Arts de la scène et nouvelles technologies
Grand Magasin, Les Déplacements du problème / 1 2 3 4 5 Repères

 

 

2. Les DÉplacements du problÈme 
Ou comment dÉmontrer le minimum nÉcessaire pour communiquer

Vous avez dit, lors d’un débat, « faire du théâtre avec rien ». Qu’est-ce que cela signifie ? Surtout dans le cadre de votre nouveau spectacle où vous êtes confrontés aux outils de création sonore de l’Ircam, une technologie high-tech.

Les Déplacements du problème, 2009
© Grand Magasin

Avec rien… Sommes-nous toujours d’accord avec cette expression ? Ce que nous proposons n’est pas du théâtre nu, mais du théâtre avec des objets, tant intellectuels que physiques, des objets trouvés. Pour faire le lien avec notre nouveau spectacle, l’idée de départ était de ne pas produire une débauche technologique pour le plaisir de la débauche technologique. Est sous-tendue, dans le cadre de notre collaboration avec l’Ircam, une tension entre une possibilité technologique extrêmement vaste et un resserrement d’actions, d’idées simples ou de truquages ultra simples pour créer des situations où les deux peuvent se croiser.

Par exemple ?

Pour être concret, parmi les outils utilisés, figure le tapis absorbant : un tapis qui absorbe tous les bruits émis sur sa surface. [Tandis que Bettina Atala donne cet exemple, retentit le portable de François Hiffler...]. Par exemple, un téléphone portable ne sonnera pas sur un tapis absorbant. Preuve que nous ne sommes pas assis dessus. Ainsi, dans le spectacle, quand nous parlerons sur ce tapis, le public nous verra parler mais ne nous entendra pas. Nous pouvons donc évoquer le fonctionnement d’une technologie complexe avec des effets moyens à la portée de tous.

Nous utilisons aussi le projecteur sonore qui limite le son à un périmètre restreint. Dans la zone de ce projecteur le son qui s’y produit est entendu mais, à l’extérieur, il n’y a rien à entendre. Là encore, pour démontrer l’efficacité du projecteur sonore, le truquage est extrêmement simple : il suffit que le public soit en dehors de son périmètre d’émission.

Il y a aussi le micro à cohérence variable qui recompose les mots.

Ma Vie, 2006
© Grand Magasin

Non il ne recompose pas vraiment les mots. Mais l’idée de départ, qui n’a pas abouti, est l’utilisation d’un micro dont peut être réglé le degré de cohérence dans la restitution du langage. Supposons que le micro soit réglé à cohérence maximum, c’est-à-dire à 10, en fait personne ne verra quelque chose de son efficacité, sinon la propre incohérence de celui qui parle. Si le degré de cohérence est réglé à 5 au lieu de 10, la moitié de ce qui est dit sera incohérent. Après, qu’est-ce que l’incohérence ? Mais nous n’avons pas conservé cette séquence car elle n’était pas explicite.

Par contre nous avons gardé le micro qui restitue un mot sur 2, sur 3 ou sur 4. Car il y a là un élément qui reste un des axes de notre spectacle : dans la déperdition d’information, quel est le minimum nécessaire ou le maximum indispensable pour communiquer, comment les parasites ou les perturbations peuvent-ils recouvrir une partie d’un message, et dans quelle mesure un message altéré reste lisible ou non ?

Ces questionnements rejoignent des situations que nous vivons quotidiennement. Quand nous donnons rendez-vous à quelqu’un, par exemple, qu’est-il indispensable de lui dire pour qu’il soit là, ce jour-là ? Est-il suffisant de dire « à 15 heures ». Ou faut-il aussi indiquer le lieu ? Et éventuellement le jour, l’année, la ville. Avec ce message : « rendez-vous à 15 heures en juin », il y a peu de chance que nous nous retrouvions. Il y a donc des renseignements indispensables, d’autres moins nécessaires.

Un micro qui marche dans Les Déplacements du problème est un micro qui provoque des problèmes. Nous avons remarqué que nous ne pouvions pas dire « ce micro ne marche pas », puisque nous avons cherché à ce qu’il produise des problèmes.

Ce spectacle explore la piste de la communication. Aurait-il pu en suivre une autre, plus musicale ?

À l’Ircam, nous croisons des Spécialistes, avec un grand S, du son, pour lesquels la notion de qualité prime, et dont les délices sont la distinction entre un son produit par un instrument et la façon dont il est diffusé dans la salle. Des subtilités très intéressantes, mais qui ont eu tendance à nous échapper dans un premier temps, et qui nous paraissaient ne pas appartenir au stock de Grand Magasin. Plus nous les découvrons, plus nous les aimons, comme une sorte de travail esthétique, d’initiation à poursuivre pour nous-mêmes.

Pour communiquer à partir de notre politique de base, notre recherche d’un tronc commun, il ne s’agissait pas de qualité de son mais bien de quantité : combien y a t-il de mots dans cette phrase ? y en a-t-il suffisamment pour que je la comprenne ? Ce n’est pas la douceur du mot ou la beauté de sa vocalisation qui nous intéresse, en l’occurrence.

Dans notre spectacle, le rapport à la musique se fait par le biais de la composition, à savoir comment découper les scènes entre elles, comment organiser le différent, la séparation, le silence, l’infiniment nouveau ou, au contraire, la redondance.

 

 

 

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