Le nouveau festival du Centre Pompidou
1ère édition, 21 octobre - 23 novembre 2009  / 1 2 3 4 5 6 Repères

 

 

1. Une question ancienne revisitÉe

 

Sophie Perez et Xavier Boussiron
Compagnie du Zerep, Danse des poupées de belle-mère
Avec Sophie Lenoir, peinture (arts visuels) et posture du corps (arts de la scène)

Le nouveau festival du Centre Pompidou se propose de montrer l’omniprésence du corps et de l’oralité dans les arts visuels aujourd’hui. Une présence, un temps, occultée, avant de revenir en force avec les avant-gardes du 20e siècle.

Arts de la juxtaposition contre arts de la succession

L’articulation entre les arts visuels et les arts de la scène relève d’une question ancienne, elle-même issue du lien entre la peinture et la poésie. « Ut Pictura Poesis », disait le poète Horace, « la peinture est comme la poésie », elle a pour fonction de traduire l’idée en image. Mais, au 18e siècle, un penseur s’érige contre cette idée, Lessing, avec un livre célèbre, Le Laocoon (1766), définissant la peinture et les arts plastiques comme des productions que se déploient dans l’espace tandis que  la poésie, le théâtre, la musique se déploient dans le temps. « Voici mon raisonnement, écrit Lessing : s’il est vrai que la peinture emploie pour ses imitations des moyens ou des signes différents de la poésie, à savoir des formes et des couleurs étendues dans l’espace, alors que celle-ci emploie des sons articulés qui se succèdent dans le temps ; s’il est incontestable que les signes doivent avoir une relation naturelle et simple avec l’objet signifié, des signes juxtaposés ne peuvent alors exprimer que des objets juxtaposés, ou dont les éléments sont juxtaposés, de même que des signes qui se succèdent ne peuvent représenter que des objets successifs, ou dont les éléments sont successifs »1. Arts de la juxtaposition contre arts de la succession, l’indépendance des deux domaines de création est inaugurée par Lessing.

La réarticulation peinture et poésie, arts plastiques et arts de la scène

Pablo Picasso, Rideau de scène du ballet "Parade", (1917)
Rideau de scène pour "Parade", ballet réaliste sur un thème de Jean Cocteau, musique d'Eric Satie, décors et costumes de Picasso, chorégraphie de Léonide Massine. Monté par Serge de Diaghilev pour les Ballets russes, et créé à Paris le 18 mai 1917 au Théâtre du Châtelet
Peinture à la colle sur toile, 1 050 x 1 640 cm

Si la théorie de Lessing contribua grandement à la revalorisation des arts plastiques en les libérant de la tutelle du discours et de l’idée, elle n’est reste pas moins une étape qui aboutit à la théorie moderniste de l’autonomie des arts les uns vis-à-vis des autres. Parallèlement à cette tendance, au 20e siècle, un grand nombre d’artistes réarticulent peinture et poésie, arts plastiques et arts de la scène, de manière originale.
Tout au long du 20e siècle, la distribution « arts plastiques/arts de l’espace » et « poésie, arts de la scène /arts du temps » est déjouée. La poésie et les arts de la scène se rapprochent des arts plastiques : que l’on songe aux Calligrammes d’Apollinaire, aux Mots en liberté de Marinetti où les mots sont disposés de manière à faire image, à la poésie lettriste qui revalorise la lettre dans sa matérialité et la place au centre d’œuvres cinématographiques, picturales, chorégraphiques, ou encore aux costumes et rideaux de scènes réalisés par des plasticiens tels que Picasso, Malevitch, Rauschenberg, Olivier Debré…

Puis, en retour, la poésie, le son, le théâtre et le discours se sont invités au cœur des arts plastiques, faisant de la présence physique des artistes une composante essentielle de leurs oeuvres : les futuristes et les dadaïstes organisent des soirées, des spectacles et des concerts, dans les années 50 et 60 les artistes inventent le happening et la performance…

Ainsi la question de la présence du corps et de l’oralité dans les arts visuels est la formulation contemporaine d’une problématique plus générale, celle de l’intrusion du temps dans les arts visuels. Dans l’art actuel, le corps et la parole apportent avec eux le mouvement et la durée réels. Comme le souligne Bernard Blistène, directeur du Département du développement culturel du Centre Pompidou et organisateur du festival, « L’un des sujets de ce nouveau festival est bien le temps, le temps à l’œuvre ».2

1. Lessing, Laocoon, ou Des frontières de la peinture et de la poésie, trad. Fr. Courtin (1866), éd. revue et corrigée, Hermann, 1990, pp. 120-121.
2. Catalogue du nouveau festival du Centre Pompidou, p. 12.

 

 

 

Le nouveau festival du Centre Pompidou
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