Le nouveau festival du Centre Pompidou
1ère édition, 21 octobre - 23 novembre 2009 /
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Repères
Avec Heimo Zobernig, par Bernard Blistène, directeur du nouveau festival du Centre Pompidou
Entretien extrait du catalogue Le nouveau festival du Centre Pompidou, 2009, pp 15-17.
Formé au théâtre et aux différents arts de la scène, l’artiste autrichien Heimo Zobernig a conçu la scénographie de la Galerie sud, lieu névralgique du festival. Souhaitant préserver les caractéristiques propres au lieu, il propose un dispositif montrant la dimension « machinique » et théâtrale de l’architecture du Centre Pompidou, fondé sur des rideaux et des pendillons de théâtre. L’ensemble constitue la plus vaste des scènes que l’on puisse imaginer. Heimo Zobernig répond aux questions de Bernard Blistène, commissaire du festival.
Bernard Blistène. Alors que je vous expliquais mes intentions pour la première édition du nouveau festival du Centre Pompidou, vous m’avez immédiatement laissé entendre que vous souhaiteriez bâtir votre installation à partir de rideaux. Pouvez-vous expliquer pourquoi et comment ces rideaux interviennent somme toute régulièrement dans votre vocabulaire plastique ?
Heimo Zobernig. Le rideau apparaît très tôt, au cours des années 80, dans des installations en trois dimensions associées à des performances. Dans un décor pour la pièce de Heiner Müller, Quartett, au Schauspiel de Francfort, le rideau joue un rôle central aux côtés des deux acteurs. Il est à la fois rideau de théâtre et élément architectural, mais aussi habillage, il crée des topographies et devient un costume, avec son caractère dynamique et statique. C’est un vecteur universel, que l’on trouve aussi dans la peinture avec le problème de la mimesis – rappelons
B.B. Dans son texte intitulé « Parva Theatralia. For Heimo Zobernig », rédigé pour le catalogue de la Tate St Yves/ fondation Calouste Gulbenkian, Juliane Rebentisch étudie les rôles assignés au rideau et le rideau lui-même dans sa fonction de média. Ce texte est aussi paru en français dans la publication destinée au CAPC de Bordeaux, et a inspiré d’autres études.
H.Z. Pour la Galerie sud, au Centre Pompidou, j’ai tout de suite pensé aux vastes espaces ouverts ; ils sont le fruit du travail des ingénieurs, et cela reste une réalisation fantastique. Dans la plupart des cas, ce sont les parois mobiles des expositions qui rythment l’espace : un principe plutôt lié à l’architecture conventionnelle. J’ai l’intention d’utiliser les rideaux pour créer une articulation et des situations que l’on pourra transformer à n’importe quel moment de l’exposition afin d’accueillir les diverses performances, des filmscreenings : un display pour les objets et installations. Mais il s’agit aussi de rendre hommage à l’architecture du Centre, qui était vouée à une utopie dans laquelle nous nous retrouvons à présent.
[…]
B.B. Ce premier festival met l’accent sur la notion de « pluridisciplinarité » qui était à l’origine de la vocation initiale du Centre Pompidou. Pensez-vous que cette dimension de la création soit aujourd’hui de nouveau une utopie ? Que revêt-elle pour vous qui travaillez résolument sur tous les domaines de la création ?
H.Z. Lors de mes recherches sur l’apparence graphique du titre « FESTIVAL », j’ai noté que ce terme s’est propagé au cours des années 1960 et qu’il est resté très répandu jusqu’à notre époque. Je crois que, dans l’art, et bien entendu dans de nombreux autres champs du savoir et de l’action, nous pratiquons aujourd’hui en bonne partie ce qui passait jadis pour une utopie. Le cinéma, la musique, la littérature, les arts plastiques, etc., opèrent de manière synchrone, c’est notre présent. Ce festival constitue l’ouverture actuelle sur tout cela. Compte tenu de l’intérêt que je porte aux possibilités de l’art et à l’étude de ses limites, la question du médium ne cesse de se reposer de nouveau. Je ne veux donc pas me limiter à un seul d’entre eux.
B.B. Y a-t-il, dans votre œuvre, une dimension théâtrale ? Vous sentez-vous encore lié aux arts de la scène ?
H.Z. L’intégration de l’observateur, l’aspect performatif venant en complément d’une œuvre d’art, est le paradigme de notre époque. Les emprunts aux théories du théâtre sont indispensables si l’on veut comprendre l’art de notre époque. Cela dit, le théâtre actuel ne joue plus de rôle particulier à mes yeux.
Avec Olivier Bardin, par Vanessa Morisset
Pour le festival, Olivier Bardin réalise une pièce, Exhibition Continues, destinée à être activée par les spectateurs eux-mêmes. À l’entrée du Centre Pompidou, dix fauteuils font face aux visiteurs qui peuvent s’y installer…
Vanessa Morisset. Dans un entretien récent avec Hans-Ulrich Obrist et Pierre Huyghe, publié dans le catalogue de l’exposition The Fifth Floor : Ideas Taking Space, à la Tate Liverpool, en 2008, vous définissez l’exposition de la manière suivante : « L’exposition est, pour moi, l’occasion de provoquer une rencontre physique entre les spectateurs et moi, et entre les spectateurs entre eux ». Comment votre pièce Exhibition Continues, créée pour l’exposition à Liverpool et réinstallée dans le cadre du nouveau festival, provoque-t-elle cette rencontre ?
Olivier Bardin. Exhibition Continues est une pièce composée d’un ensemble de fauteuils de salon identiques disposés dans un lieu d’exposition et tournés vers son entrée. Pour le nouveau festival, j’ai souhaité que ces fauteuils, au nombre de dix, soient disposés à l’intérieur du Forum, face à l’entrée principale du Centre Pompidou. Ils ne sont pas disposés sur une seule ligne mais légèrement décalés, afin que ces fauteuils soient isolés les uns des autres et que ce dispositif ne soit pas destiné à la conversation, mais à l’exercice silencieux du regard. Ce que l’on voit immédiatement en entrant, ce sont ces fauteuils dans lesquels des spectateurs de l’exposition sont assis, c’est-à-dire des personnes devenant l’objet même de l’exposition. Mais on voit aussi la place qu’on occupera, l’instant d’après, lorsqu’on s’y installera également. Assis dans les fauteuils, on assiste, comme au théâtre, à un ballet de spectateurs surgissant sur la scène, surpris d’être regardés, devenant, par force, acteurs et objet de l’exposition. Spectateur entrant ou spectateur assis, chacun s’expose et s’observe de façon réciproque dans une tension chorégraphique définie par le déplacement des corps ou l’expression du visage. Le nombre de places est limité, c’est à chacun d’imaginer devoir, ou non, céder sa place, autrement dit travailler à l’équilibre de l’ensemble. La responsabilité de chaque spectateur est engagée, l’image de soi est alors en relation avec une image commune ou partagée. Avec Exhibition Continues, chaque visiteur est pris en flagrant délit de jeu d’acteur, dans un flux presque ininterrompu évoquant presque une procession, chacun avec sa façon de marcher, seul ou à plusieurs, lentement ou rapidement. La lumière du jour étant dans leur dos, ils deviennent les silhouettes évanescentes d’un théâtre d’ombres.
V.M. Quelle différence y a-t-il entre l’installation de la pièce à la Tate Liverpool et celle du Centre Pompidou ?
O.B. Le choix du mobilier, les dimensions de la salle d’exposition, l’éclairage du lieu, la distance entre les fauteuils et l’entrée sont essentiels à la mise en scène, ils déterminent la perception du spectateur et sa prise de conscience. A Liverpool, ce dispositif était installé dans une salle d’exposition du musée, que le spectateur devait obligatoirement traverser pour poursuivre sa visite, les fauteuils isolés dans une salle d’exposition pouvant être considérés comme un dispositif sculptural. Les fauteuils faisaient face à l’entrée de la salle. Les spectateurs comprenaient qu’il fallait s’y asseoir. Le Forum du Centre Pompidou est un espace d’accueil du public très complexe sans véritables séparations spatiales. C’est aussi pour cela, qu’outre la position des sièges dans l’espace, j’ai tenu à ce que ces fauteuils ne fassent référence ni à l’histoire du design, ni à celle de l’art, ni au mobilier du Centre Pompidou. Il fallait aussi que ces sièges aient une forme suffisamment singulière afin de s’ancrer dans l’espace et que cela produise quelque chose d’étrange. Ils renvoient à l’idée de fauteuil comme un enfant pourrait le dessiner. Ce sont des fauteuils bon marché, accueillants et standards, choisis chez Conforama.
V.M. Comment, dans cette profusion liée à l’espace d’accueil du Centre Pompidou, comprend-on que la pièce s’active lorsqu’on s’assoit ?
O.B. Ces fauteuils standards sont des signes facilement repérables. Ils sont placés au centre d’un espace public bien qu’ils fassent référence à l’espace privé. La pièce s’active spontanément. Assis dans un siège, vous n’avez à voir que le flux des spectateurs entrant sous une forme presque chorégraphique. Vous voyez ces nouveaux spectateurs vous regarder et prenez conscience de votre situation, de votre statut. C’est le temps passé dans ce dispositif qui vous permet d’en faire réellement l’expérience.
V.M. C’est un peu l’inverse de l’Auditorium de Franz West, réalisé pour la Documenta IX de Kassel, en 1992, un ensemble de divans en métal, recouverts de tapis, tellement inconfortables qu’ils attirent l’attention sur eux ?
O.B. La pièce de Franz West demeure malgré tout une sculpture, un très bel objet d’art. Il y a dans ma pièce une ambiguïté sur le statut de l’objet. Les fauteuils peuvent être perçus dans un premier temps comme des ready-mades. En s’y installant, le spectateur redonne une fonction à ces sièges. La valeur artistique réside dans la manière dont ces sièges, par leur disposition dans l’espace, permettent au spectateur d’exercer son regard, de partager une vision avec d’autres et de prendre conscience de sa propre image.
V.M. Vous parlez de rencontre par le regard plutôt que par la conversation. Pourriez-vous préciser ce qui se joue à travers cet exercice du regard ?
O.B. Je pense que
le regard s’exerce d’abord en silence et qu’à travers le regard, une rencontre
est possible. Vous avez conscience de votre image au travers du regard de
l’autre. En ça, mes pièces permettent une amorce de rencontre, un point de
départ. Mes dispositifs cherchent toujours à rendre le regard le plus libre
possible, à donner la possibilité de regarder une personne sans les limites
qu’imposent les règles de politesse, sans celles que le regard de l’autre
impose.
V.M. Vous forcez le spectateur à se mettre en scène, mais pas au point des futuristes qui, dans leurs soirées, envisageaient de faire participer le public à son insu, en mettant de la colle sur les sièges…
O.B. Il n’y a aucune violence ou ironie dans mes dispositifs. Il s’agit d’une invitation. Chacun a la possibilité d’y trouver sa place s’il le souhaite, de prendre son temps ou de traverser sans voir, comme dans le rapport qu’un spectateur entretient avec n’importe quelle œuvre d’art.
V.M. Vos dispositifs vous placent dans la continuité d’une histoire de la participation qui, depuis les futuristes, en passant par Dada et Fluxus, tendait à abolir les frontières entre l’art et la vie. Mais la participation des spectateurs, aujourd’hui, n’a-t-elle pas une visée différente ?
O.B. L’art peut avoir une fonction liée à la rencontre, sans que les artistes deviennent pour autant des animateurs culturels. Lorsqu’on invite des personnes à se regarder librement, on constitue un monde où chacun est à égalité, où les considérations sociales, de génération, de sexe, sont abolies. Et lorsque chacun est à égalité, on peut commencer à imaginer ce que l’on pourrait faire ensemble, au service de quoi cette entente peut être mise.
V.M. Dans le dossier de presse de l’exposition, en décrivant votre pièce, vous énoncez cette phrase : « Comme au théâtre, les spectateurs installés dans ces sièges assistent à l’arrivée continue de nouveaux spectateurs dont on peut imaginer qu'ils entrent en scène ». Vous parlez souvent de théâtre, de spectacle, de scène. Le théâtre influence-t-il votre travail ?
O.B. Je fais en effet régulièrement allusion à la scène, à la présence des corps, à certains éléments constitutifs du théâtre. À partir du moment où je considère le spectateur comme un acteur, je fais référence au théâtre. Pour moi, le théâtre peut se réduire à un plateau et à la présence d’une personne sur ce plateau. C’est d’ailleurs ainsi que s’amorcent la plupart de mes pièces.
V.M. Vous extrayez du théâtre l’une de ses composantes, quelqu’un sur une scène, comme lorsque, en référence à la télévision ou à la radio il y a quelques années, vous ne gardiez qu’une des composantes de ces médias ? C’est pour vous une manière récurrente d’amorcer un travail ?
O.B. Oui, la déconstruction d’un médium ou d’un média est le moyen d’en tirer des éléments structurels et ils deviennent plus lisibles une fois leurs composantes posées les unes à côté des autres. Le choix et la combinaison de certains de ces éléments sont alors à l’origine d’une nouvelle pièce. J’applique cette méthode aux expositions, dispositifs, cérémonies, films, émissions ou performances que je réalise. J’ai ainsi exploité les paramètres structurants de la télévision : le temps réel, le flux continu de diffusion, le plateau, la présence d’un ou plusieurs invités, les caméras et les micros. En 1997, j’ai conçu la série d’émissions intitulées Une télé pour la télé, pour la chaîne de Pierre Huyghe, Mobile TV. Je proposais alors à un adolescent de réaliser, en direct, pendant une demi-heure, une émission en tenant compte des éléments techniques de diffusion, du décor, de ma présence et de la diffusion en temps réel auprès de téléspectateurs qui nous voyaient, mais avec qui l’échange était, par définition, impossible. J’ai surtout été étonné par l’attitude de ces jeunes pour qui la simple présence sur un plateau pouvait suffire. Ils étaient là, sans discours, ni message particulier, sans désir de s’adresser à quiconque. Le dispositif télévisuel, comme l’exposition, permet de prendre conscience de sa présence. Il y avait là une manière d’exister pour ces personnes, au-delà de tout message, de tout discours.
Le nouveau festival du Centre Pompidou
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