientations de VDA pendant vingt ans, ont conduit à terme à la refonte de l’identité visuelle.
L’épopée du logo
Ce logo intemporel, aujourd’hui clé de voûte de l’identité visuelle du Centre Pompidou, a bien failli ne jamais exister. Il voit le jour juste avant l’ouverture du Centre Pompidou, malgré les réticences de son créateur, et passe paradoxalement les épreuves du temps en menant une vie plus ou moins autonome. Menacé de disparaître au moment de la rénovation en 2000, il est soutenu par l’Alliance graphique internationale et les membres d’un collectif du Centre. Son retour en force fait de lui une icône incontournable, unanimement acclamée. Rarement un logo aura entretenu une relation aussi affective et intime avec son public.
Le logo : jugé incompatible avec l’univers de la culture
Lorsque VDA remporte le concours, son parti pris concernant le logo est clair. Aucun logo ni symbole ne peut rendre compte de la diversité des quatre départements aux identités déjà marquées. De plus, l’idée d’une image fixe ne s’accorde pas au concept architectural, entièrement consacré à la circulation et au mouvement. Si les problématiques de signalétique sont à l’ordre du jour, ce n’est pas le cas du logo qui, chargé d’une connotation péjorative, lié à l’univers de la publicité, est jugé incompatible avec celui de la culture. Le logo risque d’ailleurs de figer l’institution dans son époque en raison d’une obsolescence graphique quasi programmée, la plupart des logos étant régulièrement réactualisés. Pour VDA, l’identité ne tient qu’à la couleur définie pour chaque département et à la signature verticale Centre Georges Pompidou en caractère CGP.
Jean Widmer. Un logo
pour le Centre Beaubourg. Une « proposition repoussoir », 1976
© Adagp
Malgré les incitations des membres de l’EPCB (Établissement public du Centre Beaubourg) à poursuivre les réflexions sur ce sujet, Jean Widmer illustre l’inutilité d’un logo par une démonstration qu’il qualifie, a posteriori, de « proposition repoussoir ». Dans la continuité du travail avec le Cci, il propose un sigle géométrique par département associé à sa couleur identifiante : un triangle pourpre pour l’Ircam, un cercle bleu pour le Cci, un losange vert pour la Bpi et un carré rouge pour le Dap. La superposition des sigles formerait un signe (intentionnellement complexe et confus) représentant l’unité du Centre Beaubourg. Il persuade ainsi, pour un temps, le jury de l’inutilité d’un tel dispositif, mais l’idée reste en suspens.
À quelques semaines de l’inauguration prévue pour fin janvier 1977, l’absence d’un logo se fait ressentir. Claude Mollard, secrétaire général, passe commande en novembre 1976 sans laisser d’autres choix à Jean Widmer. La demande se fait de plus en plus pressante et prend la forme d’un ultimatum : « Si vous ne faîtes pas le logo, ce sera quelqu’un d’autre ». C’est presque sous la contrainte que celui-ci détourne le problème insoluble de traduire la pluridisciplinarité du Centre en se concentrant sur le bâtiment, seul élément fédérateur.
Le logo du Centre Pompidou : un condensé visuel de la façade
La solution est vite trouvée par ce graphiste expérimenté
qui s’installe dans un café face au Centre pour y observer attentivement la
façade. Il considère le rythme, le mouvement, la structure du bâtiment et
entame une série de croquis sur une nappe en papier. Il retient dans ses
ébauches les caractéristiques essentielles de l’architecture : les
plateaux libres exempts de toutes cloisons qui induisent la flexibilité des
espaces et l’externalisation des flux symbolisés par la chenille, élément
cinétique qui se dirige vers le ciel.
Ses croquis sont de véritables abstractions qui s’inscrivent dans la mouvance de l’art concret zurichois dont Jean
Widmer revendique l’héritage. On y retrouve les principes d’orthogonalité, le
traitement des aplats, l’absence de distinction entre le fond et la forme, l’absence
de contours et de volume. Également inspiré pendant toute sa carrière par la
célèbre phrase « Less is more » de l’architecte designer Mies Van der Rohe,
Jean Widmer réalise avec brio un
condensé visuel de la façade. Six bandes noires alternées de vide forment
une surface rectangulaire rayée, traversée de part et d’autre par deux autres
bandes noires en zigzag. Entre elles, un vide suggère la chenille parcourant la
façade. L’ensemble donne l’impression d’un mouvement continu. L’absence de
contours illustre le génie de cette structure architecturale qui pourrait encore
se développer en hauteur comme en largeur. Pas de limite non plus pour ce logo
dont le graphisme pourrait s’accroître indéfiniment.
Pourtant, les proportions de ce logo restent un motif de déception pour Jean Widmer : là où il proposait cinq lignes, les décisionnaires en exigèrent six, prétextant le besoin de se raccrocher au réel. Il regrettera ce choix par un commentaire teinté d’humour et d’amertume : « les intellectuels ne sont pas des visuels ». Le logo définitif est bien trop massif à son goût et la version qu’il proposait initialement était plus juste pour le perfectionniste qu’il est.
Le logo, source d’inspiration inÉpuisable
Après trente ans d’existence, ce logo est aujourd’hui considéré comme un classique indémodable. Désigné selon les chartes graphiques comme emblème, sigle historique ou simplement pictogramme comme aujourd'hui, il est devenu le support de nombreuses déclinaisons graphiques : affiches, couvertures de dossiers de presse ou de rapports d’activité, cartes de vœux, invitations… Au fil du temps, il se fait plus ou moins discret mais on le voit apparaître depuis peu avec beaucoup plus d’insistance.
Tour à tour tronqué, fragmenté, froissé, superposé, agrandi, il se prête à tous les types de jeux graphiques sans jamais être dénaturé. Son créateur lui-même le malmène. On le retrouve froissé comme un journal sur l’affiche de l’exposition Jean Widmer que lui consacre la Maison du livre, de l’image et du son à Villeurbanne en 1991. On le découvre l’année d’après dans un tracé volontairement maladroit, à l’occasion de l’exposition pluridisciplinaire Manifeste organisée par le Centre Pompidou. Pendant les « grands » travaux, une photo du logo prise par Jean Widmer, le dévoile morcelé sur une tôle ondulée. Une de ses dernières déclinaisons survient à l’occasion des trente ans de l’établissement, où chaque membre du personnel reçoit une lithographie multicolore le représentant sous un angle inédit. Jean Widmer s’en sert comme d’une trame qu’il multiplie dans la polychromie du bâtiment : jaune, vert, bleu et rouge. Il décompose les lignes en petits carrés, les alternant de vide. Ces trames se superposent à la verticale et à l’horizontale pour donner forme à une sorte de fragmentation colorée, à mi-chemin entre la mosaïque et le pixel.
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