Arts de la scène : aux limites du théâtre
Steven Cohen, Golgotha  / 1 2 3 4 5 6 7 Repères

 

4. De l’IdentitÉ comme expÉrience

Steven Cohen, Chandelier, 2001

L’Afrique du Sud de l’après-apartheid est un laboratoire des recompositions identitaires. Une identité n’est pas une essence relevant du legs d’éléments intangibles, immuables et unifiés, mais une invention relevant d’un processus de construction, par voie d’options, d’emprunts, d’abandons. Comme le montre l’art de Cohen.

S’exposer comme blanc

Dans le registre de l’intervention pure, l’une des premières actions de Steven Cohen fut de s’imposer dans les rangs d’une convention du parti néonazi sud-africain (non dénué d’une influence réelle) en arborant divers signes extérieurs d’identité juive, de surcroît mêlés à une apparence gay-queer. En 2001, Chandelier – une performance qu’il restitue sur les scènes par voie d’images, et lui a valu une grande part de sa notoriété – le voit s’exposer comme blanc, quasi nu sur des talons aiguilles, au cœur d’un bidonville miséreux de Johannesburg, le jour même où celui-ci est en train d’être brutalement évacué et démoli. Il s’y montre harnaché à la façon d’un lustre d’apparat, imitation d’ancien, qui symbolise l’esthétique kitsch des intérieurs petits bourgeois blancs et… noirs. Les réactions qu’il provoque là – reçu en réprouvé, ou au contraire en quasi-apparition miraculeuse –  exacerbent les contradictions nichées au cœur de la relation interraciale.

S’exposer comme juif et comme homosexuel

Plus complexe encore paraît le brouillage des codes auquel Steven Cohen soumet son identité juive. Laquelle relève d’un positionnement éminemment complexe dans la société sud-africaine, où la communauté juive est englobée dans les rangs des Blancs – exerçant historiquement leur oppression sur la majorité noire – tout en versant souvent du côté du progressisme anti-apartheid, non sans être la cible de la composante néonazie. Encore faudrait-il relever les troublantes accointances géopolitiques de plusieurs gouvernements israéliens avec le régime d’apartheid, et enfin aujourd’hui pointer les ressorts manifestement antisémites qui animent les manifestations altermondialistes et antisionistes de larges secteurs de la population noire. On pourrait imaginer plus simple.

Eu égard à quoi, l’étoile de David est très souvent affichée sur son corps par Steven Cohen, dans une gamme allant de l’étoile jaune imposée par le régime nazi, à des effigies surdimensionnées, aux limites du kitsch décoratif. En 2007, pour Vienne cleaning time, la coiffe de Steven Cohen est un chandelier à neuf branches, alors qu’il entreprend d’arpenter les trottoirs de la cité impériale et touristique à quatre pattes, armé d’une réplique géante de brosse à dents, qu’il pousse devant lui, rappelant que l’Anschluss débuta par l’humiliation des juifs autrichiens, contraints de nettoyer les rues avec leurs brosses à dent.
Lors de cette performance, l’artiste arborait de surcroît un godemiché fiché dans son orifice anal. Ce dispositif est fréquent chez Steven Cohen, souvent quasi nu, et ses organes sexuels exhibés, eux affublés de divers accessoires contraignant leur position, ou encore portant une loupe grossissante ; et sinon, en suspension, toujours à cet endroit, une étoile de David. Par l’entrechoc violent de ces éléments, Steven Cohen met en pratique radicalement sa revendication d’expérimentation identitaire, sa liberté à se reconnaître juif tel qu’il le ressent, tout en heurtant les préceptes religieux qui restreignent la sexualité et stigmatisent l’homosexualité.


 

 

 

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