Danse contemporaine - Pour une chorégraphie
des regards
Entretien avec Serge Laurent /
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3. Des artistes qui dépassent l’héritage
de références de leur art
Nous voici toujours en train d’évoquer un
certain type d’artistes qui vous attirent plus particulièrement,
mais sans vraiment désigner leur originalité. Une bonne part du
public, venant voir des spectacles de danse, s’étonne de n’y
voir que très peu de ces mouvements que lui appelle danse…
Faut-il citer des noms? Xavier Le Roy, Myriam Gourfink, Jérôme
Bel, Alain Buffard? Des artistes qui s’exposent, au travers d’œuvres
qui leur posent question, et qui dépassent, qui remettent en jeu –
sans pour autant le renier – l’héritage de références
de leur art.
Il n’y aurait plus assez de danse? Notons d’abord que ça
n’est pas extraordinaire, ça se passe ailleurs, ça n’est
pas un phénomène incroyable réservé à la
programmation du Centre Pompidou. Ca doit bien signifier quelque chose. Un fait
incontournable: tous ces artistes viennent de la danse, et continuent de se
définir comme des artistes chorégraphiques. Alors, qu’appelle-t-on
danse? J’oserais dire que l’essence de la danse n’est pas
le mouvement. Elle passe aussi par le mouvement. Mais son essence est la présence,
et tout ce que cette présence peut faire passer. C’est un art de
peu d’artifice, qui consiste à s’exposer, au travers du plus
immédiat des médiums, son propre corps. Cela posé, le mouvement
devient presque secondaire. Le mouvement n’est passionnant que lorsqu’il
apporte une dimension supplémentaire à cette présence.
Bien des spectateurs aussi se plaignent de se sentir confrontés
à des élaborations intellectuelles, plutôt qu’à
des partages d’émotions.
Aujourd’hui, certains chorégraphes sont très exigeants,
se nourrissent d’une importante culture contemporaine, dans une époque
qui demande une forte mobilisation intellectuelle. Leur démarche de sublimation
du réel passe par là. Elle peut déboucher sur des formes
très abstraites, ou peu saisissables. Je fais l’éloge de
cette exigence, j’aime cette sensation de l’effort et du doute.
J’aime permettre cette perturbation.
Réinventer des langages: voilà la démarche artistique
qui m’intéresse. Il peut y avoir des langages très parlants,
touchant très clairement à ce qui nous concerne. Je ne nie pas
que ça puisse être plaisant. Le langage a ses limites. A un moment
tout a été dit, de ce qui pouvait l’être de manière
clairement intelligible. Demeure alors cet autre aspect du langage, plus intuitif,
introspectif. Les spectacles où l’on croit ne pas comprendre sont
ceux qui permettent le plus au spectateur d’investir ses propres propositions.
Se contenter de montrer le monde tel qu’il est, avec les émotions
qu’il inspire, faire du plus joli qu’à la télé,
c’est pauvre. Créer, c’est transcender le réel, c’est
le dépasser, c’est aller tout au-delà.
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