Arts de la scène et nouvelles technologies
Richard Siegal / Alberto Posadas, Glossopoeia / 1 2 3 4 5 6 7 Repères

 

4. chorÉgraphe & compositeur : un travail collaboratif et interactif ?

Glossopoeia. Premier quatuor, répétition au 104, 3 décembre 2009.
Julie Guibert
© Centre Pompidou – Photos Hervé Véronèse

Richard, comment travaillez-vous habituellement avec la musique ?

R.S. Je chorégraphie assez rarement une musique en particulier. L’élaboration de la danse se fait généralement en parallèle ou plus ou moins indépendamment de la musique. Dans ce cas, j’ai beaucoup écouté la musique d’Alberto avant de commencer. C’est une musique très dense et complexe. Dès le début, nous avons discuté des éléments essentiels dont j’ai besoin en tant que chorégraphe : la danse nécessite des passages plus calmes, pour laisser plus d’espace à un développement gestuel.

Et vous, Alberto, comment avez-vous concilié vos deux langages ?

A.P. La première fois que j’ai rencontré Richard, son système If/Then m’a rappelé le système de Lindenmayer — modèle de fractales que j’avais déjà utilisé dans un quatuor à cordes. If/Then ressemble même étrangement à un Lindenmayer stochastique. Mon idée a donc rapidement été de superposer les deux systèmes. Après nous être accordés sur certains aspects du modèle, j’en ai déduit des règles concrètes pour écrire la partition. Puis nous l’avons enregistrée et simulé le retraitement électronique live, pour montrer à Richard le résultat concret de nos conversations et lui permettre d’élaborer la chorégraphie de la première partie (qui se fait sans faire intervenir la reconnaissance de mouvements).

R.S. Le système de Lindenmayer m’a aussitôt fait penser à une manière de générer un nouveau vocabulaire gestuel. Je n’ai donc pas commencé à travailler avec la musique d’Alberto elle-même, mais avec sa méthode de composition, utilisant un algorithme dérivé de Lindenmayer pour générer les gestes de base.

Comment ?

R.S. Dit simplement, le système de Lindenmayer consiste en une suite de variables, variables auxquelles on peut assigner ce qu’on veut. J’y ai quant à moi assigné les blocs de construction du mouvement que sont les parties du corps, la direction du mouvement, sa dynamique, son degré de rotation… Ne restait alors qu’à résoudre ces équations pour obtenir nos « phrases gestuelles ». Le résultat, ce sont des mouvements très étranges, idiosyncratiques, que le corps n’aurait pas trouvé tout seul… C’est d’ailleurs intéressant en soi de pouvoir ainsi travailler avec des gestuelles aussi diverses et inédites, ce que le système If/Then permet, puisqu’il n’implique aucun vocabulaire gestuel spécifique et peut s’appliquer à tous les mouvements. Qu’ils soient simples ou complexes, ils importent peu, ce qui importe, ce sont les relations qui s’établissent entre eux.

A.P. Le moment où l’on a eu réellement besoin l’un de l’autre a été la mise au point véritable des interactions. Avec Frédéric Bevilacqua et Lorenzo Bianchi, nous avons développé par simulations successives nos patchs informatiques, en analysant les grandeurs que le système de reconnaissance de mouvement nous donne lorsqu’il est appliqué au langage chorégraphique de Richard.

Cette collaboration a-t-elle changé votre processus créatif, et le regard que vous portez sur la composition ?

A.P. Pas vraiment ma vision de la composition, mais certainement ma vision de la composition d’une œuvre destinée à être chorégraphiée. Et c’était exactement ce que je voulais découvrir : la manière de travailler d’un chorégraphe, les différents timings dans le processus de création.
Le compositeur, quand il travaille avec des musiciens du moins (c’est très différent avec l’électronique pure, qui est beaucoup plus souple), doit composer, noter, éditer la partition, faire répéter les musiciens, etc. Ça prend des mois ! Et la partition se fige alors : on peut certes ajuster quelques détails d’interprétation, mais on ne peut effectuer aucune modification conséquente. Le travail du chorégraphe est plus court mais plus intense. Il peut changer des aspects entiers de la chorégraphie en un instant — une simple indication suffit, nul besoin de refaire la partition…
Notre travail, bien que collaboratif et « interactif », n’a donc pas souvent été simultané — sans parler des contraintes techniques et logistiques (comme le fait que Richard ne lit pas la musique, ou qu’il a pu travailler sur quelques projets ailleurs entre-temps).

 

 

 

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